Lors de l'audience accordée aux Medias, Le Pape François avait expliqué pourquoi il avait choisi le nom de François, jugeant que François d'Assise était "l'homme des pauvres, l'homme de la paix et l'homme qui aime et garde la création". Mais de quelle création s'agit-il? Comment comprendre le mot "garder? Le pape François a consacré toute l'homélie de sa messe d'intronisation au thème de "Garder la création".
A ne pas répondre correctement à ces questions, on risquerait de laisser des sensibilités écologistes croire que le Pape est favorable à un retour au Paradis perdu, celui que nous n'aurions pas "gardé en l'état". 
Comment comprendre cette mission que nous avons de "cultiver et garder la création" comme le demande la Genèse?

Source: Homélie du Pape François du 19.3.2013

Commentaire "les2ailes.com"

 "Soumettez-la!"
Dieu donne un ordre: « Soumettez-la ». C’est un ordre au double sens de l’ordre-impératif et de l’ordre-des-choses. Cela peut mettre mal à l’aise les chrétiens: jusqu’où aller en matière de domination de la nature ?  Une chose est sûre: l’homme doit soumettre la matière et la vie animale ou végétale et non l’inverse ! Ce n’est pas la matière qui doit dominer l’homme !
Ensuite, Dieu confie cette création à l’homme en lui donnant un second ordre: « Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre » (Genn 1, 28).
Là aussi, nous ressentons un malaise ! Jusqu’où aller en matière de "remplissage" de la terre ? Dieu n’aimera-t-il pas autant les 2 milliards d’hommes supplémentaires attendus d’ici 2050, autant que les 7 milliards actuels ? Dirait-il: « Non ! Ces 2 milliards là, je n’en voulais pas. Ils sont devenus fous ! ».

"Cultivez-la et gardez-la!"
Et puis, il y a un troisième malaise; c’est cette phrase reprise par certains courants écologistes chrétiens: « Yahvé Dieu prit l’homme et l’installa dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gen 2,15).
Certes, il faut prendre soin de la "maison" dans laquelle habite l’homme. Mais faut-il aller jusqu’à dire que la "cultivation", au sens anglais du mot, est une "pollution" ? La Genèse précise bien qu’il « n’y avait encore sur la terre aucun buisson des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol » (Gen 2-5). C’est ce qui fait dire à Rachi[1] que c’est parce qu’il n’y avait pas d’homme pour travailler le sol que le Seigneur ne faisait pas pleuvoir et « le Seigneur ne faisait pas pleuvoir car il n’y avait encore personne qui sache reconnaître les dons de Dieu ».

Le sens du mot "garder" dans la bible
Que veut dire "garder"? Garder en l’état, comme le disent les tenants de la décroissance et du retour au "paradis perdu" ? Ou n’est-ce pas "garder" le jardin au sens d’en être le "gardien", en particulier contre l’intrus, ce maudit serpent que l’homme n’aurait pas empêché de rentrer ? Cette vision, non plus, n’est probablement pas exacte, car, dans la Bible, le serpent n’incarne pas toujours le mal.
Une chose est certaine: dans la Bible, le mot « garder » n’a jamais signifié "conserver en l’état". De manière constante, la Bible utilise le même mot pour garder, observer, au sens d’« observer les commandements (Deut 6, 17), ou de « se garder de l’idolâtrie ». Le mot « garder » au sens de la Genèse entre dans la problématique du bien et du mal, non pas au sens moral, mais celui d’éviter le "tout et n’importe". Dans le deutéronome, le mot garder est également juxtaposé à celui de "observer et écouter" l’ordre donné par Dieu de cultiver (Deut 12, 28). Ainsi il s’agit d’une "mise en pratique" qui renvoie au mot "cultiver". En langue hébraïque, le superlatif n’existe pas et utilise ce type de juxtaposition pour amplifier l’importance d’un mot: "Croissez et multipliez" ! "Cultiver et garder".
D’ailleurs, le mot hébreux "jardin" de la Genèse a été traduit en grec par "Paradeisos" qui renvoie à la fois aux concepts de "parvis" et de "jardin clos". Dans les deux cas, il s’agit d’espaces qu’il faut "garder" contre la mort, contre les vents desséchants ou contre toute forme d’agression contre la vie. Le véritable sens du mot garder n’est donc pas celui que la vision écologiste veut lui donner, mais bien celle d’une dynamique, celle de cultiver, tout en "protégeant" la création contre le mal et la mort.
Tout le livre de la Genèse ne cherche pas à nous expliquer la création, mais est surtout une réflexion sur ce qu’est l’homme, son rapport au Créateur, son rapport au mal et sa responsabilité face à ce mal.

