« La nature, considérée en elle-même, ne fournit que des éléments d'information qui deviennent souvent une occasion d'erreur et d'abus.  La foi, par conséquent, est également nécessaire dans le processus cognitif naturel, car sinon la connaissance resterait limitée, insatisfaisante et trompeuse ». C’est ce que disait Benoit XVI dans la lettre apostolique par laquelle il a proclamé sainte Hildegarde docteur de l’Église.
Or il n’est pas un colloque rassemblant des chrétiens écologistes qui ne transforme la sainte de Bingen en sainte patronne du "bio" ! La Sainte ne serait-elle pas instrumentalisée par des chrétiens plus soucieux de militantisme que de théologie de la création?
Quel sens donner à cet appel de sainte Hildegarde à « une médecine à la portée de tout le monde » ? Est-ce l’essentiel de son message ? Le plus sage est de lire la dite lettre apostolique de Benoit XVI.

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1-  Le péché originel selon sainte Hildegarde :

Sainte Hildegarde sait qu'avant le péché originel, nos premiers parents bénéficiaient naturellement d'une pureté innocente totale de corps et d’âme. De ce fait, ils ne connaissaient ni la maladie ni la mort. Cependant, le «Serpent» enflamma leur orgueil et provoqua en eux la dualité du bien et du mal. Cette rupture avec l'innocence originelle, avec l'intimité divine, les conduisit à connaître la souffrance et la mort.
Que s'est-il donc passé sur le plan physiologique? Faut-il en conclure que sainte Hildegarde aurait vu la bile virer au noir, alors qu’auparavant, elle aurait été étincelante comme un cristal ? Serait-ce la source de désordres organiques si profonds que la maladie serait apparue ainsi que la mort, à cause de telles viciations des humeurs ?
Certes, sainte Hildegarde a compris que la physiologie de tout le cosmos fut aussi ébranlée: des bêtes venimeuses apparurent, dont les sécrétions, délicieuses comme du nectar, devinrent des poisons violents ;  la discorde se répandit dans tous les règnes qui se mirent à s'entre-dévorer... Bref, ce fut un cataclysme d'une portée incalculable dont nous héritons à notre naissance des conséquences les plus fâcheuses.
De telles analyses sont reprises par certains sites faisant commerce de produits d’« Hildegarde de Bingen »[1]

2- L’appel de sainte Hildegarde à "une médecine à la portée de tout le monde" ?

Tel est le message véhiculé par les militants chrétiens écologistes.
Visionnaire depuis sa petite enfance, Hildegarde, devenue religieuse, dut obéir en 1141 à l'injonction d’une voix puissante venant du ciel : «Écris ce que tu vois et ce que tu entends ». Elle sera ainsi l'auteur d'une œuvre immense et variée, directement inspirée par ses visions.
Mais est-on si sûr que le message médical soit une révélation issue des visions de la sainte ? Peut-on dire que les descriptions des plantes d'Hildegarde, faites d’observation depuis le jardin de son monastère, soient aussi d'inspirations divines ?
Certes, le propos n’est pas, ici, de nier qu’il existe des médecines homéopathiques ou diététiques qui puissent être bénéfiques à la santé.
Inscrivons dans son époque l’intuition de la sainte de Bingen qui souhaitait rendre accessible à tous cette médecine par les plantes. L’époque était à une alimentation de base, probablement aussi peu équilibrée que celle de certaines brousses reculées d’Afrique. On ne peut nier, non plus, les progrès dans la connaissance des micro-biotes de nos intestins qui jouent un rôle majeur dans les mécanismes de digestion. Certaines plantes peuvent avoir un effet sur notre bio-diversité intestinale.
Faut-il, pour autant, transposer le discours de sainte Hildegarde dans nos sociétés d’abondance en aliments divers et variés qui garantissent, sauf exceptions, l’absence de toute carence d’oligo-éléments ou de vitamines ? Sainte Hildegarde aurait-elle produit les mêmes allégations santé à notre époque où l’épidémiologie, sans être une science exacte, permet tout de même de vérifier la véracité de certains propos.

