Tugdual Derville, Pierre-Yves Gomez et Gilles Heriard-Dubreuil, voulant "canaliser l'énergie verte et humaniste qui circule comme une sève parmi les manifestants de la Manif pour tous" ont pris l'initiative de lancer, le 22 juin 2013, un grand courant "Ecologie humaine".
Reste à définir le sens des mots pour ne pas prendre le risque de développer une expression "fourre tout" de plus comme celles qui se développent dans la postmodernité actuelle. Sinon, faute de sens précis, on risquera le développement de nouvelles confusions qui feront le lit des idéologies ambiantes au lieu de vouloir les éviter.
De quoi s'agit-il? N'y a-t-il pas déjà des germes de confusion dans ce mouvement?

Source: famille chrétienne n° 1846

Commentaire "les2ailes.com"

A- L'Écologie humaine: le risque sémantique

Le mouvement de Tugdual Derville a pris l'initiative de médiatiser cette expression.
Mais le risque existe que rapidement on utilise ce concept dans deux sens divergents:

1- Le sens historique d'origine de l'expression "écologie humaine"
Ce concept  a été utilisé, pour la première fois, dans un texte de la doctrine sociale de l’Église, au paragraphe 38 de l’encyclique Centesimus annus de Jean Paul II, en 1991, il y a donc plus de vingt ans :"Alors que l’on se préoccupe à juste titre, même si on est bien loin de ce qui serait nécessaire, de sauvegarder les habitats naturels des différentes espèces animales menacées d’extinction, parce qu’on se rend compte que chacune d’elles apporte sa contribution particulière à l’équilibre général de la terre, on s’engage trop peu dans la sauvegarde des conditions morales d’une “écologie humaine” authentique"[1].

Jean Paul II qui, lui-même, l’avait définie dans cette même encyclique Centesimus annus : « La première structure fondamentale pour une “écologie humaine” est la famille. » Associer les mots famille et écologie était prophétique. Quoi de plus moderne que cette idée de voir, dans la famille, le premier des écosystèmes pour l’homme ?

2- Des disciplines écologiques "revisitée au regard de l’écologie humaine"

La tentation est grande de partir des divers systèmes de pensée écologiste de notre époque, de vouloir en corriger certains biais, en particulier un certain culte à la nature. Le risque existe que les disciplines scientifiques plus pou moins fondées de l'écologisme soit simplement "revisitées" pour placer l'homme au cœur des problématiques d'actions.
Mais, que se passe-t-il lorsque les problèmes sont mal posés? Suffit-il de "replâtrer" les propositions pour que les solutions soient efficaces?

B- L'écologie humaine: des exemples de problèmes mal posés

Le mouvement de Tugdual Derville propose un certain nombre de thèmes d'approche: L'économie (la Consommation, le développement économique, la finance), La politique (gouvernance démocratique, l'engagement politique), l'environnement (la nature et l'environnement, l'habitat et l'architecture),  les sciences (médecine, sciences et technologies), la société (éducation et enseignement,  travail, famille, solidarités, droit et justice), l'Art et la communication (culture,...)
Prenons quelques exemples de problèmes qui pourraient s'avérer mal posés:

1- Consommation et écologie humaine

Certes, des excès de consommation peuvent être contraire à une écologie humaine qui a le souci de prendre soin de tout homme et de tout l'homme. En effet, consommer, en développant les réflexes de l' "avoir", finit par occulter la question du développement de l' "être". Ainsi posée, on peut réfléchir à la question de la consommation. Mais si le principe retenu est qu'il faut réduire la consommation pour sauver la planète, il y a fort à parier que l'homme manquera l'objectif recherché.
Il en est de même quand une certaine sensibilité écologiste chrétienne plaide pour une « frugalité heureuse ». La question est de savoir quel peut bien être le but de cette vertu de tempérance. La frugalité, pense-t-on, pourrait réduire la consommation et ainsi « sauver la planète », accessoirement, pour les chrétiens, nous rapprocher de Dieu. Cette stratégie risque d’être illusoire. Non seulement parce qu’elle risque d’être inefficace. Et si tant est qu’elle puisse aboutir, l’homme oublierait Dieu aussitôt. Une frugalité chrétienne n’a de sens que si elle nous met dans les dispositions de nous rapprocher de Dieu. C’est notre adhésion au Christ qui fera que le cosmos trouvera son accomplissement final. Ce n’est pas la velléité toute puissante de l’homme qui sauvera la planète ni ne nous sauvera du mal.

2- Contraception , santé et écologie humaine

L’émotion crée dans l’opinion publique par les risques de la pilule de troisième ou quatrième génération a provoqué un recul des autorités qui a retiré du marché une pilule pourtant couramment prescrite. Qualifier cette émotion de prise de conscience écologique des femmes risque d'être un faux semblant. En effet, si la science et la technologie développait de nouvelles contraceptions "non polluantes", l'écologie humaine y trouverait-elle son compte? La véritable écologie de la femme n'est-elle pas plus profonde que cette approche biologique?

