La Commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) constate que les prestataires des soins de santé sont de plus en plus nombreux à refuser "d'assurer certains services en y opposant une objection religieuse, morale ou philosophique". Elle se dit vivement préoccupée de la montée de la pratique de l'objection de conscience. Elle considère que l'objection de conscience n'est souvent "pas réglementée, surtout dans le domaine de la santé reproductive, dans de nombreux États membres du Conseil de l'Europe".

L'ACPE estime qu'il est nécessaire "d'établir un équilibre entre l'objection de conscience d'un individu qui refuse d'accomplir un acte médical donné, d'une part, [et] la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d'autre part". Elle souhaite donc un "encadrement juridique et politique exhaustif et précis" de cette pratique.

Sources : genethique.org 24.6.2010

Commentaire de « les2ailes.com »

C’est dans ce contexte que la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) présente un projet de résolution rédigé par Christine McCafferty, parlementaire britannique socialiste, et intitulé "Accès des femmes à des soins médicaux légaux : problème du recours non réglementé à l'objection de conscience".
Ce projet de résolution devrait être débattu lors de la session plénière d'automne de l'Assemblée parlementaire du 4 au 8 octobre 2010.

 

Qu’est-ce que la conscience ?
Vatican II en a rappelé la définition : « la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où Sa voix se fait entendre » (Gaudium et Spes n. 16).

La conscience : une question de toujours !
-     Déjà, dans ANTIGONE de Sophocle, on assiste à ce dialogue :
Créon – « Ainsi tu as osé passer outre ma loi? »
Antigone – « Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée!... Je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre … aux lois non écrites, inébranlables, des dieux! »
-     Au moyen âge, St-Alphonse de Liguori parlait de trois « primat » :
« Le primat de la vérité : l’homme doit toujours agir selon la vérité, ou du moins selon ce qui lui paraît le plus proche de la vérité.
Le primat de la conscience : l’homme doit agir non selon des normes externes, mais il doit intérioriser les solutions à donner aux problèmes posés par son agir moral. Il faut que sa
conscience décide de la bonté de son activité.
Le primat de la liberté. L’homme est libre de faire le bien spontanément selon ce qu’il considère juste et honnête. Cette liberté ne sera bridée, que si une loi particulière de Dieu, intériorisée elle aussi, ne lui montre qu’il doit certainement et en conscience agir de telle ou telle façon
 » [Saint-Alphonse de Liguori (1687-1797)]

Le légal est-il moral ?
Le politique, aujourd’hui, a tendance à refuser qu’on puisse se poser la question.
L’Eglise n’a jamais contesté que l’autorité civile ait le droit de légiférer : « ceux qui sont soumis à l’autorité regarderont leurs supérieurs comme représentants de Dieu qui les a institués ministres de ses dons » (CEC n. 2238)
Mais, elle rappelle que « ceux qui exercent l’autorité doivent l’exercer comme un service » (CEC n°2235). « L’exercice de l’autorité vise à rendre manifeste une juste hiérarchie des valeurs afin de faciliter l’exercice de la liberté et de la responsabilité de tous… Les pouvoirs politiques sont tenus de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine » (CEC n° 2236-37). Dès lors, il ne faut pas nier qu’il peut y avoir des dérapages : « Les crimes ne cessent pas d’être des crimes si, au lieu d’être commis par des tyrans sans scrupule, ils sont légitimés par l’assentiment populaire » (Evangelium --Vitae n° 70-72)

Que dit l’Eglise ?
« Dans le cas d’une loi intrinsèquement injuste, comme celle qui admet l’avortement ou l’euthanasie, il n’est jamais licite de s’y conformer, ni [de] participer à une campagne d’opinion en faveur d’une telle loi, ni [de] donner à celle-ci son suffrage… Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience. Dès les origines de l’Eglise, la prédication apostolique a enseigné aux chrétiens le devoir d’obéir aux pouvoirs publics légitimement constitués… » (Encyclique « Evangelium vitae » n. 73)
« Tous les hommes de bonne volonté sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu. En effet, du point de vue moral, il n’est jamais licite de coopérer formellement au mal… » (Encyclique « Evangelium vitae » n. 74)
« Le citoyen n’est pas obligé en conscience de suivre les prescriptions des autorités civiles si elles sont contraires aux exigences…. » (« Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise » CDSE-399)
« Lorsqu’ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, les hommes ont l’obligation de s’y refuser » (« Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise » CDSE-400)
« L’homme ne doit pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience… » (Dignitatis Humanae n.3)
« Si les pouvoirs publics viennent à méconnaître et à violer les droits de l’homme… leurs dispositions sont dépourvues de toute valeur » (Evangelium --Vitae n° 70-72)

Dans le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, il es non seulement évoqué l’obligation des citoyens de refuser de collaborer à des actions mauvaises…. mais également « Ce refus constitue non seulement un devoir moral, mais c’est aussi un droit humain fondamental que, précisément en tant que tel, la loi civile doit reconnaître et protéger. » (« Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise » CDSE-399)

L’objection de conscience : un droit constitutionnel ?
« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789)
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou sa conception individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (Convention européenne des droits de l’homme de 1950- art 9)
« La liberté de conscience doit être regardée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » (Décision du Conseil Constitutionnel n° 77-87 DC du 23.11.1977, 5ème considérant)

Une question religieuse ou simplement humaine ?

