Le 13 septembre 2011, Jeanne Grosclaude, vice-présidente du Comité économique et social du Haut-Conseil des Biotechnologies, a été interviewé sur TVAgri. Pendant ½ heure, elle a présenté les disfonctionnements de ce « Haut Conseil » et expliqué comment le dogmatisme des ONG écologistes qui y siègent font un blocage contre toute raison.
En fait d’instance indépendante, on est stupéfait de voir certains de ses membres déclarer en comité : « Nous sommes contre les plantes génétiquement modifiées; nous sommes contre l’intervention de la science en agronomie; nous sommes contre la perturbation de la biosphère par des activités humaines ».
Avec de tels a priori, comment s’étonner que cette instance ne fonctionne pas comme attendu ?
Dans la bouche d’une syndicaliste de la CFDT, cela mérite d’être écouté. Nous reprenons ci-dessous l’intégralité de la transcription de cet interview pour en garder la trace tellement ce témoignage nous parait révélateur.

Source : TV Agri-info

Commentaire : « les2ailes.com »

1- Le texte intégral de l’interview

Q- Vous êtes directeur de recherche à l’INRA, retraitée, de formation ingénieur AGRO, et puis vous appartenez à la CFDT, que vous représentez au HCB. Première question : A quoi sert le HCB ?

R- Le HCB a été créé à la suite du Grenelle de l’environnement et est chargé de conseiller le gouvernement sur toute biotechnologie. Il ne s’agit pas seulement de plantes génétiquement modifiées, ni des OGM à usages thérapeutiques…. toutes les biotechnologies !
Il est composé de deux comités : un comité scientifique qui associe des experts choisis pour leurs spécialités scientifiques, et qui se prononce sur les aspects scientifiques des différents dossiers. Il a repris également les fonctions de la Commission de Génie biogénétique.
Je suis membre, pour ma part du comité économique et social qui, lui, est composé de 28 membres et dont je suis vice présidente, et qui réunit des représentants désignés par les parties prenantes, que ce soient des associations environnementales, des consommateurs, des syndicats professionnels agricoles, et, en particulier, des syndicats de salariés des entreprises concernées par les entreprises de biotechnologies. C’est à ce titre que je siège pour la CFDT qui associe des salariés à tous les niveaux de la chaîne des biotechnologies, que ce soit dans le secteur agricole, dans le secteur phytopharmaceutique.
Donc, nous avons l’habitude de concilier les inconciliables et, à ce titre, je me sentais prête avec mon expérience de biologiste et d’agronome, à siéger au HCB, tout en étant parfaitement en relation avec la Confédération qui a fondé sa doctrine sur les biotechnologies depuis l’ouvrage « les dégâts du progrès » dans les années 1970, depuis l’appropriation du développement durable dans les trois dimensions environnementales, sociales et économique par l’ensemble de l’organisation des salariés, et par son attachement à l’innovation, au progrès scientifique qu’elle partage avec l’ensemble de ses correspondants européens parce que c’est une condition pour nous pour que la société avance et pour que la compétitivité du continent européen. Voilà à quel titre et avec quelles idées je siège au HCB.

Q-   Alors ce que vous regrettez, c’est qu’aujourd’hui, vous ne sortez pas de recommandations. Cela ne fonctionne pas !

