Le site de l’Église Catholique de France a ouvert la page d’un département piloté par Helena Lasida intitulée "Écologie et société". Il s’agit d’une mission du Service National Famille et Société de la Conférence des évêques de France.  Il annonce la mise en chantier, d’un projet de label «paroisse verte», dont les fiches sont déjà publiées par Pax-Christi,. Un "collectif (sic) Mois de la Création" sera lancé et sera constitué un "réseau (sic) de référents (sic) diocésains à l’écologie», associé à la création des services civiques qui pourraient "aider le travail de sensibilisation (sic) et de mise en place des projets écologiques dans les paroisses...".

Ne retrouve-t-on pas ici le discours appuyant les tactiques classiques d'immersion des mouvements de subversion ?

Dans quelle mesure la théologie de la libération n’est-elle pas en train de renaître avec l’écologie ? Un de ses fondateurs, Leonardo Boff évoquait en 2012 une "Écologie de la Libération[1].

Un dissident roumain, Radu Portocala en 2003, a analysé les risques d’un retour du communisme sous un autre nom : "l’avenir ne surgit jamais du néant, mais il est une sorte de projection du passé, dont il porte les traces". Il explique que "l’utopie redevient légitime et l’on peut, en son nom, recommencer à organiser l’avenir […] Si un jour le communisme déferle de nouveau sur le monde, son point de départ ne pourra être, cette fois-là, qu’ici, en Occident[2].

Il ne s’agit pas ici d’ajouter une peur à une autre. L’écologie joue déjà du "catastrophisme éclairé". Ne retombons pas dans la vieille lune qu’était la peur du communisme. Essayons d’analyser paisiblement les choses. Nous partirons de l’instruction "libertatis nuntius" publiée en 1984 par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Elle a été très claire sur la théologie de la libération. Le texte mettait en garde sur les « emprunts que nombre de "théologiens de la libération" font à des auteurs marxistes » (LN § VII-6) et sur ce qui a "conduit certains chrétiens...  à se tourner vers ce qu'ils appellent l'analyse marxiste" (LN § VII-1). Peut-on parler de la même manière des emprunts de l’écologie politique au marxisme ? Quels sont les risques de syncrétismes écologiques dans l’Église ?

Source : Instruction "Libertatis nunitius"

Analyse "les2ailes.com"

1- Peut-on parler d’une nouvelle "Éco-théologie de la libération" ?

2- L’écologie moderne a-t-elle des fondements marxistes ?

2.1- Le matérialisme marxiste qualifié de "scientifique"

2.2- La dialectique marxiste

a) La lutte des classes

b) La théorie des limites

c) La théorie des externalités

2.3- La vision totalisante du marxisme

2.4- La vision marxiste de l’histoire

2.5- Le progressisme marxiste présenté comme modèle d’espérance

3- Conclusion

3.1- Le marxisme sous-jacent d'autres idéologies ?

3.2- Quelle théologie ?

3.3- Est-il besoin d'un "label jaune et blanc" de la nouvelle évangélisation ?

3.4- Le royaume de Dieu, commencé ici-bas en l'Eglise du Christ, n'est pas de ce monde.

 


 

1- Peut-on parler d’une nouvelle "Éco-théologie de la libération" [3] ?

Leonardo Boff, cofondateur de la théologie de la Libération dit : « La théologie de la libération est née du cri des pauvres, et maintenant c’est aussi le cri de la terre qui émeut. Tant que les pauvres continueront à crier et la terre à gémir, sous la houlette du productivisme et du consumérisme, il y aura mille raisons pour avoir une interprétation libératrice et révolutionnaire des Évangiles. La théologie de la libération est la réponse à une réalité injuste ...» [4]. On verra qu’il ne faut pas confondre l’insistance du pape à dénoncer la pauvreté et l’appartenance à la théologie de la libération.

D’ailleurs, le philosophe brésilien Luiz Felipe Pondé en 2013 reconnait que « la théologie de la libération a commis des erreurs.... Tout d’abord, son association avec le marxisme et ses liens avec l’appareil partisan de gauche. Ensuite, sa concentration quasi exclusive sur le prolétariat, laissant de côté le reste du "peuple de Dieu". En effet, le marxisme interprète l’histoire en termes de lutte des classes, alors que le christianisme est censé promouvoir une voie de salut pour tous. Ceci mène finalement, toujours selon Pondé, à un mouvement religieux séculier qui aurait pu devenir non-confessionnel, en faisant du Christ un libertador, au même titre qu’un Bolivar ».

