Les médias ont repris en boucle, le 9 novembre 2014,  les résultats d’une étude -qui n’a rien de scientifique- selon laquelle les cheveux de nos enfants apporteraient la preuve de pollutions graves dont seraient victimes nos enfants. En avril 2014, l’ONG écologiste « Générations futures » avait déjà dramatisé autour de résidus phytosanitaires dans les cheveux d’enfants « exposés » à des épandages à proximité des zones de cultures céréalières ou  viticoles. En novembre 2014, c’est le journal JDD qui a commandité une pseudo-étude prétendant que les cheveux des enfants parisiens contiendraient des traces d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) causés par les gaz ou particules émis par les carburants automobiles, le chauffage domestique, le goudron des toits et des routes, les incinérateurs de déchets et de la fumée du tabac...
Émotion évidente puisque cela touche nos chères têtes blondes !
Et les médias d’en tirer des conclusions pour exiger des mesures de précaution : interdiction des épandages agricoles à moins de 200 m des habitations, ou circulation des véhicules par jour alternés en fonction des immatriculations dans Paris ! Et s’il est souhaitable d’interdire de fumer sur les trottoirs à proximité des écoles, c’est pour limiter le tabagisme actif des enfants et non pour empêcher  un tabagisme extérieur illusoire.
Le sophisme et la crédulité sont de plus en plus employés comme armes idéologiques et gangrènent notre démocratie.  Ils constituent le moteur d’une société de l’émotion plutôt que de la  réflexion.
Les2ailes.com voudraient montrer, à partir de ces exemples qu’une « allégation santé » ne peut s’appuyer sur des pseudos-études militantes, mais seulement sur de véritables études épidémiologiques.

Source : JDD du 8 novembre 2014

Commentaire "les2ailes.com"

Un des arguments de « Génération Futures » ou du JDD est de dire qu’ils ont fait analyser les cheveux auprès d’un grand laboratoire, le Laboratoire de bio-surveillance humaine analytique (LAHB) à Luxembourg, spécialiste dans le domaine de l‘analyse capillaire.

A l’évidence, ce laboratoire, sous la menace de « refus de vente » ou par intérêt commercial, accepte de vendre des analyses chimiques sur la base de protocoles établis sur la seule initiative d’ONG ou de médias qui veulent exploiter un effet d’annonce.

A l’opposé, le même laboratoire LAHB participe à de véritables études épidémiologiques, comme, par exemple le projet « Nutrition, environnement et santé cardiovasculaire » (NESCAV) qui vise à évaluer différents paramètres potentiellement associés à des maladies cardiovasculaires. Ce laboratoire a la responsabilité d’étudier « la consommation d’alcool des volontaires, leur statut tabagique et leur exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques [ces fameux HAP] et aux pesticides en tant qu’éléments représentatifs de leur exposition environnementale et professionnelle ».

Comparons les deux types d’approche : les allégations idéologiques et les études épidémiologiques. Elles n’ont rien à voir et portent néanmoins sur le même sujet.

 

1- La taille des échantillons

L’allégation du JDD porte sur 38 enfants de 2 à 11 ans de Paris et de l’île d’Yeu. L’étude de « Générations futures » portait sur 30 enfants vivant dans des zones de cultures céréalières, dans une zone viticole, dans des zones maraîchères, arboricoles (pommiers et cerisiers) ou en ville.
A l’opposé, l’étude NESCAV  porte sur un nombre très important de volontaires :  3 000  ou même 10.000 personnes selon les sources.
On imagine, rien qu’à ce chiffre, la différence de valeur scientifique.

2- Les critères de choix des échantillons

Pour l’étude de générations futures, 14 % des enfants avaient  reçu un traitement anti-poux à base d'huiles essentielles ou d'huile de coco. De même, selon les données déclaratives, 26,6 % des enfants ont été exposés à des insecticides ménagers de type anti-moustiques, anti-puces pour animaux… dans les trois mois précédents le prélèvement. On voit combien les critères d’inclusion et de sélection des sujets observés sont folkloriques.
Au contraire, la constitution d’une « cohorte de sujets » dans une étude épidémiologique ne doit rien au hasard (poids, Indice de Masse Corporelle, pathologies éventuelles, milieu socioculturel, origine géographique…).

3- Durée des études :

Les études épidémiologique s’inscrivent  dans des durées très longues : les responsables de l’étude NESCAV, lancée en  janvier 2009, ont donné un rendez-vous en 2017 pour des conclusions supplémentaires.  Rien à voir avec les allégations idéologiques de GF ou du JDD qui s’inscrivent dans le ponctuel avec des visées médiatiques !

4- Les protocoles

Pour établir de véritables relations de cause à effet entre deux facteurs, il faut faire des analyses statistiques  (écart-type). Sur de petits échantillons, Ces calculs sont impossibles à faire  tant les effectifs sont faibles et les écarts par rapport à une moyenne ne sont pas des éléments chiffrés sérieux.
Même les calculs de coefficients R² sur des gros échantillonnages ne sont pas des éléments de relations de cause à effet. Il faut établir des protocoles d’étude comparant des « exposés » à des individus « non exposés » et tenter de mettre en évidence une différence statistiquement significative. Sinon, les biais sont énormes.

