Les progrès importants de la médecine en matière de greffe d’organe, depuis les années 1950, ont suscité beaucoup d’espoir chez les médecins et les malades. En même temps, dans la mesure où ces techniques demandent le prélèvement d’un organe sur un tiers, elles soulèvent des problèmes éthiques nouveaux. Quelle est la position de l’Eglise sur la question ?

R. Pour l’Eglise, le don d’organe est conforme à la loi morale si les dangers et les risques encourus par le donneur sont proportionnés au bien recherché chez le destinataire. Le don d’organes après la mort est un acte noble et doit être encouragée comme une manifestation de généreuse solidarité. Il n’est cependant pas moralement acceptable si le donneur ou ses proches ayants droits n’y ont pas donné leur consentement explicite.[1]

EN SYNTHÈSE :

1- Le don d’organe, «forme particulière de la Charité[2] »

L’Eglise encourage le don d’organes parce qu’il permet souvent de guérir, voire de sauver des vies, et parce qu’il s’inscrit dans une logique de charité et de gratuité.

2. Exigences éthiques dans le cas d’un donneur vivant

Pour que le don d’organe reste un acte de charité, certaines exigences éthiques sont à respecter. Dans le cas d’un donneur vivant, il faut le consentement, et l’absence de risques excessifs pour celui-ci.

3. Exigences éthiques dans le cas d’un donneur mort.

Dans le cas d’un donneur mort, il est nécessaire que soit établi le consentement exprimé de son vivant par le défunt, ou celui de sa famille. Il faut également s’assurer du décès de la personne.

4. La question de la répartition des organes

La répartition des organes doit se faire selon des critères « immunologiques ou cliniques [3]». Pour que la dimension de gratuité reste présente, ils ne doivent pas être commercialisés.

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1- L’Eglise reconnaît le don d’organe comme « une forme particulière de la Charité[4] » et se réjouit des progrès de la médecine

L’Eglise encourage le don d’organes parce qu’il permet souvent de guérir, voire de sauver des vies, et parce qu’il s’inscrit dans une logique de charité et de gratuité.
Le but du don d’organe est de parvenir à une greffe d’organe. Celle-ci consiste à remplacer un organe défaillant par un organe sain en état de remplir sa fonction. Cette pratique peut améliorer les conditions de vie ou, le plus souvent, d’empêcher le décès du malade qui en bénéficie.

L’église reconnaît le don d’organe comme « une forme particulière de la charité », particulièrement nécessaire « à une époque comme la nôtre, souvent marquée par différentes formes d'égoïsme ». En effet, « il est toujours plus urgent de comprendre combien il est déterminant pour une conception correcte de la vie d'entrer dans la logique de la gratuité[5] ». Le don d’organe s’inscrit donc dans une logique de la gratuité sans laquelle « on ne parvient même pas à réaliser la justice[6] ». Il faut souligner la beauté et la spécificité d’un tel don car « il ne s'agit pas seulement de donner quelque chose qui nous appartient, mais de donner quelque chose de nous-mêmes[7] ».

Cependant, « comme pour tout progrès humain, ce domaine particulier de la science médicale, en dépit de tout l'espoir de santé et de vie qu'il offre à de nombreuses personnes, soulève également certains points critiques, qui doivent être examinés à la lumière d'une réflexion anthropologique et éthique attentive[8] ».

Les exigences éthiques se déclinent différemment selon qu’il s’agit d’un prélèvement sur un donneur mort ou sur un donneur vivant.

2. Exigences éthiques dans le cas d’un donneur vivant

Pour que le don d’organe reste un acte de charité, certaines exigences éthiques sont à respecter. Dans le cas d’un donneur vivant, il faut le consentement, et l’absence de risques excessifs pour celui-ci.

   2.1 Le consentement du donneur

« Le consentement informé est une condition préalable de liberté, pour que la greffe ait la caractéristique d'un don et ne soit pas interprétée comme un acte contraint ou comme une exploitation[9] ».

Ce point peut cependant être délicat en pratique. En effet, il est nécessaire pour le succès d’une greffe, de disposer d’un organe compatible avec le système immunitaire du malade. Or, c’est dans la famille proche de celui-ci que l’on a le plus de chances de trouver de tels organes. Cela peut être à l’origine de pressions familiales, pour pousser quelqu’un à donner un de ses organes. Il est donc particulièrement nécessaire de prendre des précautions pour vérifier que le consentement du donneur est véritablement libre et éclairé.

Par ailleurs, le donneur doit être informé de tous les risques qu’il encourt en acceptant un tel don.

   2.2 L’absence de risque excessif pour le donneur

Pour l’Eglise, le don d’organe ne peut avoir lieu que  « si les dangers et les risques physiques et psychiques encourus par le donneur sont proportionnés au bien recherché chez le destinataire[10] ».

