L'Eglise ne prétend pas avoir une compétence scientifique sur les OGM mais pose un regard éthique sur leur utilisation. Les avis divergent sur la culture des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés): pour certains, elle aurait un impact fortement négatif sur la santé, l'écologie et l'économie des populations pauvres; pour d'autres, elle contribuerait à régler le problème de la faim dans le monde. Quelle est la position de l’Eglise en la matière ?

R. Pour l’Eglise, l’homme, « n’accomplit pas un acte illicite quand, respectant l’ordre, la beauté et l’utilité des différents être vivants et leurs fonctions dans l’écosystème, il intervient en modifiant certaines de leurs caractéristiques et propriétés » (Comp. n°473). Cependant, « la licéité de l’emploi des techniques biologiques et biogénétiques n’épuise pas toutes les problématiques éthiques ». Ainsi, les OGM ne sont pas exclus en tant que tel. Ils sont même encouragés. Mais toutes les modifications génétiques ne sont pas forcément licites. Encore faut-il respecter l’homme et la création.

Dossier: "Ordinatissima.com"

EN SYNTHÈSE :

1. La position scientifique de l’Académie pontificale des sciences

Le magistère de l’Eglise ne se reconnaît pas de compétence en matière scientifique. Dans les débats éthiques à connotation technique, elle consulte la communauté scientifique, notamment à travers l’Académie pontificale des sciences. Celle-ci a abordé la question des OGM.

2. La position éthique de l’Eglise : la licéité des techniques biogénétiques.

L’Eglise pose un principe de licéité des techniques biogénétiques. Ce principe n’est cependant pas absolu. Encore faut il que soient respectés « l’ordre, la beauté et l’utilité des différents être vivants et leurs fonctions dans l’écosystème » (Comp. n°473).

3. Un appel à la responsabilité des politiques et des acteurs du secteur des biotechnologies.

Ne se reconnaissant pas compétente pour juger scientifiquement des éventuels risques ou des progrès qui peuvent résulter des OGM, l’Eglise en appelle à la responsabilité de chacun. Si les acteurs du secteur des biotechnologies mènent des actions contraires au bien commun, il est du devoir des pouvoirs publics de les interdire.

4. Un appel au partage des connaissances en la matière

Se sont parfois les conséquences économiques des OGM qui sont remises en cause, spécialement du fait des règles existantes en matière de propriété intellectuelle. L’Eglise admet ce mode de propriété, mais comme toute propriété, elle est subordonnée au principe de destination universelle des biens.

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1. La position scientifique de l’Académie pontificale des sciences

L’Eglise ne se reconnaît pas de compétence en matière scientifique. Dans les débats éthiques à connotation technique, elle consulte la communauté scientifique, notamment à travers l’Académie pontificale des sciences. Celle-ci a abordé la question des OGM.
Les questions scientifiques doivent être abordées à l’éclairage des problématiques éthiques.  Dans les domaines de la génétique et de la bioéthique les questions éthiques sont souvent délicates.

Or, l’Eglise est compétente en matière de foi et de morale, mais elle ne l’est pas dans le domaine scientifique. Cela peut poser des difficultés dans la mesure où certains points techniques, objets de querelles d’experts, peuvent induire, selon que l’on donne raison aux uns ou aux autres, des réponses éthiques différentes. En matière d’OGM, les scientifiques ne sont pas tous d’accord quand à leurs effets sur la santé ou sur l’environnement.

Il n’appartient pas à l’Eglise de trancher ces débats. Cependant, elle doit coller au plus près des réalités scientifiques. En effet, elle ne peut apporter de réponses éthiques justes que si les problèmes scientifiques sont bien posés.

