Un article du Monde du 15 avril 2016 s’insurgeait contre l’émergence d’une nouveau courant qualifié, comme pour mieux le ridiculiser, de « biodiversité sceptique ». L’article mettait en accusation un avis publié par l’Académie des technologies sur le thème « Biodiversité et aménagement des territoires ». Le journal accuse l’Académie de remettre en cause ce que le consensus appelle un fait, à savoir que les « taux d’extinction définitive des espèces seraient de 20 à 100 fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant l’influence des humains »[1].
Son avis avait pourtant plusieurs mérites :
- faire appel à la fois à des scientifiques, juristes et industriels  
- accepter qu’il puisse ne pas y avoir de consensus sur le sujet de la biodiversité puisque l’avis se termine par une annexe exposant la « position minoritaire ». Le plus généralement, les minoritaires sont tournés en ridicule et éliminés des débats.
Nous reprenons ici l’intégralité de cet avis qui met en lumière deux points :
- l’aspect scientifique (I) : il y a une forme d’unanimité à admettre que  « la connaissance du phénomène d’érosion de la biodiversité est marquée par de nombreuses incertitudes ». Nous exposerons ces difficultés d’ordre scientifique.
- les aspects sémantiques et idéologiques (II) : L’avis a raison de mettre en garde contre « toute interprétation hâtive, toute analogie faussement intuitive et toute imprégnation trop fortement idéologique ».
- l’aspect économique et social (III) : l’Académie des technologies est visiblement influencée par la qualité dont elle se targue d’être « héritière du siècle des lumières ». Dès lors, ses arguments sont parfois emprunts d’une idéologie du progrès dont elle fait d’ailleurs son maître mot. Nous montrerons les contradictions qui s’en suivent.
Pour en juger, nous transcrivons l’intégralité de cet avis (IV) 

Commentaire et transcription : « les2ailes.com »

Qu’est ce que l’Académie des Technologies ?

L’Académie des technologies est un établissement public administratif national placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche. Son siège est situé à Paris. Elle a rejoint ses consœurs de l’Institut de France dans une reconnaissance de sa mission et de l’intérêt public de son action. Elle se déclare « héritière du siècle des lumières » avec comme devise : « « Pour un progrès raisonné choisi, partagé ».
Elle a eu successivement pour délégués généraux :
- Pierre Perrier, ancien chercheur de l’aéronautique. Il a, sur un autre plan de nombreux ouvrages sur l'oralité dans les évangiles dans la lignée des travaux effectués par les cardinaux Tisserant et Danielou.
- Paul Parnière, ancien directeur de la Stratégie chez Renault
- Pierre-Etienne Bost, chercheur à l’Institut pasteur puis Directeur Associé chez « The Art Marketing Company » qui fait   de la culture un levier de création de valeur et de performance pour les acteurs économique
- Jean-Claude Raoul, ancien Directeur technique de CIMT, filiale d'Alsthom dans le secteur du bâtiment.
- Alain Bravo, ancien président de SFR
- et, actuellement, Olivier Appert, ingénieur du corps des mines, ancien administrateur d’EDF, et président de l’Institut Français du Pétrole

I - Les aspects scientifiques de la biodiversité

Certes, les variations climatiques ont toujours eu un impact sur les habitats  de nombreuses espèces. Cela toujours été ainsi.  En tout état de cause ce constat ne dit rien d’une éventuelle cause humaine de ces variations.
Si  une part importante des surfaces continentales ou aquatiques sont exploitées par l’homme, il faut malgré tout se poser quelques questions.

La très officielle étude « Planetary boudaries » reconnait:
- que les données de l’indicateur de Variabilité Phylogénétique des Espèces (PSV) ne sont pas disponibles au niveau mondial, 
- qu’il peut y avoir « un risque important » dans l’utilisation du Taux Mondial d’Extinction qui n’est pas, non plus mesuré exactement,  
- et que l’Indice d’Intégrité de la Biodiversité (BII)  n’est pas utilisable « en raison d'un manque de preuves sur la relation entre les réponses de l’indicateur BII au Système-Terre ».
Il ne parait donc pas sérieux de conclure, comme le laisse entendre, la revue « Nature »[2] dans son article « Has the Earth’s sixth mass extinction already arrived? » que  le taux d’extinction définitive des espèces serait en conséquence de 20 à 100 fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant l’influence de l’homme ? 

L’académie des technologies définit la « biodiversité » comme « un ensemble d’individus d’espèces différentes, occupant un espace géographique donné ». Elle regrette que son évaluation soit souvent réduite au nombre d’espèces présentes et l’on note de fréquentes confusions entre les catégories fonctionnelles (individu, population, communautés), et taxonomiques (spécimen, espèce, etc…).
On trouve, dans cet avis, une loi dénommée la « loi aire-espèces ». Sa méconnaissance entraîne bien des déconvenues dans l’évaluation de la biodiversité. Cette « loi » exprime la relation entre la superficie d’une aire échantillonnée et le nombre d’espèces représentées dans cet échantillon. Elle permet, par extrapolation, d’estimer le nombre d’espèces présentes dans un espace de plus grande superficie que ceux échantillonnés. Une erreur logique fréquente est d’utiliser cette relation pour estimer le nombre d’espèces éradiquées lorsqu’un espace est perturbé. Cette erreur logique n’a été relevée que récemment : alors que cette « loi » a été énoncée dans les années 1920, puis améliorée dans les années 1960, ce n’est qu’en 2001 qu’une publication dans Nature[3] démontre clairement que si elle est efficace pour l’estimation du nombre d’espèces présentes, elle ne l’est pas pour celle du nombre d’espèces éradiquées et conduit alors à une forte surestimation de ces éradications.
La vitesse d’apparition des espèces nouvelles, quand elle est sous-estimée, est un autre exemple de risque de surestimation de la perte en biodiversité. La dynamique spontanée de la biodiversité est mal connue, notamment parce que les phénomènes qualifiés d’aléatoires y jouent un rôle plus important, phénomènes dont les effets et les origines sont aussi mal connus et paradoxalement encore peu étudiés. 

II- les aspects sémantiques et idéologiques relatifs à la biodiversité

L’avis de l’Académie des technologies invoque les incertitudes et certaines imprécisions pesant sur l’estimation des taux d’extinction des espèces pour suggérer d’« éviter toute interprétation hâtive, toute analogie faussement intuitive et toute imprégnation trop fortement idéologique ».
L’académie introduit un concept rarement développé : « il existe des ressources non renouvelables, et, à l’inverse que certaines ressources peuvent être qualifiées d’ « amplifiables » : c’est le cas par exemple des ressources agricoles …» .
L’académie insiste sur le caractère évolutif de la biodiversité. Or sa perception est souvent fixiste. « C’est cette perception qui transparait dans la plupart des textes juridiques, qui en traitent  principalement en termes de protection et de conservation » (§ 3). 

III- Les aspects économiques de la protection de la biodiversité

Autant les aspects scientifiques semblent avoir fait l’unanimité de l’Académie, autant, lorsqu’il s’agit des aspects économiques, on sent que les industriels ont influencé le groupe de travail.
- L’avis donne des exemples dans lesquels la biodiversité a eu des conséquences économiques et sociales en remettant en cause des projets d’aménagement. Il  cite le cas du projet de centre de formation et d’entraînement du stade de Brest, sans dire s’il y avait des alternatives. Apparemment, des solutions ont été trouvées puisque le dit centre fonctionne, non à Plougastel comme prévu, mais à Pen Helen à Brest même.
- L’avis évoque la biodiversité comme étant un atout « non dé-localisable » [cf 7-(v)]. Cela parait contradictoire car, en même temps, l’avis de l’Académie regrette que la possibilité d’acquérir des unités de compensation, à mettre en œuvre « sur d’autres terrains », soit limitée à la seule filiale de la CDC [cf 6-(i)].
- L’avis définit un concept flou,  « la transition écologique » par une locution tout aussi flou, « un  nouveau  développement économique » [cf 7-(iv)].

Il ressort de cet avis l’importance attachée à une forme de morale de l’utilité : « des projets pourtant utiles peuvent être retardés, voire arrêtés. Son application stricte pourrait devenir une entrave au développement économique et à la création d’emplois » ! Comme si la création d’emploi était la finalité ultime de l’économie. Les industries de l’armement, de la pornographie ou du transe-humanisme peuvent être qualifiées de créatrices d’emplois !
Certes, dans l’agir humain, l’utilité ne doit pas être sous-estimée, mais une morale de l’utilité n’est pas toujours une bonne morale. 

IV - Transcription de l’Avis sur « Biodiversité et aménagement des territoires : modalité et globalité, spécificités et généralités »

L’avis de l’Académie des technologies sur le thème « Biodiversité et aménagement des territoires » a été publié le 9 décembre 2015. Nous en reproduisons ici, l’intégralité de l’avis qu’a émis cette Académie

La relation entre biodiversité et aménagement des territoires  est évident : tous les êtres vivants occupent et utilisent des espaces pour vivre et subsister au sein d’écosystèmes naturels ou artificiels. Ces écosystèmes et leur biodiversité changent constamment dans le temps, sous l’effet de processus biologiques et écologiques spontanés, de diverse perturbations environnementales, ou suite à des actions anthropiques, dont les aménagements, se traduisant par un changement d’utilisation des espaces terrestres ou maritimes. Les effets sont toujours locaux, mais peuvent avoir des conséquences à diverses échelles. Ceux d’origines anthropiques peuvent être le fruit de décisions elles aussi locales, mais aussi régionales ou globales. Par exemple, en Europe, la politique agricole commune a des effets directs dur l’utilisation des terres et donc sur la biodiversité qu’elles portent. Les conséquences  sur le vivant ne sont qu’en partie prédictibles et seulement sur le court terme, tant les réseaux d’interactions sont complexes et changeants, de façon le plus souvent imprévisible.  Sauf cas exceptionnel, l’abandon des causalités simples et du réductionnisme strict est à envisager au bénéfice de nouvelles approches intégrant la complexité du vivant, de ses réactions, de ses capacités d’adaptation et de son évolution rapide, où l’aléatoire joue un rôle important. En la matière, il est souhaitable d’être à la fois ambitieux et rigoureux. Le langage doit être précis et éviter toute interprétation hâtive, toute analogie faussement intuitive et toute imprégnation trop fortement idéologique.

De façon plus globale, rappelons que la croissance démographique mondiale et l’emprise de l’homme sur la planète ont des conséquences environnementales importantes, qui ont  notamment conduit à l’adoption d’une convention sur la préservation de la diversité biologique, lors du sommet de Rio en 1992. On constate que l’argument biodiversité est de plus en plus souvent avancé, lorsque des projets d’aménagement ou de gestion ds esaces sont élaborés. Cette exigence est acceptée par les aménageurs et les industriels qui ne la remettent pas en cause, du moins dans son principe. De plus en plus, ils souhaitent y participer activement. Cependant, il arrive que cette convention sur la préservation de la diversité biologique soit interprétée comme une valeur absolue et exclusive. Dans ce cas, des projets pourtant utiles peuvent être retardés, voire arrêtés. Son application stricte pourrait devenir une entrave au développement économique et à la création d’emplois. Tout le monde souhaite vivre dans un environnement le plus agréable possible et l’améliorer continûment, mais tout le monde souhaite également pouvoir travailler, se déplacer, se nourrir ; la recherche de compromis est donc inévitable. Ces compromis sont rendus d’autant plus difficiles à élaborer que la biodiversité est un objet complexe, encore insuffisamment connu. Il est admis qu’elle subit actuellement une forte érosion[4]. Cependant, l’ampleur de cette érosion est encore sujette à débats, sauf dans des cas particuliers. En effet, on note des difficultés d’évaluation de son état réel et surtout de celle des processus naturels et anthropiques qui la font changer et évoluer.

C’est pourquoi l’Académie des technologiques, associée à l’Académie  d’agriculture, a demandé à un groupe de travail composé de scientifiques, de juristes et d’industriels, de faire un point sur les liens entre biodiversité et aménagement des territoires. Un travail de fond, interdisciplinaire, de plusieurs années a ainsi contribué à la création d’une véritable expertise collégiale.

Le présent avis, longuement discuté puis amendé au sein de l’Académie, reprend les principales conclusions de ce groupe de travail, l’argumentation étant développée dans divers documents de travail, dont un rapport en cours de finalisation.

  1. La biodiversité est devenue une préoccupation importante scientifique, sociale, économique et médiatique.
  1. Cependant, la perception courante de la biodiversité reste assez floue et le terme est souvent confondu avec celui de nature ou d’environnement. La biodiversité est le plus souvent comprise comme un ensemble d’individus d’espèces différentes, occupant un espace géographique donné, ce qui est exact. Son évaluation est souvent réduite au nombre d’espèces présentes et l’on note de fréquentes confusions entre les catégories fonctionnelles (individu, population, communautés), et taxonomiques (spécimen, espèce, etc…). De fait, elle recouvre une réalité biologique, technologique et économique bien plus large : du gène à l’écosystème, depuis l’émergence de la vie sur la planète jusqu’à notre époque actuelle. La biodiversité comprend les ressources renouvelables nécessaires à la vie et au développement des sociétés humaines, sans oublier que, d’une part il existe des ressources non renouvelables, et, à l’inverse que certaines ressources peuvent être qualifiées d’ « amplifiables »: c’est le cas par exemple des ressources agricoles, comme celles issues de la sélection variétale. Il existe des limites à leur utilisation (taille du stock, vitesse de renouvellement, limite d’amplification). La biodiversité s’entend aussi comme références culturelles, esthétiques et éthiques, voire religieuses. Elle est aussi source  d’inspirations pour des innovations technologiques, pour des modes de gestion originaux des écosystèmes, ou pour de nouveaux médicaments ; elle peut être également un facteur de résilience des écosystèmes,  jouant ainsi un rôle essentiel dans la préservation de l’environnement de notre planète et dans les conditions de vie de ses  habitants ;
  1. La biodiversité est difficile à quantifier et à estimer, et elle est en outre évolutive, ce qui rend délicate toute évaluation d’un « bon état de biodiversité ». Par ailleurs, l’attention est souvent portée sur ce qui disparait en oubliant ce qui apparaît ou se transforme . La perception est souvent fixiste, c'est-à-dire basée sur un monde et des écosystèmes qui,  sans intervention de l’homme ou perturbation naturelle, n’évolueraient pas. C’est cette perception qui transparait dans la plupart des textes juridiques, qui en traitent  principalement en termes de protection et de conservation. Enfin, les effets des actions humaines pouvant contribuer à l’augmentation de la biodiversité, comme a création variétale ou même celle de nouveaux habitats, ne sont pas toujours pris en considération.
  1. Les estimations de la biodiversité, et surtout de sa dynamique, doivent faire l’objet de grandes précautions et recourir à des méthodologies robustes et correctement utilisées, en tenant compte de ce qui peut relever de l’objectif ou du subjectif et en évitant de généraliser ce qui relève du local ou du particulier. L’utilisation par exemple de la « loi aire-espèces »[5] pour estimer les extinctions, sur la base des modifications des habitats, est un exemple caractéristique qui aboutit en général à une surestimation de ces extinctions, sauf dans le cas de grands endémismes. La vitesse d’apparition des espèces nouvelles, quand elle est sous-estimée, est un autre exemple de risque de surestimation de la perte en biodiversité, alors que l’on dispose maintenant de bonnes références en la matière. On observe aussi que les notions afférentes à des catégories différentes sont parfois confondues (individu, population, espèce) ou relèvent d’extrapolations rapides (la durée de vie d’un individu ou d’une population a un sens biologique, local, régional ou global, tandis que l’extinction d’une espèce, catégorie taxonomique[6] globale, ne peut relever que d’un accord des spécialistes mondiaux). Il faut souligner que la dynamique spontanée de la biodiversité est mal connue, notamment parce que les phénomènes qualifiés d’aléatoires y jouent un rôle plus important, phénomènes dont les effets et les origines sont aussi mal connus et paradoxalement encore peu étudiés. Enfin, les valeurs associées à la biodiversité sont le plus souvent positives, alors que les aspects négatifs sont négligés. Ainsi, les zones humides sont des réservoirs incontestés de biodiversité, mais elles sont aussi des sources de méthane et d’éléments pathogènes. Il y a donc lieu d’être pondéré.
  1. Cet intérêt, fondamentalement justifié, pour la biodiversité a des conséquences économiques et sociales. Ainsi la présence effective, ou même seulement possible, d’individus d’une espèce protégée sur un site peut remettre en cause certains projets d’aménagement[7]. En revanche, l’usage qu’on eut faire d la biodiversité, à quelque titre que cela soit, peut être à l’origine de progrès et de revenus directs ou indirects importants, par exemple comme sources de matériaux, d’aliments ou encore de médicaments nouveaux, sans oublier que l’observation et l’étude des systèmes vivants peut être source d’inspiration technologique (technologies biomimétique ou bio-inspirées). On peut en conclure que tout projet d’aménagement doit intégrer, lors de l’étude d’impact, l’ensemble des dimensions de la biodiversité, les négatives autant que les positives, ainsi que l’analyse des bénéfices et des coûts, des avantages et des inconvénients, liés à la fois au projet, à la préservation et à la valorisation d’écosystèmes spécifiques, voire à l’inclure dans les aménagements un accroissement de la biodiversité.
  1. Depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, la France dispose d’une doctrine dite « ERC » (éviter, réduire, compenser). Elle impose aux initiateurs de projets de mettre en place des mesures en vue d’éviter, de réduire ou, à défaut, de compenser les atteintes de leur projet aux milieux avoisinants. Ces mesures doivent être présentées dans l’étude d’impact de tout projet. Toute solution alternative au projet initial permettant d’éviter ces atteintes, ou de les réduire, doit être étudiée et, à défaut, des mesures de compensation doivent être mises en œuvre sur d’autres terrains, pour créer ou restaurer les écosystèmes qui seront détruits. Ces mesures sont parfois difficiles à réaliser : problèmes foncier, de génie écologique, de délais de mise en œuvre et de pérennité. Le projet de Loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », adopté le 24 mars 2015 en première lecture par l’Assemblée Nationale, et actuellement en examen au Sénat, précise cette obligation, en introduisant notamment trois dispositions très importantes :
    - (i) Toute personne soumise à une obligation de compensation peut y satisfaire soit directement, soit indirectement, tout en en conservant la responsabilité, en confiant par contrat la réalisation de ces mesures à un opérateur de compensation, ou enfin par l’acquisition d’unités de compensation dans une réserve d’actifs naturels. Cela devrait permettre de créer en France des « banques de compensation », comme elles existent depuis les années 1970 aux États-Unis, où l’on peut restaurer par avance des zones naturelles, par exemple des zones humides, et les mettre à disposition des Maîtres d’Ouvrage obligés de compenser une destruction. En France, seule la CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, a créé à titre expérimental une telle banque, dans la plaine de la Crau.
    - (ii) Il est prévu une extension du champ d’application de la compensation dans un cadre juridique global, en lieu et place d’une réglementation âr type d’aménagement (par exemple Loi sur l’Eau, planification urbanistiques telle que PLU et SCOT).
    - (iii) Une pérennisation des sites compensatoires sera réalisable par maîtrise foncière, par utilisation du droit de préemption, ou par convention de gestion contractualisant les obligations environnementales. Les méthodes de génie écologique permettant la restauration ou la création d’unités de compensation doivent cependant faire encore l’objet de travaux d’expérimentation et de recherche, pour garantir l’atteinte des objectifs visés, augmenter les taux de succès et réduire, si faire se peut, les délais d’obtention sur les sites restaurés de l’état écologique qu’avaient les sites détruits

Le monde politique doit être informé le plus objectivement possible pour qu’il puisse décider en connaissance de cause. Les recherches sur la biodiversité sont donc indispensables et, par nature, multidisciplinaires. Conduites avec rigueur, elles permettront d’utiliser les résultats scientifiques les plus récents et d’acquérir de nouvelles connaissances afin de faciliter la prise de décision et de sensibiliser le public. Au plan scientifique, le concept même de biodiversité serait à revisiter et à renforcer, en espérant que le discours médiatique soit à la mesure de ces ambitions. Si un encadrement juridique s’avère néanmoins nécessaire, dans le cadre ou en complément du projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », déjà citée, il devrait s’appuyer sur une approche scientifique solide, en ayant le souci :
(i) du maintien d’une grande souplesse afin de préserver les richesse naturelles, voire de les accroître,
(ii) de tenir compte des propriétés adaptatives et évolutives des systèmes vivants, qui les maintiennent dans leur domaine de viabilité et où les processus engendrant la diversité nécessaire à l’évolution jouent un rôle essentiel,
(iii) de mettre en œuvre les techniques et les pratiques les mieux adaptées,
(iv) de promouvoir un nouveau développement économique et social à long terme, s’appuyant sur une « transition écologique » à l’ordre du jour et ayant le souci constant d’améliorer le bien être, actuel et futur, des humains en sociétés,
(v) de penser les aménagements nouveaux en incluant la biodiversité comme une ressource possible, un atout « non dé-localisable » pour les territoires et leur économie

Enfin, il convient de promouvoir une meilleure connaissance de la dynamique de la biodiversité, des divers facteurs et processus la faisant évoluer, notamment des phénomènes aléatoires. Cette connaissance est nécessaire pour promouvoir une gestion dynamique et adaptative de la biodiversité, volet d’une véritable ingénierie écologique, où la conservation ne serait qu’une des modalités.

Annexe :  Position minoritaire

Les objections portent, d’une part, sur la présentation du débat scientifique sur l’érosion de la biodiversité et, d’autre part, sur le positionnement proposé par rapport à l’aménagement du territoire.
- La position minoritaire admet volontiers que la connaissance du phénomène d’érosion de la biodiversité est marquée par de nombreuses incertitudes. Encore faut-il présenter de manière équilibrée les éléments pouvant conduire à des sur- et à des sous-estimations de l’ampleur de ce phénomène. La position minoritaire considère que ce n’est pas le cas. Plus globalement, elle considère que, plutôt que de mettre en avant les incertitudes pour inviter à une certaine « décontraction » vis-à-vis de l’érosion de la biodiversité, l’Académie se doit d’émettre un message de précaution (ou de responsabilité) vis-à-vis des pouvoirs publics.
- Le projet d’avis présente d’emblée la relation entre préservation de la biodiversité et aménagement du territoire en termes antagonistes ‘entrave au développement économique et à la création d’emploi ».. pour des projets « pourtant utiles »). La position minoritaire considère au contraire que l’enjeu d’aujourd’hui de l’aménagement du territoire est de faire du développement du capital naturel une composante de cet aménagement, pour que les territoires permettent un développement social et économique « vraiment » durable. C’est cette nouvelle vision de l’aménagement du territoire que la position minoritaire aurait aimé voir transe paraître, au moins en contrepoint, dans cet avis et qui aurait pu exprimer les compétences incontestables de l’Académie dans ce domaine.


[1] Un autre expert, Michel Chantereau, membre de la commission scientifique des réserves naturelles de France, parle d’un taux de disparition des espèces d’environ 1.000 fois supérieur au taux naturel ! De la grande difficulté à quantifier ces évolutions !

[2] N° 471 du 3.3.2011, p 51-57)

[3] (He, F., Hubbelle, S ;P. « Species-area relationships always overestimate extinction rates from habitat loss ». Nature, 2011, 473, 368-371)

[4] Voir par exemple : Billé, R. et al. : « Biodiversité : vers uns sixième extinction de masse », 2014, Ed. de la ville brûle.

[5] Cette « loi » exprime la relation entre la superficie d’une aire échantillonnée et le nombre d’espèces représentées dans cet échantillon. Elle permet, par extrapolation, d’estimer le nombre d’espèces présentes dans un espace de plus grande superficie que ceux échantillonnés. Une erreur logique fréquente est d’utiliser cette relation pour estimer le nombre d’espèces éradiquées lorsqu’un espace est perturbé. Cette erreur logique n’a été relevée que récemment : alors que cette « loi » a été énoncée dans les années 1920, puis améliorée dans les années 1960, ce n’est qu’en 2001 qu’une publication dans Nature (He, F., Hubbelle, S ;P. « Species-area relationships always overestimate extinction rates from habitat loss ». Nature, 2011, 473, 368-371) démontre clairement que si elle est efficace pour l’estimation du nombre d’espèces présentes, elle ne l’est pas pour celle du nombre d’espèces éradiquées et conduit alors à une forte surestimation de ces éradications.

[6] La Taxonomie est la science de la classification des êtres vivants qui a pour objet de les décrire et de les regrouper en entités appelées taxons (familles, genres, espèces, etc.) afin de pouvoir les nommer et les classer.

[7] Les exemples ne manquent pas. Ce fut ainsi le cas de l’abandon du projet de centre de formation et d’entraînement du stade de Brest, sur la commune de Plougastel, dont l’intérêt était non seulement évident pour les jeunes, mais aussi nécessaire pour que l’équipe se maintienne en première division. L’argument avancé était la présence de « l’escargot de Quimper » (Elona quimperiana), espèce protégée, sur le terrain en question. Bien évidemment, des individus de cette espèce se trouvent ailleurs sur d’autres sites. Parfois, le simple soupçon de la présence d’une espèce protégée eut geler des initiatives, voire même agir contre la sécurité de certains habitants. On peut citer l’exemple du Pique-prune (Osmoderma eremita) à propos de l’élagage d’une allée d’un château dans l’Yonne. La grande presse s’en est emparée et est arrivée à tourner en ridicule ce type de situation, allant de ce fait à l’encontre d’une prise en compte sérieuse de la biodiversité. Inversement, les initatives d’aéroports soucieux de préserver leur biodiversité sans obérer la sécurit des vols est une initiative à souligner. Deux compagnies aériennes nationales (HOP ! et Air-France), ainsi que le DGAC soutiennent ces initiatives. Le Parisien : http://www.leparisien.fr/environnement/les-escargots-taclent-le-stade-brestois-13-12-2012-2404461.php Libération du 20/09/2010 (Alexandre Stobinsky) : http://www.liberation.fr/societe/01012291095-le-pique-prune-heros-de-ces-bois http://www.hop.com/sites/default/files/press/180615_hop_biodiversite_unr_association_pour_un_transport_aerien_mieux_integre_a_son_environnement.pdf