Le message de Sainte Hildegarde n’est-il pas tout autre ? S’il contient une description minutieuse de tous les processus métaboliques à l'intérieur de l'homme, est-ce pour nous livrer une thérapie médicale valable pour tous les temps ? N’est-ce pas plutôt  pour fournir une analogie avec l'âme, pour expliquer et faire comprendre cette chose prodigieuse que nous appelons «âme» ?
Sainte Hildegarde nous enseigne probablement que nous ne pouvons vivre en pleine santé sans retrouver notre unité intérieure. Cette vision de la santé la conduit à considérer l'être humain sous trois aspects : physique, psychique et spirituel.
La santé n'est pas, pour Hildegarde, une absence de maladie, mais une surabondance de vie, une véritable aptitude au bonheur. Elle met un accent particulier sur notre relation entre la dimension spirituelle de l'homme et sa santé. S'il viole les commandements divins, il risque davantage la maladie ; s'il les respecte, il vit normalement dans l'harmonie et la paix des justes. C’est, avant Laudato si, un message ressemblant à "tout est lié".
L'aspect psycho-spirituel de sainte Hildegarde a été largement développé. De nombreuses recherches ont été menées sur les effets thérapeutiques de la méditation ou de la prière. Toutes se posent des questions d ce type : croire en Dieu augmente-t-il l’espérance de vie ?

Mais est-ce le message essentiel de sainte Hildegarde ?
La réponse tient, nous semble-t-il, dans la lettre apostolique de Benoit XVI par laquelle il a proclamé la sainte « docteur de l’Église. Nous proposons une traduction inédite en français qui n’existe pas sur le site du Vatican. Les citations mises en exergue nous sont personnelles.

3- Lettre apostolique de Benoit XVI

Proclamant saint Hildegarde de Bingen, religieuse professe de l'Ordre de Saint Benoît, docteur de l'Église universelle,
BENEDICTUS PP. XVI, POUR LE SOUVENIR PERPÉTUEL[2].

1- Une « lumière pour son peuple et son temps»: C’est en ces termes que le Bienheureux Jean-Paul II, mon Vénérable Prédécesseur, a décrit sainte Hildegarde de Bingen en 1979, à l'occasion du huit centième anniversaire de la mort de cette mystique allemand. Cette grande femme se distingue véritablement de l'horizon de l'histoire pour sa sainteté de vie et l'originalité de son enseignement. Et, comme toute expérience humaine et théologique authentique, son autorité dépasse de loin les limites d'une seule époque ou d'une seule société. Malgré la distance du temps et de la culture, sa pensée s'est révélée d'une pertinence durable.

Chez sainte Hildegarde de Bingen, il y a une merveilleuse harmonie entre l'enseignement et la vie quotidienne. En elle, la recherche de la volonté de Dieu dans l'imitation du Christ s'exprimait dans la pratique constante de la vertu, qu'elle exerçait avec suprême générosité et qu'elle nourrissait de racines bibliques, liturgiques et patristiques à la lumière de la Règle de saint Benoît.

Sa pratique persévérante d'obéissance, de simplicité, de charité et d'hospitalité était particulièrement visible. Dans son désir d'appartenir entièrement au Seigneur, cette abbesse bénédictine a pu réunir des dons humains rares, une intelligence vive et une capacité à pénétrer les réalités célestes.

2. Hildegarde est née en 1098 à Bermersheim, dans l’arrondissement d’Alzey, de  parents de lignée noble qui étaient de  riches propriétaires terriens. À l'âge de huit ans, elle a été reçue comme oblate à l'abbaye bénédictine de Disibodenberg, où en 1115 elle a fait sa profession religieuse. À la mort de Jutta de Sponheim, autour de l'année 1136, Hildegarde a été appelée pour lui succéder comme magistra. Infirme par sa santé physique mais vigoureuse dans l'esprit, elle s'est engagée totalement au renouvellement de la vie religieuse. À la base de sa spiritualité était la règle bénédictine qui considère l'équilibre spirituel et la modération ascétique comme des chemins vers la sainteté. Suite à l'augmentation des vocations à la vie religieuse, due surtout à la haute estime de Hildegarde, vers 1150 elle fonde un monastère sur la colline de Rupertsberg, près de Bingen, où elle vit avec vingt sœurs. En 1165, elle établit un autre monastère sur la rive opposée du Rhin. Elle était l'abbesse des deux.
Derrière les murs du cloître, elle s'occupait du bien-être spirituel et matériel de ses sœurs, en favorisant d'une manière particulière la vie communautaire, la culture et la liturgie. Dans le monde extérieur, elle se consacre activement au renforcement de la foi chrétienne et au renforcement de la pratique religieuse, en s'opposant aux tendances hérétiques des cathares, en promouvant la réforme de l'Église par ses écrits et ses prédications et en contribuant à l'amélioration de la discipline et de la vie des clercs. A l'invitation d'Hadrien IV et plus tard d'Alexandre III, Hildegarde a pratiqué un apostolat fructueux, quelque chose d'inhabituel pour une femme à cette époque, faisant plusieurs voyages, non sans problèmes et difficultés, à prêcher même sur les places publiques et dans diverses églises cathédrales, comme celles de Cologne, Trèves, Liège, Mayence, Metz, Bamberg et Würzburg.