R- Ce comité émet des émet des recommandations alors que le comité scientifique émet des avis. La juxtaposition avis + recommandation est transmise au gouvernement. La recommandation devrait, le règlement intérieur le prévoit, être animé d’un souci du consensus.
Nous devrions donc aboutir à une convergence, sur chaque dossier qui nous est soumis, et exprimer des nuances, peut-être même des divergences, mais au moins avancer vers une convergence sur ce qui serait utile au décideur politique pour savoir quel est le dénominateur commun.   
De fait, depuis 2 ans, les délibérations ne conduisent pas à une meilleure convergence. Pour quelle raison ? Alors que nous devrions tous arriver un peu ingénu devant tout dossier, en étant ni pour ni contre,   un certain nombre de parties prenantes arrivent avec un a priori : « nous sommes cont re les plantes génétiquement modifiées ; nous sommes contre l’intervention de la science en agronomie ; nous sommes contre la perturbation de la biosphère par des activités humaines armée de technologies destructrices ». Donc, on ne peut pas faire autre chose que de recenser sur chaque dossier des opinions divergentes, contraires, et on ferme le catalogue. Donc, la recommandation aboutit à un texte à plusieurs voix. Il n’est pas soumis au vote, donc on ne sait pas qui porte quel propos. On ne sait pas qu’est ce qui est dominant. Et une fois qu’il est construit, la seule alternative que nous ayons, c’est de dire « j’approuve, ou je maintiens la divergence ».  On est ainsi abouti, dans la dernière année, à des recommandations qui portaient plus de divergences d’horizon très différents, aussi bien de gens favorables que de gens totalement hostiles à l’innovation en agriculture, alors que, en moyenne, une quinzaine de personnes participent aux délibérations. Alors comment voulez-vous que le gouvernement interprète ou utilise une recommandation qui ne reçoit, finalement l’approbation que de son rédacteur et de deux ou trois personnes qui ne se sont peut-être même pas exprimées. Donc, nous avons cette responsabilité : nous ne faisons pas de recommandations de la qualité qui était prévue et attendue de ce Haut Conseil.
Qu’il y ait une responsabilité du gouvernement et qu’il ne soit pas empressé à ouvrir des dossiers, à fâcher certains de ses soutiens, ou à exacerber certains antagonismes,  c’est évident aussi. Rarement, le gouvernement a affiché une utilisation des recommandations du HCB. Deux exemples :
-  Lorsque nous avons été amenés à nous prononcer sur le prolongement de la non utilisation du Monsanto 210, sur lequel le gouvernement avait en janvier 2010 brandi la clause de sauvegarde, il y a eu un vote sur la question. Les inconvénients l’emportaient-ils sur les avantages ? et le vote a été effectivement : 14, oui les inconvénients l’emportent et 12 il y a plus d’avantages que d’inconvénients.  ce vote a été utilisé par le gouvernement pour dire « jamais je n’autoriserai le Monsanto 210. Je continue à me battre sur le terrain européen pour que ma clause de sauvegarde soit recevable »
-  Autre dossier : celui de  la relance de l’expérimentation à Colmar, où un essai de vigne transgénique avait été détruit une première fois, et il était encore temps de repartir sur cette expérimentation ; on pouvait redresser les supports de greffe transgéniques et le comité économique et social a cette fois donné un avis majoritaire disant « oui cet essai doit repartir pour telle et telle raison ». A ce moment là, le ministre Lemaire dit, « je m’appuie sur ce rapport, pour sortir l’arrêté d’autorisation de redémarrage de cette expérimentation ».
Mais, la plupart du temps, nous ne savons pas ce que le gouvernement en fait. Plusieurs recommandations étaient relatives à la position qu’aurait le gouvernement français au niveau de la commission européenne. Il y a un dossier qui est arrivé pendant la période, parce qu’on n’avait pas de majorité qualifiée au niveau des ministres et donc : arbitrage en commission. Et le gouvernement français préférait l’abstention plutôt que d’avoir à trancher dans un sens ou l’autre.
Donc tout cela contribue à faire, effectivement à faire de notre instance des débats de notre instance assez stériles.

Q- Mais, d’une manière très concrète, qui sont ces partenaires qui sont très farouchement ou dogmatiquement opposés aux OGM ?

R-  Les personnes qui représentent France Nature et Environnement, qui représente Greenpeace, qui représentent la Confédération Paysanne, l’Agriculture Biologique, les Amis de la Terre, et les Apiculteurs de France, sont foncièrement et ils l’ont même écrits à la suite d’une recommandation sur l’importation d’œillets transgéniques, ils ont écrit clairement leurs divergences, je m’appuie donc sur leurs propres propos : « non à la modification de la biosphère par l’activité humaine !  Non à l’intrusion de la science en agriculture ! Nous préférons nous appuyer sur nos pratiques traditionnelles ! nous récusons la science comme facteur de progrès ! »

Q-  L’idéal serait qu’il y ait un vote ! Pourquoi n’y a-t-il pas de vote. Quand M. Borloo a mis en place le HCB ? Est-ce un oubli ou une question d’adresse politique ?