Il appartient au médecin de discerner avec le donateur potentiel si les risques liés au prélèvement sont proportionnés au bénéfice attendu pour le patient. Il faudra alors tenir compte à la fois de la santé du donateur et de celle du bénéficiaire

Cependant, les organes vitaux ne peuvent être prélevés qu’après la mort. En effet, un tel prélèvement aurait pour conséquence nécessaire de provoquer la mort du donateur.

3. Exigences éthiques dans le cas d’un donneur mort.

Dans le cas d’un donneur mort, il est nécessaire que soit établi le consentement exprimé de son vivant par le défunt, ou celui de sa famille. Il faut également s’assurer du décès de la personne.
Le critère généralement retenu comme le plus pertinent pour établir le décès d’une personne est la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale. Cependant, les techniques médicales actuelles permettent de maintenir artificiellement les battements du cœur et la respiration chez un sujet ayant cessé toute activité cérébrale – et pouvant donc être considéré comme mort. On parvient ainsi à conserver des organes en excellente qualité chez un patient décédé, puisque le sang continue à les irriguer.

Ce progrès technique a accru considérablement les potentialités de greffes à partir d’organes prélevés sur des cadavres. Il peut cependant susciter la tentation d’instrumentaliser les corps, notamment en ne respectant pas la volonté du défunt et de sa famille, ou en effectuant des prélèvements sans être certain du décès de la personne.

   3.1 Le problème de l’expression du consentement

« La donation d’organes après la mort est un acte noble et méritoire et doit être encouragée comme une manifestation de généreuse solidarité[11] » (Catéchisme de l’Eglise catholique). Si l’Eglise continue à parler de « donation » y compris après le décès de la personne, c’est parce qu’elle considère que le prélèvement d’organe résulte toujours du don volontaire et généreux d’une personne. Il ne doit en aucun cas s’agir de l’accaparement du corps pour l’instrumentaliser, même si le but poursuivi – guérir une personne – est noble. 

L’expression du consentement au don se révèle évidemment plus complexe dans le cas des défunts. En l’absence de volonté exprimée du défunt sur la question, l’Eglise considère que « l’accord des proches possède une valeur éthique ». Ainsi, « il arrive souvent que la technique de la greffe d’organes s’accomplisse par un geste d’une gratuité totale de la part des parents ». Dans ce cas, le don n’est pas seulement celui du défunt, mais également des membres de sa famille.

Les systèmes légaux des différents pays du monde ont élaboré des procédures variées pour s’assurer du consentement de la personne décédée. Il existe deux types de dispositifs : le consentement présumé et le refus présumé. Dans le premier cas, la personne est réputée être consentante au prélèvement d’organe, sauf expression d’un avis contraire de son vivant. C’est l’inverse dans le second cas, la personne est réputée ne pas être consentante, sauf si elle a exprimé un avis contraire de son vivant. Il existe également des variantes au sein même de ces systèmes. Elles portent principalement sur le degré de prise en compte de la volonté de la famille du défunt. Il n’appartient pas à l’Eglise de porter un jugement sur chacune de ces procédures. Mais elle rappelle les principes qui doivent les régir : le prélèvement doit résulter d’un don, et la volonté de la famille doit être prise en compte.

On peut cependant déduire de ces principes qu’un système de consentement présumé qui refuserait à la famille le droit de s’opposer au prélèvement n’irait pas dans le sens de la position de l’Eglise.

   3.2 Le problème du critère de la mort

Les organes vitaux ne peuvent être prélevés que sur un cadavre. Sinon, un tel prélèvement deviendrait lui même la cause de la mort de la personne. Comment alors peut-on être certain du décès d’une personne ?

Selon Jean-Paul II, la mort consiste en « la désintégration totale de cet ensemble intégré qu’est la personne. Elle résulte de la séparation du principe de vie (ou âme) de la réalité corporelle de la personne ». Il ajoute que « lorsque la mort survient, certains signes biologiques suivent inévitablement, signes que la médecine a appris à reconnaître avec de plus en plus de précision[12] ».

Le premier ensemble tissulaire à se décomposer est le système nerveux. Or, comme le souligne le professeur Pablo Requera Meana, « Le rôle de ce système est tel que sa perte rend impossible le maintien de l’intégration propre de l’organisme comme un tout [13]». Cette perte, qui se manifeste par la cessation complète de toute activité cérébrale peut donc être considéré comme un signe certain de la mort de la personne.

Ce point a été confirmé par Jean-Paul II. Pour lui, démontrer la mort d’une personne implique «d’établir, selon des paramètres clairement déterminés, également partagés par la communauté scientifique internationale, la cessation totale et irréversible de toute activité cérébrale (dans le cerveau, le cervelet, et le tronc cérébral). Cela est considéré comme le signe que l'organisme individuel a perdu sa capacité d'intégration[14] ».