Le mexicain, Luis  Martínez Andrade, dit lui aussi que dans la théologie de la libération, "le pauvre fut la figure préférentielle de cette théologie [et] désormais c'est la victime –au sens benjaminien du terme– qui constitue le sujet central de son locus. La victime se dédouble entre le pauvre d´une part et la nature de l´autre, tous deux ruinés par la grande industrie et l'agriculture extensive; d’où la nécessité de repenser la lutte à partir des victimes du système hégémonique[5].

 

2- L’écologie moderne a-t-elle des fondements marxistes ?

2.1- Le matérialisme marxiste qualifié de "scientifique"

Dans le marxisme, le matérialisme est un ordre existant des choses qui permet une connaissance critique du réel.
Le matérialisme est une position postulant que la vie de l’esprit est tout à la fois produite et déterminée par la matière, c’est à dire, pour l’essentiel, par la nature et par l’histoire.... Au delà de ce matérialisme historico-sociologique en existe un second, le matérialisme naturaliste qui inspire l'écologie en allant encore plus loin que le 1er avec l'affirmation que c’est notre infrastructure génétique, notamment neurale, qui détermine ce que nous sommes. Il s’agit d’un matérialisme biologique hérité de Darwin.

L’ordre matérialiste des choses conduit Marx à établir un principe d’égalité entre les hommes, base de l’antiracisme qui doit établir le rapport des humains entre eux. Les verts ajoutent un principe d’égalité des espèces entre elles qui fonde l’anti-spécisme écologique : les hommes n’ont pas de place privilégiée face a nature. Là où Marx disait que "la nature est le corps inorganique de l’homme" (Manuscrits de 1844), les verts ajoutent que la nature est tout autant le corps inorganique de l’abeille ou de l’aigle royal.

Marx estimait que, “dans l’homme, la nature parvient à la conscience d’elle-même et s’unit à elle-même grâce à l’activité théorico-pratique de ce dernier”. On retrouve ici la philosophie de Lovelock, inspirateur des grandes ONG écologistes, qui affirme que "la nature a une âme". C’est ce que disait,  à Rio, Boutros Ghali, secrétaire général de l’ONU : "Pour les anciens, ... la Terre avait une âme : la retrouver, la ressusciter, telle est l'essence de Rio" [6]. Marx revendiquait le qualificatif de scientifique : son analyse se fondait sur l'économie classique de Smith et Ricardo pour ses démonstrations.

L’instruction "Libertatis nuntius", met en garde sur le fait que « le terme de "scientifique" exerce une fascination quasi mythique, et tout ce qui porte l'étiquette de scientifique n'est pas réellement scientifique pour autant. C'est pourquoi l'emprunt d'une méthode d'approche de la réalité doit être précédé d'un examen critique de nature épistémologique. Ce préalable examen critique fait défaut (LN, VII-4) ». Il ne suffit pas que le marxisme ait démontré les limites du capitalisme, pour justifier que certains chrétiens, conduits par « l'impatience et une volonté d'efficacité ... [et] désespérant de toute autre méthode, [se tournént] vers ce qu'ils appellent « l'analyse marxiste ». (VII- 1). Leur raisonnement était le suivant: « une situation intolérable et explosive exige une action efficace qui ne peut plus attendre. Une action efficace suppose une analyse scientifique des causes structurelles de la misère. Or le marxisme a mis au point les instruments d'une telle analyse. Il suffit donc de les appliquer à la situation » (LN, VII-2).

En écologie, la fascination scientifique joue également un effet fédérateur.

2.2- La dialectique marxiste

La dialectique marxiste est une dynamique de la pensée qui utilise la contradiction comme principe d’évolution du monde. La prétendue analyse du monde engendre la critique interne des réalités suscitant le renversement de l’économie politique. La dialectique marxiste met l’accent sur le fait que la théorie dépend de la pratique, et à son tour, sert la pratique.

Curieusement, le marxisme a parfaitement compris que la praxis marxiste et la justice sociale catholique présentent toutes deux un front uni dans leur défense des droits humains en combattant la pauvreté. Il y a là une belle opportunité pour le marxisme de faire naître et d’explorer des idées nouvelles pour aborder les maux économiques et sociaux qui frappent l’humanité. Car en définitive, un dénominateur commun tout à fait fondamental se trouve au cœur de ce syncrétisme particulier : la dignité humaine.

