Comment nos gouvernants abordent-ils la question de la biodiversité? Que nous proposent les experts de l’ONU ? Un des risques qui se développe sous nos yeux, sans que personne ne s’en émeuve vraiment, est celui de la sémantique. Elle conduit à un faux consensus qui, de dérives en dérives, conduit à la mise en place de normes, de taxes, d’appropriations. Autant de solutions artificielles nuisibles à l’homme lui-même !
C’est un risque qu’a souligné Mgr. Giampaolo Crépaldi, ancien secrétaire du conseil pontifical Justice et paix, coordinateur de la rédaction du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise. Il a dénoncé, le 25 novembre 2010,  les « sirènes des nouvelles idéologies » en y incluant  « l'idéologie de la diversité » qui, selon lui, « consiste à absolutiser la diversité en tant que telle, indépendamment de la vérité de la diversité. Les différences sont une richesse, mais quand elles restent dans un cadre vrai d'humanité, et représentent une des nombreuses voies pour exprimer la nature humaine commune. Les différences en tant que telles ne sont ni vraies ni fausses, ni bonnes ni mauvaises, et la coexistence n'est pas une combinaison indifférente de toutes les différences, sans exception, mais leur intégration au service de l'humanité commune…»[1].
C’est justement quand on ne se méfie pas des pièges sémantiques que les vrais enjeux sont détournés au profit d’intérêts divers[2]. En bref, ils disent "diversité", mais pensent "uniformité". Comment cela?

Commentaire "Ordinatissima"

· La biodiversité est devenue un enjeu financier et un service marchand

Après le sommet de Rio, l'idée a grandit selon laquelle, seul le marché pourrait protéger la biodiversité et qu’il conviendrait de lui donner une valeur monétaire. « Il faut offrir une argumentation économique exhaustive et irréfutable pour la conservation des écosystèmes et de la biodiversité», se plait à dire Pavan Sukhdev, responsable des marchés internationaux de la Deustche Bank à Bombay. Comment en est-on arrivé là ?
A partir de novembre 2001, la Conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce s’est emparée des questions de l’environnement et a décidé d’un vaste programme de négociation dans le cadre de la propriété intellectuelle, sous l'acronyme “ADPIC” qui désigne les “Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce”[3]. Les états membres ont, très vite, eu des opinions divergentes sur la question de la “relation entre l'Accord sur les ADPIC et la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB)[4].
Les négociateurs se demandent toujours comment breveter les formes de vie inventées ! L’ONU s’est alors emparée de ce qui lui semblait être un échec de l’OMC. Le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) a alors élaboré le Millenium Ecosystem Assessment (MEA), autrement dit l' « Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire ». Il a réuni les contributions de plus de 1.360 experts issus de près de 50 pays.

· Comment on en arrive à normaliser le bien-être et à promouvoir le gender !

Le rapport du Millenium Ecosystem Assessment[5], sorti en 2005, présente les bénéfices tirés des écosystèmes comme des avantages que les écosystèmes procurent aux hommes. Ce document[6] identifie plus de trente « services d’origine éco-systémiques », classés en 4 catégories. Tout n’est pas faux dans ce rapport, de dérives en problèmes mal posés, il finit par normaliser le bien être. Les valeurs de beauté deviennent politiques, les bénéfices spirituels et religieux également, ainsi que les héritages culturels !
Comme cela avait été le cas pour le réchauffement climatique qui avait nommé un « gender coordinator», la Convention sur la Diversité Biologique en profite pour faire la promotion de la théorie sexuée du "Gender" avec une  « Directive sur l’intégration de la parité des sexes dans les stratégies et plans d’action nationaux pour la diversité biologique »[7] . Que vient faire le "Gender" dans cette affaire? Tout simplement parce que, dit le document, il faut « inclure explicitement le mot « genre » dans le titre du projet. [Ce] peut être une façon très utile d’assurer que le genre n’est pas négligé. … L’expérience passée montre que, là où le "genre" n’est pas explicitement inclus, il n’est pas devenu un facteur important ».
Le 11 juin 2009, à Busan (Corée), 90 États ont donné leur feu vert à la création de « l'Intergovernmental science-policy Platform on Biodiversity and Ecosystem services » (IPBES). Cette institution aura également un mandat politique pour décider des autorisations ou des interdictions d'agir au nom de la protection de la biodiversité, partout dans le monde.

