Le Conseil pontifical justice et paix a publié le 24 octobre 2011 une note « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle ». Elle a été présentée à la presse par le Cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, Président du Conseil pontifical, Mgr.Mario Toso, Secrétaire, et M. Leonardo Becchetti, professeur d'économie politique de l'Université romaine Tor Vergata.
Cette note a fait l’objet de nombreuses réactions qui ont obligé, Mgr Mario Toso, secrétaire du même conseil Justice et paix, à publier, le 29 décembre 2011 un complément intitulé « Réflexions sur la réforme du système monétaire et financier ». Il y précisa la nature du document précédent et les raisons de sa publication. Il s’agit d’une réflexion très abouties sur la question de la gouvernance mondiale et sur les concepts clefs comme souveraineté, autorité, bien commun.

Source : zenit n° ZF11102405 du 24-10-2011

Commentaire "ordinatissima"

1. La note du Conseil Justice et Paix

Quel est le contenu de cette note datée du 24 octobre 2011 ?

1.1. Une analyse historique du développement économique

La note analyse les diverses étapes, depuis la 2nde guerre mondiale, les diverses crises, l’augmentation des inégalités au sein des pays et entre les pays.
La note met en cause « l’idéologie du libéralisme économique, l’idéologie utilitariste, c’est-à-dire l’organisation théorique et pratique selon laquelle «ce qui est utile au plan personnel conduit au bien de la communauté». Il est à noter qu’une telle «maxime» renferme un fond de vérité, mais on ne peut ignorer que l’utilité individuelle – même si elle est légitime – ne favorise pas toujours le bien commun ».
La note analyse également le rôle de la technique dans cette évolution. Elle dénonce l’idée selon laquelle « les problèmes à affronter sont exclusivement d’ordre technique ». Elle souligne « l’importance des facteurs éthiques et culturels [qui] ne peut donc pas être négligée ou sous-estimée. En effet, la crise a révélé des attitudes d’égoïsme, de cupidité collective et d’accaparement des biens sur une vaste ». échelle ».

1.2. Un appel à l’éthique de solidarité, à la justice mondiale

La note insiste sur « la primauté de l’être sur l’avoir, et de l’éthique sur l’économie. Les peuples de la terre devraient, comme étant l’âme de leur action, assumer une éthique de la solidarité, en abandonnant toute forme d’égoïsme mesquin et en embrassant la logique du bien commun mondial qui transcende le simple intérêt contingent et particulier ».
Dès lors, la note considère qu’il faut « sans tarder …s’acheminer sur une voie qui soit davantage en syntonie avec la dignité et la vocation transcendante de la personne et de la famille humaine ». A cette fin la note aborde deux questions concernant « le gouvernement de la mondialisation » et « une réforme du système financier et monétaire international capable de satisfaire les exigences de tous les peuples »

1.3. Le portrait-robot de l´Autorité publique mondiale

La note fait une analyse de l’évolution du monde et observe que le monde s’achemine « vers une plus grande unification ». La note se réfère à l’encyclique de Jean XXIII « Pacem in terris » : « Ainsi que le rappelait déjà Jean XXIII dans « Pacem in terris », le but de l’Autorité publique est avant tout de servir le bien commun » [1] . La note rappelle que Benoit XVI a « exprimé la nécessité de constituer une autorité politique mondiale ». La note observe une liste de questions qui doivent être traitées au niveau mondial : « Il suffit de penser, par exemple, à la paix et à la sécurité; au désarmement et au contrôle des armements; à la promotion et à la sauvegarde des droits fondamentaux de l’homme; au gouvernement de l’économie et aux politiques de développement; à la gestion des flux migratoires et à la sécurité alimentaire; à la sauvegarde de l’environnement…. Parmi les politiques paraissant les plus urgentes, il y a celles qui sont relatives à la justice sociale mondiale: des politiques financières et monétaires qui ne nuisent pas aux pays les plus faibles; des politiques désireuses de réaliser des marchés libres et stables et une juste distribution de la richesse mondiale, grâce aussi à des formes inédites de solidarité fiscale mondiale ». La note indique que  cette autorité supranationale doit, en particulier :

  • « être structurée de façon réaliste et mise en œuvre progressivement », c'est-à-dire, « être précédée d’une phase préliminaire de concertation, dont émergera une institution légitimée »
  • « avoir pour but de favoriser l’existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c’est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un ordonnancement juridique approprié, assurant un développement durable et le progrès social de tous, et s’inspirant des valeurs de la charité et de la vérité »
  • « impliquer tous les peuples de façon cohérente, dans une collaboration au sein de laquelle ils sont appelés à contribuer, avec le patrimoine de leurs vertus et de leurs civilisations »
  • exercer son autorité « obligatoirement super partes, c’est-à-dire au-dessus de toutes les visions partielles et de chaque bien particulier, en vue de la réalisation du bien commun »
  • être au service de la personne : « La personne n’est pas faite pour servir l’Autorité sans condition »
  • créer, « entre autres, les conditions socio-économiques, politiques et juridiques indispensables aussi à l’existence de marchés efficients et efficaces, parce que super-protégés par des politiques nationales paternalistes, et parce que n’étant pas affaiblis par les déficits systématiques des finances publiques et des produits nationaux qui, en fait, empêchent les marchés eux-mêmes d’opérer dans un contexte mondial en tant qu’institutions ouvertes et concurrentielles »

La note insiste sur le principe de subsidiarité qui doit présider à l’existence de cette autorité. Elle aborde la question délicate de l’exercice démocratique : « le principe de subsidiarité… garantit la légitimité démocratique ... Il permet de respecter la liberté des personnes ». Elle rappelle le texte de Caritas in Veritate : « La gouvernance de la mondialisation doit être de nature subsidiaire ».

 

1.4. Une préconisation : la taxation des transactions financières

 

En matière financière, la note commence également par une analyse historique, remontant à la « diminution progressive de l’efficacité des institutions de Bretton Woods », à « l’abrogation généralisée des contrôles sur les mouvements de capitaux et de la tendance à la déréglementation des activités bancaires et financières, et d’autre part, des progrès de la technique financière, favorisés par les instruments informatiques ». La note observe les structures du G7 puis du G20 qui a proposé une « réforme de l’architecture mondiale pour faire face aux exigences du XXIe siècle ».
C’est fort de cette analyse que la note s’engage dans un «  processus de réflexion approfondie …, en parcourant des voies créatives et réalistes ».

  • la réforme du système monétaire international
    Elle équivaudrait, « dans une certaine mesure, à remettre en question le système des changes existants »

  • La mise en place « d’un organisme assurant les fonctions d’une sorte de ‘’Banque centrale mondiale’’ ». 
    La note ne détaille pas quels seraient les liens avec les institutions régionales existantes « comme par exemple la Banque centrale européenne ». Elle pointe une difficulté : « cela nécessiterait une réflexion au plan économique et financier, mais aussi et avant tout au plan politique, en vue de constituer des institutions publiques correspondantes qui garantissent l’unité et la cohérence des décisions communes »
  • La réflexion autour d’une taxation des transactions financières

Cette idée trouverait sa justification dans la nécessité de « retrouver le primat du spirituel et de l’éthique ». Une taxation des transactions financières « pourrait contribuer à la constitution d’une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier ».
Cette même approche éthique pourrait justifier « des formes de recapitalisation des banques », une redéfinition « du cadre de l’activité de crédit ordinaire et des banques d’investissement » et l’instauration d’une « discipline plus efficace des  ’’marchés occultes’’ ».

1.5. Conclusion

La note conclue en disant que « il ne faut pas avoir peur de proposer des nouveautés ». Par ailleurs, elle trouve « surréaliste et anachronique » que l’indépendance des états modernes se soit accrue, « concentrant leur souveraineté dans les limites de leur territoire » et que le principe selon lequel  « l’Etat estime pouvoir, de façon autarcique, réaliser le bien de ses concitoyens » relève d’une « forme corrompue de nationalisme ». Tout cela rend « naturel de penser à une communauté internationale intégrée et toujours plus dirigée par un système partagé ». Les états ne doivent plus  lutter « entre eux en permanence ».
La note estime que « les conditions sont réunies pour dépasser un ordre international ‘’westphalien’’ ».

Mais tout cela n’est pas sans risques : « Dans un monde en voie de mondialisation rapide, la référence à une Autorité mondiale devient le seul horizon compatible avec les nouvelles réalités de notre époque et avec les besoins de l’espèce humaine. Toutefois, il ne faut pas oublier que, du fait de la nature blessée des hommes, cela ne se fait pas sans angoisses ni souffrances. … Le mythe de la Tour de Babel nous prévient aussi qu’il faut bien se garder d’une « unité » de façade seulement, qui est toujours le siège d’égoïsmes et de divisions, du fait de l’instabilité des bases de la société ».

2. Une note objet de larges débats

La parution de cette note le 24 octobre 2011 a fait l’objet d’une série de réactions :

26.10.2011- Francisco Forte : Article publié dans « Il Foglio »
2.11.2011- Benoit XVI : appel au G20
3.11.2011- Ettore Gotti Tedeschi : éditorial dans l’Osservatore romano
4.11.2011- Cardinal Tarcisio Bertone : lettre à tous les chefs de dicastère
29.12.2011- Note complémentaire de Mgr Mario Toso

Ces réactions posent la question de savoir s’il faut recommander une « governance », simple autorégulation fruit de la collaboration plus ou moins spontanée des Etats, ou d’une institution technocratique et monocratique. Examinons ces réactions une par une :

2.1. Francisco Forte : 26.10.2011- Article publié dans « Il Foglio »

Le Professeur Francesco Forte est né en 1929. Il a été professeur de sciences financières à l'université de Turin, puis professeur émérite au département des économies publiques de l’Université de Rome « la Sapienza ». Il a été ministre des finances en 1982, puis aux affaires étrangères pour la faim dans le monde de 1985 à 1987.
Sa réaction a consisté à souligner, selon lui, la contradiction entre l'autorité d'un gouvernement universel prônée par le document, et au contraire la «gouvernance» fondée sur les principes de subsidiarité et de polyarchie invoquée par l'encyclique de Benoît XVI « Caritas in Veritate».
Deux jours après sa publication, il qualifie la note du conseil pontifical d’ « inacceptable ». Il s’explique en s’appuyant sur l’encyclique : « Dans ‘’Caritas in veritate’’, le gouvernement mondial d'une méga-autorité publique est exclu: ‘’Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, être concrètement efficace’’ (§57) ». Il fait donc une nuance importante entre les concepts de « gouvernement » et de « gouvernance » en s’appuyant sur le vocabulaire utilisé : « Le mot ‘’gouvernement’’ du texte italien de l'encyclique se prête à une lecture ambiguë, qui disparaît dans l'original latin, qui utilise le terme ‘’moderari’’, ou ‘’régulation’’. Et en effet, dans le texte anglais il y a ‘’governance’’, qui ne saisit pas complètement la notion de ‘’moderari’’ »[2].

2.2. Benoit XVI : 2.11.2011- Appel au G20

Benoit XVI a lancé un appel aux membres du G20 au terme de l’audience générale du mercredi matin 2.11.2011, dans la salle Paul VI au Vatican. 
« Les 3 et 4 novembre prochains, demain et après-demain, les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 se réuniront à Cannes, pour examiner les problématiques principales liées à l’économie mondiale », a rappelé le pape.
« Je souhaite que la rencontre aide à surmonter les difficultés qui font obstacle au niveau mondial à la promotion d’un développement authentiquement humain et intégral », a déclaré Benoît XVI.

2.3. Ettore Gotti Tedeschi : 3.11.2011 - éditorial dans l’Osservatore romano

M. Ettore Gotti-Tedeschi, né en 1945,   est un économiste et banquier italien. Il est président de l'Institut pour les œuvres de religion (IOR), institution financière de la Cité du Vatican. 
Huit jours après la note du conseil pontifical, il publie un éditorial dont le titre est : « Face aux perspectives déflationnistes, un nouveau modèle de leadership ».