La liberté de conscience est reconnue comme fondement de toutes les libertés….
Mais elle est souvent liée à la liberté religieuse.
Dès lors, les Etats prennent la liberté de la restreindre soi-disant pour des motifs d’ordre, de santé, de sécurité ou de morales publiques : « Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ». C’est ce que prévoyait la Charte des droits fondamentaux de l’UE, (Article 10, 2ème alinea), mais cette charte était annexée au traité de Nice qui n’a finalement pas été ratifié par les Etats membres.

Y-a-t-il des exemples légaux d’objection de conscience ?

  • le serment des avocats, ou le droit des notaires « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » (serment des avocats)
    « … la faculté pour l’avocat collaborateur ou salarié de demander à être déchargé d’une mission qu’il estime contraire à sa conscience ou susceptible de porter atteinte à son indépendance ». (loi 90-1259 du 31.12.1990, art 6)
    Cette référence à la conscience permet à un avocat de refuser une cause qu’il estimerait immorale. Le refus n’a pas à être justifié,… même lorsque l’avocat est salarié
  • la clause de conscience des journalistes
    Un journaliste peut se faire licencier avec indemnités lorsque le journal connait un « changement notable de caractère ou d’orientation… si ce changement crée, pour la personne employée, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux » (code du travail, art L. 761-7, loi 73-4 du 2.1.1973)
  • le statut des militaires
    Les militaires peuvent ne pas obéir à un ordre illégal: « Il ne peut leur être ordonné et ils ne peuvent accomplir des actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales» (loi n° 2005-270 du 24.3.2005, art 8, 2nd alinéa)
  • Les magistrats ?
    Ce sont les grands absents dans la liste des bénéficiaires: Ce sont eux qui appliquent la loi, mêmes si elles répriment les militants anti IVG, ou les adversaires aux lobbys gay, les libertés de parole en matière historique, etc…
    Certes les magistrats peuvent demander à la hiérarchie de ne pas se voir confier certains dossiers. Mais on ne voit pas comment un juge pourrait ne pas appliquer la loi qu’il est chargé de faire respecter.
    Jean-Paul II appela les magistrats et les avocats catholiques à « éviter d’être personnellement impliqués dans tout ce qui peut représenter une coopération au divorce » (discours inaugural de l’année judiciaire du tribunal de la Rote le 28.1.2002)

En matière d’IVG ?
Que disait la loi Veil ?
« Un médecin n’est jamais tenu de donner suite à une demande d’IVG, ni de pratiquer celle-ci, mais il doit informer, dès la première visite, l’intéressée de son refus.» Cet article étend ce droit aux sages-femmes, infirmières, auxiliaires médicaux
« Un établissement d’hospitalisation privé peut refuser que des IVG soient pratiquées dans ses locaux »
Toutefois si l’établissement privé a  demandé à participer à « l’exécution du service public », il ne peut refuser que si d’autres établissements peuvent « répondre aux besoins locaux » (loi n° 75-17 du 17.1.1975, art 4)
Mais, depuis 1975, sont apparus un certains nombres de problèmes :

  • Cette clause ne s’applique pas aux pharmaciens contraints de distribuer les pilules abortives.
  • La loi 2001-588 du 4.7.2001 a limité le droit des médecins en les obligeants à communiquer le nom de praticiens susceptibles de pratiquer l’IVG
  • Tout médecin devenu chef de service dans un hôpital public est tenu d’assumer l’organisation des avortements.
  • Un médecin n’a pas le droit de refuser la stérilisation pratiquée d’office sur une personne handicapée mentale.

Concrètement,
Comment mettre en place un statut d’objection de conscience quand l’exercice de ce droit fait appel à des motivations dont la sincérité nécessiterait une appréciation qui échappe à ce que la loi peut demander à une autorité civile?
Comment discerner l’objection de conscience d’une simple « résistance active ». Il y a deux caractères propres à l’objection de conscience :

  • Opposition à une loi qui précède l’objection: l’objection est une réaction. L’objecteur pose un acte « contre ». Il ne prend pas l’initiative de la confrontation mais réagit à une situation qu’il n’a pas créée et contre laquelle sa conscience s’insurge.
  • Déclamation de celui qui se pose en opposition : « Dans la mesure où [la loi] s’écarte de la raison, elle est déclarée loi inique et, dès lors, n’a plus de raison de loi; elle est plutôt une violence » (St-Thomas d’Aquin, « Somme Théologique », Ia-Iiae, q.71, art.2).