On peut alors s’interroger sur la légitimité des prélèvements sur des donneurs « à cœur arrêté », comme cela est autorisé dans certains pays (Etats-Unis, France, Pays-Bas, etc.). Ce sont des personnes, souvent victimes d’infarctus, dont le cœur a cessé de battre, mais qui n’ont cependant pas cessé toute forme d’activité cérébrale. Dans la plupart des cas, le cerveau a effectivement cessé toute activité, mais le cervelet et le tronc cérébral demeurent actifs. Il faut souligner les cas de telles personnes, ayant ensuite repris connaissance et retrouvé une vie « normale ».

Ces prélèvements semblent donc en contradiction avec l’enseignement de l’Eglise. En effet, « Dans un contexte comme celui-ci, il ne peut y avoir le moindre soupçon d'arbitraire et le principe de précaution doit prévaloir là où l'on n'est encore arrivé à aucune certitude[15]».

4. La question de la répartition des organes

La répartition des organes doit se faire selon des critères « immunologiques ou cliniques [16]». Pour que la dimension de gratuité reste présente, ils ne doivent pas être commercialisés.
La majeure partie des questions éthiques soulevées par le don d’organe provient de la tension entre le respect dû au cadavre, et les légitimes attentes des malades. Cette tension existe également s’agissant de la répartition des organes. En effet, dans un contexte de pénurie, comment déterminer à quel malade attribuer l’organe sain prélevé ?

Pour Benoit XVI : « D'éventuelles logiques de commerce des organes, tout comme l'adoption de critères discriminatoires ou utilitaristes, seraient tellement en contradiction avec le sens implicite du don qu'elles se mettraient elles-mêmes hors jeu, tout en constituant des actes moralement interdits[17] ». 

L’Eglise pose d’abord comme principe que les organes ne sauraient être commercialisés :

« Toute pratique tendant à commercialiser les organes humains ou à les considérer comme des biens pouvant faire l'objet d'échanges ou de commerce doit être considérée comme moralement inacceptable, car utiliser le corps comme un "objet" signifie violer la dignité de la personne humaine[18]».  Cela résulte de la logique de gratuité qui doit présider au don d’organe. Par ailleurs, la commercialisation peut faire naître la tentation de prélevée des organes sur des personnes non consentantes.

Enfin, elle condamne la répartition des organes selon des critères « discriminatoires  ou utilitaristes ». C’est pourquoi elle pose la « nécessité d'établir des listes d'attente pour les transplantations sur la base de critères clairs et correctement fondés ». 

Ces critères devront tenir compte exclusivement « de facteurs immunologiques ou cliniques. Tout autre critère se révélerait arbitraire et subjectif, et ne reconnaîtrait pas la valeur intrinsèque de chaque personne humaine en tant que telle, une valeur qui est indépendante de toute circonstance extérieure[19] ».


POUR CONCLURE :

Nous avons ici étudié le don d’organe principalement en ce qu’il concerne le patient et sa famille, le médecin et le donneur. Mais ses enjeux, dépassent largement les personnes directement concernées. Dans son encyclique Caritas in Veritate, Benoit XVI explique que les maux présents dans la société tiennent principalement au manque de charité et de gratuité dans les relations sociales. Pour lui, la redécouverte de ces dimensions est nécessaire à la résolution de la crise actuelle. C’est même  « une exigence de la raison économique elle même[20] ». En effet, « sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice[21] ». Le don d’organe participe de cette logique, il est donc appelé à produire des effets bénéfiques bien au-delà de la personne du malade, même si cela n’est pas immédiatement perceptible.


 

[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°2296

[2] Discours du Pape Benoît XVI aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la vie, Vendredi 7 novembre 2008

[3] Discours du Pape Jean Paul II au 18ème Congrès international sur les transplantations,  mardi 29 août 2000

[4] Discours du Pape Benoît XVI aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la vie, Vendredi 7 novembre 2008

[5] Idem

[6] Benoit XVI, Caritas in Veritate, n°38

[7] Discours du Pape Jean Paul II au 18ème Congrès international sur les transplantations,  mardi 29 août 2000

[8] Idem

[9] Discours du Pape Benoît XVI aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la vie, Vendredi 7 novembre 2008

[10] Catéchisme de l’Eglise catholique, n°2296

[11] Idem

[12] Jean-Paul II, Discours à un groupe de travail de l’Académie pontifical des Sciences sur la détermination du moment de la mort, 14 décembre 1990

[13] Professeur Requena Meana, « A propos de la mort cérébrale », Institut européen de bioéthique, 17 décembre 2009

[14] Discours du Pape Jean Paul II au 18ème Congrès international sur les transplantations,  mardi 29 août 2000

[15] Discours du Pape Benoît XVI aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la vie, Vendredi 7 novembre 2008

[16] Discours du Pape Jean Paul II au 18ème Congrès international sur les transplantations,  mardi 29 août 2000

[17] Idem

[18] Discours du Pape Jean Paul II au 18ème Congrès international sur les transplantations,  mardi 29 août 2000

[19] Idem

[20] Benoit XVI, Caritas in Veritate, n°36