C’est pour cette raison qu’a été créée l’Académie pontificale des sciences. Composée de scientifiques internationalement reconnus, elle est placée sous la protection du souverain pontife. Mais c’est une entité qui bénéficie d’un statut autonome : l’Académie est en effet libre de définir elle même sa propre activité. En raison de leur indépendance totale par rapport à tout point de vue national, politique ou religieux, les délibérations et les études de l’académie peuvent constituer une inestimable source d’information objective sur laquelle le Saint Siège et ses organes peuvent s’appuyer dans leurs réflexions. Cependant, les avis exprimés par cette Académie et ses membres n’engagent qu’eux-mêmes et s’expriment sous diverses formes : les Scripta varia, les Documenta et les Commentarii.
-    Les Scripta varia regroupent les travaux majeurs, comme les rapports complets des Semaines d'étude organisées par l'Académie.
-     De format plus réduit, les Documenta permettent de publier dans un temps plus bref les résumés et les conclusions des Semaines d'études. C'est aussi dans cette série que sont publiés les messages adressés par le pape aux Académiciens.
-    Les Commentarii contiennent des notes et des mémoires, ainsi que des études spécifiques sur certains sujets scientifiques..

L’Eglise tient compte de ces différentes formes d’avis, pour émettre des jugements ou recommandations d'ordre éthique.

Y a-t-il une position de l’Académie pontificale des sciences par rapport aux OGM ?

Elle a organisé du 15 au 19 mai 2009 une semaine d’étude sur les plantes transgéniques pour la sécurité alimentaire dans le contexte du développement. Les 35 experts venus de tous horizons, dont 5 académiciens, ont fait, pendant ce séminaire, un tour d’horizon de plus de 1000 documents relatifs à l’application et la diffusion des biotechnologies dans le monde, et discuté de leur impact sur le développement des nations et des peuples. La revue « Study Week » a publié les conclusions de ce séminaire[1]. On peut notamment y lire : « il n’y a rien d’intrinsèque dans le recours à l’ingénierie génétique pour l’amélioration des cultures qui rendrait dangereux les plantes elles-mêmes ou les produits qui en sont dérivés ». Les conclusions poursuivent, citant le physicien Nicola Cabibbo : « Plus d’un milliard de personnes (…) sont actuellement sous alimentées, une condition qui requiert le développement urgent de nouveaux systèmes et technologies agricoles ». Elles suggèrent alors que « l’utilisation approprié de l’ingénierie génétique et d’autres techniques modernes dans l’agriculture contribue à faire face à ces défis ».

Même si ce rapport n’a pris aucune des formes officielles des rapports de l’Académie Pontificale, cinq au moins de ses membres ont donc un avis plutôt favorable aux OGM.

2. La position éthique de l’Eglise : la licéité des techniques biogénétiques

L’Eglise pose un principe de licéité des techniques biogénétiques. Ce principe n’est cependant pas absolu. Encore faut il que soient respectés « l’ordre, la beauté et l’utilité des différents être vivants et leurs fonctions dans l’écosystème » (Comp. n°473).

2.1 La licéité de principe des techniques biogénétiques

L’Eglise s’est prononcée sur la question de façon officielle. Cependant, elle ne le fait pas à la manière des experts en science naturelle, même si peut prendre en compte leurs avis. Ses interventions concernent les principes qui doivent gouverner leur utilisation. Son approche est avant tout éthique.

On s’appuiera ici sur le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (Comp.), document d’environ 500 pages publié par le Conseil Pontifical Justice et Paix. Il traduit la pensée officielle de l’Eglise en matière de doctrine sociale. Les numéros 472 à 480 concernent justement l’usage des biotechnologies, dont les OGM font partie.

L’Eglise exprime clairement que l’intervention de l’homme sur les caractéristiques génétiques des espèces animales et végétales n’est pas contraire au plan de Dieu sur la création : le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise parle de la « licéité des techniques biologiques et biogénétique » (Comp. n°473). En effet, « La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions de l’homme sur la nature, y compris aussi sur les autres êtres vivants, et en même temps, un fort appel au sens des responsabilités » (Comp. n°473).

La position de l’Eglise, en la matière,  correspond donc à sa vision de la création : la nature est certes un don de Dieu qu’il faut respecter, mais c’est un don pour l’homme. L’Eglise ne partage donc pas le point de vue de ceux pour qui la nature serait plus belle vierge et débarrassée de l’homme. Si certaines transformations de la nature, tout en la respectant, participent au développement des sociétés humaines, l’Eglise y est favorable.

