L’ONU a adopté en septembre 2015, les "Objectifs de développement durable" (ODD) pour les années 2015-2030. L'objectif ODD n°2 prévoit que "tous les pays ont droit au développement qui respecte les limites planétaires, ... et qui contribue à stabiliser la population mondiale d’ici le mi-siècle".
Dans Actuailes n° 40, nous avons commencé à réfléchir à une double question :
- Les "neuf dimensions critiques" dont parle l’ONU sont-elles des limites fondées scientifiquement ?
- Ou bien ces limites planétaires sont-elles un prétexte à justifier une "stabilisation de la population mondiale" par des moyens plus ou moins moraux ?
Nous avons déjà montré que l’étude parue sur le sujet, le 15 janvier 2015 dans la revue "Sciences express", présente des conclusions très paradoxales sur la problématique des "particules fines" circulant dans l’atmosphère. Voyons ici ce qu’il en est des limites invoquées en matière d’engrais.

Analyse publiée dans « Actuailes n°42 »

De quoi s'agit-il ?

Qu’appelle-ton des "engrais" ?

Les "engrais" sont des substances utilisées en mélange, destinées à apporter aux plantes des compléments nutritifs pour améliorer leur croissance. Ces substances peuvent être d’origine "verte", comme les fumiers ou l’enfouissement de pailles ou d’herbes cultivées. Les engrais peuvent aussi avoir une origine industrielle sous forme de poudres ou de liquides contenant principalement trois substances : l’azote, le phosphore et le potassium. Pourquoi parler de limites en matière d’engrais ? Il y a toujours un risque à considérer que l’homme, en intervenant sur la nature, serait coupable de perturber les limites de la nature. Or, il se trouve que l’azote et le phosphore sont des éléments qui circulent dans la nature sous diverses formes chimiques en suivant des cycles. Quels sont ces cycles ? L’homme fait-il courir des risques planétaires en modifiant ces cycles ?

Les grands cycles chimiques dans la nature

Le cycle le plus connu est celui du carbone. Il existe deux autres cycles moins connus, ceux de l’azote et du phosphore : 

a) Le cycle de l’azote

L’air que nous respirons contient près de 80% d’azote. Cet azote peut, dans la nature, être transformé en l’ammoniac. Ce phénomène, appelé "fixation" est provoqué par les éclairs, en cas d’orage, mais surtout par les bactéries, algues et plantes de toutes sortes. Ces organes vivants, en respirant de l’oxygène, sont responsables d’une seconde réaction, la "nitrification" qui transforme l’ammoniac en oxydes d’azote, en particulier ceux qu’on appelle des nitrates. L’homme, de manière industrielle, peut également fabriquer des nitrates.
Mais, ces azotes fixés finissent toujours par retourner à leur situation d’origine, comme dans un cycle. C’est ce retour qu’on appelle la "désoxydation" de l’azote. Ce sont, d’une manière générale, des bactéries très spéciales, en particulier dans les océans, qui se nourrissent de nitrates et libèrent de l’azote à l’état gazeux qui retourne dans l’air.
Les nitrates et ammoniacs peuvent aussi être stockés pendant de très longues durées, soit sous forme de minerais, soit comme attachés à l’argile des sols dans ce qu’on appelle l’humus qui donne l’aspect gras d’un sol riche en humus.

b) Le cycle du phosphore

Le cycle du phosphore est unique car il n’existe pas sous forme de gaz dans l’air.. Dans la nature, il existe sous forme de minerais d’oxydes de calcium ou de fer qu’on appelle les phosphates de calcium. Le transfert du phosphore d’un réservoir à un autre n’est pas contrôlé par les microbes. Ce sont des enzymes qui cassent ces phosphates pour que le phosphore soit absorbable par les plantes. Les excédents de phosphore sont dissous dans les eaux, rejoignent la mer et sont absorbés par les petites algues et bactéries marines appelée le "plancton". A la mort de ces organismes vivants, le phosphore réagit à nouveau avec le calcium contenu dans les océans et se dépose pour constituer de nouveaux stocks de phosphates.

Quel est le point de vue des auteurs de l’étude parue dans la revue "Sciences express" ?

