Joseph E. STIGLITZ, Prix Nobel d’économie en 2001, a présidé la Commission d'experts de l'ONU qui a siégé du 24 au 26 juin 2009 sur la réforme du système monétaire et financier international. Le rapport final appelait les états à « étudier la faisabilité d'un système de réserve, avec un rôle plus important et efficace des Droits de Tirage spéciaux du Fonds Monétaires International ».

Serait-ce là les prémices d’une nouvelle monnaie mondiale ? Pourquoi aborder cette question à propos des questions écologiques? Parce qu'il faut répondre à l'objection que la terre ne pourrait pas nourir la population mondiale. Or les questions monétaires sont cruciales dans les échanges mondiaux de produits alimentaires...

Sources :
Résultat de la Conférence des Nations Unies sur la crise mondiale économique et financière et son impact sur le développement (sa Traduction)
Mondiaal Niews le 27 août 2009
Plaidoyer de Zhou Xiaochuan du 23 mars 2009
La Tribune.fr du 24.3.2009
Interview de Sergio Rossi ; tribune de Genève 23.3.2009

Commentaire de « les2ailes.com »

Qui est Joseph Stiglitz ?

Américain et Nobel de l'économie en 2001, il poursuit son attaque frontale contre le $. Pourtant l’'ONU n’a pas hésité à lui confier la présidence de la Commission d'experts de l'ONU sur la réforme du système monétaire et financier international qui a siégé du 24 au 26 juin 2009. Comment lancer les bases d’un Nouveau Système Monétaire International ? Pour Stiglitz: "Il est clair qu'une devise de réserve ne doive pas être adossée à une monnaie nationale, parce que ceci ne peut que conduire à l'abandon de la discipline financière avec des conséquences désastreuses pour le pays émetteur de cette monnaie de réserve et pour l'économie mondiale."

C'est la première fois que se trouve la question d'une nouvelle monnaie mondiale à l'ordre du jour d'une conférence internationale.

Joseph Eugene Stiglitz est un économiste américain qui reçut le prix Nobel en 2001 pour un travail commun avec George Akerlof et Michael Spence. Il est un des fondateurs et un des représentants les plus connus du "nouveau keynésianisme". Parmi les recherches les plus connues de Stiglitz figure la théorie du screening, qui vise à obtenir de l’information privée de la part d’un agent économique: cette théorie, avec les lemons d’Akerlof et l’effet signal de Spence, est à la base de l’économie de l'information et du nouveau keynésianisme. Il s'intéresse à l'économie du développement et s'impose dans des sujets comme les causes et conséquences des inégalités, la persistance du chômage, la fréquence des crises financières.

Stiglitz a fondé en 2000 "l'Initiative for a Policy Dialogue" à l'Université de Columbia, initiative qui s'est donné pour mission d'expliquer aux pays en développement qu'il y a des alternatives aux prescriptions du FMI. L'IPD organise également une formation pour journalistes, afin que ceux-ci puissent décrypter et analyser les propos émanant du FMI avec leurs propres paramètres. L'IPD travaille en collaboration avec des instituts de recherche, dont certains du "Tiers Monde" et notamment l'ONG fondée par Martin Khor, Third Worls Network, accréditée auprès de l'ONU.

 

Pourquoi une monnaie mondiale ?

Toute monnaie doit inspirer confiance. L'émetteur d'une monnaie est en général un état, une institution, un "roi",… au point qu’on parle du « droit régalien de battre monnaie ». Cette autorité émettrice a besoin d'asseoir sa crédibilité sur des réserves de quelque chose de concret, un stock d'or ou un stock de devises. Faute de réserves concrètes, c'est sur une économie saine et florissante que les banques centrales s’appuient de plus en plus pour construire cette crédibilité.