L’ instruction "Libertatis nuntius", montre que cette synergie trouve une limite majeure dans le fait que, dans le marxisme, "il n'y a de vérité, prétend-on, que dans et par la praxis partisane. La praxis, et la vérité qui en découle, sont praxis et vérité partisanes, parce que la structure fondamentale de l’histoire est marquée par la lutte des classes. Il y a donc une nécessité objective d’entrer dans la lutte des classes (qui est l’envers dialectique du rapport d’exploitation que l’on dénonce). La vérité est vérité de classe, – il n’y a de vérité que dans le combat de la classe révolutionnaire" (LN VIII- 4,5).

a) La lutte des classes

La lutte des classes est une théorie qui explique les enjeux et les tensions dans une société divisée en classes sociales, chacune luttant pour sa situation sociale et économique.La

logique de la dialectique des classes a étendu cette idée à l’écologie : celle de la lutte permanente des opprimés (la nature, les oiseaux, le peuple) contre les oppresseurs (les pays riches, les industriels, la finance), qui ne pourra se régler que par une révolution (l’écologisme, l’écologie humaine) afin d’aboutir au monde parfait (l’internationale, pour l’écologie politique, ou l’homme bien élevé, pour l’écologie humaine). On trouve ici une logique marxiste dans la dialectique écologique de la proie et du prédateur.

Dans ce contexte, la théologie de la libération a ouvert le concept d’ "église du peuple". Celui de "paroisse verte" entre dans la même dynamique.

L’instruction "Libertatis nuntius",  reconnait que les "théologies de la libération", ont eu " le mérite d'avoir remis en valeur les grands textes des prophètes et de l'Évangile sur la défense des pauvres". Laudato si dit la même chose des ONG écologistes : "Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, digne d’appréciation, et il a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience... [du] défi environnemental que nous vivons". (LS § 14).

Mais l’instruction "Libertatis nuntius" ajoute que les théologies de la libération « procèdent à un amalgame ruineux entre le pauvre de l'Écriture et le prolétariat de Marx. Par là le sens chrétien du pauvre est perverti et le combat pour les droits des pauvres se transforme en combat de classe dans la perspective idéologique de la lutte des classes. L'Église des pauvres signifie alors une Église de classe, qui a pris conscience des nécessités de la lutte révolutionnaire comme étape vers la libération et qui célèbre cette libération dans sa liturgie (§ IX- 10). Il faut faire une remarque analogue en ce qui concerne l'expression Église du peuple. Du point de vue pastoral, on peut entendre par là des destinataires prioritaires de l'évangélisation, ceux vers qui, en vertu de leur condition, se porte d'abord l'amour pastoral de l'Église. On peut aussi se référer à l'Église comme « peuple de Dieu », c'est-à-dire comme le peuple de l'Alliance Nouvelle conclue dans le Christ. La lutte des classes comme chemin vers la société sans classes est un mythe qui empêche les réformes et aggrave la misère et les injustices. Ceux qui se laissent fasciner par ce mythe devraient réfléchir sur les expériences historiques amères auxquelles il a conduit. Ils comprendraient alors qu'il ne s'agit nullement d'abandonner une voie efficace de lutte en faveur des pauvres au profit d'un idéal qui serait sans effets. Il s'agit, au contraire, de se libérer d'un mirage pour s'appuyer sur l'Évangile et sa force de réalisation ». (§ IX -11).

Cet "amalgame ruineux" s’illustre bien dans le concept d’ "empreinte écologique" justifiant la "décroissance". Or ce modèle proposé pour les pays les plus pauvres est un chemin qui ne fera qu’aggraver la misère et les injustices.

b) La théorie des limites

Le marxisme représente le monde entre deux activités idéales, l’une limitée, et l’autre, dépassant la limite. "Dépasser la limite", cela veut dire "se représenter autre chose".

Le schéma ci-contre illustre comment la théorie des limites de l'action humaine donne la clé de l'art politique. L'humanité marche par une impulsion propre.

Pour Marx, l'augmentation de la plus-value par rapport au capital connaît nécessairement des limites, ne serait-ce que la limite physique.

Le capital s’identifie à la tendance à l’extraction maximum, sans limite, de "surtravail". C’est précisément cette tendance à la maximisation du "surtravail" qui conduit à la concrétisation, tôt ou tard, d’une limite du capital posée par le capital lui-même : limite qu’incarne, relativement à la demande, la crise générale.

L’écologisme s’inspire de cette théorie : l’accumulation et la croissance ne peuvent pas être universalisés car nous vivons dans un monde fini. Par conséquent, au-delà d’un certain point difficile à déterminer, ce que les uns consomment pour leur autonomie ou leur liberté empêche la liberté et l’autonomie des autres. Il y a violence, impossible de soutenir la croissance infinie et de rester humaniste ! Les droits de la Nature sont un élément nécessaire des droits de l’Homme.... L’écologisme fait de la nature la source d’une régénération sociale. Il réhabilite le rôle de la vertu, au sens d’une rationalité permettant de générer l’autorégulation de la société civile sans faire appel ni à l’économie, ni aux Eglises. Il y a une dynamique entre l’humanité et son environnement pour en souligner son insoutenabilité.

L’écologisme cherche à fonder un nouvel universel, qui le conduit à déconstruire la "modernité occidentale" actuelle. Ainsi, le concept onusien de "limites planétaires" parait scientifiquement fondé, mais cette objection écologiste est d’ordre complètement empirique : la limite d’émission de CO2 pour peser sur les changements climatiques ne résiste pas à une "détection et attribution" bien conduite. De même l’acidité des océans est l’objet d’une « hétérogénéité géographique [trop] importante pour pouvoir suivre la nature des limites pour les océans du monde ». Quant au  concept de biodiversité, l’indice de PSV "variabilité phylogénétique des espèces" les experts reconnaissent que les "données ne sont pas disponibles". Les experts écologistes reconnaissent que la détection d'effet et les probabilités d’attribution à des causes sont des analyses "subjectives" fondées sur des "degrés de croyance" et "non sur des probabilités calculées".

Il n’empêche que la fascination pseudo-scientifique joue et que certains chrétiens, jugeant que la planète est dans une situation de crise "exigent une action efficace qui ne peut plus attendre". Ils prétendent que la science a proposé des solutions correctives "et qu’il suffit donc de les appliquer à la situation". C’est au nom de cette théorie que l'écologie revendique un abord concret des problèmes, un changement de paradigme, un penser global, un agir local basé sur des modèles d’action. Le label de "paroisses vertes" entre dans cet agir sans aucune remise en cause des fondements scientifiques.

Cette théorie des limites ne veut signifie pas grand chose si on ne parle pas de "limite selon quoi".

Cela conduit à toutes sortes de sophismes. Aristote voyait en toute réalité un potentiel de "perfection", "la puissance", et un surcroît de perfection, l’ "acte". Le concept de limite n’est que la "négation de cette réalité" : Un marbre n’est pas un arbre ! Dire que les arbres ne montent pas au ciel n’a rien de nouveau. Cela est enfantin et infantilisant.

L’homme a le devoir de sans cesse augmenter le perfectionnement du passage de la puissance à l’acte. Cet appel à l’infini se réalise dans la réalité humaine elle-même qui est appelée à la divinisation. C’est pourquoi un chrétien préférera, au concept d’ "assumer ses limites", celui d’ "accepter ses vulnérabilités" terrestres, celles que le Christ a endossées jusqu’à la mort sur la croix.

c) La théorie des externalités

Pour le marxisme, le  travailleur est en lui-même une externalité affectée. La loi économique "du prix unique" place les travailleurs dans un désavantage structurel. Le profit est le prix du "rien" acheté à un capitaliste ! Il faut donner de la valeur au "rien". Le refus marxiste de la marchandisation du travail s’est étendu, avec l'écologie, au rejet de la privatisation du vivant. Les deux refus résultent d’une même contradiction interne au mode de production capitaliste et ils ne peuvent donc être séparés : "sans l’exploitation de la nature, celle du travail n’aurait pas eu de support matériel, et sans l’exploitation du travail, celle de la nature n’aurait pu s’étendre et se généraliser ; il s’ensuit que la crise sociale et la crise écologique  sont les deux facettes d’une même réalité" [7]

L’écologie politique n’est pas née du néant. Elle hérite de près de deux siècles de luttes sociales « contre l’exploitation et l’aliénation ».

Mais l’ instruction "Libertatis nuntius" souligne le caractère simpliste de ces dialectiques : « L'application à la réalité économique, sociale, et politique d'aujourd'hui » -on pourrait ajouter la réalité écologique-  « de schémas d'interprétation empruntés au courant de pensée marxiste peut présenter à première vue une certaine vraisemblance dans la mesure où la situation de certains pays offre quelques analogies avec celle que Marx a décrite et interprétée, au milieu du siècle passé. Sur la base de ces analogies, on opère des simplifications qui, faisant abstraction de facteurs essentiels spécifiques, empêchent en fait une analyse vraiment rigoureuse des causes de la misère, et entretiennent les confusions ». (LN § VII-11)

2.3- La vision totalisante du  marxisme

L’instruction "Libertatis nuncius" souligne bien le caractère holistique du marxisme : "la pensée de Marx constitue une conception totalisante du monde dans laquelle de nombreuses données d'observation et d'analyse descriptive sont intégrées dans une structure philosophico-idéologique, qui commande la signification et l'importance relative qu'on leur reconnaît. Les a priori idéologiques sont présupposés à la lecture de la réalité sociale. Ainsi, la dissociation des éléments hétérogènes qui composent cet amalgame épistémologiquement hybride devient impossible, de sorte qu'en croyant n'accepter que ce qui se présente comme une analyse, on est entraîné à accepter en même temps l'idéologie". (VII- 6)

Or l’écologisme, lui aussi, « comme le structuralisme, est une pensée holiste qui part de la totalité pour comprendre l'individu dans sa position relative (complémentarité et diversité) au sein de champs qui ne sont que partiellement autonomes, mais conformément à la théorie évolutionniste, l'écologie considère un processus vivant et "dialectique" d'apprentissage et de régulation, lutte sans fin contre l'entropie qu'illustrent les cycles de la vie : de la graine à la fleur, cycle des saisons et des générations ou cycle du carbone... Il y a bien sûr des totalités objectives comme la totalité planétaire et un dérèglement du climat qui ne se divise pas » [8].

L’holisme bio-centrique de l’écologisme voit le monde comme un ensemble interdépendant d’éléments où la valeur première est la vie mais il fait ressortir l’égalité de toutes les formes du vivant, plantes, animaux, sans parler des astres. Il apporte une vision qui veut anéantir toute forme d’anthropocentrisme des cultures occidentales.
Le discours écologiste est celui, très marxiste, d’une "totalité société-nature", un système où tout y retentit sur tout. Comme tous les holismes, il projette une "vision du monde" à visée mondiale, qui englobe la vie quotidienne dans ses aspects les plus triviaux, tels que la nourriture et les transports individuels, jusqu'aux problèmes de la planète tout entière. C’est malheureusement, ces aspects triviaux que met en avant le « label Paroisses vertes ».

Soulignons, enfin, que là où le marxisme énonce le primat des "Droits du peuple", ce sont les "Droits de la Nature" qui deviennent premiers dans la pensée écologique.

Cette vision marxiste totalisante n’a rien à voir avec la théologie de la relation que le Pape François a développée dans Laudato si et qu’il a énoncé dans un slogan « Tout est lié ». Cette théologie de la relation souligne le caractère trinitaire de toutes les réalités de la création : "toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire" (LS § 239). C’est dans saint Thomas d’Aquin que le pape trouvait cette grille de lecture : il faut "essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire ... Le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations" (LS § 239-240).
La vision matérialiste de l'écologie prive l'homme d'une dimension essentielle, celle de la relation avec Dieu: "L’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché" (Laudato si § 66)...Si j'oublie cette relation à Dieu, "je détruis une relation globale, je détruis "ma relation intérieure avec moi même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre" (LS § 70).Le pape insiste fortement:  "Il ne peut pas exister de "relation avec l’environnement isolée de la relation avec les autres personnes et avec Dieu. Ce serait un individualisme romantique, déguisé en beauté écologique, et un enfermement asphyxiant dans l’immanence" (LS § 119).

L’instruction "Libertatis nuncius" n’est pas dupe du danger de la conception totalisante telle qu’elle est conçue par le marxisme qui « impose ainsi sa logique et entraîne les "théologies de la libération" à accepter un ensemble de positions incompatibles avec la vision chrétienne de l'homme. En effet, le noyau idéologique, emprunté au marxisme, auquel on se réfère, exerce la fonction d'un principe déterminant. Ce rôle lui est imparti en vertu de la qualification de scientifique, c'est-à-dire de nécessairement vrai, qui lui est attribuée » (LN § VIII-1). Une réflexion approfondie mériterait d’être développée autour des nouvelles "théologies de la création" qui se développent sur l’exégèse de la Genèse, mais sans intégrer la théologie de la "seconde création", celle de Pâques. Sans elle, le risque existe d’ "un rêve de retour au paradis perdu" (JP2), alors que Pâques nous oblige à la conversion du regard vers la "Terre nouvelle", celle du royaume de justice et de vérité.

2.4- La vision marxiste de l’histoire

L’historicisme marxiste est une façon de raconter l’histoire elle-même.  On y trouve la conviction qu’une forme particulière de l’ordre des choses nous mène si près de la catastrophe que "le grand changement" s’impose : la révolution.  La grande forme qu’il s’agit d’abattre, le marxisme l’appela "capitalisme". Avec l’écologisme, ce qu’il faut abattre, c’est le "productivisme" qui joue exactement le rôle du "capitalisme" chez les rouges. Le "grand changement" écologiste prend le vocable de "changement de paradigme" !