· Les entreprises en passe d'obtenir une valorisation de la biodiversité

Les entreprises ont compris qu’il était préférable qu’elles préemptent le domaine de la biodiversité. Elles ont donc fait appel à des centres de recherche et de réflexions pour établir une valeur à la biodiversité.
La principale contribution des entreprises pour donner une valeur marchande à la nature  et aux « services écosystémiques » a été menée, sous la direction du banquier Pavan Sukhdev, par un  groupe d’étude appelé «The Economics of Ecosystems and Biodiversity» (TEEB)[8], autrement dit «l'Économie des écosystèmes et de la biodiversité».
Les conclusions de ces travaux, financés conjointement par l'Union européenne et l'Allemagne, ont été présentées à Nagoya en octobre 2010, lors de la 10ème conférence (COP 10) des États signataires de la convention sur la diversité biologique (CDB)[9].
Ce rapport indique que les « Services rendus par les écosystèmes et la biodiversité » (BES) doivent faire l’objet de réglementations pour permettre le développement de « marchés pour la biodiversité ».
Par exemple, le rapport propose que soit réglementé clairement[10]:
-  Un caractère « assurable » des actifs éco-systémiques
-  Des droits de propriété et d’usufruit sur les actifs éco-systémiques
-  Un pouvoir juridique de négocier des actifs éco-systémiques, y compris au niveau international
-  Des processus d’appropriation de projets éco-systémiques
-  Des Services intermédiaires (courtiers, etc..) et des frais de transaction

Les spécialistes reconnaîtront derrière cette liste de suggestion tous les ingrédients nécessaires à la mise en place de véritables bourses de marchandises pour ces « actifs éco-systémiques ».

· La Caisse des Dépôts, opérateur français de la biodiversité

En France, l’ICREI « L'International Center for Research on Environmental Issues »[11] a été créé en 1992 à l’initiative d’Alain Madelin par un groupe d'économistes et de juristes français. Cet organisme développe des théories « connues sous les diverses appellations de « Ecologie de marché », « Nouvelle Economie des Ressources ». Il est présidé par Michel MASSENET, Conseiller d’Etat[12].
L’ICREI a produit un rapport qui recommande que « la plupart des ressources environnementales participent à une nouvelle vision des problèmes de protection de l’environnement, à travers des négociations entre producteurs et acheteurs de services ». Les entreprises commencent donc à se positionner sur ces marchés.
Ainsi, la Caisse des Dépôts a lancé, en février 2008, une filiale « CDC biodiversité ». Elle agit en tant que « Opérateur financier de la biodiversité » et « opérateur de la compensation »[13]. La société Veolia, de son côté, a initié, en 2006, avec l’ « Institut Français de la biodiversité », et avec une vingtaine d'entreprises, un guide « Intégrer la biodiversité dans les stratégies des entreprises » proposant  d’ « évaluer la contribution de la biodiversité et des services que les entreprises tirent du fonctionnement des écosystèmes à la création de valeur ajoutée ».
Toutes ces réflexions ont donné naissance au concept des « Paiements pour les Services Environnementaux » (PSE).  Les PSE constituent une approche fondée sur des mécanismes de marché qui vise à inciter au maintien ou à la restauration d’écosystèmes naturels afin de fournir le service environnemental souhaité. Le principe consiste à dédommager ces “fournisseurs” de services environnementaux. On imagine le pire à l’idée qu’il faille confier au marché des services comme les "bénéfices spirituels et religieux" ou les "héritages culturels"...

· La biodiversité peut-elle être à l’origine des prochaines bulles ou krachs ?

A quoi peut mener une pareille financiarisation des actifs éco-systémiques de la biodiversité ? L'avocat Patrick Hubert[14] est lucide : «On ne peut pas protéger la biodiversité sans toucher au droit de propriété, or ce droit est trop important pour être traité sans considération », a -t-il déclaré au colloque du CREI !
Toutes ces réglementations risquent d’être assises sur des approximations considérables !
Il n’est qu’à voir les fourchettes qui sont citées dans le rapport TEEB. Comment donner une valeur financière à la nature constituée de milliards de molécules, aux usages variés, dont beaucoup sont encore inconnus?
Que penser de l'intérêt croissant pour la gouvernance des océans et pour l’établissement de cadastres marins? Verra-t-on un jour M. Al Gore lancer une cotation en bourse de parcelles de fonds marins couverts de coraux, comme il l’a fait en préemptant la bourse des quotas[15] de CO²?
On peut s’inquiéter de voir le rapport TEEB s’inspirer, pour la biodiversité, de ce qui s’est fait pour les émissions de carbone. En la matière, l'inefficacité environnementale et les dysfonctionnements se sont révélés patents à ce jour. Or, pour qu’une bourse soit efficace et utile, il faut  quelques règles simples. C’est parce que ces règles n’ont pas été respectées que les cours du CO2 ont fluctué sans raisons sérieuses. Les quotas de CO² ont été l’objet de trois krachs successifs en 2005, 2006 puis 2008 !