Il est symptomatique qu’il se lance dans une analyse des causes de la crise actuelle et des diverses solutions qui sont proposées :

  • Réduction de la dette totale en en annulant une partie
  • Taxation de la richesse des ménages
  • Développement rapide, par une Intervention sur le coût du travail
  • Dévaluation de la monnaie
  • Inflation pour dégonfler la dette
  • Etablissement d’une corrélation entre les taux d’intérêt et le PIB

Ettore Gotti Tedeschi balaye ces idées et explique pourquoi elles ne peuvent pas fonctionner. « Désormais, il n’y a plus beaucoup de solutions », dit-il. Il ne dit pas un mot de l’idée suggérée par le conseil pontifical  Justice et paix consistant à  constituer « une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier ». Il semble donc ignorer également l’idée proposée d’une taxation des transactions financières.
Il rappelle explique la cause de la crise : « ses véritables origines, c’est-à-dire la baisse de la natalité ». Cette cause n’est pas évoquée non plus dans l’analyse du conseil pontifical.

Pour Ettore Gotti Tedeschi, « la solution est dans les mains des gouvernements et des banques centrales, qui doivent mener une action stratégique coordonnée de ré-industrialisation, de renforcement des institutions de crédit et de soutien de l’emploi ».
Cela demandera du temps, un temps d’austérité pendant lequel il faudra reconstituer les fondamentaux de la croissance économique.
Mais surtout les gouvernements doivent redonner confiance aux individus et aux marchés en adoptant une "governance" qui corresponde à la situation et qui, tout en assurant une adaptation technique, soit aussi un modèle de leadership. C’est-à-dire un outil pour atteindre cet objectif qu’est le bien commun
 » [3].

Dans une interview à Radio Vatican le 4.11.2011, Ettore Gotti Tedeschi a ajouté : « Ce n’est pas la finance qui a obscurci la politique, c’est la politique qui s’est obscurcie toute seule, parce qu’elle a laissé la finance assumer une forme d’autonomie morale … La politique a méconnu les causes de la crise, les vraies causes, les vraies origines, et depuis trois ans a continué à dire que l’origine était de nature financière, dû à l’excès de dettes faites par les banques et à l’écroulement du développement dû à la natalité…Nous avons minimisé l’importance des naissances, et avons remplacé le développement nécessaire par une croissance consumériste et bâtie sur des dettes »[4].

2.4. Cardinal Tarcisio Bertone : 4.11.2011- lettre à tous les chefs de dicastère

Huit jours après la publication de la note du conseil Pontifical justice et paix, le Cardinal Bertone, a demandé à l’archevêque Angelo Maria Becciu, en sa qualité de "substitut", à la première section de la secrétairerie d’état,  d’envoyer une lettre à tous les chefs de dicastère. L’objectif était de rappeler que les notes destinées à recevoir la signature de Benoit XVI, doivent être « envoyé, avec une avance raisonnable par rapport à la date prévue pour la divulgation. Cette procédure – précise la circulaire - a pour principal objectif la défense de l’intégrité du magistère pétrinien, qui pourrait être lésée par la mise en circulation de textes non encore révisés ou indûment divulgués avant l’échéance de l’embargo sur leur publication »[5].
Certes, la note sur la crise financière n’est pas concernée. L’un incident visé était relatif à la publication le 25 octobre d’un message de Benoit XVI pour la 98° journée mondiale du migrant. On peut imaginer que,  lors du sommet qui a eu lieu à la secrétairerie d’état le 4 novembre pour remédier à de tels incidents, on a également parlé de la note relative au système financier international, émise de manière autonome par le conseil pontifical Justice et paix, qui a fait l’objet de vives critiques lors de sa publication, au Vatican et ailleurs. Cela ne fait que souligner l’absence de caution de Benoit XVI à cette note.

2.5. Mgr Mario Toso :  29.12.2011- Note complémentaire »

Les nombreuses réactions précédentes ont été une excellente opportunité pour Mgr Mario Toso, secrétaire du même conseil Justice et paix, de publier, le 29 décembre 2011 un complément intitulé « Réflexions sur la réforme du système monétaire et financier ».  Il y précisa la nature du document précédent et les raisons de sa publication. Il s’agit d’une réflexion très abouties sur la question de la gouvernance mondiale et sur les concepts clefs comme souveraineté, autorité, bien commun.