L’instruction "Libertatis nunucius" analyse bien cette vision de l’histoire : « Dans cette conception, la lutte des classes est le moteur de l'histoire. L'histoire devient ainsi une notion centrale. On affirmera que Dieu se fait histoire. On ajoutera qu'il n'y a qu'une seule histoire, dans laquelle il ne faut plus distinguer entre histoire du salut et histoire profane. Maintenir la distinction serait tomber dans le "dualisme". Semblables affirmations reflètent un immanentisme historiciste. On tend par là à identifier le Royaume de Dieu et son devenir au mouvement de libération humaine et à faire de l'histoire elle-même le sujet de son propre développement comme processus, à travers la lutte des classes, de l'auto-rédemption de l'homme. Cette identification est en opposition à la foi de l'Église, telle que l'a rappelée le Concile Vatican II [9]. Dans cette ligne, certains vont jusqu'à identifier, à la limite, Dieu lui-même et l'histoire, et à définir la foi comme "fidélité à l'histoire", ce qui signifie fidélité engagée dans une pratique politique conforme à la conception du devenir de l'humanité conçu dans le sens d'un messianisme purement temporel. En conséquence, la foi, l'espérance et la charité reçoivent un nouveau contenu: elles sont "fidélité à l'histoire", "confiance dans le futur", "option pour les pauvres". Autant dire qu'elles sont niées dans leur réalité théologale » (LN § IX-3,4,5).

2.5- Le progressisme marxiste présenté comme modèle d’espérance

Le marxisme prend le parti des dominés contre les dominants pour justifier une prise de pouvoir temporel. La dynamique criminelle de la révolution avec ses ressorts de terreur et de "dénonciation des crimes" est devenue un contre exemple. Le communisme moderne qui a suivi, était  la réponse aux limites de la révolution française. Mais, avec la chute du mur de Berlin, l’écologie post-moderne a pris le relais pour répondre à la tragédie du communisme. Là où le communisme s’opposait à ce qui transforme les humains en rouage d’une machinerie, l’écologisme s’oppose  à ce qui met la nature au service de l’homme et justifie le projet d’un nouveau modèle de développement, le "développement soutenable".

La différence réside dans le renoncement de l’écologisme à une prise de pouvoir temporel. Il privilégie une prise de pouvoir culturel pour développer une "Révolution moléculaire" et une "Écologie mentale", comme les appelle Félix Guattari, avec de multitudes de microcoupures. Mais, en arrière se cache une dynamique totalitaire, celle d’une gouvernance mondiale jouant de peurs apocalyptique.

Cette vision marxiste de l’écologie développe une véritable « crise de l’écologie spirituelle  [qui] se traduit par une perte du sens de l’histoire. On oublie que "le monde lui-même sera sauvé", et que Dieu intervient dans une "histoire sainte" ». (Mgr Rey).

 

3- Conclusion

3.1- Le marxisme sous-jacent d'autres idéologies?

On dira volontiers que ces concepts d'écologie de la libération sont anecdotiques. Tout cela est-il vraiment grave ? 

Quand le dissident roumain, Radu Portocala annonce le retour du communisme sous un autre nom, il ne se trompe pas. Derrière l'écologie de la libération arrive déjà le multiculturalisme mondial! Dans le multiculturalisme, on retrouve la dialectique de classes: le minoritaire est chargé de révéler les injustices et les discriminations dont le fait majoritaire est coupable, à cause de son conservatisme culturel. Le canadien Mathieu Bock-Coté explique que "le multiculturalisme repose sur l’inversion du devoir d’intégration. C’est la société d’accueil qui doit désormais se transformer pour accommoder la diversité... il ne s’agit plus seulement de s’ouvrir à l’autre, mais de devenir l’autre, de se fondre en lui pour montrer qu’on l’accepte. C’est ce qui arrive dans un pays qui a renoncé à sa propre substance identitaire et historique... Il ne faut même plus accueillir l’autre en assumant les mœurs du pays: il faut se dissoudre dans l’autre pour ne pas avoir le sentiment de le dominer".
Dès lors, pour éradiquer l'esclavagisme dont seraient victimes les minorités, il faut disqualifier les religions qui sont qualifiées de fondamentalistes. Les lendemains qui chantent consistent à fondre les religions dans une religion multiculturelle unique mondiale et consensuelle.

3.2- Quelle théologie ?

L’instruction "Libertatis nuncius"  pose la question de la compatibilité de la théologie et de ces théologies: "D'un point de vue descriptif, il convient de parler des théologies de la libération, car ces expressions recouvrent des positions théologiques, ou parfois même idéologiques, non seulement différentes, mais encore souvent incompatibles entre elles" (LN, VI-6).

Mais peut-on parler de théologies au pluriel. Bernard Sesboué est sceptique:  « Il faut remarquer que l’expression "théologie de la libération" n’entend pas indiquer un nouveau secteur de la théologie devenu à l’ordre du jour, comme on a pu parler de la théologie du travail, de la théologie des réalités terrestres, ou même de la "théologie de la création". Ce dont il s’agit, c’est de la totalité de la théologie chrétienne, en tant qu’elle est, en son coeur, une théologie du salut » [10].