Après la Subprime Crise, pourquoi ne serions nous pas victime d’une « Climate Crise », puis d’une  « Biodiversité crise » ?
Le réseau de fonds d’investissements américains « INCR » a investit des capitaux représentant plusieurs milliards de dollars. Ce ne seront probablement pas les scientifiques qui douteront les premiers de la cause humaine du réchauffement climatique, mais les économistes. Lorsqu’ils en mesureront le danger, qu’adviendra-t-il de ces fonds ? Les lobbyistes de l’INCR s’inquiètent déjà d’une éventuelle « Climate Crise » au point d’intervenir auprès du sénat américain pour que les lois américaines entretiennent la « bulle ».
Pour certains analystes, les bulles seraient une nécessité pour la croissance.  Ce seraient  des recadrages indispensables, un peu comme les tremblements de terre sont des réajustements aux dérives des plaques tectoniques. Seraient-ce des phénomènes incontournables liés aux mouvements ou aux flux de toutes sortes ?
Les ONG environnementalistes, curieusement, sont silencieuses sur toutes ces réalités qu’elles connaissent pourtant fort bien. Elles se sont toutes félicitées de la création de l’IPBES, cette sorte de Giec[16] de la biodiversité. Elles ont ainsi cautionné la financiarisation de l’environnement.
En parlant de biodiversité sans discernement, on risque de se faire, indirectement, les serviteurs d’intérêts financiers qu’on ne soupçonne pas toujours et de l’avancée rampante d’une gouvernance mondiale qui tourne résolument le dos au principe de subsidiarité.


[1] « Les catholiques et les nouvelles idéologies » Mgr. Crepaldi - Source : Agence  Zenit - Jeudi 25 Novembre 2010

[2] On ajoutera ce commentaire de Sylvie Brunel, ancienne présidente de l’ONG « Action contre la Faim », géographe, économiste, professeur à la Sorbonne-Paris IV, auteur de « Nourrir le Monde, vaincre la faim »: « Donner des droits à la nature, c’est finalement donner la victoire du plus fort sur le plus faible et laisser les variétés et les espèces invasives se développer au détriment de la biodiversité. Le garant de la biodiversité est justement l’activité humaine. Prendre en compte la géographie, c’est réaliser que la nature n’existe que par les paysages qui sont des constructions millénaires de l’homme, y compris en Afrique. Le discours de la biodiversité est régressif car il s’oppose au progrès et à la mobilité » (source : conférence du 26 mars 2009)

[3] Lire site OMC :

http://www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/cbt_course_f/c6s1p1_f.htm

[4] Source : Site de l’OMC : http://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/art27_3b_f.htm

[5] Source: "Rapport de synthèse de l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire" n°E/C19/2005/CRP.4 (New-York  20.4.2005)

[6] Source: "Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes" Centre d'Analyse stratégique  (la Documentation française- Paris juin 2009) et "Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique "  (Cahier technique CDB No 26)

[7] Source : site de la Convention de la Diversité Biologique : Cahier technique CDB No. 49

[8] Source : site de WBCSD

[9] GBOB a été sponsorisé entre autres par les sociétés Lafarge, BASF,

Parmi les contributions à ce symposium, notons celles de William Evison, de Pricewaterhouse-Coopers, Mikkel Kallesoe, du World business Council for Sustainable Development (WBCSD) qui regroupe des multinationales dont, Shell, Toyota,  Areva,  Dow chemical, Unilever, etc… L'étude promet de substantiels profits aux entreprises en 2050, grâce à la biodiversité.

[10] Source : rapport TEEB page 12

[11] Source: ICREI ("Droits de propriété, économie et environnement")

[12] On y note la participation de Brice Lalonde, d’Anne-Laure Noat (présidente des ingénieurs Agro), de Michel Vauzelle et de Jean-Noël Guerini, (présidents socialistes de la région Rhône-Alpes et du conseil général des B. du R.)…

[13] Son PDG, Laurent Piermont,  est également président du « Fonds carbone européen »

[14] Patrick Hubert : ex-conseiller d'État qui a dirigé plusieurs cabinets ministériels, dont celui de Dominique Perben,

[15] Source « Les contrevérités de l’écologisme » (Ed Salvator pages 245-246)

[16] Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat