Lors du dernier Synode, le cardinal Jorge Mario BERGOGLIO déclarait: "L’évêque est celui qui veille, prend soin de l’espérance, en veillant pour son peuple. ...Veiller évoque le fait d’être attentif à ce qu’il y ait du soleil et de la lumière dans les cœurs. ...Veiller fait penser au soutien patient des processus à travers lesquels le Seigneur guide son peuple vers le Salut". Rendons grâce pour ce Pape qui veut nous guider vers le Salut.
Parallèlement, à peine élu, notre Saint-Père signifie son intention de rétablir un "dialogue avec la planète" (France Info - 13.3.2013)!
Nous nous proposons, ici, de commenter la manière dont Jean-Paul II a intronisé Saint-François d'Assise, "patron des cultivateurs de l'écologie",... et non "patron de l'écologie", comme on se plait à le dire. La nuance est importante. Nous complétons cette transcription par une analyse historique de Saint-François annonçant la parole divine aux oiseaux. 

Source: Bulle de Jean-Paul II du 29.11.1979

Commentaire "les2ailes.com"

1- Le texte exact de la bulle de Jean-Paul II

Jean-Paul II, en 1979, désigne Saint François d’Assise comme patron des "cultivateurs de l'écologie".
C’est dans une "bulle" que Jean-Paul II a ainsi consacré Saint-François d’Assise.
Notre site propose la traduction de ce texte qui n'existe qu'en latin et espagnol sur le site du Vatican:

BULA

INTER SANCTOS

PROCLAMACIÓN DE SAN FRANCISCO DE ASÍS
COMO PATRONO DE LA ECOLOGÍA

JUAN PABLO II,
para perpetua memoria.

BULLE

Pour faire mémoire perpétuelle :

Proclamation de Saint-François d’Assise, Saint patron,  parmi les saints, de l’ECOLOGIE

Jean Paul II

Entre los santos y los hombres ilustres que han tenido un singular culto por la naturaleza, como magnífico don hecho por Dios a la humanidad, se incluye justamente a San Francisco de Asís. El, en efecto, tuvo en gran aprecio todas las obras del Creador y, con inspiración casi sobrenatural, compuso aquel bellísimo "Cántico de las Criaturas", a través de las cuales, especialmente del hermano sol, la hermana luna y las estrellas, rindió al omnipotente y buen Señor la debida alabanza, gloria, honor y toda bendición.

Parmi  les saints et les hommes illustres qui ont eu un culte singulier à la nature, comme don  magnifique fait par le Dieu à l'humanité, il y a justement Saint-François d’Assise. Il a eu, en effet, en grande estime toutes les œuvres du Créateur et, ce qui l’a inspiré de façon presque surnaturelle, dans la composition de ce très beau "Cantique des Créatures", à travers lesquelles, il a rendu gloire, honneur et toute bénédiction à la bonté du Seigneur, et fait son éloge, spécialement à travers notre frère soleil, notre sœur la  lune et les étoiles.

Por eso, con loabilísima iniciativa, nuestro hermano, el cardenal Silvio Oddi, Prefecto de la Sagrada Congregación para el Clero, en nombre especialmente de los miembros de la Sociedad internacional Planning environmental and ecologycal Institute for quality life, ha expuesto a esta Sede Apostólica el deseo de que San Francisco de Asís sea proclamado celeste Patrono de los cultivadores de la ecología.

Ainsi, à l'initiative très louable de notre frère, le cardinal Silvio Oddi, le Préfet de la Congrégation Sacrée pour le Clergé, et surtout de celle des membres de la Société Internationale « Planning environmental and  ecologycal Institute for Quality Life », il a été exposé au Siège Apostolique le désir que Saint-François d’Assise soit déclaré le Patron céleste des cultivateurs de l'écologie.

