De plus en plus de laïcs engagés dans l’Eglise se disent « particulièrement préoccupés par les questions écologiques »[1]. Leur engagement se traduit par des initiatives qu’ils qualifient de « mobilisatrice ». Toute la question est donc de savoir si ces mobilisations ne traduisent pas, en fait, un certain esprit « militant ». Si oui, ne serait-on pas proche d’une forme de « messianisme » au sens où l’entendait Saint-Irénée quand il condamna cette hérésie des premiers temps de notre ère? Dans les doctrines messianiques, c’est la fin qui justifie les moyens. Pour accéder à un salut, tant qu'à faire ici bas, il faudrait suivre le « programme » d’une élite éclairée.
Quels sont les éléments qui nous amènent à nous interroger sur ce qui anime les chrétiens écologistes ?

Commentaire "les2ailes.com"

Un témoignage: celui de l’auteur de « les contrevérités de l’écologisme »

Nous n’avons pas vocation à juger, ici, les motivations de chrétiens écologistes qui sont, à l’évidence, de bonne volonté. Nous voudrions simplement apporter trois témoignages de l’auteur du livre « Les contrevérités de l’écologisme » dont le contenu, apparemment, a dérangé l’entourage d'au moins trois personnes :
♦ Le Père de L’Epine
Il est le Président de l’Association Internationale Saint-Roch et organisateur des « mardis de Saint-Roch ». Il s’agit d’un cycle de conférences sur des thématiques environnementales. Lorsque l’auteur s’est rapproché de lui pour proposer une intervention, celui-ci a répondu[2] : « après lecture attentive du livre …, il me faut renoncer… Je crains vraiment que votre intervention entraîne soupçon et démobilisation ».
♦ Patrice de Plunkett
Dans un papier qu’il a publié sur son site http://plunkett.hautetfort.com, le 4 octobre 2011 pour exprimer son avis sur le livre de  Pascal Bruckner, il a suscité le commentaire d’un internaute se lamentant sur l’auteur de « Les contrevérités de l’écologisme »  en disant: « De quoi saper tous nos efforts à nous qui essayons de faire avancer la sensibilité et l'action écologique dans l'Eglise ». Patrice de Plunkett a appuyé ce commentaire d’une interjection : "Livre pitoyable !
♦ Le Père Dominique Lang
Ce père assomptionniste, dont la communauté est actionnaire du groupe Bayard, est journaliste environnemental du journal la Croix. Il a ouvert un blog « Eglises&écologie» sur lequel il a rendu compte, le 12 mars 2012, de la restauration d’une église anglaise devenu la première église « zéro Carbone ». L’auteur de « Les contrevérités de l’écologisme » a fait un commentaire qui a valu la réaction d’un internaute : « j’estime que vous êtes quelqu’un de dangereux … Pourquoi voulez vous .. saper .. tout le travail de sensibilisation qu’un groupe de chrétiens … essaie de faire ? ».

Il est symptomatique que ces mots de sensibilisation, et de mobilisation, soient repris par beaucoup d'intervenants proches de la « commission environnement » des évêques de France :
♦ Jean-Luc Bartet, diacre de Gap et responsable de l’Antenne  « Environnement et modes de vie », issue d'un groupe de travail de Pax Christi a estimé le 9 avril 2010 que sa mission est de « sensibiliser les chrétiens d'une part, en particulier via le livre  ‘’Planète vie, planète mort : l'heure des choix‘’»
♦ Les « chrétiens préoccupés par les questions écologiques » ont lancé un appel, le 2 novembre 2011, dans lequel ils déclarent : « notre mobilisation est indispensable »

« Sensibilisation, mobilisation » : Militantisme ou évangélisation ?

