Titre : « Le Mal »
Année de parution : Décembre 1995
Auteur : Père Adolphe GESCHÉ
Éditions : Cerf
Série : "Dieu pour penser"
CV de l’auteur : né en 1928, il est prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, professeur de théologie à l'Université catholique de Louvain où il est mort en 2003, membre de la Commission théologique internationale
Derniers ouvrages :
"Qu’est-ce que la vérité ?", Paris, Cerf, 2009
"Intempestive éternité, Louvain-la-Neuve, Academia, 2015"
Résumé
Le mal!... C'est une question qu'on aborde en la situant sans faux fuyant devant Dieu. Sans maudire, mais non pas sans dire un mot. Que l'on saisisse les différentes manières de poser la question:
- que l'on suive l'audace de Job;
- que l'on tente de comprendre l'énigmatique discours sur un mal originel;
- que l'on cherche à discerner le mieux et le moins bon dans les discours de libération;
- que l'on se risque dans les méandres souvent discutables des théodicées,
on n'arrive pas à donner raison d'une énigme redoutable et qui le restera toujours. Mais en prenant ce pari d'une recherche qui va jusqu'à inclure Dieu dans la question, nous situons mieux notre propre interrogation; nous découvrons que cette question de l'homme concerne Dieu même, car elle est pour lui aussi un scandale dont il va se faire l'adversaire; que l'homme n'est pas convié à une culpabilité mortifère, car il n'est pas à l'origine absolue du mal; que du thème classique du "mal objection contre Dieu", on est invité à un thème nouveau et paradoxal, celui d'un "Dieu objection contre le mal"
Extraits
Chapitre Ier : "Topiques de la question du mal"
* "Contra Deum"
La première et sans doute la plus ancienne et universelle manière de réagir au problème du mal est de s'en prendre à Dieu ... Dieu, considéré comme responsable direct ou indirect du mal qu'il n'aurait pas pu ou voulu empêcher (p.16)
* "Pro Deo"
Une autre manière consiste à prendre la défense de Dieu dans le procès du mal (p. 19).... Une difficulté tient au fait que l'apolégétique reste toujours sur la défensive... "Qui excuse accuse" rappelle cruellement le dicton.... [Cette approche], comme le Contra Deum, part d'une conception a priori de ce qu'est Dieu. Or Dieu n'est pas précédé par nos définitions (p. 21)
* "in Deo"
Les deux premiers topiques laissent le problème du mal en déshérence de Dieu (p.23). Ce que nous avons à faire: faire passer la question par Dieu, la déposer en Dieu, in Deo (p.24). Oui, Dieu en-soi échappe à la question du mal puisqu'il n'en est pas la cause. Mais ce Dieu en-soi en a fait sa cause (p. 25)
* "Ad Deum"
L'homme sait qu'il peut requérir Dieu dans sa question. Mais comment s'y prendra-t-il? La réponse es sans doute donnée par ... Jacob, Job et Jésus... En ce sens, le Ad Deum est une attitude qui ne prend pas son parti du mal (p.27), ...une possibilité , le droit et le pouvoir d'interpeller son Dieu.... Mais à quoi conduit-il? En fait au seuil d'une formidable inversion de la question... La question, c'est Dieu même qui se la pose. (p. 32). Dieu, surpris, se trouve là devant quelque chose qui n'appartient d'aucune manière à son plan. Le mal est à ce point le mal qu'il ne peut trouver l'ombre d'une justification en une rationalité ultime... et (Is 33,5) "les anges de paix demeurent éperdus d'étonnement sur cette prodigieuse misère" (p. 33).
Chapitre II: "Dieu dans l'énigme du mal"
* La "surprise" de Dieu devant le mal. Approche de théologie narrative
Le mal surgit essentiellement comme ce qui n'a pas été prévu. Comme une surprise. Dans le récit de la création, non seulement le mal n'est pas créé, mais on n'en parle pas: il n'appartient pas à l'idée de la création. Le mal est dépourvu de sens. Le mal est cependant là, après la création (p. 47). Ce mal qui survient est désigné comme venant d'un inconnu, le Démon-serpent. Au jardin d'Eden, [n'a pas] tout vu: "Adam, où es-tu?", "Ève, qu'as-tu fait?". (p. 48) "Or le serpent...": le mot hébreu, traduit en français par cette conjonction, exprime la soudaineté d'un imprévu. Tout le mode a été surpris. Le mal n'appartient pas à Dieu ni à l'homme, mais au Démon-serpent-énigme (p.49).
