Les 2 ailes.com ont largement développé l'idée que, dans la Gouvernance mondiale, l'ONU fait la part belle à la "démocratie participative" au détriment de la "démocratie représentative". Par ailleurs, le nouveau paradigme que développe l’ONU consiste à faire croire que toutes les cultures se valent. En Europe, les politiciens français ont refusé d’attacher de l’importance aux racines chrétiennes dans le traité européen. Et pourtant, de plus en plus de philosophes réfléchissent et concluent que ce n’est pas par hasard si la démocratie est née dans les pays chrétiens. Luc Ferry vient de publier une réflexion intéressante à ce sujet car elle émane d’une personne qui ne revendique pas de fidélité à l’Eglise… Il rejoint certains propos d’un éditorial du père Gallez...

Source : Le Figaro- jeudi 10 mars 2011
Editorial du père Gallez –« le messie et son prophète » 10 mars 2011

Commentaires "les2ailes.com"

En guise de commentaire, nous proposons simplement de lire des extraits de ces deux philosophes qui considèrent que seule la chrétienté pouvait donner naissance à nos démocraties:

Luc Ferry : «  L’Islam est-il soluble dans la démocratie ? »

"La question n’est pas nouvelle... S’agissant de théologie et non de politique, la question de savoir dans quelle mesure l’islam peut s’ouvrir à la laïcité reste largement ouverte….
Dans cette querelle, au demeurant légitime, on oublie trop souvent l’essentiel, à savoir que les trois grandes religions ne sont pas à égalité s’agissant de la laïcité. Pour des raisons de fond, seul le christianisme a permis, voire favorisé l’émergence de sociétés laïques et démocratiques –et ce n’est nul hasard si ces dernières sont nées en Europe.
Pourquoi ? Pour aller à l’essentiel, parce que le christianisme accorde une place unique à la conscience, à l’intériorité, et que, du coup, il ne « juridifie » pratiquement  pas la vie quotidienne. Non seulement le Christ rend à César ce qui est à César, mais il renvoie les hommes à leur « forum intérieur », comme on le voit, entre autres, dans le sublime épisode de la femme adultère. On peut lire et relire l’Evangile de Jean tant qu’on voudra, on n’y trouvera rien qui renvoie à des obligations extérieures : comment il faut prier, s’habiller, se nourrir, se marier, etc. : tout cela n’intéresse pas jésus. Il ne cesse de d’opposer l’esprit à la lettre, comme dans cette parole (Marc, VII, 15) qui marque une rupture profonde avec le judaïsme orthodoxe auquel Jésus s’oppose à l’époque, non bien sûr en tant que « chrétien », mais en tant que lui-même, rabbi juif éclairé : « il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur ».
En d’autres termes, peu importent les nourritures terrestres et les rituels religieux. Ce qui compte, c’est la pureté du cœur, pas celle des aliments, ni des métiers que les hommes exercent –ce qui, cela dit au passage, permet aussi au Christ de s’entourer d’hommes et de femmes, y compris des courtisanes, que le judaïsme orthodoxe exclut du cercle des fréquentations possibles. Or cette place unique accordée à l’intériorité qui a permis le passage à la laïcité, le christianisme pouvant passer de l’espace public à l’espace privé sans obstacle absolu, de sorte que pour nous, européens, la question est réglée. C’est peu de dire qu’ailleurs, il n’en va pas de même, en quoi le fameux thème des « racines chrétiennes de l’Europe », pour tactique et politicien qu’il puisse être parfois, n’en est pas moins légitime sur le fond. Seule la laïcité, qui n’est pas l’athéisme mais la neutralité de l’Etat et, avec lui de l’espace public, a réussi à pacifier les rapports entre communautés. C’est là le miracle de notre république, qui est bien davantage fille de la chrétienté que ne le pensent d’ordinaire les républicains, a réussi, non sans douleur, à faire vivre…. »

Père Edouard-Marie Gallez : « Une tyrannie magnanime »

Derrière l’intitulé provocateur de cet éditorial,  le père Gallez évoque les évènements consécutifs à la chute du Président tunisien Ben Ali en mars 2011. C’est pour lui une occasion de revenir à la question de la démocratie :

« Dans cet événement, la pensée occidentale dominante voit l’espérance d’une avancée démocratique dans l’un des « pays islamiques » .....
Il faut se rappeler une fois encore que la pensée démocratique moderne et ses systèmes de participation des citoyens aux décisions ne proviennent pas de l’Antiquité. La « démocratie » a été une parenthèse dans la vie de la cité athénienne. Elle ne réapparaît pas tout à coup, en sautant deux millénaires, avec la Révolution française, comme on l’apprend aux enfants dans les manuels scolaires. En revanche, ce que le Révolution a pu emprunter à la Grèce, c’est un certain sens de la « citoyenneté » au détriment de la majorité des habitants réels qui étaient des esclaves : à l’époque moderne, ceux qui se reconnaissent entre eux comme « citoyens » n’ont souvent eu qu’un immense mépris idéologique à l’égard du peuple. Même et surtout s’ils disaient gouverner « au nom du peuple ». Demander son avis à celui-ci est une autre chose. Et organiser la participation du plus grand nombre aux décisions prises en est une troisième. Or, c’est surtout en cela que réside la démocratie.
L’histoire, typiquement occidentale, de la démocratie vient de la pratique des villes du Moyen-âge, visant la participation des membres des communautés locales à la gestion de la cité, à travers des prises de parole systématisées : on inventa alors les mandats électifs, les séances publiques, l’organisation des votes (majorité simple ou qualifiée ou à l’unanimité pour respecter les minorités), sans parler des consultations générales.
Ce jeu démocratique complexe organisant la participation du plus grand nombre était intimement lié à l’idéal chrétien. Trois conditions s’avèrent en effet indispensables :