R- Nous avons compris progressivement et nous étions un petit nombre à réclamer qu’on applique à ce CES la pratique démocratique du Conseil économique et social au Palais d’Iéna où, à partir du moment où un rapport est fait sur un dossier, un avis est rédigé sur ce rapport, et les membres se prononcent pour ou contre cet avis et doivent impérativement rédiger un texte en disant, « voilà pourquoi je soutiens cet avis, voilà pourquoi je ne le soutiens pas ». Cela me parait élémentaire comme transparence vis-à-vis des citoyens.  Nous avons vite compris qu’il y avait un blocage qui venait d’en haut, et cela venait du ministère de l’écologie, que jamais il n’y aurait de vote. Pourquoi ? On nous a dit que le ministre trouvait qu’un vote c’était « clivant ». Quand on voit à quel point il y a des clivages malgré l’absence de vote, cela peut faire sourire. Mais c’est surtout parce que cela permet de jongler avec des expressions vagues, « un petit nombre (sans dire plus) … la majorité, la plupart, … Néanmoins…». Ces textes sont malléables dans leur lecture et leur interprétation. Manifestement, c’est ce que recherchait le décideur de l’époque.

Q- Donc aujourd’hui, on se retrouve avec des recommandations un peu stérile. Vous nous citez le cas de l’œillet.

R- L’œillet ! C’était une délibération sur la possibilité d’importer en Europe des œillets transgéniques essentiellement produits en Colombie, en Ethiopie, d’une couleur noire, car apparemment, les pays nordiques recherchent cette couleur qui n’existe pas spontanément et en jouant sur les chaines de synthèse des pigments, on arriverait à avoir l’œillet noir et l’œillet violet. L’œillet peu paraitre une production un peu frivole. Il n’y avait pas d’enjeux alimentaires. Il y avait quand même des enjeux d’emplois dans certains pays. Il y avait une discussion assez apaisée où nous convergions en disant « Ce n’est pas parce que c’est un œillet transgénique qu’il faut être laxiste.  C’est un  œillet qui peut être produit dans des conditions difficiles dans des fermes où des jeunes enfants ou il y a des jeunes filles qui y travaillent. N’oublions pas qu’il y a quand même à respecter les obligations de l’OIT. Donc, faisons la remarque que oui pour le transgénique, mais pour un œillet qui soit produit dans des conditions qui soient digne du développement durable ». Donc nous avions une bonne convergence sur ce texte, faisant la part des conditions sociales de production, des risques qu’il pourrait y avoir à diffuser ces fleurs en Europe par le port de Rotterdam où d’ailleurs. Il faut savoir que l’œillet est une plante qui n’a pas de problème parce que les étamines sont transformées en pétales et que les producteurs font bien attention à ne pas renvoyer de bourgeons ancillaires pour qu’on risque de reproduire.
A notre surprise, cette recommandation a fait l’objet de divergences indépendantes du représentant de FNE qui sortait toute sa philosophie sur les atteintes de l’activité humaine sur la biosphère, l’homme étant présenté comme un prédateur nuisible. Et puis des collègues de l’Agriculture biologique ou de la Confédération paysanne, ou de l’apiculture française, ont profité sur ce dossier qui n’avait pas d’enjeu alimentaire, pour dire leur opposition.
Cela fait partie de ces moments de révélation où on se rend compte que les idéologies, les philosophies, incontestablement ont verrouillé les positions de ces collègues qui, finalement, ne vont pas déverrouiller, à aucun moment. Donc, comment peut-on avancer sans un autre mode de fonctionnement de ce comité.

Q- Autre question : comment se fait-il qu’il n’y a pas eu de communiqué, cet été, quand il y a eu ce fauchage de vigne transgénique à Colmar ?