La leçon à tirer du mal comme surprise [est] d'appeler le mal par son vrai nom, à savoir comme irrationnel. La réaction théologique est de ne pas comprendre: le mal n'entre dans aucun discours de justification, ni morale, ni rationnelle (p. 51). François de Sales s'écriait: "la faute ne serait pas péché si elle n'était sans raison[1]. En termes théologiques, le mal qu'en termes philosophiques on appelait un irrationnel, est appelé ici démonique [2]. Le mal est alors frappé du mot le plus insultant qui le jette dans l'irrationalité (pysterium) la plus absolue (iniquitatis), sans aucun espoir de justification (p. 52). De par son caractère démonique, le mal se révèle appartenir à un ordre du désordre. Le mal dés-oriente l'homme de sa finalité (p. 53). Le démon est le lieu d'une énigme (p.54).
* La déposition de Dieu contre le mal. Approche de théologie dogmatique
Certes, la moralisation du problème du mal a eu des effets positifs et doit continuer d'en avoir. Le principal aura été de défataliser le mal (p. 63). Cependant on pourrait relever trois aspects négatifs (p.64):
- Le moralisme de culpabilité
Le mal n'est pas seulement dans l'intention. Il la déborde, car indépendamment de celle-ci, il y a toujours des résultats. A la limite, et un peu paradoxalement, plus on est non coupable, plus on est armé pour être responsable (p. 65)
- Le moralisme de culpabilisation
Véritable intoxication de la conscience, [il] peut finir par fataliser autrement plus en empoisonnant toute mon existence. L'occident est plus porté à chercher le coupable qu'à se pencher sur la victime. Dans le culpabilisme, je cherche toujours le coupable en moi et n'ai de cesse de m'accuser. Le filet de captivité est alors tombé de tout son poids.
- Le moralisme de justification (p.66)
Celui d'une subtile et inconsciente justification du mal [ramenant] ainsi tout le mal-malheur aux dimensions d'un châtiment(p. 68).
Une re-dogmatisation du mystère du mal dans la théologie dogmatique semble s'imposer (p.70). Elle permet de reprendre la mesure d'un ancien débat qui tourne autour de la Figure du Démon (p.71). La Figure démonique constitue ce-qui-n'est-pas Dieu et ce-qui-n'est-pas-l'homme (p.72). Le mal est un entraînement qui vient d'ailleurs (p. 73).
La dogmatique chrétienne montre du doigt la vraie malicité du mal: "Vous serez comme des dieux" ("ertis sicut dii"), insinue le serpent. Il y a dans ce sicut et dans ce pluriel, toute la grammaire du mal: l'homme est image de Dieu ("dii estis" dit le psaume), qui s'exprimera sans conjonction de comparaison et même au singulier: "pour que l'homme devienne Dieu". Le estis est proprement démoniaque, nous trompe sur le bien à acquérir(p. 74).
* La descente de Dieu dans le mal. Approche de théologie salutaire (p. 82)
- Disputation sur la justice (p.89)
La justice se fait facilement accusatrice, dénonciatrice, elle est facilement animée par la vengeance. "La révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur", rappelait Saint-Just devant la dérive possible de la justice. Ce qui explique qu la justice soit si souvent justicière, voire meurtrière" (p.92)
- Éloge de la charité (p.95)
Chapitre III: Le péché originel et la culpabilité en occident
* La doctrine du péché originel est une doctrine de vérité
Le mal est une réalité irrécusable. cependant il n'est pas dans la nature des choses. Il signale pourtant une part de responsabilité de l'homme dont celui-ci a la maîtrise (p. 103)
* La doctrine du péché originel est une doctrine de vérité de salut (p. 112)
Chapitre IV: Les théologies de la libération et le mal
* Une tradition immémoriale et obscure
Il existe deux traditions sur le mal. L'une paulinienne ou augustinienne qui trouve son paradigme dans le récit du péché originel. La seconde dans le livre de Job, |avec] le mal innocent (p. 119)
* La dette à l'égard des théologies de la libération (p. 127)
Chapitre V: Odyssée de la théodicée: Dieu dans l'objection du mal (p. 161)
[1] Traité de l'Amour de Dieu", II, 11
[note les 2 ails.com]: correspond au sens gr. étymol. « possédé d'un dieu » et renvoie à l'idée d'une puissance spirituelle qui pousse l'homme à agir (source: Ortolang]