Mgr Batut a raison de mettre en garde : « Dans la multitude des prises de parole sur l’écologie, il nous faut commencer par nous demander où est le lieu propre de notre prise de parole : il convient, ici comme ailleurs, de se garder de reprendre les thématiques de l’écologie sans opérer d’abord un discernement chrétien. Il y a une vérité dans l’affirmation de Drewermann "la nature n’est pas qu’un simple environnement humain": l’erreur serait d’en déduire que l’homme n’est "qu’une partie de la nature" une simple "poussière d’étoiles" (H. Reeves), alors que dans le Christ il est assimilé au Fils "héritier de toutes choses" (He 1, 2). Entre l’attitude prométhéenne consistant à nous faire "comme maîtres et possesseurs de la nature" (Descartes) et le nihilisme qui voit dans l’homme un prédateur à éliminer d’urgence, la vraie posture chrétienne est celle de l’espérance en Celui qui nous a voulus "un peu moindre qu’un dieu, [nous] couronnant de gloire et d’honneur" (psaume 8). »

C'est toute la question du "lieu théologique" qui est posé, c’est-à-dire la perspective au départ de laquelle se construit le discours sur Dieu. On peut prendre comme point de départ la situation des opprimés, ou celle de l’environnement planétaire. On peut imaginer qu’un Dieu d’amour ne peut exister avec l’injustice, l’exploitation, la guerre ou les pollutions. Il s’agit d’une théologie qui ne se demande pas si Dieu existe. Mais où  se trouve-t-il donc ? On en arrive alors, très rapidement, à considérer que ce sont les réalités de luttes sociales ou de l’engagement des chrétiens en faveur de la justice et de l’écologie qui forment la base de l’élaboration de la pensée et du discours.

3.3- Est-il besoin d'un "label jaune et blanc" de la nouvelle évangélisation ?

Le concept de "paroisses vertes" enferme le chrétien dans un primat du "faire". Or,comme l’a dit Benoit XVI : "aucune structuration positive du monde ne peut réussir là où les âmes restent à l'état sauvage". (Encyclique Spe salvi § 15).
Une véritable infiltration des esprits accompagne l'idée de "label paroisse verte". Le vocabulaire de "collectif", de "réseau" de "référents diocésains à l’écologie" fait penser au maillage des "agents de changements" ou "agents de consensus" s'infiltrant dans toute la culture et maintenant dans les paroisses. Ces référents deviennent les nouveaux clercs d'un nouveau salut, l'écologie. Qu’importe le changement pourvu qu’on ait l’agent ! Il y a une forme de terrorisme messianique dans cette démarche. Il s’agit d’une véritable prédication idéologique sous des apparences scientifiques qui, hélas, ne sont fondées que pour amener les esprits à un "changement de paradigme, celui du malthusianisme et de la gouvernance mondiale.

Le pape a appelé à une "conversion écologique", mais d'aucuns préfèrent la "conversion à l'écologie"! A cette fin, les "formation des référents" se multiplient au sein de Pax-Christi. Au programme, on prévoit "travailler le convenu", "comment parler" ou "accompagner l'émergence de groupes mobilisés..." qui deviendront "relais de la prise de conscience écologique et sociale dans les Eglises" afin d' "aider à la conversion des pratiques".
Ce concept de réseau de "référents" fait penser aux "gardiens de la révolution" sous d'autres cieux. Ils sont en charge de la "police de la pensée" pour veiller à l'orthodoxie de la doctrine écologique. Tout regard pluriel dans les réunions de pastorale est interdit et doit être dénoncé. Après les "gardes rouges", arrivent les "gardes verts"!  Ils interviennent dans les paroisses avec arrogance et colère dès que quelqu'un s'exprime différemment.

Famille chrétienne annonçait en juin 2016 que deux jeunes, Agathe et JB Bonavia, se lançaient dans un véritable « road trip » de NY à San Francisco. Leur but est d’étudier les méthodes d’évangélisation des paroisses et des mouvements chrétiens pour les importer en France [11]. Ils ont deviné la vraie urgence de l’église.
De l'urgence d'ancrer nos paroisses dans l'urgence d'une nouvelle évangélisation. Point besoin pour cela d'un "label jaune et blanc" aux couleurs du Vatican. Pourtant, même au plan social, on pourrait pourtant dire que "l'évangélisation est une priorité économique".

3.4- Le royaume de Dieu, commencé ici-bas en l'Eglise du Christ, n'est pas de ce monde.