L'homélie du Pape François
C’est le sens qu’a retenu le Pape François, lors de sa messe d’intronisation. Il a consacré toute son homélie au sens qu’il donnait à l’expression "garder la création". Certes, a-t-il dit: « La vocation de garder… a une dimension …qui est simplement humaine,… de garder la création tout entière, la beauté de la création… Comme nous l’a montré saint François d’Assise: c’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons ». Mais, immédiatement après, le Pape François élargit ce qu’il entend, à la fois par "création" et par "garder". La création concerne "toute créature", mais d’abord l’homme: « C’est le fait de garder les gens, d’avoir soin de tous, de chaque personne, avec amour, spécialement des enfants, des personnes âgées, de celles qui sont plus fragiles et qui souvent sont dans la périphérie de notre cœur ». Quant au sens du mot garder, c’est celui de "prendre soin": « C’est d’avoir soin l’un de l’autre dans la famille: les époux se gardent réciproquement, puis comme parents ils prennent soin des enfants et avec le temps aussi les enfants deviennent gardiens des parents. C’est le fait de vivre avec sincérité les amitiés, qui sont une garde réciproque dans la confiance, dans le respect et dans le bien. Au fond, tout est confié à la garde de l’homme, et c’est une responsabilité qui nous concerne tous. Soyez des gardiens des dons de Dieu ! ». Le Pape François met ensuite en garde sur ce qu’il advient quand l’homme manque à cette responsabilité: « quand nous ne prenons pas soin de la création et des frères, alors la destruction trouve une place et le cœur s’endurcit. À chaque époque de l’histoire, malheureusement, il y a des "Hérode" qui trament des desseins de mort, détruisent et défigurent le visage de l’homme et de la femme…»[2].

Garder le chemin de l'arbre de vie!
Une autre méprise sur le sens du mot "garder le jardin" apparait encore plus clairement à la fin du texte de la Création: après en avoir chassé l’homme, le Seigneur « posta à l’orient du jardin d’Eden les chérubins… pour garder le chemin de l’arbre de vie » (Gen. 3, 24). Ce n’est pas le Jardin que Dieu veut garder en l’état et protéger. C’est le "chemin de l’arbre de vie" que les Chérubins sont chargés de "garder". L’iconographie nous montre les chérubins comme de gentils petits anges infantiles. Or l’archéologie nous enseigne que les kerûbîm, pluriel du terme hébreux kerûb, désignaient, en Mésopotamie, des êtres tétra-morphes avec une tête d’homme sur un corps avant de taureau et un arrière train de lion, le tout magnifiquement ailé[3]. Comment ne pas être fasciné de voir qu’il s’agit des quatre vivants décrits par Saint-Jean dans l’Apocalypse et repris comme les quatre symboles des évangélistes[4] ? Comme si le "chemin de l’arbre de vie" de la Genèse anticipait le chemin qui conduit à l’arbre de vie qu’est la croix du Christ révélée par les quatre évangélistes. Le chemin qui nous est montré n’est pas celui d’un retour au "jardin d’Eden" que Dieu nous garderait, mais bien celui vers une "Jérusalem céleste".