Por tanto Nos, conocido el parecer de la Sagrada Congregación para los Sacramentos y el Culto Divino, por medio de estas nuestras Letras y a perpetuidad, proclamamos a San Francisco de Asís, celestial Patrono de los cultivadores de la ecología, con todos los honores y privilegios litúrgicos inherentes. No obstante cualquier norma en contrario. Así lo disponemos, ordenando que las presentes Letras sean religiosamente conservadas y logren, en el presente y en el futuro, su pleno efecto.

C'est pourquoi, nous portons à la connaissance de la Congrégation Sacrée pour les Sacrements et le Culte Divin, au moyen de ces Lettres et à perpétuité, notre proclamation de Saint François d’Assise, comme Patron céleste des cultivateurs de l'écologie, avec tous les honneurs et privilèges liturgiques inhérents, sauf en cas de normes contraires. Selon ces dispositions, nous ordonnons que les présentes Lettres soient religieusement conservées et obtiennent, dans le présent et dans l'avenir, son plein effet.

Dado en Roma, junto a San Pedro, bajo el anillo del Pescador, el día 29 de noviembre del año del Señor 1979, II de nuestro pontificado.
JOANNES PAULUS PP. II

Daté à Rome, près de Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 29 novembre de l'année 1979 de Notre Seigneur, Seconde de notre pontificat
JOANNES PAULUS. II, Pape

Une "bulle" à lire attentivement, en profondeur, et sans approximation

Paul VI avait déjà appelé, en 1979, la conférence sur l’environnement de Stockholm à méditer l’exemple de Saint-François d’Assise: « Comment ne pas rappeler ici l'exemple impérissable de saint François d'Assise …qui [offre] le témoignage d'une harmonie intérieure réalisés dans le cadre de la confiance dans la communion avec les rythmes et les lois de la nature? ». Paul VI insistait sur "l'harmonie intérieure" alors que l'écologisme nous appelle, trop souvent, à une forme paganiste "d'harmonie avec la nature"!

Dans sa "bulle", Jean-Paul II commence par cette phrase: « Parmi les saints et les hommes illustres qui ont eu un culte singulier à la nature, comme don magnifique fait par le Dieu à l'humanité, il y a justement Saint-François d’Assise ». On est loin d’un culte à une déesse Gaïa quelconque. Jean-Paul II appelle à rendre un culte au Créateur et au don qu’Il a fait à l’homme de la nature. La fraternité que nous avons avec le soleil, que Saint-François d’Assise nous propose comme modèle, ne relève pas d’une béatitude facile, mais bien d’une participation de tout l’univers à la Gloire du créateur. S’inspirer de ce grand saint ne consiste donc pas à aimer les étoiles et les animaux pour ce qu’ils sont, comme de très aimables réalités, mais à reconnaître, en premier lieu, notre nature commune de créature, hommes et cosmos entier, créés par le créateur.
Enfin, il est important de souligner que la "bulle" a déclaré Saint-François d’Assise « Patron céleste des cultivateurs de l'écologie ». Ce n’est pas l’écologie en elle-même qui est ainsi consacrée comme une valeur supérieure, mais plutôt le travail écologique. L’écologie a souvent tendance à mépriser l’impact du travail de l’homme sur la nature. Or c’est bien cette « cultivation » que Jean Paul II a mis en avant.

Le site de l’Eglise de France rapporte que Jean-Paul II évoquait « la volonté du Créateur de voir l’homme être en communion avec la nature et non en position d’exploiteur ou de destructeur ». Effectivement, quelques mois avant la publication de la "Bulle", Jean-Paul II parlait d’esclavage devant une réunion de savant: «... chaque déséquilibre écologique entraîne un dommage pour l’homme. Le savant ne traitera donc pas la nature comme une esclave mais en s’inspirant peut-être du Cantique des créatures de Saint François d’Assise, il la considérera plutôt comme une sœur appelée à coopérer avec lui pour ouvrir des voies nouvelles au progrès de l’humanité » .

