La question peut paraître saugrenue quand on vient de fêter l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. C’est pourtant le souhait que formule le philosophe et écrivain Alain Badiou, dans son article "Le courage du présent" qu’il vient de publier dans Le Monde. Il exprime sa conviction que nous entrons dans une phase de son retour qui est très proche.

Et s’il n’avait pas complètement tort ? Et si l’écologisme en était un des meilleurs vecteurs ? Cela remet d'actualité une analyse du dissident roumain, Radu Portocala….

Le Monde.fr du 13 février 2010

Commentaire de "les2ailes.com"

Le texte d’Alain Badiou est très clair : « L'hypothèse communiste a connu deux grandes étapes, et je propose de dire que nous entrons dans une troisième phase de son existence. L'hypothèse communiste s'installe à vaste échelle entre les révolutions de 1848 et la Commune de Paris (1871). [...] Puis il y a un long intervalle, de près de quarante années (entre 1871 et 1905) [...]. La séquence qui va de 1905 à 1976 (Révolution culturelle en Chine) est la deuxième séquence d'effectuation de l'hypothèse communiste. De 1976 à aujourd'hui, prend place une deuxième période de stabilisation réactive, période dans laquelle nous sommes encore, et au cours de laquelle on a notamment vu l'effondrement des dictatures socialistes à parti unique créées dans la deuxième séquence. Ma conviction est qu'inéluctablement une troisième séquence historique de l'hypothèse communiste va s'ouvrir, différente des deux précédentes, mais paradoxalement plus proche de la première que de la seconde ».

Pourquoi disons-nous qu’il pourrait ne pas avoir complètement tort et que l’écologisme pourrait faciliter ce retour ?

Nous nous appuyons sur une analyse de Radu Portocala qui date de 2002 mais que les propos d’Alain Badiou rendent très actuels.

Radu Porcala est un journaliste-écrivain roumain. Son grand père député et ministre en Roumanie entre 1937 et 1940 fut arrêté et torturé à mort par le pouvoir communiste en 1950. Son père, médecin a passé deux ans de travaux forcés de 1952 à 1954 en tant que « fils d’ancien dignitaire ». Lui-même  a été l’objet en 1977 d’enquête pour haute trahison et  n’a été sauvé que par le gouvernement grec qui a réclamé son exil. Radu Portocala sait donc de quoi il parle à propos des pouvoirs totalitaires.

Radu Portocala écrivit le 22 juillet 2002 à Jean-Louis Debré, à l’époque Président de l’Assemblée Nationale, une minute de silence pour les victimes du communisme [1], évoquant les Cent millions de morts de la période du communisme soviétique. Jean-Louis Debré répondit qu’il « n’appartient pas au législateur français d’adopter un texte de reconnaissance de crimes perpétués en dehors du sol national… » [2]. Cette réponse étonne quand toute la classe politique se déclarait pourtant très favorable, en d’autres lieux et d’autres temps, au « devoir d’ingérence ».

A la suite de l'Assemblée nationale, le 29 mai 1998, le Sénat, venait pourtant de plébisciter le la reconnaissance officielle du génocide arménien, dans les mêmes termes et dans le cadre d’une  "discussion immédiate" de la procédure d'urgence [3]. Alors pourquoi avoir persisté à adoucir les consciences et laisser dire Lionel Jospin à l’Assemblée nationale le 12.11.1997  que le communisme « n’a jamais porté la main sur les libertés » et qu’il a seulement « tiré les leçons de l’histoire » [4] !

Etant donnés nos propos sur le caractère messianique de l’écologisme, il n’est pas inutile de réfléchir aux raisons de ces crimes. L’historien Jean Mabire écrivait en 2003 : « la séduction opérée par le messianisme temporel du communisme, … quand la vie n’est plus préoccupée que par la réalisation du royaume des hommes », ajoutant que « la collusion entre le marxisme et les intellectuels n’a jamais été aussi forte que depuis les années 1970 » [5].
Le mot de messianisme est bien utilisé.  Chacun sait ce que cela signifie : des foules nombreuses se laissent séduire par la perspective trompeuse des « lendemains qui chantent ». En écologie, on feint de croire que l’homme changera l’état de la planète en se sacrifiant sur l’autel de la « croissance zéro ». Le monde sera meilleur !

Quelle est l’analyse de Radu Portocala ? Il accuse l’Occident de ne jamais avoir « envisagé sérieusement la possibilité de défaire le communisme » et de n’y avoir vu qu’un « concurrent avec lequel il était toujours possible de trouver des arrangements » [6]. Il rappelle comment les intellectuels occidentaux furent légion à devenir des « compagnons de route » de Lénine que lui-même qualifiait « d’idiots utiles ».  Aucun gouvernement occidental n’a appelé les anciens pays communistes à un acte de repentance. Radu Portocala  n’hésite pas à dire que quand on parle de « la mort du communisme, on ne fait qu’entretenir une grave confusion… pour la simple raison qu’il n’a pas été réellement combattu » [7].