La spiritualité profonde de ses écrits a eu une influence significative sur les fidèles et sur les figures importantes de son temps et a provoqué un renouvellement incisif de la théologie, de la liturgie, des sciences naturelles et de la musique.

Affligée par la maladie durant l'été 1179, Hildegarde mourut en odeur de la sainteté, entourée de ses sœurs au monastère de Rupertsberg, Bingen, le 17 septembre 1179.

3. Dans ses nombreux écrits, Hildegarde se consacre exclusivement à expliquer la révélation divine et à faire connaître Dieu dans la clarté de son amour. L'enseignement d'Hildegarde est considérée comme éminente tant pour sa profondeur, l'exactitude de son interprétation, et l'originalité de ses vues. Les textes qu'elle produit sont rafraîchissants dans leur authentique «charité intellectuelle» et soulignent le pouvoir de pénétration et d'exhaustivité de sa contemplation du mystère de la Sainte Trinité, de l'Incarnation, de l'Église, de l'humanité et de la nature comme création de Dieu, qui doit être appréciée et respectée .

Ces œuvres sont nées d'une expérience mystique profonde et proposent une réflexion perceptive sur le mystère de Dieu.

Le Seigneur l'a dotée d'une série de visions d'enfance dont elle dicta le contenu au moine bénédictin Volmar, son secrétaire et conseiller spirituel, et à Richarde von Stade, une de ses religieuses. Mais particulièrement éclairants sont les jugements exprimés par saint Bernard de Clairvaux, qui l'a encouragée, et en particulier par le pape Eugène III, qui en 1147 l'autorisait à écrire et à parler en public. La réflexion théologique permit à Hildegarde d'organiser et de comprendre, au moins en partie, le contenu de ses visions. En plus des livres sur la théologie et le mysticisme, elle a également rédigé des ouvrages sur la médecine et les sciences naturelles. Ses lettres sont aussi nombreuses - environ quatre cents existent encore; Ceux-ci s'adressaient aux simples, aux communautés religieuses, aux papes, aux évêques et aux autorités civiles de son temps. Elle a également été compositeur de musique sacrée. Le corpus de ses écrits, pour leur quantité, leur qualité et leur variété d'intérêts, est inégalé par toute autre femme auteur du moyen âge.
Ses principaux écrits sont les Scivias, le Liber Vitae Meritorum et le Liber Divinorum Operum. Ils racontent ses visions et la tâche qu'elle a reçue du Seigneur pour les transcrire. Pour l'auteur, ses lettres n'étaient pas moins importantes; elles témoignent de l'attention que Hildegarde a apportée aux événements de son temps qu'elle interprétait à la lumière du mystère de Dieu. En outre, il y a 58 sermons, adressés directement à ses sœurs. Ce sont ses Expositiones Evangeliorum, contenant un commentaire littéraire et moral sur les passages de l'Évangile liés aux principales célébrations de l'année liturgique. Ses œuvres artistiques et scientifiques se concentrent principalement sur la musique, dans Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum; Sur la médecine, dans le Liber Subtilitatum Diversarum Naturarum Creaturarum et dans les Causae et Curae, et sur les sciences naturelles dans la Physica. Enfin ses écrits linguistiques sont également remarquables, comme le Lingua Ignota et le Litterae Ignotae, dans lequel les mots apparaissent dans une langue inconnue de sa propre invention, mais sont composés principalement de phonèmes présents en allemand.
La langue d'Hildegarde, caractérisée par un style original et efficace, fait largement usage des expressions poétiques et est riche en symboles, intuitions éblouissantes, comparaisons incisives et métaphores évocatrices.

4. Avec une sagesse aiguë et une sensibilité prophétique, Hildegarde concentre son attention sur l'événement de la révélation. Son enquête se développe à partir de la page biblique dans laquelle, dans les phases successives, elle reste fermement ancrée. La portée de la vision de la mystique de Bingen ne se limitait pas à traiter des questions individuelles, mais cherchait à offrir une synthèse globale de la foi chrétienne.