On aura beau jeu de dire qu’il faut éduquer les chrétiens à une plus grande prise en compte de la « théologie de la création ». Certes, la théologie de la création est importante, mais le concile rappelle que « la Théologie doit s’appuyer sur la parole de Dieu écrite, inséparablement de la sainte Tradition » (Dei verbum -§ 24). Les textes de la Tradition, qui s’expriment en particulier à travers le magistère, sont, une prédication  « nourrie et régie par la Sainte Ecriture ». (Dei verbum - § 21). 
Mais quand on veut évangéliser sur le ton de la « sensibilisation » ou de la « mobilisation », on court toujours le risque de dériver vers un militantisme et, à cette fin, de s’approprier telle ou telle citation du magistère. L’« évangélisation » n’est pas une « sensibilisation » à l’Evangile. L’évangélisation est un « témoignage au Christ et à la vérité ». Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, " l'’évangélisation comporte aussi un dialogue sincère, qui tente de comprendre les raisons et les sentiments d’autrui" [2bis]. La sensibilisation risque, elle, de s’appuyer sur des dialectiques, et, inévitablement, sur des tentations d’ordre idéologique, celles qui vont de la cause humaine du réchauffement climatique au bio, pour les uns, ou qui vont du libéralisme économique au positivisme scientifique, pour les autres.

Sur quoi s’appuyer ?

Tout ce qui ressemble au militantisme risque de s’éloigner de ce que le concile recommande : « Il ne faut pas, pour découvrir exactement le sens des textes [du magistère], porter une moindre attention à [leur] unité… Il [nous] appartient de pénétrer et d’exposer plus profondément [leur sens]… afin que murisse [notre] jugement. » (Dei verbum - § 12). Cette recommandation du concile s’applique à la lecture des textes sacrés, mais nous la faisons nôtre en la paraphrasant pour la lecture des textes du magistère, y compris en matière de doctrine sociale de l’Eglise et d’écologie en particulier. Pourquoi?

Parce qu'il n’y a rien de plus dangereux, nous semble-t-il, que d’oublier « l’unité » des textes au lieu de s’appuyer, de manière partisane, sur des citations comme le font souvent les chrétiens qui veulent « mobiliser » leurs frères. On peut certes citer le discours de Benoit XVI qui a dit : « Pour …sauvegarder les ressources et le climat, il convient… d’agir dans le respect de normes bien définies » (discours du 1.1.2010 - journée mondiale de la paix §7). On peut en tirer un argument militant pour prétendre que Benoit XVI apporte la preuve que les hommes sont responsables du réchauffement climatique, puisqu’il les appellerait à « agir … pour sauvegarder le climat ». Mais était-ce bien le sens du discours du Saint-Père ? Il ne parlait pas devant un symposium de « scientifiques »! Respecter l’unité d’un texte, c’est insister, aussi et même plus, sur l'appel de Benoit XVI, peu après dans le même discours, à « une authentique ’’écologie humaine’’», et à sa traduction pratique qui est « l’inviolabilité de la vie humaine à toutes ses étapes et quelle que soit sa condition » (§ 12).

Comme le dit Mgr Crepaldi, auteur du « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise », il ne faut pas se limiter « à condamner … l'altération du climat, alors que, sur ce sujet, il y a moins de certitudes et d’évidences rationnelles que sur l'existence du droit à la vie depuis la conception…  Dans le climat culturel actuel, il est certainement plus facile de parler de fonte des glaciers ou de diminution de la  biodiversité. C’est moins exigeant parce que plus enclin au politiquement correct. On ne risque pas grandes oppositions. Mais, de ce fait, nous risquons de tomber dans un moralisme «politique», plutôt que de porter un véritable message de la vérité… »[3].

Pluralité ou séparation dans l'Eglise?

N'est-ce pas l'esprit militant qui conduit des chrétiens à en qualifier d'autres "d'homme dangereux" ou de "pitoyables"? A-t-on le droit d'être chrétien et de douter d'un certain nombres de thèses qui ont l'apparence scientifique mais qui pourraient bien avoir des bases idéologiques ? Est-il encore possible, aujourd'hui, dans l'Eglise, d'apporter sa part de discernement en émettant des doutes sur certaines affirmations scientifiques qui ne relèvent pas de certitudes ni d'évidences, malgré leur caractère majoritaire. La vérité est-elle d'ailleurs le fait du "majoritaire"? Peut-on cultiver la pluralité sans être, pour autant, traité de "dernier des mohicans"?