Pourquoi l’idéologie messianique reste-t-elle actuelle ? L’écrivain roumain poursuit : « Quant à l’idéologie… un simple artifice lui évita de voir sa légitimité mise en cause : on a substitué la responsabilité de Staline à celle du système. Ce n’est pas le communisme, nous dit-on, qui est coupable de la mort de cent millions d’êtres humains, mais le stalinisme… Le communisme, pourtant intrinsèquement violent et meurtrier, sort blanchi de cette manipulation…. Après la disparition de la référence négative, tangible, à laquelle se rapportaient toutes les critiques, l’utopie redevient légitime et l’on peut, en son nom, recommencer à organiser l’avenir » [8].

L’expérience d’une ancienne victime du communisme ne doit pas être prise à la légère : le communisme ne revient pas en occident avec le même nom, mais les mécanismes sont les mêmes : ce ne sont plus les « apparatchiks » d’un parti qui nous gouvernent, mais les experts de nos organisations internationales. On n’a plus affaire à une idéologie se référant à un maître à penser, mais, comme par le passé, une oligarchie détient la vérité et condamne les opposants, peut-être pas aux camps de la mort, mais au silence et au mépris. L’articulation de la pensée ne relève plus de la dialectique matérialiste, mais d’un holisme sémantique. Mais dans les deux cas, la pratique consiste à entretenir la confusion mentale pour dénier les vérités anthropologiques les plus évidentes. Le maniement des mécanismes de peur est le même pour annihiler la capacité des peuples à se tenir debout et libres. Comme hier, on ne se prive pas de clamer sa volonté d’hégémonie universelle et on ne fait pas l’économie d’une subversion. L’homme nouveau n’est plus appelé à être un « communiste », mais un « homme universel et cosmopolite » et celui qu’on veut produire est toujours un « monstre dépourvu de conscience. La société que l’on veut construire est une geôle effrayante » [9].

Radu Portocala est donc un peu prophète quand il écrit : « Si un jour le communisme déferle de nouveau sur le monde, son point de départ ne pourra être, cette fois-là, qu'ici, en Occident. Il se dit aussi que ceux qui auront contribué à l'épanouissement de ce communisme renouvelé devraient s'attendre au pire : ils seront, comme toujours, non pas ses héros, mais ses premières victimes» [10].

Cette vision rejoint celle de Jean-Paul II devant l’ambassadeur de Georgie, pays également ancienne victime du communisme : « Les mensonges les plus destructeurs sur l’homme que le XX° siècle ait produits sont nés de visions matérialistes du monde et de la personne. Le communisme et le fascisme se sont peut-être écroulés, mais ils ont laissés dans leur sillage de nouvelles formes de matérialisme, dont les motivations sont sans doute moins idéologiques et les manifestations moins spectaculaires, mais qui n’en demeurent pas moins d’une certaine façon destructrices. » [11].

Or, où en est-on ? Radu Portocala laisse entendre que nos organisations internationales sont imprégnées de cette culture du passé : « Depuis 1990, l'Occident et ses structures supra-étatiques (UE, OTAN, etc.) parlent beaucoup au pays de l'ancien bloc soviétique de leur avenir. Tous semblent vouloir oublier que l'avenir ne surgit jamais du néant, mais qu'il est une sorte de projection du passé, dont il porte les traces. Que cela plaise ou non, tout ce que l'on construit a le passé pour fondement … » [12].

Nos états démocratiques manquent de courage pour dénoncer tous ces messianismes. Ils sont trop souvent complices de la mise en œuvre de politiques écologiques mensongères, de la même manière que, dans le passé, on couvrait par le silence, les forfaits du communisme. Rappelons que Jacques Chirac avait appelé le dissident Léonid Plioutch à « plus de retenue » dans ses critiques du régime soviétique.

C’est pour toutes ces raisons qu’il est moralement légitime de se dresser contre les mensonges écologistes, comme tous les autres mensonges.  L’écologie n’est pas la seule idéologie messianique actuelle.


[1] Source : http://www.diploweb.com/p5portocala.htm

[2] Source : http://www.diploweb.com/p5portocala.htm

[3] Source : veille juridique du site net-Iris : http://www.net-iris.fr/veille-juridique/actualite/301/le-senat-reconnait-le-genocide-armenien-de-1915.php

[4] Texte intégral sur http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr/jospin_version2/PM/D121197.htm

[5] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 117

[6] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 119

[7] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 120

[8] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 125

[9] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 120

[10] Discours de Jean-Paul II au nouvel ambassadeur de Géorgie auprès du St-Siège le 6.12.2001

[11] Discours de Jean-Paul II au nouvel ambassadeur de Géorgie auprès du St-Siège le 6.12.2001

[12] Source : « entretien avec Radu Portocala » Revue « Liberté politique » N° 23  été 2003, page 123