Historiquement, les échanges commerciaux se pratiquaient dans un périmètre national, et c’est l’autorité nationale qui émettait la monnaie servant à ces échanges. Paradoxalement, avec la mondialisation, les acteurs commerciaux n’ont pas trouvé de véritable monnaie mondiale. Chaque acteur commercial utilise la monnaie d’un pays, tantôt celui du vendeur, tantôt de l’acheteur ou d’un pays tiers. En l’absence de monnaie mondiale « neutre », c’est la monnaie la plus « crédible », le dollar, qui a chassé les autres. Le dollar a donc été accumulé comme « réserve » par les diverses autres monnaies. Le FMI estime deux tiers des réserves [1] de devises stockées dans le monde le sont en dollars et seulement un quart en euro.

Le dollar est ainsi devenu progressivement la monnaie mondiale de référence.

Or la stabilité et la valeur de cette monnaie dépendent de la politique monétaire et budgétaire des seuls Etats-Unis. Lorsque leur économie fléchit, la Banque Fédérale joue des taux d’intérêts directeurs pour faire baisser la valeur du dollar ce qui favorise les exportations américaines. La dette publique américaine, dépassant les 10 000 milliards de dollars, est financée en partie par des Etats étrangers. Si la valeur du dollar baisse, ce sont les réserves des états en question qui diminuent, notamment celles de la Chine qui en détient près de 700 milliards de $ et cette baisse du dollar réduit parallèlement le coût de remboursement de la dette au bénéfice des Etats-Unis.

Par ailleurs, lorsque les états prennent des engagements douaniers dans les négociations de l’OMC, ils les prennent sur la base de taxes exprimées en dollars, ou en % de cours mondiaux de marchandises exprimés eux aussi en dollars. Si le dollar baisse, ce sont tous les niveaux de protection qui s’effondrent d’autant. Ainsi ces pays sont soumis à une dépendance envers la politique monétaire des Etats-Unis. La chose est particulièrement grave pour les Pays les Moins Avancés (PMA) qui vient ainsi leurs agricultures soumises à une concurrence américaine en particulier pour un fait monétaire !

Afin de neutraliser les fluctuations de change, à la hausse ou à la baisse, une monnaie mondiale de référence apporterait beaucoup d’avantages. Faut-il encore préciser ce qui serait souhaitable.

 

Quelle monnaie mondiale ?

Il existe peu d’exemples de monnaies internationales en dehors des expériences récentes de l’Union Européenne.

Deux étapes ont existé en Europe :
-       l’ECU : un « panier » de monnaies servant essentiellement aux échanges entre banques centrales et de référentiels dans les négociations internationales ;
-       l’EURO : une véritable monnaie fiduciaire pour l’ensemble des activités économiques.

Ces deux exemples illustrent bien la problématique qui se poserait au niveau mondial. Commençons par le second cas.

Le scénario d’une monnaie fiduciaire mondiale

Une telle monnaie a l’avantage évident de s’appliquer à l’ensemble des activités économiques mondiales.

Il faut toutefois être conscient qu’il s’agit, dans ce cas, d’un véritable transfert de pouvoirs qui va au-delà des simples activités quotidiennes. L’autorité centrale doit également définir des stratégies d’émission monétaire, des politiques de crédit tant aux entreprises qu’aux ménages. En fixant les écarts de taux entre le  long terme et le court terme, L’autorité centrale favorise ou non les investissements au détriment ou en faveur de l’épargne. C’est un véritable enjeu économique de développement qui doit être adopté de façon consensuelle.

En ce domaine l’expérience de l’EURO est très paradoxale : la Banque Centrale Européenne est la seule au monde à ne pas rendre de compte aux autorités politiques. Les gouverneurs de la FED américaine ou de la BoJ du Japon reçoivent de véritables objectifs économiques des dirigeants politiques. Ils présentent périodiquement leurs rapports d’activité à leurs assemblées parlementaires. Dans le cas de l’Europe, les traités constitutifs de la monnaie ont institué le principe de l’indépendance de la Banque Centrale, sous couvert d’un principe théorique de préserver un « pouvoir d’achat stable » dans la zone Euro. L’objectif est louable, mais est-il le seul ?

Cette réflexion pose la question de la gouvernance mondiale. Si « battre monnaie est un droit régalien », quelle sera l’institution mondiale régalienne ? Comment fonctionnerait-elle ? Faudrait-il transformer l’ONU en une Fédération mondiale dotée  d’organes de gouvernement centralisés ? Ce serait à l’évidence une certaine « fin des états » ! Où et comment serait satisfait un principe social de subsidiarité dans ce nouveau pouvoir ?

A l’évidence, il semble préférable de conserver le principe d’une institution laissant aux états, une large autonomie. Comment concilier cela avec l’idée s’une monnaie mondiale. L’exemple de l’ECU semble utile

Le scénario d’une monnaie de réserves pour les banques fédérales

L'ECU européen était composé des différentes monnaies européennes, dont chacune était affectée d'un coefficient proportionnel à son PNB et son commerce extérieur:

1 écu = 1,332 F + 0,624 DM + ... (10 monnaies)

L’ECU ne remplissait pas un rôle monétaire complet. C’était essentiellement un instrument de transactions des banques centrales, pour défendre la parité de leur monnaie, ou pour souscrire des emprunts. C’était donc un instrument de réserve de change pour les banques centrales. Malgré tout, les entreprises financières et industrielles avaient fini par préférer utiliser l'écu (plutôt que le cours trop fluctuant du dollar), pour placer, emprunter, facturer ou régler.

Depuis quelques temps, beaucoup d’observateurs rappellent qu’un système assez proche existe au Fonds Monétaire International avec ses « droits de tirage spéciaux » (DTS). Il s’agit de crédits que les nations disposant d'excédents dans leur balance des échanges peuvent « tirer » des nations ayant des déficits commerciaux.
Les DTS sont alloués aux pays membres proportionnellement à leur quote-part au FMI. En octobre 2005, le panier de devises composant un DTS contient:

  • 0,5770 USD
  • 0,4260 EUR ;
  • 21,000 JPY ;
  • 0,0984 GBP.

Le DTS n’est pas une devise en tant que tel  et le FMI n’est pas un émetteur et ne garantit  pas les valeurs en DTS de ses propres réserves.
Les ressources du FMI liées aux quotes-parts sont d'environ 300 milliards de dollars américains. Lors du sommet du G20 de Londres le 2 avril 2009, il a été décidé d'accroître significativement les ressources du FMI à hauteur de 1 000 milliards de dollars.

 

Que recommande la Commission Stiglitz ?

La commission, à son § 33, recommande l’introduction d’une nouvelle monnaie de réserve remplaçant le dollar. Elle émet l’idée de donner « un rôle plus important et efficace des DTS ».

Fin mai, Yu Yongding et Yaga Reddy, deux membres de la commission Stiglitz, étaient venus à Bruxelles afin de clarifier leurs recommandations. Yu est professeur d’université en économie, membre de l’Académie chinoise d’Etudes Sociales et directeur de l’Institut pour l’Economie et la Politique Mondiales. Reddy est un ancien gouverneur de la Banque Nationale indienne.

Ils ont été interviewés dans Mondiaal Nieuws le 27 août 2009 et ont répondu en ces termes :

  • Mondiaal Nieuws: La commission préconise l’introduction d’une nouvelle monnaie de réserve remplaçant le dollar.

    Yu Yongding: Le système actuel souffre de contradictions internes. La monnaie de réserve du monde est le dollar, la monnaie des Etats-Unis, qui adaptent leurs politique monétaire à leurs propres nécessités fiscales et monétaires. Ils poursuivent leurs propres buts sans que rien ou personne ne puisse les conditionner. Il n’existe pas d’alternative non plus: si les Etats Unis n’avaient pas de déficit, les dépenses n’étant donc pas supérieures aux revenus, le monde ne disposerait même pas de dollars. Voilà un paradoxe: la dette des Etats-Unis doit croître chaque année – ce qui mine d’ailleurs la confiance dans le dollar – afin de fournir à l’économie mondiale sa monnaie de réserve.
    La solution consiste pour nous en la création d’une nouvelle monnaie mondiale. La crise a libéré la voie pour cette ancienne idée de Keynes. Le gouverneur de la Banque Populaire de la Chine a présenté l’idée. Pour ce qui nous concerne, le FMI peut émettre des obligations, dans sa propre monnaie de réserve, le SDR. La Banque Populaire de la Chine a déjà affirmé qu’elle serait intéressée à acheter de telles obligations en SDR.

