Qu’est ce qu’une « Vérité d’Eglise » ?


Sous le vocable de « Magistère », l’Eglise entend un corpus d’enseignements et de modalités d’expressions qui peuvent être de deux types [1]:

« L’infaillibilité »

Le premier type d’intervention est celui du « magistère extraordinaire ». Le Pape n’est infaillible qu’à la condition expresse qu’il se prononce comme tel, « ex cathedra » ou lors d’un concile œcuménique [2].
L’enseignement est alors « infaillible », c'est-à-dire définitif, irrévocable, absolument vrai et sans risque d’erreur. Un tel enseignement porte sur le dépôt de la foi, mais pourrait aussi porter sur les questions morales qui découlent directement de la foi ou se trouver en étroite connexion avec elle. Le magistère n’a cependant jamais procédé à des déclarations de ce genre en matière morale, même si rien ne l’empêcherait de le faire [3].
L’intervention du Magistère infaillible requiert de la part des fidèles un « assentiment absolu » de la foi théologale. Le dogme de « l’Immaculée Conception » fait partie de ces vérités absolues. L’église, contrairement aux idées reçues, y fait très rarement appel.

Le Magistère ordinaire

Les seconds types d’interventions sont celles du « magistère ordinaire ».

 

Les formes d’expression du Magistère ordinaire

Ce « magistère ordinaire » [4] est exercé soit directement par le pape, par exemple lorsqu’il promulgue une encyclique, soit par les « congrégations romaines » qui agissent sous sa responsabilité.

L’approbation du Pape peut alors être donnée :

  • soit « in forma commune » (approbation simple).
    Dès lors, l’acte reste un acte de congrégation, ni plus ni moins [5]. Ce fut le cas, par exemple des décrets contre les théories de Galilée portés par la Congrégation de l’Index en 1616, et par la Congrégation de l’Inquisition en 1633.
  • Soit « in forma specifica » (approbation qualifiée).
    Ces approbations papales sont reconnaissables à l’emploi des expressions telles que « ex motu proprio », ou « ex scienta certa » ou « de apostolicae auctoritatis plenitudine declaramus ». Ces expressions transforment l’acte de la congrégation en un acte du pape qui en devient directement responsable.

 

Les niveaux d’intervention du Magistère ordinaire

Il y a, malgré tout, quatre degrés dans les interventions du « Magistère ordinaire » :

  • La proposition d’une « Doctrine de foi ».
    C’est une « intervention ordinaire » [6], du magistère ordinaire qui a un caractère universel et propose une vérité divinement révélée.
    Ce type de déclaration requiert, de la part des fidèles, la même adhésion que celle qui est due au Magistère extraordinaire infaillible, une « adhésion de la foi théologal » [7]. Les refuser peut équivaloir à une forme d’auto-exclusion de l’église.
  • La proposition d’une « Vérité définitive » [8].
    C’est une « intervention ordinaire », proposant une vérité irréformable concernant la foi ou les mœurs qui, même si elle n’est pas « divinement révélée », se trouve cependant dans un rapport d’étroite connexion avec la révélation.
    Une telle déclaration requiert de la part des fidèles une « adhésion fermement acceptée et tenue » [9].
    Par exemple, lorsque le Concile qualifie l’avortement de « crime abominable » [10], et que « Humanae Vitae » le place sous le coup de l’interdiction divine, refuser cette proposition équivaudrait à une rupture morale avec l’Eglise [11].
  • La proposition d’une « Vérité non-définitive ».
    C’est une intervention destinée à faciliter la compréhension des vérités de la foi et leur connexion avec les mœurs.
    L’adhésion passe par un « assentiment religieux de l’intelligence et de la volonté » [12].
    Par exemple, l’Eglise ne considère pas comme vérité définitive que l’embryon soit une personne. Elle « ne s'est pas expressément engagé sur une affirmation de nature philosophique » et se contente d’affirmer qu’il doit être considéré « comme une personne » [13].
  • L’appel à la « prudence ».
    C’est un enseignement destiné à nourrir la réflexion des croyants. Cet enseignement n’est pas définitif et peut être révisé. Il arrive même, quoique rarement, qu’il puisse souffrir de quelque déficience.
    Dès lors, un chrétien doit à ce type d’enseignement un « acquiescement loyal et respectueux, même s’il peut être critique ». On est dans ce cas quand il s’agit de doctrine sociale de l’Eglise.
    Les questions écologiques relèvent de ce dernier point, celui de l’appel à la prudence.