Pour le phosphore, ils parlent d’un risque d’utilisation humaine d’engrais qui provoquerait une accumulation de phosphore dans les écosystèmes au point d’y favoriser quelques espèces à croissance rapide (et souvent envahissantes), au détriment de la biodiversité. On appelle ce risque l’eutrophisation (pour en savoir plus, clique ici)
Pour l’azote, les auteurs notent que l’homme ajoute, avec les engrais, une forme de fixation artificielle de l’azote de l’air qui double la fixation naturelle. Ils voudraient limiter la fixation d'azote par l'homme. Le niveau qu’ils proposent reviendrait à fixer une limite aux rendements agricoles des années 1980. Or, depuis cette époque, la population mondiale est passé de 5 à 7 milliards d’habitants. Cette idée de limitation est entretenue dans l'opinion par deux conséquences d'un excès de nitrates dans l'eau: celle qui rendrait les sources non potables, et celle qui provoquerait des accumulations d'algues vertes sur certaines plages. Or ces deux phénomènes ne font pas l'unanimité des scientifiques. (pour en savoir plus, clique ici)

Conclusion

Il ne s’agit pas de négliger certains impacts négatifs de l’activité humaine. Toutefois, les études ne prennent pas en compte les moyens modernes de l’agriculture raisonnée qui permettent de calculer, dans chaque parcelle, les besoins d’engrais avec l’utilisation de machines modernes et équipées de systèmes automatisés. Ces informations, alliées aux images satellites et au GPS permettent des apports d’engrais très précis, limitant les risques d’eutrophisation de l’environnement proche. Il s’agit d’une agriculture de haute précision environnementale. L’homme, ainsi, accélère l'ampleur des cycles et en améliore la rotation pour satisfaire ses besoins vitaux. Quand les problèmes écologiques sont mal posés, les solutions ne sont pas trouvées. Il ne faudrait pas prendre prétexte de risques mal posés dans l’usage des engrais pour justifier une réduction de la population.

Pour aller plus loin...

a) L'eutrophisation est-elle un risque pour la planète ?

Les experts ont l’habitude de mesurer le risque d’"eutrophisation" avec un indice qui mesure la proportion d’azote (N) et de phosphore (P) dans un environnement. Les auteurs de l’étude, parue dans la revue "Sciences express", font une erreur grave consistant à retenir une valeur applicable localement (ratio de N/P= 11,8) et de l’extrapoler au niveau planétaire pour fixer des limites d’utilisation d’engrais par l’homme. On ne peut tirer de ce ratio un objectif moyen planétaire. Tout dépend des écosystèmes locaux, terrestres ou marins. Tout dépend si on veut observer les milieux végétaux cultivés ou sauvages, ceux des micro-organismes vivant en eaux douces ou marines.
On ne peut pas, en même temps, se réjouir de la biodiversité et en même temps vouloir enfermer les écosystèmes dans de tels ratios. 

b) Les nitrates des engrais peuvent-ils rendre l'eau non potable?

Non, les ions nitrates ne sont ni toxiques, ni dangereux pour la santé de l'homme, mais au contraire leurs seuls effets connus sont bénéfiques, de sorte que, plutôt que de rechercher à limiter les teneurs en nitrate de l'eau et des aliments, les autorités sanitaires devraient surtout veiller à ce que nous en consommions tous suffisamment.
Une erreur d'interprétation ancienne, désormais reconnue comme telle par la communauté scientifique médicale a permis à des collèges d'experts successifs le maintien d'une norme sur les nitrates dans l'eau de boisson, qui n'a plus de raison d'être. A ce jour, aucune instance ou personnalité scientifique n'a jamais remis en cause la démonstration implacable et les étonnantes conclusions livrées par les Dr. Jean et Jean-Louis L'hirondel, lors de la première édition de leur ouvrage "Les nitrates et l'homme - Toxiques, inoffensifs ou bénéfiques ?" parue en 1996.
Au contraire les témoignages de remerciements et d'encouragements de membres éminents de la communauté scientifique internationale se sont multipliés. Les deux nouvelles préfaces de la réédition de 2004 par les Pr. Christian Cabrol et Maurice Tubiana illustrent parfaitement ce soutien sans réserve aux travaux des Dr. L'hirondel. Elles complètent à merveille la lumineuse préface du Pr. Lestradet qui avait accompagné la première version. C'est l'Institut Scientifique et Technique de l'Environnement (ISTE) en Angleterre qui a contribué à la réédition de ces travaux.
La réalité est aussi surprenante que réconfortante : les nitrates sont des ions banals et inoffensifs qui ne présentent que des effets bénéfiques pour la santé : aucune norme sur la teneur en nitrate de l'eau de boisson n'est plus justifiée. 

c) Les nitrates des engrais sont-ils la cause des algues vertes?

Certains faits sont incontestables :
- La décomposition par pourrissement de certaines algues, les ulves et les entéromorphes, appelées "algues vertes", peut produire un gaz, l’hydrogène sulfuré (H2S), qui est toxique au-delà de certaines concentrations. Ces concentrations sont difficilement atteintes en plein air.
- En dehors de ce phénomène, les ulves ne sont pas toxiques. Elles sont même comestibles par l’homme et par les animaux. Dans la nature, elles sont consommées par de nombreux animaux tels que les bigorneaux, les ormeaux, les oursins…
Mais est-il prouvé que l’agriculture intensive à base d'engrais azotés soit la cause de ces proliférations?