R- Il y a eu un communiqué de presse signé par la présidente du HCB, Mme Brechignac. Mais l’émission de ce communiqué avait fait l’objet d’un débat très virulent en communiqué scientifique, un petit nombre de scientifiques, ils étaient quatre, disant qu’on n’avait pas à intervenir sur ce sujet d’actualité. C’étaient effectivement des scientifiques dont on connait la sympathie pour les théories environnementales, écologiques. Le comité scientifique est ainsi composé, et c’est normal. Côté comité économique et social, étant donné que nous avions eu une délibération et qu’on était arrivé à prendre une recommandation très majoritaire pour autoriser le redémarrage de cette expérimentation, j’ai su qu’un certain nombre d’opposants à ces technologies étaient intervenu pour qu’il n’y ait pas non plus de communiqué. Et donc, il y a eu beaucoup de turbulences. J’avais eu moi-même une conversation directe avec Mme  Brechignac en disant « il faut faire un communiqué ». Mme  Brechignac a décidé d’organiser une séance plénière, c'est-à-dire associant tous les membres du comité scientifique et du comité économique et social, pour débattre par rapport à cette question. Et elle avait déjà sorti son communiqué.  Il y a eu des attaques virulentes  parce qu’elle avait sorti ce communiqué, que c’avait été débattu dans le bureau du HCB. Le bureau regroupe la président, les deux présidents des comités,  et les deux vice présidents, et que là-dessus le vice président du CES avait été mis en minorité. Donc le communiqué est sorti. Nous avons demandé une explication franche et j’ai personnellement dit : « Je vais avoir du mal à travailler si je ne connais pas la position de chacun par à la destruction de Colmar » et là-dessus, quatre personnes du CES, très clairement, Agriculture biologique, Greenpeace et Confédération paysanne, et Amis de la Terre, ont dit : « Nous nous revendiquons comme faucheurs volontaires. Nous avons déjà été nous-mêmes faucheurs volontaires et nous ne désapprouvons pas la destruction de Colmar». Quant au président FNE  du CES, il a dit : « FNE n’appelle pas aux destructions, mais il y a du sens dans cette destruction », avec l’air de dire, «  je ne peux pas la désapprouver ». Donc, à partir de là, les relations ont été difficiles parce que je représentais moi-même les salariés dont l’outil de travail avait été détruit. Détruire l’outil de travail : ou bien c’est le désespoir ultime dans la culture où nous sommes, ou c’est le fait des patrons voyous. Donc cela m’a été très difficile, je vous assure, de siéger et de me retrouver dans la même salle avec ces gens là. Et je n’étais pas la seule. L’objectif des débats qui suivaient dans les semaines et les mois qui suivaient cette destruction, c’était le débat de la coexistence pour dire que cela devient périlleux. Et je ne sais pas si on pourra sortir par le haut de ce débat et comment on peut organiser la coexistence telle qu’elle est prévue par la loi.

Q- Pourtant il y a des politiques et ils étaient présents ! Ils vous ont perdus un peu en route ?