5- Les faits constatés

Certes, il est exact qu’on peut trouver des traces d’ hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Les analyses d’avril 2014 montraient la présence  de perturbateurs endocriniens (PE)[1], en moyenne 639 10-12 g/mg de cheveux, soit quelques milliardièmes de millièmes de grammes de résidus d’une liste préétablie.  On ne peut donc pas dire que une trentaine de têtes blondes concentrent, dans leur système pileux, des quantités phénoménales : avec les moyens modernes d’analyse, on peut trouver de tout partout. La conclusion de Générations Futures  est que « demain aucun organisme ne devra contenir des PE afin de protéger la santé des enfants à naître ». Cela peut paraître viril, mais nous sommes au cœur d’une application stupide du principe de précaution qui n’a rien à voir avec le principe prudentiel qui met en place de véritables pesées des bénéfices et des risques de tel ou tel agir humain

7- Les résultats annoncés

Le JDD reconnait que « bien sûr, pour être définitive, cette étude ne porte pas sur un assez grand nombre de cas ». Le journal insère même un encart sur la faiblesse de l’échantillon. Mais cela n’empêche pas le JDD de faire sa « une » avec un gros titre : « Les résultats sont édifiants. A Paris, tous les enfants de l’étude sont fumeurs passifs ».

A l’opposé, l’étude NESCAV avait pour but de :
-  comparer les facteurs de risque cardiovasculaires de la population de la grande région, avec les mêmes outils d’enquête,
-  d’identifier les populations à risque plus élevé,
-  d’étudier les habitudes alimentaires de la population et de faire le bilan nutritionnel de la population afin de le comparer avec les recommandations des autorités publiques de chacune des régions,
-  d’étudier l’exposition environnementale de la population aux polluants et pesticides et leur potentiel lien avec les facteurs de risque cardiovasculaires,
-  d’étudier la connaissance de la population sur les facteurs de risque cardiovasculaires et d’identifier leur  niveau de contrôle  par les patients,
-  de recenser les actions de promotion de la santé cardiovasculaire et de prévention des facteurs de risque afin de voir si une collaboration transfrontalière serait envisageable en ce domaine.
Les résultats provisoires de cette étude ont été présentés lors d'une  Conférence de presse le Mardi 26 Juin 2012 à 13h00  à l’hôtel Bellevue Plaza – Avenue Marie-Thérèse, Luxembourg. Le compte rendu du Quotidien a présenté des conclusions alarmante sur les facteurs suivants : le surpoids, dyslipidémie (excès de graisses dans le sang) , hypertension, sédentarité et tabagisme actif. En revanche, l’exposition environnementale de la population aux polluants et pesticides et leur potentiel lien avec les facteurs de risque cardiovasculaires n’a fait l’objet d’aucun commentaire. Le laboratoire avait pourtant mission de les analyser.

 

CONCLUSION

Certes, la pollution n’est bonne pour personne et encore moins pour les enfants ! Mais pourquoi prendre le risque de disqualifier le mot science pour le rappeler ?
En effet, il y a loin entre la théorie et la pratique,
- En théorie, il est exact que l‘analyse capillaire se prête parfaitement à l’enregistrement et le suivi des substances toxiques dans notre corps, y compris les hydrocarbures aromatiques polycycliques(ou HAP, voir Infobox) ou les pesticides.
- En pratique, seules de véritables études épidémiologiques peuvent fonder des allégations santé. De la même manière que des lois interviennent pour interdire les publicités mensongères, et pour obliger les entreprises à fonder leurs allégations publicitaires, il serait temps d’obliger les ONG -et même l’état- à n’autoriser une allégation santé que sur la base d’études épidémiologiques.  Cela inciterait les idéologues à ne plus bafouer toutes les règles de la méthodologie scientifique et à choisir les consensus qui les arrangent.


[1] Le vocable de  perturbateurs endocriniens (PE) ou de perturbations endocriniennes (PEN) véhicules par leur simple nom des sentiments de crainte. Pourtant, la notion même de PE et ses conséquences en matière d’impact sanitaire suscitent  toujours des interrogations. Aucune définition n’est pour l’heure adoptée unanimement et employée dans les procédures d’évaluation des risques. Il est donc impossible de procéder à des classements réglementaires y compris en milieu professionnel. Au cœur du dilemme, « le fait qu’en considérant une PEN comme un effet, son caractère indésirable ne peut actuellement être mis en évidence dans une relation causale par des essais  toxicologiques spécifiques 2». La diversité des hormones et systèmes hormonaux mis en jeu et la liste théorique d’effets en découlant est immense. Avant de lancer des anathèmes, il est indispensable de répondre scientifiquement aux questions suivantes : les relations dose-effets non monotones, les effets des faibles doses, la bioaccumulation, les fenêtres de susceptibilité, les effets trans-générationnels.