Reprenons tous ces points :

  • La nature  et les raisons de la note

Il a été décidé « de ne pas opter pour l'élaboration d'une Note formellement adoptée par le Saint-Siège ». Mgr Mario Toso, souligne donc que ce n’est donc pas « un texte-document officiel du Saint-Siège ».
Mgr Mario Toso,  explique que « il s'agissait d'offrir une série de réflexions approfondies, rédigées grâce à la contribution d'experts internationaux très compétents, et ayant pour objectif de développer l'analyse, le jugement et la programmation déjà esquissés dans ‘’Caritas in veritate’’ quant à la crise des systèmes monétaires et financiers dans le contexte de la mondialisation ».

  • La constitution d'une Autorité politique mondiale

Mgr Mario Toso,  rappelle que « ‘’Caritas in veritate’’  … énumère une série de raisons de type moral plus que  ‘’technocratique’’[6] qui, pour finir, postulent la constitution d'une Autorité politique mondiale… celle-ci doit être comprise … non comme une simple governance, …non plus dans le sens d'une super puissance technocratique et monocratique ; mais bien dans le sens d'une force morale, … pour réaliser le bien commun. Tel est le sens de l'expression "Autorité politique mondiale" à laquelle se réfère ‘’Caritas in veritate’’ ».
Le concept de « bien commun » s’élargit désormais au plan mondial, avec, dit Mgr Mario Toso, « l'émergence toujours plus évidente de  biens collectifs  mondiaux qui, par de nouveaux contenus, alimentent le bien commun de toute l'humanité ». En ce sens, « l' ‘’autorité’’ et la ‘’souveraineté’’ mondiales ne sont pas des entités absolues, étrangères au bien humain universel. »
C’est parce que Mgr Mario Toso considère que « les systèmes monétaires et financiers fonctionnant de façon adéquate sont des biens qui doivent être rendus accessibles à  tous, conformément au principe de la destination universelle des biens » qu’il justifie l’exigence de « la constitution non seulement d'une Autorité monétaire et financière internationale, mais aussi d'une Autorité politique mondiale,  adaptée aux exigences des ‘’biens publics’’, à une  dimension supranationale ».
Mgr Mario Toso ajoute : « parmi les raisons sollicitant la constitution d'une Autorité  politique mondiale, on trouve particulièrement celles de la réalisation d'une justice sociale mondiale… La réalisation de la justice sociale au plan mondial est la prémisse et la condition pour un développement qualitatif et durable pour tous, en vue d'une paix sociale stable, largement compromise aujourd'hui par des inégalités  considérables  entre les riches et les pauvres. Selon certains économistes célèbres comme Joseph Stiglitz et Jean-Paul Fitoussi, ce sont ces facteurs qui seraient à l'origine de la récession actuelle ».

 

  • Les bases morales du concept de souveraineté

« La souveraineté doit  être considérée comme une réalité fonctionnelle ou ministérielle, indispensable en vue de la réalisation du bien commun universel au niveau local et mondial, devant donc être modelée de façon subsidiaire, c'est-à-dire d'une manière flexible et réticulaire, suivant des termes d'autonomie et de liberté responsable, dans un contexte de solidarité ».
C’est parce que le concept de « bien commun » s’élargit désormais au plan mondial que, « par rapport à l'actuelle situation, la souveraineté doit être «redistribuée» entre les Etats nationaux et les entités politiques régionales ou mondiales, suivant les nécessités historiques et, évidemment, ayant une valeur démocratique. Cela implique qu'en vue du bien commun universel, les Nations considèrent la nécessité de renoncer librement à exercer certaines prérogatives, pour les transférer à une souveraineté supérieure de plus justes dimensions ».
C’est au nom de cette souveraineté que l’initiative en revient bien au local de transférer certaines prérogatives à une souveraineté supérieure : « le processus de constitution d'une Autorité politique mondiale ne peut pas se passer d'un mouvement démocratique de participation venant du bas »[7].
Mgr Mario Toso  poursuit : « Les souverainetés nationales doivent être conçues en termes non  pas  radicaux  d'autonomie et d'indépendance, mais de communication et de réciprocité, comme des réalités interdépendantes, en rapport avec quelque chose de précédent. En effet, elles ont, inscrit dans leur essence relationnelle même, un principe d'autotranscendance vers la forme d'une souveraineté supérieure, qui les complète sans les nier, les suppose et les renforce selon le principe de subsidiarité, en les reliant et en leur permettant d'agir  ensemble  à un niveau transnational, dans le cadre d'une communion de principes coordinateurs et potestatifs »