Le moraliste Mgr. J.-L. Bruguès, ancien membre de la Congrégation pour l'éducation, reconnait que « la matière économique, sociale et politique ne pourra jamais permettre une réflexion de théologie morale aussi rigoureuse ni aussi nette que celle qui a cours en morale personnelle » [14]. Il faut se résigner, conclue-t-il, à placer l’ensemble de la doctrine sociale de l’Eglise dans la catégorie des enseignements de type prudentiel.
Dans une société marquée par le pluralisme, le Magistère recourt de plus en plus à l’argumentation [15]. Mgr. J.-L. Bruguès comprend bien « que le magistère cherche à convaincre, mais il encourt un … danger : ... la force de ses interventions ne vient pas de la pertinence rationnelle des arguments utilisés, qui parfois peut se montrer faible, mais de leur pertinence prophétique. Inspiré comme le prophète, en effet, et même plus surement que lui, il voit au loin. ... Il voit, mais, pas plus que le prophète, il ne sait rendre compte rationnellement de sa vision » [16].

Un chrétien peut se permettre une éventuelle critique « loyale et respectueuse », à la condition de se mettre, préalablement, en quête d’une longue prise de connaissance de la doctrine sociale de l’Eglise et s’il fait un effort loyal d’assimilation, avec le minimum de passion. La critique éventuelle doit être précédée de cette recherche, celle de la raison éclairée par la foi.
La réflexion qui suit s’efforce de faire le tri entre ce qui ne serait que des propos ou des documents de réflexion, et ce qui relève réellement du magistère. Nous verrons ensuite pourquoi nous prenons le parti de nous appuyer surtout sur le «Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise» en ce qui concerne la doctrine sociale de l’Eglise et plus particulièrement les questions écologiques.

 


 

[1] J-L Bruguès, « Précis de théologie morale », Mame, 1995, p. 41-45. L'auteur, dominicain, est ancien membre de la Congrégation pour l'éducation au Vatican.

[2] Par ex. le concile Vatican 1 (avec la Constitution « Pastor aeternus » codicille 4), ou le concile Vatican 2 (Lumen Gentium, 25)

[3] J. Journet « le message révélé. Sa transmission, son développement, ses dépendances », Paris DDB ,1964 (p.21 s.)

[4] Code de droit canon (749-750)

[5] J. Journet « le message révélé. Sa transmission, son développement, ses dépendances », Paris DDB ,1964 (p.149)

[6] Source : « Instruction romaine sur la vocation ecclésiale du théologien » (24 mai 1990, n° 23-24) et « Catéchisme de l’Eglise Catholique » (CEC n° 88)

[7] Par exemple, une faveur croissante de certains chrétiens dans certaines doctrines de réincarnation, pourrait pousser le magistère à préciser le dogme de la résurrection de la chair. Son intervention pourrait alors relever de ce 1er degré.

[8] Cf : P. Eyt, dans « Trois notes sur Magistère et Morale » in Documents Episcopat n° 16, nov 1990 [3ème note : « portée théologique du mot « définitif »]

[9] Profession de foi promulguée le 25 février 1989 « Firmiter etiam amplector et retineo »

[10] GS 51 § 3

[11] J-L Bruguès, « Précis de théologie morale », Mame, 1995, p. 43.

[12] Concile Vatican 2 (Lumen Gentium, 25)

[13] Dignitatis Personnae (1ère partie §4) et Donum Vitae (1ère partie §1)

[14] J-L Bruguès, « Précis de théologie morale », Mame, 1995, p. 43.

[15] « De l’interprétation des dogmes » (CTI, 1990, B II 4) in « Esprit et Vie. L’ami du Clergé », n°15, 12 avril 1990

[16] J.-L. Bruguès, « Précis de théologie morale », Mame, 1995, p. 43.