R- Les politiques, normalement, il y en a de nombreux représentants du Sénat, et de l’Assemblée Nationale, représentants des régions de France, représentants des départements de France. Or, à une expression près, celle des départements de France, ils n’ont cessé de gémir, parce que ils étaient eux-mêmes consternés par la dénaturation de leur bébé. Ce sont eux qui avaient choisis de séparer le CS et le CES. C’est un point qui est souvent revenu. Pourquoi les séparer ? Et eux étaient persuadés que ça permettrait d’avancer. Je crois qu’ils étaient consternés ! Quand vous voyez ceux qui étaient de l’Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques qui avaient organisé des conférences citoyennes, voir cette dégradation, cette éternel retour en arrière, alors que les débats se tiennent sous leurs yeux, c’étaient, alors qu’ils ont  beaucoup de charges et d’agendas, c’est décourageant ;  c’est décourageant !
Vous avez eu l’air de dire que le dogmatisme, je le mettais en face. Moi je dis : « dogmatisme, c’est l’attachement à ses valeurs ». Moi aussi, je peux être reprochée d’être attachée à mes valeurs… et on me l’a reproché, d’intervenir trop sur le principe de la rationalité, trop sur une adhésion à l’innovation, en oubliant que l’innovation est toujours à réguler. C’est vrai que je peux avoir des choses à me reprocher : raideur en face de rigueur, rigidité en face de rigidité, c’est vrai que c’est difficile d’avancer. Moi je prétends qu’en se mettant sur le terrain du raisonnable, il n’y a que cela qui est accessible à tous citoyen : des arguments de raison. Si c’est une idéologie, on croit ou on ne croit pas. Raison, information, instruction : je pense que cela peut faire avancer, que c’est cela l’enjeu essentiel maintenant. Que nous descendions dans l’arène publique et que nous expliquions, petit bout par petit bout, dossier par dossier : « mais non cela ne fait pas si mal que cela ! Mais non ce n’est pas toxique ! » Mais oui sur ce dossier, j’étais la première à le dire : quand on vous propose un maïs résistant aux herbicides, cet herbicide n’est pas homologué en France sur maïs ! Donc moi, j’étais rapporteur de ce dossier, j’ai dit : « Non : si on disjoint les conditions dans lesquelles on va utiliser cet herbicide, nous ne pouvons pas nous prononcer ! On n’est pas allé jusqu’au bout ». Et une de nos recommandations fortes, c’est que le fameux comité d’homologation des herbicides travaille un peu plus avec le HCB par rapport à cette autorisation, chose que nous n’avons toujours pas obtenu. Donc je suis la première à dire : « Attention ». Mais il faut conjuguer pratique agricole et progrès génétique avec les nouvelles technologies. (20.43). Il ne faut pas dire, « moi je me cantonne aux pratiques agricoles et je reviens vers les vieux principes et les vieilles traditions », ou « les progrès génétiques vont tout résoudre » ;  Nous n’avons jamais dit cela. Je dis « concilions les deux et voyons quels problèmes cela soulève et quelles modifications de comportement, de part et d’autre c’est nécessaire ». Mais il faut bien dire que ce discours est devenu inaudible et que le long processus que nous avons de réfléchir sur la coexistence au CES, c’est d’abord coexistence entre nous au CES. L’année dernière, lors de l’approbation du rapport d’activité, nous avions dit : « pas de tolérance au CES, pas de coexistence dans les champs » et malheureusement, je crains que nous ayons fait quelques pas en arrière.

Q- Le véritable problème, c’est quoi ? C’est un manque de courage politique puisque les politiques qui ont mis en place le HCB, les ministères, devraient revenir vers vous et remettre de l’ordre et faire que cette instance fonctionne ? Or on n’y voit ni Bruno Lemaire, ni le premier ministre venir utiliser vos avis.

R- Le manque de courage est largement partagé, certes ! mais les responsables des organismes de recherche, mais les médias qui ont construit cette pensée unique anti-OGM. Enfin, les médias sont les premiers responsables ! Qu’ont-ils fait de leur devoir d’information ? Donc les responsabilités sont largement partagées. Pour notre part, au niveau de la CFDT, depuis 1984, nous avons compris que l’enjeu essentiel, c’était de tenir à égalité de niveau d’information tous nos camarades, qu’ils soient dans les champs concernés, qu’ils soient en dehors, pour éviter justement des malentendus et que des antagonismes se recréent. Et nous avons retrouvé cela aussi bien sur l’énergie atomique ou sur les nanotechnologies : je dis toujours comme première chose   « donnons l’information et partageons l’information ». Et je dois dire que la confédération européenne des syndicats a la même attitude : dire oui à une société de la connaissance à condition qu’elle soit partagée. C’est cela qui est l’enjeu essentiel en France aujourd’hui. On va entrer dans une période de tumulte, d’idéologies qui s’opposent.
Qui aura le courage électoral de dire aux écolos : « écoutez, on a beaucoup de points en commun, mais il y en a un sur lequel on n’est pas d’accord, c’est sur le dogmatisme, sur les considérants géopolitiques des PGM. Il peut y avoir des PGM éthiques, des PGM publics! Allez jusqu’à cette démarche » ? Mais cela ne se fera pas car il y a mille autres raisons de verrouillages ! Le ministre Lemaire, ne va pas prendre le risque d’importuner une voix ici ou une voix là. Donc, on va entrer dans une sorte d’hibernation sur le plan de la connaissance. Au lieu d’avoir des instances indépendantes,… je rappelle que le HCB est défini comme une instance indépendante, …nous on prend le pari de l’information, on va expliquer que tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir. Dans les biotechnologies, son usage peut être régulé. C’est la même chose dans tous les domaines.
Et dans la biologie aussi. La biologie devrait être la première discipline enseignée aujourd’hui. Je parle comme ancien chercheur biologiste, mais le « connais toit toi-même du XX° et du XXI° siècle », c’est la biologie. C’est la connaissance du soi-biologique. On n’aurait pas tellement de fantasme sur la santé, sur l’alimentation, si on avait tenu tout le monde au courant de la biologie, sans dogmatisme. C’est si facile de crier contre le génie biomoléculaire, contre la sélection génique ! Partageons cette connaissance tous les gens avec cela et on se rendra compte que les chercheurs sont beaucoup plus humbles qu’on ne le croit, qu’il y a des possibilités et qu’il y en a d’autres qu’il faut vite refermer. Faisons cette formation. Faisons cette information.
Vous qui êtes des médias pénétrant, soyez les porte paroles de cette information loyale, sincère. Nous ne sommes pas animés d’enjeux financiers, d’intérêts géopolitiques là-dessus. On veut développer, maintenir l’espace humain dans lequel il vit en bon état, tant sur le plan développement durable et environnemental. On veut développer l’emploi : on ne veut pas être des arriérés par rapport à des pays qui beaucoup plus cyniquement, avancent sur les biotechnologies. Si on n’apporte pas des technologies contrôlées sur un plan éthique, régulées, mises à disposition des pays africains, ce sont les chinois qui apporteront leurs technologies avec les défauts qu’elles peuvent avoir et qui n’auront pas été autant sous-pesées.
Il est essentiel que la société française entre dans cette ère de la connaissance, de la biotechnologie, régulée comme les autres technologies.