Une fois de plus, il semble bien que les scientifiques en mal d'écologie tombent dans la vieille manie de courir aux explications avant d’avoir examiné les faits dans leur objective complexité. Comme le disait Bossuet, "le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire que les choses sont comme on voudrait qu’elles fussent". Or :
- La prolifération des algues vertes est un phénomène répandu dans de nombreuses régions du monde : Chine, Cuba, Espagne, fjords de Norvège, Pays-Bas, Danemark, lagunes de Venise et de Tunis, Sénégal… Il n'y a pas que le nord de la Bretagne qui est concerné!
- Même en France, au-delà de certaines côtes bretonnes, elles sont observées dans le Cotentin, en baie de Somme, en Charente-Maritime, en Martinique ou dans les étangs et lagunes du Languedoc-Roussillon.
- C’est un phénomène ancien puisque des échouages d’ulves sur les côtes de la Manche sont rapportés depuis le début du XXème siècle. Dès les premières photographies aériennes de l'IGN en 1952, les rideaux d’ulves sont visibles sur les baies aujourd'hui les plus concernées.
- Sur les côtes de la baie de Lannion, très touchée par la prolifération des algues vertes, on rencontre des systèmes de polyculture-élevage relativement peu intensifs en déchets azotés ; on n’y compte pratiquement pas d’élevage hors-sol, et de nombreuses surfaces sont occupées par des prairies permanentes.
- La prolifération d’ulves
* se manifeste dans les baies propices, quels que soient les flux d’azote déversés par les cours d’eau. De plus, les quantités d’ulves ne sont nullement corrélées aux flux d’azote rejetés.
* est observée dans les baies présentant deux caractéristiques: du sable à faible pente, favorisant l’effet de lagunage, et l’absence de dispersion des masses d’eau vers le large qui reste piégée en fond de baie.
- L’azote du milieu marin ne provient pas uniquement des cours d’eau et les apports des cours d’eau ne représentent qu’une partie de l’azote disponible dans le milieu marin. Aussi, compte tenu des masses en jeu et des besoins des ulves, aucune carence en azote capable de réduire la croissance des algues ne pourra jamais être observée. Les actions sur les nitrates les côtes concernées n’auront pas d’effet sur la prolifération des ulves
- D’autres facteurs peuvent expliquer la prolifération des algues vertes, parmi lesquels on peut citer la diminution des consommateurs d’ulves dans la chaîne alimentaire (tels que les bigorneaux, les ormeaux, les oursins…), le développement de la culture des moules dans la baie de Saint-Brieuc, l’accumulation de phosphore dans les sédiments côtiers…

Nous n'avons pas vocation à conclure de façon définitive. Nous voulons souligner, une nouvelle fois, qu'il n'y a pas de consensus sur ce sujet comme sur bien d'autres thèses écologistes. Disons seulement que les faits ci-dessus sont troublants et compréhensibles par n'importe quel ingénieur.

Pour approfondir...

Pourquoi ne peut-on pas retenir un ratio N/P moyen pour la planète ?

Ce ratio signifie simplement qu’il y a des équilibres nutritifs qui obligent les flores à minéraliser plus d’azote libre en présence d’un excès de phosphate et réciproquement : on a observé, dans les milieux marins éloignés des côtes, que les cyanobactéries marines fixent l’azote nécessaire au rétablissement du rapport N/P qui correspond à la composition planctonique. Une telle constance du rapport N/P de l’eau de mer et sa coïncidence avec celui du plancton témoignent du contrôle de la composition du milieu par les organismes [1]. 