2.2 Les conditions de la licéité des techniques biogénétiques

Il faut souligner que cette licéité de principe est assortie de conditions, et d’un « fort appel au sens des responsabilités » (Comp n°473). En effet, cette licéité « n’épuise pas toute la problématique éthique ». Autrement dit, si les manipulations génétiques ne sont pas illicites en elles-mêmes, toute manipulation génétique n’est pas nécessairement bonne.

Les modifications génétiques ne sont licites qu’à la condition de respecter « l’ordre, la beauté et l’utilité des différents être vivants et leurs fonctions dans l’écosystème » (Comp. n°473). Qu’entendre par là ? En matière d’ « ordre et de beauté », l’Eglise prend acte que « la nature n'est pas une réalité sacrée ou divine, soustraite à l'action humaine » (Comp. n°473). En ce qui concerne l’utilité, le « Compendium » dit apprécier « les avantages qui résultent -et qui peuvent résulter encore- de l'étude et des applications de la biologie moléculaire, complétée par d'autres disciplines comme la génétique et son application technologique dans l'agriculture et dans l'industrie » (Comp. n°458).

De même, Benoit XVI, dans son encyclique Caritas in Veritate, ne condamne pas ces techniques mais invite à la prudence: « Il serait utile de considérer les nouvelles frontières qui sont ouvertes par l'usage correct des techniques de production agricole aussi bien traditionnelles qu'innovantes, à condition que ces dernières, ayant été étudiées attentivement, soient reconnues convenables, respectueuses de l’environnement et attentives aux populations les plus défavorisées » (C.V. n°27)

On peut certainement s’interroger sur l’application de ces principes dans chaque cas concret de modification génétique. Ce travail ne relève pas de la compétence de l’Eglise. C’est pourquoi elle en appelle à la responsabilité du politique et des acteurs du secteur des biotechnologies.

3. L’appel à la responsabilité des politiques et des acteurs du secteur des biotechnologies.

L’Eglise en appelle à la responsabilité de chacun en soulignant que les acteurs du secteur des biotechnologies doivent mener des actions conformes au bien commun. Sinon, il serait du devoir des pouvoirs publics de les interdire.

L’église, d’une manière générale, fait une grande différence entre le principe de précaution et le principe de prudence.
- L’Eglise estime que le "principe de précaution", n’est pas une règle à appliquer, mais plutôt « une orientation visant à gérer des situations d'incertitude » (comp. 269). Il présente un inconvénient : la charge de la preuve appartenait jusqu'à présent à celui qui disait de ne pas agir sur la nature. Avec le principe de précaution une telle charge appartient à celui qui décide d'agir. Celui qui agit sur la nature devrait fournir préalablement la preuve qu’il maîtrise le risque.
- L’Eglise préfère le "principe de prudence" : « La prudence rend capable de prendre des décisions cohérentes, avec réalisme et sens de responsabilité quant aux conséquences de ses actions. … la juste conception de cette vertu caractéristique de la raison pratique… aide à décider avec sagesse et courage des actions à accomplir, en devenant la mesure des autres vertus. La prudence affirme le bien comme devoir et montre la façon par laquelle la personne se détermine à l'accomplirL » (comp. 548).

a) Sur le plan des bénéfices:
L’Eglise prend acte des progrès dans le développement que permettent les biotechnologies. Elle encourage toutes les personnes concernées à poursuivre dans ce sens : « Par leurs décisions, les entrepreneurs et les responsables des organismes publics intéressés peuvent orienter les développements dans le secteur des biotechnologies vers des objectifs très prometteurs en matière de lutte contre la faim, en particulier dans les pays les plus pauvres, de lutte contre la maladie et de lutte pour la sauvegarde de l’écosystème, patrimoine de tous » (Comp. n°478). Ceci vaut également pour les scientifiques et les techniciens. Ils sont appelés « à travailler avec intelligence et persévérance dans la recherche des meilleures solutions à apporter aux problèmes graves et urgents de l’alimentation et de la santé » (Comp. n°477).
Mais l’Eglise sait que les bénéfices ne sont pas, en eux-mêmes un principe de licéité : certains pourraient justifier les OGM en s’appuyant sur leur « utilité », par exemple en évoquant la nécessité de nourrir les 9 milliards d'habitants sur terre en 2050.
Or, l’utilité n’est pas, en soi, un critère moral absolu. Ce n’est pas parce qu’une technique est utile qu’elle est licite. Certes, l’utilité doit guider nos pratiques, mais pas au point d’en faire un principe d’action. C’est toute la différence entre la pratique et le principe.
Ainsi, ce n’est pas parce que la recherche sur l’embryon serait utile (ce qui n’est pas le cas), qu’elle en deviendrait pour autant licite.