Q- Vous êtes syndicaliste. Vous représentez la CFDT. Quand vous vous réunissez à l’échelle européenne, comment la France est-elle perçue ?

R- Je dois dire, que chaque fois que je vais à Bruxelles et que je rencontre mes camarades soit d’Eurocadre qui regroupe tous les ingénieurs et chercheurs, notamment en biotechnologie, je les fais ricaner. Je me fais accueillir : « alors jusqu’à quand vous allez garder votre exception » C’est incompréhensible dans d’autres pays que ce dogmatisme ait pu avoir cette faculté d’envahir complètement les esprits en France. Vous me direz « oui, mais Greenpeace a fait une pétition avec un million de gens qui refusent les PGM, donc il faut que l’Europe tienne compte de cette pétition » Mais cette pétition, quand vous dites aux gens : « les OGM, c’est toxique pour vous, ça affame les populations en développement, et ça fortifie le grand capitalisme chimique », qui va répondre aux gens ? Il faut éclairer les gens, il faut développer une science européenne, avec une éthique de régulation. La plupart des pays se sont dotés de clubs de régulation des biotechnologies. En Espagne, ça marche ! Ils se sont interrogés .. - j’ai entendu un membre équivalent du HCB de la Catalogne, -ils raisonnent par région, c’est plus facile qu’au plan national- ils se sont interrogés : « pourquoi sommes nous les seuls à ne pas avoir peur des PGM ? ». Il avait mis comme premier argument : « nous sommes un pays qui a reçu de tels conflits, de telles guerres civiles, que nous avons maintenant le culte de la conciliation, le culte de trouver un accord entre voisins ». Ils n’ont pas de lois. On s’arrange entre voisins par sol, « cette année, toi tu fais ça ! moi je fais cela, Bon, tu vas permuter là ».
La bonne foi, cela peut aider dans le monde agricole. Pourquoi restons nous dans cette culture qui est peut-être un peu trop urbaine, qui a un peu trop mythifié les espaces naturels pare que les gens ont perdu le lien avec l’agriculture. Il y atout un esprit de réappropriation à faire , qui peut se faire de manière loyale et sincère, sans idéologiser la nature.

Q- Concrètement, au mois de septembre, vous allez à nouveau rentrer en commission, vous allez étudier des dossiers. Comment sortir de cette ornière ?

R- Oui, on va réattaquer un dossier technique, sur une importation de soja, dès la mi septembre et nous allons continuer le travail sur la coexistence. Je ne sais pas si le fait que tout ce que nous allons sortir est d’emblée neutralisé - on est en période préélectorale, ne soyons pas dupe-  ne pourrait pas créer un moment d’apaisement. Je l’espère en me disant que nous devenons une instance irresponsable, donc nous pouvons devenir une instance responsable, peut-être. Moi je suis optimiste. On ne décroche pas en général. C’est mon tempérament de syndicaliste.