 

  • La conception polyarchique et démocratique d’une société politique mondiale

« La question n'est pas simplement celle d'une Autorité mondiale et de son articulation institutionnelle. La constitution d'une Autorité mondiale doit être impérativement précédée par la constitution d'une société politique mondiale ».
« Cette constitution est liée à une démocratie universelle : une démocratie substantielle, participative, solidaire et ouverte à la transcendance. »

 

  • La difficulté de compréhension : la perte de signification de l’autorité

Mgr Mario Toso décrit les réactions qui se sont manifestées à la suite de la publication de la note du conseil Justice et Paix :

  • Les uns estiment « utopiste » la constitution d’une "Autorité politique mondiale"
  • D’autres la jugent nocives pour la démocratie

Mgr Mario Toso reconnait que « à y voir de plus près, les difficultés subsistent ». Il explique cela par la perte par nos contemporains des concepts de bien commun et d’autorité.
Le concept d’autorité doit s’entendre comme « faculté de commander selon la raison : c'est-à-dire en tant que force morale – et donc, non arbitraire et non irrationnelle – au service de la croissance en liberté et responsabilité des citoyens et des peuples, parce  que «proportionnelle» à cette dignité humaine qui les caractérise en  tant que personnes douées de la capacité de rechercher leur bien propre et celui d'autrui, et ce en toute liberté et responsabilité ». Mgr Mario Toso explique que de nombreux philosophes  (Hobbes, Bodin, Rousseau), ont « contribué à hypostasier les concepts d'autorité et de souveraineté,  les rendant indépendants de l'ordre moral. L'autorité et la souveraineté n'ont aucun compte à rendre à qui que ce soit, sinon à elles-mêmes. Elles ne reconnaissent aucun ordre supérieur ». Pour Mgr Mario Toso, il devient dès lors évident que, « si on se rattache à un concept d'autorité qui s'identifie à un pouvoir arbitraire, centralisateur et qui absorbe toute autonomie, il est impossible de comprendre  le sens de la proposition d'une Autorité mondiale sans  tomber dans l'erreur ».
Dès lors, il y a urgence à retrouver « un concept plus adéquat d'autorité, au sens personnaliste et communautaire, qui réaffirme ses nombreux liens avec l'ordre moral,  met en évidence sa valeur  en tant que ministère et souligne sa connexion avec le pluralisme social et institutionnel : l'autorité existe pour être  au service des libertés et des autonomies, pour les aider à grandir, et non pour les abattre ou les opprimer. L'élément méthodologique de la démocratie conféré par le principe ou le critère de la majorité retrouvera alors toute la mesure éthique qui est la sienne. C'est seulement de cette façon que l'autorité ne courra pas le risque de se retrouver à la merci de l'arbitraire de minorités ou  majorités totalitaires.  La  rationalité et la conformité à l’ordre moral sont essentielles à l’autorité politique. »

  • Des fondements démocratiques à prendre en compte :

Mgr Mario Toso veut donc rassurer : il ne s’agit pas d’ « avancer l'idée d'un centre de superpuissance irrésistible, tel un Moloch dominant sur toute chose, ou qui soit l'expression d'intérêts partiels, ôtant toute liberté, en assujettissant tous les sujets sociaux, niant leur droit d'initiative et les réduisant à de simples courroies de transmission d'une volonté supérieure et tyrannique, comme c'était le cas dans les Etats absolus ».
Ce qu’il convient de réaliser, c’est à la fois une Communauté mondiale, et une Autorité politique mondiale. Toutes les deux doivent être « fondées sur des principes  démocratiques,  structurées et agissant de façon subsidiaire. Autrement dit, leurs institutions devraient être modelées et activées sur la base de la représentation et de la représentativité, de  la  division des pouvoirs,  d'un  ordre juridique  dans lequel soient fixés les rapports :

