En quoi l’éthique du care et la philosophie morale des « biens communs » sont-ils à rapprocher ?
La philosophie du Care, est une dialectique de la vulnérabilité qui joue du rapport "fort/faible": L’ensemble de la communauté internationale nous pousse, progressivement, dans une éthique très contestable, celle de l’éthique de responsabilité [1]. Elle inclut, bien sûr, une éthique de la solidarité, une éthique du respect des droits de l’homme, mais sans se poser la question de savoir de quel homme on parle. L’éthique du Care  peut être bonne, mais qui n’est pas suffisante, dans la mesure où elle relève d’un certain relativiste de ce qui mérite un soin et de ce qu’est le soin à apporter.
L’écologisme, avec son slogan : « prendre soin du climat », ou « prendre soin de la planète » rentre dans une éthique du même ordre. Comment cela ?

Analyse « les2ailes.com »

Le care est « une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie »[2].
Pourquoi cette éthique de responsabilité,  implicite dans la philosophie du Care, a-t-elle des limites ?
L’éthique du care a d’emblée contribué à modifier une conception dominante de l’éthique. La politologue Joan Tronto envisage ainsi une extension du care au-delà de l’humain : « Nous y incluons la possibilité que le care s’applique non seulement aux autres, mais aussi à des objets et à l’environnement »[3].

Les limites du Care en matière de soin des personnes

Si, pour des raisons économiques, il advient qu’on ne puisse plus financer notre solidarité, on s’enferme dans cette logique du fort et du faible, et on exerce notre solidarité à la seule hauteur de nos moyens financiers.
Or, plus se développe le concept d’éthique de responsabilité, plus on assiste au paradoxe suivant que Mgr d’Ornellas explique ainsi :

Cette dialectique du fort et du faible se retourne, et voit le faible assigner le fort en responsabilité et en réparation. Le faible est considéré comme dépourvu de responsabilité. Il exige simplement que la loi nomme la responsabilité du fort et le fort doit réparer. La vulnérabilité, d’une certaine manière, se venge en ayant demandé de pouvoir bénéficier de cette responsabilité, c’est-à-dire de la protection, de l’accueil, du progrès scientifique[4].

En matière de santé et de biologie, l’Éthique du care ne prend pas en compte la valeur propre de l’homme qui est à l’image de Dieu. Telle est la source de sa dignité. Le Christ a endossé toutes les vulnérabilités de l’homme jusqu’à en mourir. Tout homme qui prend soin d’autrui, quel que soit l’état de sa santé, est lui-même vulnérable. Le soignant et le soigné sont en fait solidaire de leurs vulnérabilités réciproques. 
Le pauvre serait-il donc plus vulnérable que celui qui l'assiste. Une approche trop simpliste se limitant à refuser la vulnérabilité peut nous laisser croire que nous faisons partie des non vulnérables. Même à titre personnel, on risque d’être contaminé par une forme d’arbitraire et de discrimination : se considérer moins vulnérable que le vulnérable. Notre dialectique devient très vite celle du fort et du faible, celle du normal et de l’anormal. Mais au regard de quelle norme ?

Les limites du Care en matière de soin de l’environnement

La théorie des communs répond à la même philosophie que celle du Care : organiser la gouvernance des biens pour que nous puissions y vivre aussi bien que possible.  Or les biens naturels ne sont pas communs par essence, mais deviennent « communs » en fonction de la gouvernance qu’on leur attribue.  C’est, en définitive, l’éthique du care qui va fonder la dite gouvernance.
Le soin qu’on porte à une créature quelle qu’elle soit, doit intégrer sa valeur propre en tant que créature de Dieu. Dieu créateur a renoncé à une part de l'exercice de sa toute-puissance en donnant à l'homme une mission de co-créateur. Mais l'homme devient démiurge, en voulant "prendre soin de la planète" jusqu'à prétendre que l'homme évitera ainsi qu'advienne une apocalypse. Il sélectionne ce qui lui semble mériter un soin comme pour prouver sa toute puissance. Prendre soin de la planète devient prioritaire par rapport à la reconnaissance de sa propre vulnérabilité.  
Cette difficulté de l’écologisme à prendre en compte la valeur propre de l’homme par rapport à celle des créatures non humaines conduit rapidement à l’antispécisme ambiant.  Il faudrait prendre plus soin des animaux parce qu’ils seraient vulnérables à l’impact humain. C’est  une conception erronée de la « théorie de la justice qui est dans la mire des approches du care . « Le centre de gravité de l’éthique est ainsi déplacé, du ‘juste’ à l’‘important’ » [5].  On se rapproche d’une éthique de l’utilité : ce qui est important, c’est ce qui serait utile !
Dans l’éthique du care environnemental, on a beau se soucier de telle ou telle créature, s’en sentir responsable, développer toutes sortes de compétence à cette fin, et même ressentir qu’on est bénéficiaire du soin environnemental, tout est vain si on oublie la dimension eschatologique du cosmos. Seul le Christ récapitulera l’univers aux derniers temps.


[1] Rappelons que le philosophe Max Weber a développé la distinction entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. La première a le souci du résultat d’un acte d’assistance, alors que la seconde n’est fondée que sur l’étude sociologique des conséquences d’une décision généralement d’ordre politique.
L’éthique de conviction se préoccupe des sources présidant à l’action, Vérité, Liberté et conscience objective des résultats de l’acte alors que l’éthique de responsabilité accepte de prendre subjectivement conscience des risques et des conséquences prévisibles qu’entraîne logiquement toute décision, analyse qui s’appuie sur une estimation raisonnée, mais qui n’en reste pas moins subjective. La moralité des responsabilités subjectives n’annule pas la moralité objective d’un fait.

[2] Source : Pascal Lombard, « GOUVERNANCE DES COMMUNS ET ETHIQUE DU CARE : L'EMERGENCE DE NOUVEAUX RAPPORTS A LA TERRE »

[3] (Tronto 2009 [1993], p. 144), source : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2015-2-page-127.htm

[4] Colloque sur la bioéthique à Paray-le-Monial le 12 novembre 2011.

[5] Sandra Laugier, « Care, environnement et éthique globale » (in Cahiers du Genre 2015/2 (n° 59), pages 127 à 152