C’était le gros titre du « Courrier international » (n° 991 du 29.10.2009). Les médias s’émeuvent de la question et titraient déjà, dans le même journal : « Le sud se rebiffe », « Un colonialisme new-look », ou bien : « Le grand monopoly mondial des terres agricoles » (Figaro 16.11.2009). Une journée d’étude sur le sujet s'est tenu à Montpellier le 3 septembre 2009, organisée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), sur cette question des « investissements fonciers à grande échelle ». Qu’en est-il en réalité ?

Sources : Cirad

Commentaire de «les2ailes.com»

Nous n’avons pas la prétention de reprendre l’analyse du CIRAD dont nous n’avons que des conclusions partielles. Les commentaires suivants n’engagent donc que « les2ailes.com ».
Il nous semble que les vraies questions à se poser sont les suivantes :

Quelle est l’importance de ces investissements ?
Certes, chacune des opérations portent sur des surfaces supérieures à 100.000 ha chacune. Ce sont souvent des investisseurs privés, banques, fonds d’investissements, et, dans une moindre proportion, des « fonds souverains » d’états comme le Qatar, la Chine ou la Corée. Toutefois, la compilation de données en provenance de l’IFFPRI (International Food Policy Research Institute, à Washington), des études de Laurence Roudart, ou de celles de l’IIED (Institut International pour l’Environnement et le Développement) laisse à penser que ces opérations représentent, sur les 6 dernières années, moins de 1% des terres arables sur un échantillon des 5 pays africains qui ont été le plus sollicités par ce type de projets. On parle, au niveau mondial de projets qui ne portent que sur 20 millions d’ha, dont seulement un faible pourcentage s’est réalisé sur cette période, chiffre qu’il faut rapprocher des 4 milliards d'ha de terres arables dans le monde.
Le phénomène porte donc sur 0,1 % des terres. Est-il donc à la hauteur de l’émotion qu’il provoque dans les médias ? Quelles sont les raisons sous-jacentes à ces émotions?
Celle des médias occidentaux -ils sont les seuls à s'émouvoir- pourrait bien cacher une attaque contre les asiatiques qui ont su saisir des opportunités que l’occident a manquées ?
Que cache l'émotion des manifestants qu'on a vu à Madagascar reprocher au groupe sud-coréen Daewoo Logistics de se lancer dans la culture de maïs et la production d'huile de palme? Certes l'accord envisagé pouvait présenter un caractère excessif parce que portant sur 1,3 million d'hectares de terres. Mais les ONG altermondialistes n'en étaient-elles pas, en définitive, les vrais initiateurs pour faire avancer leur modèle de "croissance zéro" qui s'inscrit, comme on le sait, dans une véritable "culture de mort" ?

Par ailleurs, il faut savoir que les gouvernements hôtes jouent un rôle clé. Certes, on les soupçonne de bénéficier, à l’occasion, de corruptions diverses. Mais, on peut penser, que ces chefs d’états y trouvent un intérêt pour leur pays, sauf à rêver de les destituer tous sans délais au profit d'une gouvernance mondiale qui risquera fort d’oublier l'indispensable principe de subsidiarité.
Quels peuvent donc être les bénéfices pour les états en question ?
Ces investissements créent des emplois locaux de populations rurales, qui ont souvent abandonné toute activité agricole, tant la mondialisation a anéanti leurs potentiels de production. Par ailleurs les investisseurs, pour accéder aux marchés, n’hésitent pas à investir dans les structures logistiques locales, routières, voire même portuaires.
Si ces  modèles de production retenus sont souvent tournés vers l’exportation -puisqu'ils ont besoin de ports- et non vers la sécurité alimentaire locale, il y a, malgré tout, un effet bénéfique sur la balance commerciale de ces pays et sur leurs rentrées fiscales.

Bien sûr, on peut toujours imaginer que les termes contractuels, fondant ce type d’investissements, puissent être améliorés en terme de nombre et de pérennité des emplois, de leurs conditions de travail, de sécurisation des approvisionnements locaux en cas de crise alimentaire, de transfert de technologies dans les zones voisines, de synergies avec les agricultures familiales locales, etc…
Bien sûr, aussi, cela pose la question de l'accès à la terre pour les populations locales. Mais est-ce si différent de l'accès au secteur secondaire par des PME lorsqu'elles se retrouvent face à la concurrence d'investissements industriels des multinationales pourtant tant souhaités?

Il y a pourtant un certain nombre de paradoxes qu'il faut sans doute savoir regarder en face:

  • On ne peut pas, à la fois dire que toute politique de développement passera par des investissements dans les Pays les Moins Avancés, et en critiquer le principe au prétexte qu’il est agricole.
  • On ne peut pas, à la fois critiquer les fonds qui ont « joué » avec les investissements virtuels, et en même temps regretter que d'autres fonds se tournent vers des actifs réels au motif qu’ils sont agricoles.
  • On ne peut pas, à la fois dire que la planète ne pourra pas nourrir l’humanité, et en même temps critiquer des opérations qui permettent des transferts de technologie pour l’amélioration des rendements de terres complètement sous-exploitées.
  • On ne peut pas, avec la naïveté que l'on a trop souvent sur la dite cause humaine du réchauffement, vouloir l'instauration de quotas d'émissions de CO², et reprocher à certains acteurs de reconstituer leurs droits à émission en allant investir dans des programmes de reforestation dans les zones tropicales, ce que font certains en Ouganda, par exemple. Qui d'autres que ces investisseurs pourraient se lancer dans de tels programmes?
  • Enfin, on ne peut pas, à la fois, souhaiter des modèles idéaux, qui ne fonctionnent pas parce que souvent virtuels et irréalisables faute de capitaux étrangers, et critiquer des modèles, mêmes imparfaits, mais qui ont le mérite d'exister, au prétexte qu’ils sont développés… à partir de capitaux étrangers.

Comme le dit le « Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise », les pays les plus pauvres ont un droit au développement. Ce n’est certainement pas la décroissance ou la croissance zéro promue par l’écologisme qui sera la solution aux problèmes posés. La question est celle de la coexistence d'un développement, d'une part d'économies familiales assurant le développement à long terme, et d'autre part de solutions à des niveaux d'échelles plus industrielles pour répondre à l'urgence des défis actuels.

Cette coexistence est déjà soutenue par de magnifiques opérations de type "business angels". Nous pensons par exemple à "Investisseur & Partenaire pour le Développement" (I&P), société d’investissement dédiée à la promotion des entrepreneurs en Afrique. I&P investit dans les PME et les institutions de microfinance et est aujourd’hui présente dans plus de dix pays d’Afrique. On pourrait même imaginer que les investisseurs dans les grands projets d'acquisition de terre dans les Pays les Moins Avancés consacrent une partie (10% ?) de leurs budgets à financer ces fonds "business angels".

La véritable question est celle du développement et de la croissance de ces pays, pour leur permettre de créer des classes moyennes, voire une grande bourgeoise locale qui, plus tard, pourraient prendre le relais de ces investisseurs. Il faudrait veiller à ce que ces nouvelles classes possédantes autochtones puissent être inventives sur une nouvelle doctrine sociale adaptée à leurs pays et à leur époque. Certaines grandes familles, en occident, ont su, à l'époque de la révolution industrielle, être de véritable pionniers sociaux.