Conclusion
Ce à quoi nous sommes appelés n’est pas donc tant de "garder" le jardin en l’état, mais d’être les « "gardiens" de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement; ne permettons pas que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde ! Mais pour "garder" nous devons aussi avoir soin de nous-mêmes ! Rappelons-nous que la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie ! Garder veut dire alors veiller sur nos sentiments, sur notre cœur, parce que c’est de là que sortent les intentions bonnes et mauvaises: celles qui construisent et celles qui détruisent ! »[5]
Notre foi en la création ne nous appelle donc pas à recréer le paradis perdu. A vouloir récupérer la Genèse de façon inexacte, certains chrétiens risquent de faire le jeu des manipulations mises en place par l’idéologie écologiste.
Jean-Paul II était conscient de ces risques de manipulation quand, en 1990, il mettait en garde contre ce concept de "paradis perdu" que nous reprendrons souvent dans cet ouvrage: « L'éducation à la responsabilité écologique est donc nécessaire et urgente: responsabilité envers soi-même, responsabilité à l'égard des autres, responsabilité à l'égard de l'environnement. C'est une éducation qui ne peut être fondée simplement sur l'affectivité ou sur des velléités mal définies. Son objectif ne peut être ni idéologique ni politique, et sa conception ne peut s'appuyer sur le refus du monde moderne ou le désir vague d'un retour au "paradis perdu". La véritable éducation à la responsabilité suppose une conversion authentique dans la façon de penser et dans le comportement. Dans ce domaine, les Eglises et les autres institutions religieuses, les Organisations Gouvernementales et Non Gouvernementales, et aussi toutes les composantes de la société ont un rôle précis à remplir. Toutefois, la première éducatrice demeure la famille, dans laquelle l'enfant apprend à respecter son prochain et à aimer la nature ». Attention à l’exploitation d’une "affectivité mal définie" et aux stratégies idéologiques qui cherchent ainsi à faire naître un « désir vague d'un retour au "paradis perdu" ».


[1] Nom de Rabbi Schlomo Yitzaq, rabbin champenois de Troyes (1040-1105) qui fut un éminent commentateur du Talmud et un des rares savants juifs à avoir influencé le monde chrétien, son exégèse biblique ayant influencé la traduction de la Bible.

[2] Pape François – Homélie de sa messe d’intronisation le 19.3.2013

[3] Une magnifique sculpture a été trouvée en Samarie datant du VIIIe siècle. Elle est exposée au Musée d’Israël (Jérusalem).

[4] St-Jean a une vision de ces quatre animaux: « Autour du trône, quatre Vivants... Le premier Vivant est semblable à un lion, et le deuxième Vivant est semblable à un jeune taureau et le troisième Vivant a la face comme d’un homme et le quatrième Vivant est semblable à un aigle qui vole. Et les quatre Vivants, ont chacun d’eux six ailes… et ils n’ont de repo, jour et nuit, ils disent: Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, Celui-qui-était, et Celui-qui-est, et Celui-qui-vient!” » (Ap. 4, 6-8).
Pour Saint-Irénée, les quatre vivants caractérisent le Christ lui-même (source: Adversus Haereses III-11,8):
-   Le lion « caractérise la puissance, la prééminence et la royauté du Fils de Dieu »
-   « le jeune taureau …manifeste sa fonction de sacrificateur et de prêtre;
-   l’homme « évoque clairement Sa venue humaine »
-   « l’aigle …indique le don de l’Esprit volant sur l’Eglise ».
Pour St-Jérôme, les Évangiles seront eux aussi en accord avec ces quatre vivants sur lesquels siège le Christ Jésus (source: préface de sa traduction de la Vulgate):
-   Matthieu est représenté par l'homme parce qu’il commence son Evangile par la généalogie du Christ (Mt 1,1).
-   Luc est représenté par le taureau, animal du sacrifice pour l’allusion que l’évangéliste fait au sacrifice offert par Zacharie (Luc 1, 5);
-   Marc est désigné par le lion car dès les premières lignes de son récit, il nous parle de la voix qui crie dans le désert (Marc 1, 3).
-   Jean enfin, est figuré par l'aigle, car son texte nous place, dès le début, en face du Verbe, « vraie lumière » (Jean 1, 1-4). De plus, l’aigle est le seul animal  à  pouvoir regarder le soleil en face.

[5] Pape François – Homélie de sa messe d’intronisation le 19.3.2013