En conclusion, il faut méditer l’instruction "Libertatis nuncius" se termine par cette conclusion : « Les paroles de Paul VI, dans la Profession de foi du peuple de Dieu, expriment avec une pleine clarté la foi de l'Église, dont on ne saurait s'écarter sans provoquer, avec la ruine spirituelle, de nouvelles misères et de nouvelles servitudes. "Nous confessons que le Royaume de Dieu commencé ici-bas en l'Église du Christ n'est pas de ce monde, dont la figure passe, et que sa croissance propre ne peut se confondre avec le progrès de la civilisation, de la science ou de la technique humaines, mais qu'elle consiste à connaître toujours plus profondément les insondables richesses du Christ, à espérer toujours plus fortement les biens éternels, à répondre toujours plus ardemment à l'amour de Dieu, à dispenser toujours plus largement la grâce et la sainteté parmi les hommes. Mais c'est ce même amour qui porte l'Église à se soucier constamment du vrai bien temporel des hommes. Ne cessant de rappeler à ses enfants qu'ils n'ont pas ici-bas de demeure permanente, elle les presse aussi de contribuer, chacun selon sa vocation et ses moyens, au bien de leur cité terrestre, de promouvoir la justice, la paix et la fraternité entre les hommes, de prodiguer leur aide à leurs frères, surtout aux plus pauvres et aux plus malheureux. L'intense sollicitude de l'Église, épouse du Christ, pour les nécessités des hommes, leurs joies et leurs espoirs, leurs efforts, n'est donc rien d'autre que son grand désir de leur être présente pour les illuminer de la lumière du Christ et les rassembler tous en lui, leur unique Sauveur. Elle ne peut signifier jamais que l'Église se conforme elle-même aux choses de ce monde ni que diminue l'ardeur de l'attente de son Seigneur et du Royaume éternel" [12] ».

 


 

[1] Extrait de : "Les 40 ans de la théologie de la libération", dans Golias Magazine, n°142, janvier-février 2012, pp. 93-103. Leonardo Boff ajoute que cette « écologie de la libération va s'ajouter à toutes les autres initiatives en faveur d'une nouveau paradigme de relations avec la nature, avec un type différent de production et avec des formes plus sobres et solidaires de consommation ».
L'expression a été reprise par Pascal Acot, dans "Histoire de l'écologie" (Presses universitaires de France (Paris), 1988)

[2] Radu Portocla, Interview, Liberté Politique, 2003, http://www.libertepolitique.com/les-extraits-de-la-revue-liberte-politique/4500.
Pourquoi cette crainte de Radu Portocla,  de voir revenir le communisme sous un autre nom ? Parce que, dit Radu Portocola, « l’homme nouveau qu’il veut produire […] est un monstre dépourvu de conscience qui représente un danger mortel pour le monde. La société qu’il veut construire est une geôle effrayante ».
Radu Portocla a été confronté au système communiste et sait de quoi il parle :
-  Le grand-père de Radu Portocla a été, entre les deux guerres, une figure marquante du Parti libéral roumain. Il a été maire de Braïla (important port sur le Danube) et député. Entre 1937 et 1940, il a été ministre dans trois gouvernements libéraux. Arrêté par le pouvoir communiste en 1950, il est mort sous la torture.
-  Le père de Radu Portocla, médecin, éminent chercheur dans le domaine de la virologie, a passé deux ans dans des camps de travaux forcés (1952-1954) en tant que "fils d’ancien dignitaire" et a été interdit d’enseignement jusqu’à la fin de ses jours.
-  Radu Portocla, lui-même, a subi sa première filature à l’âge de 16 ans. Après dix ans de tracasseries incessantes, il a fait l’objet, en 1977, d’une enquête pour "haute trahison" menée par la Securitate. Il a été sauvé par le gouvernement grec qui a fait de très importantes pressions sur les autorités roumaines pour qu’on lui permette de partir en exil avec les membres de sa famille proche.

[3] Expression citée par Rafael Diaz Salazar pour la revue mexicaine « Papeles de relaciones ecosociales y cambio global », n°125, 2014.

[4] Cité par Ruggero Gambacurta-Scopello

[5] « Écologie et Libération » de Luis Martínez Andrade, doctorant en sociologie, EHESS/Université autonome de Puebla, Mexique

[6] Boutros-Ghali, Conférence de Rio, op. cit., A/CONF.151/26, vol. IV, p. 76.

[7] (cf P. Rousset [1994] et J.M. Harribey [1997])

[8] Jean Zin, militant altermondialiste et écologiste français :  (cf https://jeanzin.fr/ecorevo/politic/ecopo.htm)

[9] Cf. Lumen Gentium, n. 9-17.

[10] Bernard Sesboué, «Jésus Christ, l’unique médiateur - essai sur la rédemption et le Salut » (Desclée, 2nde édition 2003, p. 195)

[11] www.projet-credor.com (FC n° 2004, du 11/17 juin 2016, p.66)

[12] Paul VI, Profession de foi du peuple de Dieu, 30 juin 1968, AAS 60, 1968, pp. 443-444.