Le thème de la fraternité avec la création et avec « notre frère soleil » est important dans la chrétienté. Pourquoi cette fraternité ? Jean-Paul II commente Saint-Paul: Nous sommes appelés, avec toute la création, à participer à la Gloire de Dieu: « Toute la création fut assujettie à la caducité [NDLR: c.a.d. au péché originel] et, depuis lors, elle attend mystérieusement sa libération pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 20-21). Les chrétiens professent que dans la mort et la résurrection du Christ s'est accomplie l'œuvre de la réconciliation de l'humanité avec le Père, qui "s'est plu ...par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col l, 19-20). La création a été ainsi renouvelée (cf. Ap 21, 5), et sur elle, qui était auparavant soumise à "l'esclavage" de la mort et de la corruption (cf. Rm 8,21), s'est répandue une vie nouvelle, tandis que "nous attendons de nouveaux cieux et une terre nouvelle où habitera la justice" (2 P 3, 13). Ainsi, le Père "nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu'Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ" » (Ep l, 9-10).

Il est bien dit « toutes choses » et pas seulement « tous les hommes ». Cette théologie va donc induire un devoir de respect de l’homme vis-à-vis de la création, sans toutefois oublier que, l’homme est la seule création voulue pour elle-même et à la ressemblance de Dieu, ce qui confère à l’homme une distinction de nature essentielle.

Jean-Paul II rappelait encore en 1990 cette vocation des choses créées à se joindre à l’homme pour rendre gloire à l’homme: « Le respect pour la vie et pour la dignité de la personne humaine comprend aussi le respect et le soin du créé qui est appelé à se joindre à l'homme pour rendre gloire à Dieu (cf. Ps 148 et 96). Saint François d'Assise, que j'ai proclamé, en 1979, patron céleste des écologistes donne aux chrétiens l'exemple d'un respect authentique et sans réserve pour l'intégrité de la création. Ami des pauvres, ami des créatures de Dieu, il les invita toutes, animaux, plantes, éléments de la nature, et aussi frère Soleil et sœur Lune, à honorer et à louer le Seigneur. ….Je souhaite que son inspiration nous aide à garder toujours vivant le sens de notre "fraternité" avec toutes les choses qui ont été créées bonnes et belles par Dieu tout puissant, et qu'elle nous rappelle le grave devoir de les respecter et de les préserver avec soin, dans le cadre de la fraternité humaine la plus large et la plus haute » .

Un appel à "l'écologie sociale"

Si la "bulle" parle de "cultivateur", c'est que Jean-Paul II voulait insister sur la dimension sociale de l'écologie.
Ce concept est défini dans le "Compendium", dans un chapitre consacré à l’initiative privée et à l’entreprise. « L'entreprise doit être une communauté solidaire qui n'est pas renfermée dans ses intérêts corporatifs; elle doit tendre à une "écologie sociale" du travail et contribuer au bien commun ». Quel sens donner à cette "écologie sociale"?
La famille est le premier écosystème au sens où il est l’environnement primordial de l’homme pour vivre, se nourrir et se reproduire. Mais ce concept doit être étendu au sens des relations interactives qui régissent ces espaces de vie. Il faut donc réfléchir aux interactions de l’homme avec son milieu, c'est-à-dire, le travail et à celles de l’homme avec les autres hommes eux-mêmes, c'est-à-dire la dimension sociale. Sans travail, ni solidarité sociale, sans souci du bien commun, il ne peut y avoir d’écologie sociale.

Jean-Paul II établit un lien étroit entre "écologie humaine" et "écologie sociale": « on s'engage trop peu dans la sauvegarde des conditions morales d'une "écologie humaine" authentique…, [et d’]une "écologie sociale" du travail ». Les valeurs économiques occidentales et l’approche marxiste du travail sont renvoyées dos à dos par Jean-Paul II: « L'expérience historique de l'Occident, de son côté, montre que, même si l'analyse marxiste de l'aliénation et ses fondements sont faux, l'aliénation avec la perte du sens authentique de l'existence est également une réalité dans les sociétés occidentales » .
« Peut-on dire que, après l'échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l'emporte … Est-ce ce modèle qu'il faut proposer aux pays du Tiers-Monde qui cherchent la voie du vrai progrès de leur économie et de leur société civile? La réponse est évidemment complexe….
- Si sous le nom de "capitalisme" on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d’"économie d'entreprise", ou d’"économie de marché", ou simplement d’"économie libre".
- Mais si par "capitalisme" on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative.
L'Eglise n'a pas de modèle à proposer » .