Un rapport d’Ifremer explique que « le rapport N/P est en fait très variable selon les milieux : les rapports N/P, comme l'avait déjà pressenti Cooper (1938) sont en général très variables. Ainsi, McGill (1965) mentionne des variations très importantes de ce rapport en Méditerranée, avec des valeurs extrêmes comprises entre 1,39 et 23,44 » [2]. Cette fourchette est donc très large par rapport à la valeur moyenne retenue par les auteurs de notre étude.
Par ailleurs, un rapport peut rester constant, si on augmente les deux termes du rapport. Cela conduit les auteurs à ne pas augmenter les limites de chacun des termes du rapport, à cause d'une volonté de ne pas augmenter les apports de nitrates dans les eaux. Les directives fixent la limite de concentrations en nitrate à 50mg/l de nitrate. Cette cohérence globale induit, à tort, deux types de dangers :
- Le faux danger sanitaire des nitrates dans l’eau.
La limite de 50 mg/l n’est fondée sur aucune réalité sanitaire . Or, la toxicité des nitrates est très discutée. L’oxyde nitrique (NO) joue dans le rein un effet tonique et empêche la production de collagène. Le professeur Cabrol dit également : « Les nitrates sont des nutriments tellement utiles qu’il importe d’en informer le public, en attendant l’évolution des normes et des recommandations alimentaires » [3]. Un régime riche en nitrates favorise la réduction de la consommation d’oxygène pendant l’exercice physique. Le Dr Jean-Louis L’hirondel ajoute: « Les autorités sanitaires considèrent que le nitrate dans l’eau de boisson constitue un danger car le nitrate est transformé en nitrite dans le corps humain, particulièrement chez le nourrisson, nitrite qui empêche la fixation d’oxygène par le sang (méthémoglobinémie) et provoque l’asphyxie. En suivant la logique de ce raisonnement, toute préparation à base de légumes devrait être interdite, ce qui serait absurde sur un plan nutritionnel et sanitaire. Les légumes contiennent parfois de fortes doses de nitrate : 1 kg de radis en contient par exemple plus de 2000 mg » [3].
- Le faux danger des nitrates pour l’environnement.
Ce thème de l’eutrophisation des milieux a un écho particulier en France avec la manière dont les médias ont mis en exergue le sujet des "algues vertes". Or, cette question est loin, également, de faire l’unanimité.

[1] Courrier de l’environnement de l’INRA n°48, février 2003, page 15
[2] Source : Ifremer, paru dans OCEANOLOGICA ACTA 1980- VOL. 3- No 1 p. 140
[3] Colloque « Nitrate ‐ Nitrite ‐ Oxyde Nitrique » du 31.3.2011 sous le patronage de l’Académie Nationale de Médecine.


Ammoniac et nitrate

Du latin sal-ammoniacus désignant les sels trouvés près du temple d’Ammon, une divinité égyptienne assimilée à Jupiter. Les noms d'ammoniac, ammoniaque, sels d'ammoniums (ou nitrates) désignent des formes chimiques qui ont en commun l'azote

Oxyde et désoxydation

Du grec ancien oxús (« aigu, piquant »). Un oxyde désigne des sels contenant de l'oxygène qui les rendent piquants au goût. La désoxydation est une opération chimique consistant à retirer l'oxygène du sel pour disposer du corps non oxydé qu'on appelle le radical.

Bactéries

Ce sont des organismes vivants composés d'une seule cellule. Le mot vient du grec ancien baktêria (« bâton pour la marche ») à cause de la forme en bâton des premières bactéries observées (des bacilles).

Argile

Depuis les temps les plus anciens, le mot argile a désigné une terre douce au toucher qui était cuite dans un four après lui avoir donné une forme utile: des poteries ou des vaisselles. En agriculture, les sols peuvent contenir plus ou moins d'argile. 

Calcium

Le mot vient du latin calx, calcis qui désigne la « chaux ». On utilisait la chaux dès l'âge du bronze (environ 2000 ans av. J.-C.) pour construire des murailles ou comme support de peinture murale. Pour obtenir la chaux, on « brûlait » une pierre pour en extraire du plâtre. La chaux contient une part importante d'un élément chimique qu'on appelle pour cette raison du calcium.

Plancton

Mot venant du grec ancien plagktos (« divaguant ») inventé par un biologiste allemand pour désigner l'ensemble des petits organismes animaux et végétaux qui divaguent dans la mer ou en eau douce au gré des courants.

Eutrophisation

Du grec ancien eutrophía (« bonne nourriture, bonne santé »). L'eutrophisation est un processus de pollution qui se produit quand un lac, une rivière ou une zone côtière sont devenus trop riche en nutriment de plante et devient en conséquence trop peuplé en algues et autres plantes aquatiques, ce qui fait que les plantes meurent et se décomposent, ce qui consomme l’oxygène de l'eau qui devient sans vie. 

Agriculture raisonnée

C'est une démarche qui s'applique aux productions agricoles prenant en compte, de manière raisonnée, non seulement l'objectif de rentabilité, mais également la protection de l'environnement, la santé et le bien-être animal. 

Ions

Mot venant du grec ancien ión (« allant »). Il désigne un élément chimique ayant perdu ou gagné des charges électriques sur sa couche externe. Ces éléments ont ainsi une mobilité qui, dans un liquide, les pousse à "aller" vers d'autres ions pour construire des molécules chimiques plus stables.