2- Les suites de l’interview

On comprend que les ONG représentée au Haut comité des biotechnologies ait pu voir rouge !
Un communiqué commun les Amis de la Terre, la FNAB, la Confédération paysanne, l’UNAF et France Nature environnement a donc dénoncé cet interview pour réclamer la démission de Mme Jeanne Grosclaude et de quelques autres, disant : Depuis quelques semaines, plusieurs représentants du secteur des technologies génétiques au Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut conseil des biotechnologies (HCB) « s’autorisent à rompre leur engagement de confidentialité pour attaquer dans les médias les représentants des associations environnementales, de syndicats apicole, paysan et de l’agriculture biologique », dit le communiqué, ajoutant : « Les objectifs de cette propagande organisée sont clairs : faire exclure ceux qui gênent le développement d’une agriculture tout OGM et peut-être même révoquer le CEES du HCB ».

Malgré tout, un certain nombre de membres du CEES viennent d’être remplacés. Le JO du 20 octobre indique que Rachel Dujardin remplace Arnaud Apoteker en tant que représentant de Greenpeace ; Monique Alles-Jardel prend la place de Serge Boarini en tant que représentant du Haut Conseil de la santé publique ; Stéphane Lemarie remplace Philippe Chalmin comme personnalité qualifiée désignée en raison de ses compétences en économie.[1]

3- Le manque de rigueur scientifique des ONG écologistes au Haut Conseil des Biotechnologies

Les assertions de Jeanne Grosclaude sont-elles fondées ?
Pour s’en donner une idée, reprenons les déclarations de ces ONG dans les recommandations[2] du HCB[3].

a)  Dans la recommandation relative au maïs Mir 604 de Syngenta (14 mars 2011) – qui était une contribution à l'évaluation du dossier par l'EFSA – la FNE s'est exprimée comme suit: « Enfin, de manière générale, FNE estime que la Commission Européenne, restreignant le domaine de la pertinence des évaluations aux seuls critères "scientifiques", les dossiers doivent être réellement de nature scientifique et au moins compatibles avec les règles élémentaires du raisonnement scientifique[...] »
Et comment applique-t-elle les règles élémentaires du raisonnement scientifique ?
« L'introduction en France de Diabrotica virgifera virgifera pose un problème aux producteurs de maïs. Une solution durable serait l'incitation à des rotations longues. [...]  La présence de chrysomèles, problème grave pour l'agriculture, pourrait être un élément stimulateur pour que la France s'engage dans cet effort. Le maïs Mir604 constitue, dans cette optique, un élément négatif très préjudiciable à cette évolution. »

On pourrait traduire par : « favorisons l'extension d'un ravageur ».

b) Dans la recommandation relative au soja MON 87701 de Monsanto (11 janvier 2011), le CEES avait conclu qu'il ne pouvait pas conduire une analyse, le Comité Scientifique (CS) ayant pris note d’un excès de mortalité en période de croissance chez les poulets nourris avec le soja MON 87701 et considéré que les données en cause devaient être documentées.  Les six ONG ont exprimé une position divergente.
Alors que le CS a indiqué que « [l]'excès de mortalité [...] n’a pas été expliqué de manière satisfaisante par le pétitionnaire », les six trouvent « ce phénomène inquiétant » et pensent « donc qu’il est du devoir du CEES de recommander au gouvernement français de s’opposer à cette demande d’autorisation de soja génétiquement modifié potentiellement dangereux pour la santé et l’environnement, pour des raisons à la fois éthiques, économiques et sociales. »

On pourrait traduire par : « profitons d'un manque d'explication pour nous opposer, en arguant en outre d'un danger potentiel et de vagues raisons qui reprennent simplement l'intitulé du Comité ».