    Yaga Reddy: Nous proposons également la création d’un conseil  économique global, un organe qui puisse coordonner mieux la politique des institutions spécialisées telles le FMI, l’Organisation Mondiale du Travail ou celle qui traite les accords environnementaux. Cet organe doit être efficace et en même temps écouter tous les pays. Le FMI et la Banque Mondiale doivent eux aussi répartir les voix de manière plus équitable.
  • Mondiaal Nieuws: A quoi aboutiront ces idées ?

    Yaga Reddy: Les institutions, toujours bien enracinées dans notre société, ont des difficultés à reconnaître leurs échecs. L’argument dont on se sert pour rejeter nos propositions, c’est que, en ce moment, il faut se concentrer sur les programmes de relance. S’occuper du reste, ce ne sera que perte de temps. Voilà un argument qui ne dit rien du tout sur le contenu. En effet, je suis convaincu qu’il est difficile de réfuter nos propositions d’un point de vue intellectuel. Nous sommes conscients du fait que toutes les propositions ne peuvent pas être réalisées, mais une reprise sans réforme radicale risque de ne faire rien d'autre qu’aggraver  les problèmes. Notre espoir, c’est que l’opinion publique soutiendra notre vision, poussant les gouvernements à céder.

    Yu Yongding: Evidemment les intérêts traditionnels ne sont pas prêts à céder sans problèmes. Pourtant nous croyons en notre victoire. Une expression chinoise dit que le monde est aux jeunes et je vois beaucoup de jeunes ici aujourd’hui.

Mais rien ne peut se faire au FMI sans l’accord des Etats-Unis. Ces derniers sont très réticents à cette idée car ont peur de ne plus pouvoir emprunter à leur guise et à tout le moins de voir le coût de leur dette augmenter. Mais si de nombreux pays sont demandeurs, quels arguments pourront-ils opposer ?

 

Qui soutient ce renforcement du rôle des Droits de Tirage spéciaux ?

Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de Chine, a fait, lui aussi, un plaidoyer pour une monnaie de référence mondiale, un peu avant la réunion de la commission Stiglitz, en avril 2009.

Dans une Interview à La Tribune de Genève, Sergio Rossi, professeur de macroéconomie et de politique monétaire à l’Université de Fribourg, explique qu’ « il ne faut plus que les échanges internationaux se paient à l’aide d’une quelconque monnaie nationale. Il faut que le Fonds Monétaire International, qui attribue déjà des «droits de tirage spéciaux» à ses pays membres ayant des difficultés avec leur balance des paiements, passe à l’étape suivante, consistant à émettre une véritable monnaie supranationale. Celle-ci ne serait utilisée que par les banques centrales nationales pour le règlement des échanges internationaux: le public n’en verrait jamais la couleur. Tous les transferts de capitaux d’un pays à un autre devront alors passer par leurs banques centrales respectives, qui assureront la conversion des monnaies pour qu’au bout du compte, le pays exportateur reçoive de vrais actifs financiers en échange des biens exportés. Mais il est très important que chaque pays conserve sa monnaie nationale, donc sa politique monétaire, à la différence de ce qui s’est fait avec la création de l’euro ».

Mais il faudra bien rapatrier tous ces dollars qui circulent… Sergio Rossi répond : « Pour ce faire, il faut que les Etats-Unis redeviennent un pays exportateur net ! Il s’agit de récupérer tous ces dollars en mains étrangères en fournissant des biens e