Ainsi, dans ses visions et ses réflexions ultérieures, elle présente un recueil de l'histoire du salut depuis le début de l'univers jusqu'à sa consommation eschatologique. La décision de Dieu de réaliser l'œuvre de la création est la première étape de ce voyage immensément long qui, à la lumière de l'Écriture sacrée, se déploie de la constitution de la hiérarchie céleste jusqu'à ce qu'elle atteigne la chute des anges rebelles et le péché de nos premiers parents.

Cette image initiale est suivie de l'Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu, de l’activité de l'Église qui prolonge dans le temps le mystère de l'Incarnation et la lutte contre Satan. La venue définitive du Royaume de Dieu et le Jugement dernier couronnent cette œuvre.
Hildegarde se pose, à elle-même et à nous, la question fondamentale de savoir s'il est possible de connaître Dieu: c'est la tâche principale de la théologie. Sa réponse est tout à fait positive: par la foi, comme par une porte, la personne humaine peut approcher cette connaissance. Dieu, cependant, conserve toujours son voile de mystère et d'incompréhensibilité. Il se fait compréhensible dans la création, mais la création elle-même n'est pas entièrement comprise lorsqu'elle est détachée de Dieu. En effet,

la nature, considérée en elle-même, ne fournit que des éléments d'information qui deviennent souvent une occasion d'erreur et d'abus. La foi, par conséquent, est également nécessaire dans le processus cognitif naturel, car sinon la connaissance resterait limitée, insatisfaisante et trompeuse.

La création est un acte d'amour par lequel le monde peut sortir du néant. Par conséquent, à travers toute la gamme des créatures, l'amour divin coule comme une rivière. De toutes les créatures, Dieu aime l'homme d'une manière spéciale et lui confère une dignité extraordinaire, lui donnant cette gloire que les anges rebelles ont perdu. L’espèce humaine peut donc être comptée comme le dixième chœur de la hiérarchie angélique. En effet, les êtres humains peuvent connaître Dieu en lui-même, c'est-à-dire sa nature propre dans la Trinité des Personnes. Hildegarde approchait le mystère de la Sainte Trinité selon les lignes proposées par saint Augustin. Par analogie avec sa propre structure d'être rationnel, l'homme peut avoir une image au moins de la vie intérieure de Dieu. Néanmoins, c'est uniquement dans l'économie de l'Incarnation et de la vie humaine du Fils de Dieu que ce mystère devient accessible à la foi et à la connaissance humaines. La Trinité sainte et ineffable dans l'Unité suprême était cachée à ceux qui étaient au service de l'ancienne loi. Mais, dans la nouvelle loi de la grâce, elle fut révélée à tous ceux qui avaient été libérés de l'esclavage. La Trinité a été révélée d'une manière spéciale dans la Croix du Fils.
Un second «espace» dans lequel Dieu se fait connaître est sa parole, contenue dans les Livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Précisément parce que Dieu «parle», l'homme est appelé à écouter. Ce concept donne à Hildegarde l'occasion d'exposer sa doctrine sur le chant, en particulier le chant liturgique. Le son de la parole de Dieu crée la vie et s'exprime dans ses créatures. Grâce au mot créateur, les êtres sans rationalité sont aussi impliqués dans le dynamisme de la création. Mais l'homme est bien sûr la créature qui peut répondre à la voix du Créateur de sa propre voix. Et cela peut se faire de deux façons: in voce oris, c'est-à-dire dans la célébration de la liturgie, et in voce cordis, c'est-à-dire dans une vie vertueuse et sainte. L'ensemble de la vie humaine peut donc être interprété comme harmonique et symphonique.

5. L'anthropologie de Hildegarde part du récit biblique de la création de l'homme (Genèse 1:26), faite à l'image et à la ressemblance de Dieu.

L'homme, selon la cosmologie d'inspiration biblique d'Hildegarde, contient tous les éléments du monde parce que l'univers entier est récapitulé en lui; Il est formé de la matière même de la création. La personne humaine peut donc entrer consciemment dans une relation avec Dieu. Cela ne se fait pas par une vision directe, mais, selon les mots de saint Paul, comme «dans un miroir» (1 Cor 13, 12).