  • entre les personnes-citoyens, les sociétés religieuses, les familles, les corps intermédiaires et les pouvoirs publics des communautés politiques respectives ;
  • Entre les pouvoirs publics de chaque  communauté ;
  • entre les pouvoirs de chaque communauté politique et les pouvoirs publics de la communauté mondiale ;
  • entre les pouvoirs publics de la communauté mondiale et les sociétés civiles, les organisations internationales gouvernementales et celles non gouvernementales ».

Dès lors, Mgr Mario Toso conçoit que l’autorité mondiale soit « une autorité limitée ».

  • « elle verra la participation de plusieurs institutions représentatives facilitant l'application du principe de l'autonomie sociale et politique  des différents sujets sociaux
  • elle sera  décentralisée »
  • Une mise en place progressive

Mgr Mario Toso considère que la note du Conseil Justice et Paix « montre sans doute sa plus grande originalité lorsqu'il s'efforce de tracer certaines étapes et caractéristiques de la voie à suivre ». Il souligne que le processus proposé a « comme référence l'Organisation des Nations Unies, en raison de la dimension mondiale de ses responsabilités, de sa capacité de réunir les nations de la terre, et de la diversité de ses tâches et de celles de ses Agences spécialisées ».
Mais, il reconnait qu’il faut appeler l’ONU à « un saut net de qualité pour les institutions existantes »
Mgr Mario Toso fait un long commentaire sur le G20 qui, dit-il, « ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de tous les peuples »

  • Des propositions ponctuelles

Concernant la mesure de taxation des transactions financière, Mgr Mario Toso estime qu’il s’agit d’une suggestion « de voie possible à suivre », mais ne la justifie pas d’avantage que dans la note d’origine. Il reconnait que l’aspect technique et des profils plus pratique ne sont que mentionnés, « avec la conscience que leur configuration est laissée aux experts des Institutions internationales et dépend, pour finir, de la volonté des peuples, mais aussi de la discussion publique »

  • Conclusion

Mgr Mario Toso est catégorique : « la Note du Conseil pontifical… ne veut nullement  proposer une superpuissance monocratique et irrésistible, ni même condamner les aspects positifs de la pensée libérale, puisqu'elle reconnaît la liberté des marchés et leur valeur en tant que biens  «publics » ».
Il conclut en défendant l’esprit de la note pontificale : « la Note met en lumière le fait que, si les exigences éthiques du bien commun mondial sont méconnues …, ainsi que celles de la justice sociale mondiale et du principe de la destination universelle des biens,  il est difficile de comprendre  les motivations conduisant à vouloir constituer  une Autorité politique mondiale, dans le sens proposé par la Doctrine sociale de l'Eglise ».


[1] Commentaire : ce rappel est important, car l’encyclique de Jean XXIII « Pacem in terris » prenait acte «  du fait que, dans la communauté humaine, la correspondance entre l’organisation politique «sur le plan mondial et les exigences objectives du bien commun universel» venait à manquer. Ainsi, si Jean XXIII souhaitait  que soit un jour créée «une Autorité publique mondiale», ce n’était pas sans insister sur l’appel à un « ordre moral qui postule une autorité publique pour servir le bien commun dans la société civile » (PC 136). Il ajoutait que le « bien commun universel pose des problèmes de dimension mondiale » qui « ne peuvent être résolus que par une autorité publique…. C'est donc l'ordre moral lui-même qui exige la constitution d'une autorité publique de compétence universelle (PC 137). Jean XXIII insistait bien sur l’insuffisante de l’organisation des pouvoirs publics « pour assurer le bien commun universel ». Pour bien comprendre la mission d’une autorité publique mondiale, il faut donc se référer à ce que la doctrine sociale de l’Eglise appelle le bien commun. « Le bien commun peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral… Par bien commun on entend cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée» (§ CDSE 164) ».