3- La question climatique et l'écologie humaine

Le n° 1846 de famille chrétienne (1er au 7 juin 2013) propose un long reportage sur l'écologie humaine. Parmi les soutiens du projet, Ghislain Gomart, ancien conseiller de Jean-Louis Borloo lors du Grenelle de l'environnement, se qualifie de "catholique assumé", car, dit-il, la vie "est sacrée et il faut respecter la dignité humaine".  Ghislain Gomart refuse la dichotomie entre la défense de la planète et celle de l'homme. Il rappelle son engagement passé aux côtés de Nicolas Hulot pour défendre cette cohérence.
Mais Ghislain Gomart estime impossible de "défendre la vie dès sa conception et de sacrifier en même temps les générations futures menacées par le réchauffement climatique".
Un tel propos n'est-il pas un peu osé?Dire qu'il n'est possible de défendre la vie dès la conception qu'à certaines conditions écologiques, revient à dire que ce n'est pas une priorité. Or tous les discours de Jean-Paul II ou de Benoit XVI ont rappelé cette priorité et cette définition de ce qu'est  "l'écologie humaine": défendre la famille et la vie, de sa conception à la mort naturelle.Il y a là un inversement des priorités. En effet, la nature de l'embryon, "être humain dès sa conception" est un fait avéré, alors que le rôle de l'homme sur le réchauffement climatique n'a rien d'une menace avérée pour les générations futures. Comme le dit Mgr Crepaldi, auteur du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, " sur ce sujet de l'altération du climat, il y a moins de certitudes et d’évidences rationnelles que sur l'existence du droit à la vie depuis la conception"[2].

4- Les OGM

Le HuffPost du 22 juin rapporte un propos tenu par Tugdual Derville."On a joué à l'apprenti sorcier avec les organismes génétiquement modifiés". Quelle est l'analyse qui lui permet de dire cela? S'agit-il d'un d'un propos destiné à surfer sur des opinions publiques que les sondages disent sensible à ce genre de propos, ou est-ce le fruit d'une véritable réflexion.

Conclusion

On aimerait interroger Tugdual Derville sur ces sujets. Mais, même Sandra Lorenzo, journaliste au HuffPost reconnait le 22 juin : "Au sein du think tank, difficile de faire réagir Tugdual Derville...La communication du tout jeune mouvement est verrouillée".

Nous proposons une réponse pour trouver un équilibre entre l'écologie environnementale et l'écologie humaine:elle se trouve dans le  discours tenu par Benoit XVI devant le Bundestag le 23.9.2011.  Son propos est balancé en cinq temps:

  • Il part de l’aspiration légitime des hommes et de leurs inquiétudes: « il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature ». C'est un véritable "signe des temps" au sens du concile. Le Pape part des inquiétudes humaines. Oui, on a peut-être raison de s'inquiéter des questions climatiques, des OGM, de la démographie.
  • Mais Benoit XVI montre ensuite les dérives à éviter: peut-être n’avons-nous « pas ouvert tout grand les fenêtres »[3]… Peut-être faisons-nous preuve de « trop d’irrationalité »[4]. Benoit XVI ne se prononce pas sur les dérèglements climatiques, ni sur les autres questions politiques. Mais peut-on affirmer que les experts ne font pas preuve d'irrationalité?
  • Benoit XVI continue par une recommandation: « Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence ».C'est alors que son discours prend toute sa force avec un "MAIS" retentissant: « Mais, je voudrais cependant aborder avec force un point qui, aujourd’hui comme hier, est –me semble-t-il- largement négligé ».
  • La puissance de cette articulation permet à Benoit XVI de planter, au sommet de son discours, un principe premier: « il existe aussi une écologie de l’homme ».
  • Et sa conclusion est alors claire: « L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté ».

Tous les discours et encycliques récents sont à peu près structurés de la même manière que dans ce fameux discours de Jean-Paul II du 1er Janvier 1990.  Ils rappellent toujours la même chose: pas d’écologie de la nature sans "écologie de l’homme".

A trop comparer le mouvement actuel en faveur de l'écologie humaine avec la naissance du mouvement écologique politique environnemental d’il y a quelques années, on risque d'inverser les priorités comme le fait Ghislain Gomart:

Mgr Crepaldi, dans l’ouvrage cité précédemment[5], parle de ce qu’il appelle une loi de « l’obtention indirecte ». Beaucoup d’attitudes environnementalistes, dit-il, souffrent d’une lacune principale, consistant à vouloir sauver la nature en se concentrant sur la nature elle-même.
L’expérience nous apprend que l’objectif est rarement atteint lorsqu’on se concentre exclusivement sur lui et de manière obsessionnelle. Lorsqu’il ne nous est pas possible de dormir la nuit, plus nous nous concentrons pour nous endormir, plus nous risquons de rester éveillé. Si nous trouvons la force de penser à autre chose, nous réussirons à nous endormir. On retrouve cela dans de nombreux autres domaines, y compris ceux relevant de la protection de l’environnement. Pour être en mesure d’obtenir des résultats, il ne faut pas se focaliser sur leur réalisation. Cela semble un paradoxe, mais, pour développer une culture de l’environnement naturel, il faut le mettre de côté et ne réaliser que ce qui est vraiment important : le vrai bien de la personne humaine et le bien commun. Il en résultera, mais seulement comme une conséquence, que nous sauverons les phoques et même les pandas, les eaux souterraines et l’air que nous respirons. Seule l’écologie humaine peut vraiment résoudre les problèmes de l’écologie de l’environnement.

Mgr Crepaldi trouve la source de sa loi de « l’obtention indirecte » dans l’Évangile : « Cherchez en premier le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).


[1]. Centisemus annus, n. 38

[2] source: Mgr Crepaldi  "Culture environnementale et responsabilité humaine" (2007 - Editions Cantagalli -chapitre V)

[3] Question peut-être posée aux plus frileux d’entre nous ?

[4] Question peut-être posée aux plus hardis d’entre nous ?

[5]. Ecologia Ambientale ed ecologia umana – Cultura del’ambiente e responsabilità dell’uomo, Ed. Cantagalli, Verone, 2007.