L'image divine dans l'homme consiste dans sa rationalité, structurée comme intellect et volonté. Grâce à son intelligence, l'homme peut distinguer entre le bien et le mal. Grâce à sa volonté, il est poussé à l'action.
Les êtres humains sont considérés comme une unité de corps et d'âme. La mystique allemande montre une appréciation positive de la corporéité et une valeur providentielle est donnée même aux faiblesses du corps. Le corps n'est pas un poids pour être livré. Bien que les êtres humains soient faibles et fragiles, cela leur «enseigne» un sentiment de créature et d'humilité, les protégeant de l'orgueil et de l'arrogance. Hildegarde contemplait, dans une vision, les âmes des bienheureux dans le paradis attendant d'être rejoints à leurs corps. Nos corps, comme le corps du Christ, sont orientés vers la résurrection glorieuse, vers la transformation suprême pour la vie éternelle. La vision même de Dieu, dans laquelle se compose la vie éternelle, ne peut être accomplie définitivement sans le corps.
L'être humain existe à la fois dans la forme masculine et féminine. Hildegarde reconnaît qu'une relation de réciprocité et une égalité substantielle entre l'homme et la femme est enracinée dans cette structure ontologique de la condition humaine. Néanmoins, le mystère du péché habite aussi l'humanité et se manifeste dans l'histoire pour la première fois précisément dans la relation entre Adam et Ève. Contrairement à d'autres auteurs médiévaux qui ont vu la faiblesse d'Ève comme la cause de la chute, Hildegarde la place avant tout dans la passion immodérée d'Adam pour elle.

Même dans leur condition de pécheurs, les hommes et les femmes continuent d'être les destinataires de l'amour de Dieu, parce que l'amour de Dieu est inconditionnel et, après la chute, acquiert la face de la miséricorde.

Même le châtiment que Dieu inflige à l'homme et à la femme fait ressortir l'amour miséricordieux du Créateur. À cet égard, la description la plus précise de la créature humaine est celle de quelqu'un sur un voyage, homo viator. Dans ce pèlerinage vers la patrie, la personne humaine est appelée à une lutte pour choisir constamment ce qui est bon et éviter le mal.
Le choix constant du bien produit une vie vertueuse. Le Fils de Dieu fait homme est sujet de toutes les vertus, donc l'imitation du Christ consiste précisément à vivre une vie vertueuse en communion avec le Christ. Le pouvoir de la vertu découle de l'Esprit Saint, versé dans le cœur des croyants, qui apporte un comportement droit. C'est le but de l'existence humaine. De cette manière, l'homme expérimente sa perfection semblable au Christ.

6. Afin d'atteindre cet objectif, le Seigneur a donné à son Église les sacrements. Le salut et la perfection de l'être humain ne se font pas seulement par l'effort de la volonté, mais par les dons de grâce que Dieu accorde dans l'Église.
L'Église elle-même est le premier sacrement que Dieu place dans le monde afin qu'elle puisse communiquer le salut à l'humanité. L'Église, construite à partir des «âmes vivantes», peut à juste titre être considérée vierge, mariée et mère, et ressemble ainsi étroitement à la figure historique et mystique de la Mère de Dieu. L'Église communique d'abord le salut en gardant et proclamant les deux grands mystères de la Trinité et de l'Incarnation qui sont comme les deux «sacrements primaires»; Et ensuite par l'administration des autres sacrements. Le sommet de la nature sacramentelle de l'Église est l'Eucharistie. Les sacrements produisent la sanctification des croyants, le salut et la purification du péché, la rédemption et la charité et toutes les autres vertus. Cependant, il faut répéter que l'Église vit parce que Dieu en elle a manifesté son amour intra-trinitaire, qui a été révélé en Christ. Le Seigneur Jésus est le médiateur par excellence. Du ventre trinitaire il vient à la rencontre de l'homme et du sein de Marie il rencontre Dieu. En tant que Fils de Dieu, il est l'amour incarné; Comme le Fils de Marie, il est le représentant de l'humanité devant le trône de Dieu.
La personne humaine peut avoir une expérience de Dieu. La relation avec lui, en fait, n'est pas vécue uniquement dans la sphère de la rationalité, mais implique la personne totalement. Tous les sens externes et internes de l'être humain sont impliqués dans l'expérience de Dieu. "Mais l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, afin qu'il puisse agir par les cinq sens corporels; Il n'est pas divisé par eux, plutôt par eux il est sage, bien informé et intelligent en faisant son travail (...). Pour cette raison même, parce que l'homme est sage, savant et intelligent, il connaît la création; Il connaît Dieu - qu'il ne peut voir que par la foi - par la création et ses grandes œuvres, même si, avec ses cinq sens, il les comprend à peine » (Explanatio Symboli Sancti Athanasii, in PL 197, 1073). Ce processus expérientiel retrouve sa plénitude dans la participation aux sacrements.
Hildegarde a également vu des contradictions dans la vie des membres individuels des fidèles et a rapporté les situations les plus déplorables. Elle a souligné en particulier que l'individualisme, dans la doctrine et dans la pratique des laïcs et des ministres ordonnés, est une expression d'orgueil et constitue le principal obstacle à la mission évangélisatrice de l'Église envers les non-chrétiens.

