Au nom du « retour à un bon état écologique des cours d’eau », de nombreux propriétaires de moulins ont été placés sous le coup d’une injonction de mise en conformité avec de lourds travaux pouvant aller jusqu’à la destruction des moulins à eau. L’écologisme moderne n’a pourtant pas de leçons à donner sur l’intégration des moulins dans leur milieu. Les moulins ont pratiquement été les premières machines inventées par l'homme. Ils témoignent de la manière dont l’homme a su se libérer des pilons, mortiers et autres outils qu’on  appelait des « moulins à sang ». C’étaient les animaux, les esclaves ou les femmes qui étaient chargés de ce travail. L’écologisme voudrait-il faire oublier cette merveilleuse capacité de l’homme à être inventif ? De quoi s’agit-il ?

Source : Fédération des associations françaises de sauvegarde des moulins

Commentaire "les2ailes.com"

La directive européenne DCE 2000 et son application en France

Publiée le 23 octobre 2000, elle veut imposer le « retour à un bon état écologique » des cours d’eau d’ici à 2015[1].

Une « circulaire Borloo » du 25 janvier 2010 applique cette directive de façon tendancieuse avec une soi disant « restauration de la continuité écologique des cours d’eau ».
Au nom de cette notion, on veut promouvoir un « effacement des seuils » des cours d’eau. Au nom de cette sémantique, il s’agirait de détruire un certain nombre d’ouvrages hydrauliques généralement inférieurs à 5 mètres de haut (écluses, barrages, moulins,…) considérés comme obstacle au bon écoulement des eaux.
Il s’agit là d’une application tendancieuse de la directive européenne, car aucun de ses articles ne prévoit la destruction des barrages.
Il y avait le mythe du « bon sauvage » cher à Rousseau. Maintenant, on rêve du retour à l’état sauvage des cours d’eau.

De faux arguments

On prétend que 37% des masses d’eau seraient « fortement modifiées » par des activités humaines et qu’il faut réagir pour :
-  Empêcher l’immobilisation des sédiments en amont des seuils et favoriser la dépollution des eaux.
Or c’est l’inverse : dans les rivières, les principaux agents polluants PCB (Agents Poly-Chloro-Biphényles) doivent rester prisonniers des boues dans les retenues
-  Restaurer la mobilité des espèces piscicoles.
Or, du 15ème au 19ème siècles, les poissons d’eau douce étaient une des  sources de protéines pour l’alimentation humaine. Les ouvrages étaient déjà construits avec une pente douce pour permettre leur passage et faciliter leur reproduction, sans quoi beaucoup d’espèces seraient disparues depuis longtemps.

Il serait plus urgent de poursuivre les actions pour limiter les pollutions de rivières.  Les critères de l’agriculture à Haute Valeur Intensive vont dans le bon sens qui prévoient en particulier l’abandon des labours en bordure des rivières et la mise en herbe d’une largeur de protection, pour éviter des ravinements de terres arables. C’est la pollution qui a amené les préfectures à interdire la consommation des poissons de certaines rivières. Lorsque les poissons seront en bonne santé, ils passeront à nouveau les ouvrages en pente douce[2]. Ce n’est pas l’arasement de ces ouvrages qui leur redonnera la santé.

Tout est également contradictoire avec la volonté des préfectures :
-  de multiplier de bassins de rétention
-  d’interdire en période de sécheresse l’ouverture des vannes

Des menaces réelles

De nombreux propriétaires de moulins ont été placés sous le coup d’une injonction de mise en conformité avec de lourds travaux à la clef. Selon les cas, il serait question :
-  Détruire purement et simplement des seuils
-  Aménager des passes à poissons
-  Modifier la forme des berges
-  Recréer des méandres

Il s’agit de coûts insupportables pour les propriétaires de moulins. L’administration propose des aides, mais sous réserve de sa renonciation à des « droits d’eau » pourtant historiquement imprescriptibles, à utiliser l’énergie hydraulique.
Même si les moulins ne sont pas directement menacés, ils le seront indirectement à court terme pour une raison simple : la baisse des niveaux d’eau mettra en péril la solidité des murs et bâtis immergés

Le conseil d’Etat saisi

La Fédération française des associations de moulins (FFAM) a déposé le 24 novembre un recours en conseil d'Etat contre la circulaire du 25 janvier 2010 du Ministère de l'Ecologie.  Elle considère que  l'esprit de la directive européenne a été « mal interprété » par l'Etat français.
Le dossier est loin d’être clos ! Pourtant, une pétition a rassemblé en juin 2011 plus de 18 000 signatures favorables au retrait de la circulaire ministérielle.