[2] Article publié dans « Il Foglio » du 26 octobre 2011

« Le document publié il y a deux jours par le Conseil pontifical pour la justice et la paix me semble inacceptable, du point de vue de la pensée libérale à orientation sociale, telle qu'elle émerge au contraire sur ces questions, dans l'encyclique «Caritas in Veritate», un texte profond et complexe sur lequel je suis encore à réfléchir.
Dans l'encyclique, pour la «gouvernance» (et non pas le «gouvernement») de la mondialisation, le principe directeur est la subsidiarité, comme «aide personnelle à travers l'autonomie des corps intermédiaires». Et une telle aide «favorise la liberté et la participation en tant que responsabilisation». (ndt: §57)
Donc pas un gouvernement mondial, à travers une autorité publique de compétence universelle, autrement dit un Léviathan (ndt: au sens de monstre) technocratique à qui incomberaient la fiscalité, le gouvernement des monnaies et des banques et la participation à leur capital, devenant une sorte d'IRI bancaire mondial (ndt: Istituto per la Ricostruzione Industriale, établissement public italien créé en 1933 par la volonté du gouvernement fasciste pour sauver de la faillite les principales banques italiennes). 
Le mot «liberté » n'est utilisé qu'une seule fois dans le document de la Commission pontificale, le terme « famille » uniquement dans le sens collectif de la « famille humaine ». Il y a une odeur de néo marxisme dans la polémique contre le libéralisme réduit à un pantin, comme si la liberté économique (encore partielle) n'avait pas fait sortir des milliards de personnes du tiers monde de la pauvreté comme de la famine, alors que des milliards de dollars d'aide ont échoué. Mais Luigi Einaudi lui-même était très critique du libéralisme sans règles, qui conduit au monopole, avec la complaisance des gouvernements.
Dans « Caritas in veritate », le gouvernement mondial d'une méga-autorité publique est exclu: « Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, être concrètement efficace » (§57).
Le mot «gouvernement» du texte italien de l'encyclique se prête à une lecture ambiguë, qui disparaît dans l'original latin, qui utilise le terme «moderari», ou «régulation». Et en effet, dans le texte anglais il y a «governance», qui ne saisit pas complètement la notion de «moderari». Cela nous amène au néo-libéralisme, autrement dit le libéralisme des règles, c'est-à-dire à l'économie de marché de concurrence, avec des règles du jeu qui garantissent les droits de propriété et de contrats, la stabilité monétaire et la protection de l'épargne et du libre échange, et empêchent les abus de monopole.
C'est aussi la théorie de l'ordo-libéralisme et de l'école du «Public choice» avec des règles constitutionnelles. Nous avons besoin de règles internationales sur les banques et les autres intermédiaires financiers, afin d'empêcher qu'ils n'abusent du pouvoir monétaire, les dotant de normes comptables appropriées, et de transparence. Pour les monnaies principales, émises par les banques centrales des grandes zones, une coordination est nécessaire en vue d'établir non pas un monopole de la monnaie - dans ce domaine, la concurrence est importante - mais une «gouvernance» des équilibres monétaires en collaboration avec le Fonds monétaire international, selon le principe du «moderare» sur plusieurs niveaux.
Ceci avec la modestie qui sied à nous, êtres imparfaits, à la rationalité limitée, qui n'avons pas, nous, une idéologie superbe a priori (ndt: en français, on pourrait dire "la science infuse") - qu'elle soit libérale ou dirigiste, ou hypersolidariste - mais qui pensons, sur la base du raisonnement analytique, des modèles mathématiques et de l'observation statistique, économétrique et historique que le marché est le meilleur des systèmes, s'il est corrigé par des règles, pour éviter les abus des concentrations de pouvoirs bancaires «too big to fail», c'est-à-dire trop gros pour faire faillite. Mais la faillite, comme sanction du marché, contrairement à l'avis du récent document pontifical, est essentiel aussi pour les «too big to fail» qui se trompent ».