b) Du côté des risques
L'Eglise n’ignore pas les risques éventuels que peuvent présenter de telles techniques, notamment pour l’écosystème. C’est pourquoi elle en appelle à la responsabilité des hommes politiques, qui ont la responsabilité du bien commun : « Les politiciens, les entrepreneurs et les responsables des administrateurs publics ont la responsabilité d’évaluer les potentialités, les avantages et les risques éventuels liés à l’utilisation des biotechnologies. Il n’est pas souhaitables que leurs décisions au niveau national ou international, soient dictées par des décisions provenant d’intérêts partisans » (Comp. n°479). Ainsi, si certaines techniques d’OGM en vigueur ne sont pas conformes au bien commun, il appartient aux pouvoirs publics de les interdire, sans tenir compte des pressions extérieures.

4. Un appel au partage des connaissances en la matière

Parmi les critiques faites contre les OGM, ce sont parfois les conséquences économiques qui sont remises en cause, spécialement du fait des règles existantes en matière de propriété intellectuelle. L’Eglise admet ce mode de propriété, mais comme toute propriété, elle est subordonnée au principe de destination universelle des biens.
Certaines personnes sont opposées aux OGM non seulement parce qu’elles les estiment dangereux, mais également parce qu’ils provoqueraient un enrichissement injustifié de grandes multinationales, au détriment des agriculteurs les plus pauvres. En effet, celles-ci profiteraient du droit de la propriété intellectuelle pour créer une relation de dépendance avec leurs clients.

L’Eglise n’a pas fait de dénonciation formelle en la matière. Cependant, la Doctrine sociale de l’Eglise en appelle au partage du savoir : « La promotion du développement des peuples ne sera ni authentique ni efficace si elle se réduit à un échange de produits. Il est indispensable de favoriser aussi la maturation d’une autonomie scientifique et technologique nécessaire de ces mêmes peuples, en encourageant les échanges de connaissances scientifiques et technologique et le transfert de technologies vers les pays en voie de développement ». (Comp. n°475)

Par ailleurs, dans l’encyclique Caritas in Veritate, le Pape Benoit XVI dénonce le fait qu’il y ait parfois une « utilisation trop stricte du droit de la propriété intellectuelle » (C.V. n°22).

Cela ne doit cependant pas être considéré comme une condamnation de la propriété intellectuelle elle même et du profit qui en découle, mais comme un appel à réformer son régime juridique dans un sens moins strict. En effet, au même titre que tout autre type de propriété privée, la propriété intellectuelle est « un élément essentiel d’une politique économique authentiquement sociale et démocratique et la garantie d’un ordre social juste » (Comp. n°176).

Mais l’Eglise, tout en admettant la propriété, pose également un principe de destination universelle des biens. Dans le domaine des nouvelles technologies, ce principe implique « un contexte de normes juridiques et de règles sociales (…) inspiré par des critères de justice, d’équité et de respect des droits de l’homme » (Comp. n°283). En effet, les nouveaux savoirs « risquent de devenir source de chômage et d’accroître le fossé entre les zones développées et les zones de sous-développement, si elles demeurent concentrées dans les pays les plus riches ou entre les mains de groupes restreints de pouvoir » (Comp. n° 283).
C’est pourquoi, quand un brevet arrive à échéance, on peut tout de même se demander comment mettre en application le devoir d’un industriel « de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l'activité productive, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de les faire fructifier » (comp. 178)

POUR CONCLURE :

L’Eglise a donc une position mesurée sur la question. Face aux visions caricaturales parfois présentées, elle nous invite, ainsi que les médias, à « éviter de céder à la tentation d’une information superficielle, alimentée par des enthousiasmes faciles ou par des alarmismes injustifiés » (Comp. n°480).


[1] http://www.ask-force.org/web/Vatican-PAS-Statement-FPT-PDF/PAS-Statement-French-FPT.pdf