L’écologisme moderne n’a pas de leçons à donner sur l’intégration des moulins dans leur milieu[3]

Le roi Dagobert avait déjà promulgué un édit capitulaire en 632: « « Si quelqu’un veut construire un moulin ou un quelconque barrage dans l’eau, qu’il le fasse sans nuire à personne. Mais si l’ouvrage nuit, qu’il soit détruit afin qu’il ne nuise plus. » [4]

Tous ces ouvrages ont été installés dans le lit des cours d’eau depuis des siècles dans le  respect des fondements de l’écologie : que ce soit avant 1789 par les seigneurs ou au 19ème siècle par les ingénieurs des services hydrauliques des Ponts et Chaussées ou du Génie Rural, les ouvrages ont été calculés, après étude des lieux, pour :
• Faciliter la vie rurale (nourriture, lavage du linge, déplacements, travaux divers) ;
• Permettre le passage des sédiments ;
• Fournir de l’énergie ;
• Ecrêter les crues ;
• Ralentir la vitesse de l’eau et ne pas éroder les fonds de rivières ;
• Favoriser et préserver les milieux humides où une faune et une flore se sont installées ;
• Eviter l’assèchement des nappes phréatiques et des sources ;
• Retenir l’eau en période d’étiage ou sèche ;
• Préserver un bon état écologique du système local.
Les ouvrages qui, pour une raison ou une autre, ne répondaient pas à ces conditions ont, plus ou moins rapidement, disparu.

Au contraire, les constructions du 20ème siècle ont été mal étudiés : Au 20ème siècle, des ouvrages plus importants ont été construits. Leurs hauteurs, la verticalité des parois et les modalités de fonctionnement interdisent l’écoulement normal des sédiments et le passage des poissons malgré les dispositions législatives et réglementaires en vigueur au moment de la construction.
Des clapets sans utilité, des ouvrages abandonnés, voire sans maître, existent ici ou là.
Des plans d’eau étudiés et construits pour servir de bases de loisirs dans les années 1965 à 1975 se sont envasés parce que la logique de l’écoulement des sédiments n’avait pas été correctement prise en compte.
Les retenues s’envasent. Le curage périodique est coûteux. Il est envisageable de les supprimer à la condition d’en étudier très précisément toutes les conséquences.

Les moulins, témoins d’une histoire ancestrale

Les premiers systèmes de broyage des céréales, utilisées pour la nourriture humaine depuis le néolithique, étaient manuels : pilons et mortiers, rouleau à mouvement alternatif ou meules à main. On les appelait des « moulins à sang ». C’étaient les animaux, les esclaves ou les femmes qui étaient chargés de ce travail.
Les premiers moulins hydrauliques sont attestés, en Syrie, avant même l’ère chrétienne. Le moulin est pratiquement la première machine inventée par l'homme.
Dès la fin du Xe siècle, l’homme s’attaque à la forêt pour gagner des terres cultivables. La conséquence en est le développement des moulins pour écraser les céréales que l’on produit plus intensément. Les moines, les Bénédictins puis les Cisterciens, et les seigneurs aménagent biefs et chutes d'eau, le moindre cours d'eau devient prétexte à faire moudre peu à peu un ou plusieurs moulins. Grâce au moulin, le moine peut enfin consacrer plus de temps à la prière, et l’homme est libéré de la tâche écrasante et servile que constituait le broyage manuel au pilon.

Conclusion

On est toujours dans le rêve de revenir à un régime hydrologique dit « naturel », d’effacer l’impact de l’action humaine.


[1] La Directive cadre 2000/60/CE n’a jamais demandé l’arasement des ouvrages
Dans son article premier, elle a pour objet (…) de :
a) prévenir toute dégradation supplémentaire, préserve et améliore l'état des écosystèmes aquatiques ;
b) promouvoir une utilisation durable de l'eau, fondée sur la protection à long terme des ressources en eau disponibles ;
c) viser à renforcer la protection de l'environnement aquatique ainsi qu'à l'améliorer, …;
d) assurer la réduction progressive de la pollution des eaux souterraines et prévenir l'aggravation de leur pollution,
e) contribuer à atténuer les effets des inondations et des sécheresses, et contribuer ainsi :
• à assurer un approvisionnement suffisant en eau de surface et en eau souterraine de bonne qualité pour les besoins d'une utilisation durable, équilibrée et équitable de l'eau,
• à réduire sensiblement la pollution des eaux souterraines,
• à protéger les eaux territoriales et marines,
• à prévenir et à éliminer la pollution de l'environnement marin (…) obtenir, des concentrations qui soient proches des niveaux de fond pour les substances présentes naturellement et proches de zéro pour les substances synthétiques produites par l'homme.
La Directive cadre considère nécessaire d'intégrer davantage la protection et la gestion écologiquement viable des eaux dans les autres politiques communautaires, telles que celle de l'énergie, celle des transports, la politique agricole, celle de la pêche, la politique régionale, et celle du tourisme. Il convient que la présente directive fournisse la base d'un dialogue permanent et permette l'élaboration de stratégies visant cet objectif d'intégration.

[2] Selon M. Alain BERTHOZ, Professeur au Collège de France, « Les poissons possèdent, en effet, un neurone  géant appelé cellule de MAUTHNER qui est responsable de la réaction de fuite. Ce neurone détecte les  signaux du danger et prend ou non la décision de fuite en fonction du contexte, de la configuration des  signaux externes et de l’état interne de l’animal. »

[3] Source : Comité de liaison des intérêts aquatiques

[4] Source :  Moulins de France,