  • le sens de l’égalité foncière entre tous les habitants de l’entité territoriale à gérer ;
  • un sens d’un destin commun, donc d’un bien commun auquel tous les habitants sont appelés à collaborer – c’est-à-dire une certaine « amitié politique » ;
  • un avenir ouvert à tous, du fait du rejet de toute prétention à établir un monde idéal sur terre ; le christianisme enseigne que les forces humaines ne sont pas capables de réaliser, même partiellement, un tel projet que Dieu seul peut faire advenir (à travers un Jugement, celui de la Venue glorieuse). Le pouvoir de (se) libérer du Mal n’appartient pas à l’homme.

En revanche, dans la doctrine et le système islamiques, et même si certains musulmans en rêvent (souvent en regardant l’Occident), ces trois fondements de la démocratie ne sont guère envisageables.

  • Avec force et insistance, le Coran nie toute égalité foncière entre les êtres humains et établit trois inégalités radicales : entre les musulmans et les non musulmans ; entre les hommes libres et les esclaves (la pratique esclavagiste, qui a atteint des sommets non pas aux USA mais dans les pays musulmans, n’a été abolie officiellement qu’au cours du 20e siècle et, réellement, n’a jamais cessé ; elle est aujourd’hui prônée ouvertement par nombre de groupes islamiques) ; et entre les hommes et les femmes. Dans les trois cas[1], les premiers ont le devoir d’assujettir les second(e)s – telle est la société supposée être voulue par Dieu pour le monde, en tout cas par le Dieu du Coran.
  • Même si le rêve islamique porte l’idée de la fraternité, en pratique, les rapports sociaux sont essentiellement des rapports de force ; et, dans la plupart des familles, il en est souvent déjà ainsi. Puisque « Dieu » bénit celui qui domine l’autre, l’idéal du rapport à l’autre sera celui de l’assujettissement. « Dieu » lui-même est perçu comme un tyran inconnaissable et arbitraire, qui exige l’islam, c’est-à-dire la soumission. Aussi, le climat social ne peut qu’être celui de l’insatisfaction ainsi que de la suspicion à l’égard de tout ce qui est « bien commun ». Les atteintes à celui-ci et à tout ce qui représente l’autorité en témoignent concrètement.
  • Il n’y a pas d’avenir ouvert en Islam ; tout l’enseignement islamique répète à satiété que l’avenir appartient aux seuls musulmans, et que tout ce qui n’est pas conforme aux exigences de l’islam doit être soumis et devra disparaître. L’avenir est fermé : il est écrit d’avance.

Il apparaît ainsi que l’Islam n’est pas une culture qui, comme culture, serait intégrable à un Etat démocratique ; il s’agit d’un programme politico-religieux qui sape les bases mêmes de tout Etat de droit. Les Tunisiens veulent tourner la page du système autocratique et corrompu de Ben Ali… ; le plus probable est qu’il sera chargé bientôt de tous les maux, par les nouveaux maîtres de la Tunisie qui s’en serviront pour justifier leur pouvoir. Quel sera-t-il ? ... Le poids du conditionnement islamique va inévitablement peser. Il n’existe guère de chance que la conviction du P. Antoine Moussali [2]soit infirmée : le système politique le moins mauvais qui puisse s’imposer à une population majoritairement musulmane est celui d’une tyrannie qui empêche toute contestation par un contrôle policier sans faille, qui se méfie de l’Islam, qui prévient la population de la misère en lui laissant quelques activités libres, et qui fait des largesses à ceux qui le soutiennent.


[1] Les chrétiens qui connaissent le Nouveau Testament verront ici, non sans raison, l’inversion de l’affirmation de la triple égalité, par laquelle l’apôtre Paul résume et thématise la nouveauté chrétienne : “il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni mâle ni femelle, car vous êtes tous unis dans le Christ Jésus” (Galates 3,28). D’autres passages illustrent aussi l’inversion de l’idéal social chrétien opéré par l’Islam :

“Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude” (Mt 20:26-28).

“Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. En vérité, en vérité, je vous le dis, un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé” (Jean 13:14-16).

[2] Antoine Moussali – 1920-2003 : Précurseur en Islamologie qui a déclaré : « « Le meilleur système politique qu’un peuple musulman puisse connaître est celui d’une tyrannie magnanime »