Ce rappel est important dans la mesure où certains chrétiens peuvent être tentés de mélanger, de bonne foi, une sensibilité écologique avec des sentiments altermondialistes ou anticapitalistes. Le propos est clair: "l’Eglise n’a pas de modèle à proposer" et il faut se méfier des amalgames quand on parle "d’écologie sociale".

Conclusion

Non, notre Saint Père François n'a pas choisi son nom pour entamer un "dialogue avec la planète" comme l'a prétendu une radio le jour même de l'élection du Pape François. Il faut au contraire s'attendre de Sa part, à une grande continuité avec la doctrine sociale de l'Eglise. Pour un chrétien, parler d'écologie, nécessite un long travail d'analyse des textes du magistère. L'écologie de Saint-François ne relève pas d'une sensiblerie vis à vis de la Nature.

2- Saint-François: des moineaux ou des corbeaux? 

Les diverses versions du fameux sermon de Saint-François au oiseaux seront une des scènes les plus représentées dans sa vie. Toutefois, un de ses contemporains, Thomas de Celano, écrivait: "Comme le Père François approchait de Bevagna, il rencontra, rassemblés par bandes entières, des oiseaux de tout genre: des ramiers, des corneilles et des freux. Sitôt qu'il les vit, il planta là ses compagnons sur la route et courut vers les oiseaux"[1].
Une traduction plus récente parle de "Colombes, de corneilles et d'autres qu'on appelle habituellement des moineaux" [2].
Dans un article[3], une franciscain Frère Patrice Kervyn  raconte que:

"on a cherché à identifier ces grands oiseaux sombres et pourtant dociles. Il rapporte que, en 1250, un chroniqueur anglais[4] avait représenté cet épisode qu'il situait directement après l'entrevue de François avec le pape Innocent III. Révolté par l'accueil du Pape et des romains, il aurait convoqué des oiseaux parmi les plus agressifs, qui rappellent les "oiseaux impurs et dégoûtants" de l'Apocalypse (Ap 19, 17-18), et leur aurait enseigné la bonne parole à la place des romains qui ne voulaient rien entendre. Dans un phylactère, le commentaire et la scène est explicite: "Saint-François, méprisé à Rome, jette la semence divine de sa prédication au peuple des oiseaux". ... 
Qu'il s'agisse de moineaux de pinsons, ou de corbeaux, le contexte est bien celui de l'annonce de la parole de Dieu.... François, dans une même attitude et accompagné des deux mêmes frères, s'adressera à un auditoire très différent, mais tout aussi attentif que les oiseaux: le Sultan et sa cour, qu'il était allé rencontrer à Damiette en 1219. La mise en parallèle des deux épisodes est une belle illustration de cette volonté qui était sienne "d'annoncer l'évangile à toute la création" (Mc 16,15), les musulmans symbolisant ses frères humains les plus éloignés, les oiseaux, le monde de ses frères les animaux".[3] 


[1] Thomas de Celano, "vie de saint-François", trad. de Théophile Desbonnets et Damien Vorreux, Paris, Ed. franciscaines, 1968, § 58.

[2] François d'Assise, "Ecrits, vies, témoignages", édition du 8è centenaire, Paris, Cerf/d. franciscaines, 2010.

[3] Frère Patrice Kervyn, o.f.m., théologien et chapemlain de ND du Haut à Ronchamp, auteur d'un article ""Une réhabiitation tardive: Saint-François d'Assise patron des écologistes", dans l'ouvrage "Penser l'écologie dans la tradition catholique", publié sous la direction de Fabien Revol aux Editions Labor et Fides, (2018, p. 227)

[4]Matthieu Paris, reprenant la chronique de Roger de Wendover, moine de Saint-Alban, auquel il succédait