Le concile a été très sensible à ce que l'Eglise soit ouverte aux "signes des temps". L'écologie peut en être un. Mais, le concile précise bien que "les prêtres doivent écouter volontiers les laïcs, reconnaître leur expérience et leur compétence dans les différents domaines de l'activité humaine, pour pouvoir, avec eux, lire les signes des temps" (Presbyterorum ordinis- § 9).

Mais comment vivre cette pluralité et la diversité dans l'Eglise?

Le concile rappelle pourtant que "les prêtres... ont à rapprocher les mentalités différentes, de telle manière que personne ne se sente étranger dans la communauté des chrétiens" (Presbyterorum ordinis- § 9).

Les mentalités peuvent être différentes. Ce qui peut les rapprocher, c'est probablement de revenir à quelques questions fondamentales:

a) La vision chrétienne de la création
Quelle est sa singularité? Que nous dit la Genèse? La lecture des écritures peut être éclairante, à la condition de ne pas s'enfermer dans une dialectique manipulatrice du genre: 
♦ Thèse: "Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder" (Gn 2-15)
♦ Antithèse: Dieu n'a pas dit que l'homme pouvait piller la planète
♦ Conclusion: il faut donc suivre les programmes écologiques du GIEC ou des producteurs sous "label bio".
Ce genre de dialectique est appauvrissant. L’opposition d’hypothèses contradictoires et non fondées font le jeu des idéologues qui veulent donner à leurs solutions une image médiane: " la problématique classique de la dialectique, de Platon à Hegel, est d'apporter une solution particulière à un problème plus général qu’elle sert à dissimuler» [4]

b) La place de l'homme dans la création
Quel rôle central lui a donné Dieu? Pourquoi l'Eglise parle-t-elle d' "écologie de l'homme"?

c) La place du Christ dans ce monde
Le Christ n'a-t-Il pas endossé toutes les vulnérabilités de l'homme au point d'en mourir sur la croix? Notre difficulté à trouver l'équilibre entre écologie de la nature et écologie de l'homme n'est-elle pas une de ces vulnérabilités? N'est-ce pas le sens de ce qu'écrivait un internaute: "L’écologie n’échappe pas à la nature humaine et, pour un chrétien, trouve sa source et sa finalité dans le Christ. Comme tout ce qui doit entrer dans le plan de Dieu, l’écologie est à penser (comme l’a été la vie, la mort et la résurrection du Christ) en vue du salut des hommes."

d) La création visible et invisible
N'est-ce pas le Christ, Lui seul, qui rendra visible les choses invisibles?

Si donc nous voulons nous rassembler dans une vraie démarche écologique, il serait bon de tourner un peu le dos à bon nombre d’idéologies « correctes » que nous venons de citer ci-dessus, de laisser ces questions aux experts, ou aux militants, et de nous fixer une règle : ne jamais parler de protection de la nature environnementale sans parler, en même temps, du respect dû à la nature humaine, et donc à la défense de la vie.


[1] Source : la Vie

[2] Source : mail du 8.8.2011

[2 bis] "Note doctrinale sur certains aspects de l'évangélisation" publiée le 3.12.2007 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi

[3] « Ecologia ambientale ed ecologia umana »   de Mgr Giampolo Crepaldi (Ed. Cantagalli- 2007- page 46)

[4] Vocabulaire technique et Critique  de la philo (André Lalande) (PUF 1976), Père Humbert Cornélis, doct. en théologie à l’université de Nimègue, et Père Augustin Léonard, dominicain, dans « la Gnose éternelle » 1959 p. 17