Dès lors, nul n’est tenu d’obéir à cette loi. La conscience est là pour commander de ne pas agir, de ne pas poser tel acte qui violerait la loi morale, fut-il prescrit ou permis par la loi civile, de ne pas être complice de cet acte.

Deux grands exemples historiques :

  • Thomas MORE
    Ami de Henri VIII, chancelier en 1529, il fut chargé d’organiser le divorce d’Henri VIII et Catherine d’Aragon (pour épouser Ann Boleyn). Il démissionne en 1532 et est remplacé par Thomas Cromwell.  Le Pape refuse l’annulation du mariage.
    En 1533, le parlement ratifie un acte érigeant le Roi en chef de l’Eglise d’Angleterre et dissout le mariage. Th. More refuse d’assister au mariage et refuse de se soumettre à l’autorité religieuse du roi. Il  est condamné à mort pour haute trahison le 6.7.1535.
    Pourtant, il n’a jamais contesté l’autorité du roi: « Mon seul empêchement est bien ma conscience aux ordres de sa Majesté de laquelle je m’en remets pour toute cette affaire » (lettre de Th.M. de prison 16.1.1535).  Th. More exprimait l’idéal de servir non le pouvoir mais l’idéal de justice.
  • Roi BAUDOUIN 1er de Belgique
    En 1990, le gouvernement lui demande de promulguer la loi autorisant l’IVG.
    Il écrit au gouvernement: « Ce projet de loi soulève en moi un grave problème de conscience. … Je crains que ce projet n’entraîne une diminution sensible du respect de la vie qui sont les plus faibles… Je ne veux être associé à ce projet. Je comprends qu’il ne serait pas acceptable que… je bloque le fonctionnement des instances démocratiques. .. J’invite le gouvernement et le parlement à trouver une solution juridique qui concilie le droit du Roi de ne pas être forcé d’agir contre sa conscience et la nécessité du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire … Mon objection de conscience n’implique de ma part aucun jugement des personnes qui sont en faveur du projet de loi… Mon attitude ne signifie pas que je sois insensible à la situation très difficile … à laquelle certaines femmes sont confrontées». (lettre du roi Baudouin du 30.3.1990)
    En accord avec le Premier ministre, le parlement déclara le Roi en « impossibilité de régner pendant une journée ». La loi fut promulguée par le conseil des ministres conformément à la constitution en cas de vacances du trône. Aucun de ses adversaires, impressionnés par la fermeté morale du Roi,  n’osa attaquer sa personne.

Les trois écueils à éviter :

  • L’esquive – par l’appel à une « morale de responsabilité » faisant considérer qu’il ne « sert à rien » de s’insurger contre une loi qu’on ne peut modifier. (Ponce Pilate n’a pas agi en conscience mais en complice objectif).
  • La posture – par une « déclamation » qui donne « bonne conscience », étalée par une publicité tapageuse. Par une telle posture, on devient juge de la conscience d’autrui.
  • Le confort – Il faut être prêt à accepter une solution de substitution désagréable (démission, incompréhension, punition, …)
    La tentation du confort est un vrai risque : « Dans l’existence des fidèles laïcs, il ne peut y avoir deux vies parallèles: d’un côté, la vie que l’on nomme spirituelle… et de l’autre la vie dite séculière… C’est à cette unité de vie que le concile Vatican II a invité tous les fidèles laïcs en dénonçant avec force la gravité de la fracture entre la foi et la vie, entre l’Evangile et la Culture » (Jean-Paul II « Christifideles laici » n. 59, 30.12.1988).

Conclusion :
La conscience ne saurait se dérober à la confrontation avec la loi civile.
La conscience doit rechercher la lumière de la vérité sur le bien de l’homme.
L’objecteur doit inciter le législateur à protéger de toute sanction indue les objecteurs de conscience par l’introduction d’exemptions légales à leur bénéfice.
L’objection de conscience est un ultime ressort qui ne concerne que son auteur au regard des actes qu’il est conduit à poser personnellement. Sa légitimité morale implique la retenue du jugement et la prévention de tout accroissement du désordre.

Contrairement à ce que pense l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), se poser la question de l’objection de conscience ne revient pas à une simple « résistance active ».

A forces de lois réglant tous les détails, on en arrivera à regretter les Dix commandements.
L’avalanche de textes législatifs les empêche de jouer leur rôle éducateur de la conscience. Ces lois n’en ont plus guère que le nom, oscillant entre verbiage et règlement de police…