c)  La recommandation relative au renouvellement de l'autorisation du soja 40.3.2 de Monsanto (11 janvier 2011) a fait l'objet d'une longue analyse ; y compris sur des aspects tels que les incidences socio-économiques et éthiques de la production de soja 40-3-2 dans les pays exportateurs, ce qui ressemble fort à une ingérence dans les affaires internes de ces pays.  À l'évidence, le CEES a été de bonne composition à l'égard des six ONG, voire complaisant.  Les positions des six ONG ont été amplement reflétées dans le document principal.  Ainsi, dans le résumé : « Pour certains membres, renouveler l’autorisation d’importation :
*  reviendrait à encourager les pays américains à continuer de produire ce soja et donc à conforter la dépendance européenne et française en soja transgénique ;
* obèrerait la perspective de voir ces pays accroître les cultures de soja sans OGM et conventionnel et alimenter les filières "sans OGM" en cours d’établissement en Europe ;
* conforterait la nécessité, pour les filières AOC, bio et conventionnelles, de continuer à se protéger – jusqu’ici à leurs frais – de toute présence d’ADN de soja transgénique dans leurs productions ;
* constituerait un signal peu cohérent au regard de la nécessité d’amoindrir la dépendance européenne au soja. Ils ajoutent qu’un plan de relance des légumineuses en France ne permettant de réduire que partiellement cette dépendance, la transition vers un autre modèle d’élevage, qui ne soit plus fondé sur l’utilisation massive de soja, s’avère nécessaire. Cette transition pourrait s’accompagner d’une évolution des habitudes alimentaires, vers une moindre consommation de viande. »

On pourrait traduire par : « sabotons la filière animale française pour envoyer des signaux aux pays producteurs de soja ; pour favoriser la filière « sans OGM » ; pour contraindre les Français à adopter le mode de consommation et d'alimentation préconisé par les six ONG en question ».

d)  Mais cela ne les a pas empêchés d'exprimer une position divergente. « Divergente » par rapport à une position fidèlement reflétée dans la conclusion, selon laquelle « « [...] le CEES rappelle que, pour les raisons mentionnées plus haut, il est divisé quant à l’opportunité de renouveler l’autorisation  d’importation du soja 40-3-2 », cette phrase étant suivie des deux positions.  Les six ONG admettent expressément le sabotage dans sa position prétendument divergente : « Refuser de renouveler l’autorisation de mise sur le marché de ce soja pourrait, en effet, "mettre à mal la compétitivité de certaines formules d’élevage (intensifs principalement) et, en conséquence, conduire à un renchérissement du prix de la viande pour les consommateurs" [...] »
Mais : « [...] cela doit être vu comme une opportunité pour les décideurs politiques de réformer le système actuel, à nos yeux terriblement nocif d’un point de vue sanitaire et environnemental, et de mener une politique volontariste ambitieuse afin de réduire la dépendance en protéine végétales de l’UE, tout en incitant les consommateurs à modifier leur consommation de produits carnés. C’est pourquoi, les organisations Greenpeace, la Confédération Paysanne, les Amis de la Terre, FNE, la FNAB et l’UNAF sont opposées à la demande de renouvellement d’autorisation de mise sur le marché du 40-3-2. »
Qu'importe pour les six ONG ! L'idéologie doit prévaloir : « Constatant que les mesures de substitution envisageables ne feront pas disparaître les besoins français et européens en soja importé, certains membres du CEES proposent que la dépendance soit réduite par une réorganisation profonde de l’élevage, en particulier par une diminution de la part de l’élevage hors-sol, consommateur important de soja transgénique importé et par ailleurs générateur d’externalités négatives (pollutions, nuisances, etc.). Ils conviennent que s’acheminer dans cette voie ne peut être qu’un processus long et progressif. Ils sont par ailleurs conscients qu’une telle réorientation entraînerait une baisse de la production de viande, une hausse de son coût et donc une moindre consommation de viande par la population. Ils estiment néanmoins que dans nombre de pays développés, l’alimentation humaine tend à être aujourd’hui trop riche en viande, un véritable changement s’imposant donc. »

On pourrait traduire par : « peu importe ce qu’il adviendra du consommateur pauvre ».


[1] Source : AGRA - Lundi 24 octobre 2011 - N° 3321 - AGRA Presse Hebdo page 37

[2] http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/spip.php?rubrique1

[3] Source : Wackes Seppi