Un des points saillants du magistère d'Hildegarde était son exhortation sincère à une vie vertueuse adressée aux hommes et aux femmes consacrés. Sa compréhension de la vie consacrée est une véritable "métaphysique théologique", car elle est fermement enracinée dans la vertu théologique de la foi, qui est la source et l'impulsion constante au plein engagement dans l'obéissance, la pauvreté et la chasteté.

En vivant les conseils évangéliques, la personne consacrée partage l'expérience du Christ, pauvre, chaste et obéissante, et suit ses pas dans la vie quotidienne. Ceci est fondamental dans la vie consacrée.

7. La doctrine éminente d'Hildegarde fait écho à l'enseignement des Apôtres, des Pères et des écrits de son temps, alors qu'elle trouve un point de référence constant dans la Règle de saint Benoît. La liturgie monastique et l'intériorisation de l'Écriture sacrée sont au centre de sa pensée qui, se concentrant sur le mystère de l'Incarnation, s'exprime dans une profonde unité de style et de contenu intérieur qui parcourt tous ses écrits.
L'enseignement de la sainte bénédictine se tient comme un phare pour l'homo viator.

Son message apparaît extraordinairement opportun dans le monde d'aujourd'hui, qui est particulièrement sensible aux valeurs qu'elle a proposées et vécues.

Par exemple, nous pensons à la capacité charismatique et spéculative de Hildegarde, qui offre une incitation vivante à la recherche théologique; Sa réflexion sur le mystère du Christ, considéré dans sa beauté; au dialogue de l'Église et de la théologie avec la culture, la science et l'art contemporain; à l'idéal de la vie consacrée comme possibilité pour l'épanouissement humain; à son appréciation de la liturgie comme une célébration de la vie; à sa compréhension de la réforme de l'Église, non pas comme un changement de structure vide, mais comme une conversion de cœur; à sa sensibilité à la nature, dont les lois doivent être sauvegardées et non violées.
Pour ces raisons, l'attribution du titre de Docteur de l'Église Universelle à Hildegarde de Bingen a une grande importance pour le monde d'aujourd'hui et une importance extraordinaire pour les femmes. Chez Hildegarde sont exprimées les valeurs les plus nobles de la féminité: c’est pourquoi la présence des femmes dans l'Église et dans la société est également éclairée par sa présence, tant du point de vue de la recherche scientifique que de l'activité pastorale. Sa capacité à parler à ceux qui étaient loin de la foi et de l'Église fait d’Hildegarde un témoin crédible de la nouvelle évangélisation.
En vertu de sa réputation de sainteté et de son enseignement éminent, le 6 mars 1979, le cardinal Joseph Höffner, archevêque de Cologne et président de la Conférence épiscopale allemande, ainsi que les cardinaux, les archevêques et les évêques de la même conférence, de Munich et de Freising, avons soumis au bienheureux Jean-Paul II la demande de voir Hildegarde de Bingen être déclarée docteur de l'Église universelle. Dans cette pétition, le Cardinal a souligné la solidité de la doctrine d'Hildegarde, reconnue au XIIe siècle par le Pape Eugène III, sa sainteté, largement connue et célébrée par le peuple, et l'autorité de ses écrits. Au fil du temps, d'autres pétitions ont été ajoutées à celle de la Conférence épiscopale allemande, d'abord et avant tout la pétition des moniales du monastère d'Eibingen, qui porte son nom. Ainsi, au souhait commun du Peuple de Dieu d'être officiellement canonisée, Hildegarde a été ajoutée à la demande qu'elle soit déclarée «docteur de l'Église universelle».
Avec mon consentement, la Congrégation pour les Causes des Saints prépara avec diligence une Positio super Canonisatione et Concessione titulus Doctoris Ecclesiae Universalis pour la Mystique de Bingen. Puisqu'il s'agissait d'une célèbre professeur de théologie qui avait fait l'objet de nombreuses études autorisées, j'ai accordé la dispense des mesures prescrites par l'article 73 de la Constitution Apostolique Pastor Bonus. La cause a donc été examinée et approuvée par les cardinaux et les évêques, qui se sont réunis en séance plénière le 20 mars 2012. Le promoteur (ponens) de la cause a été Son Éminence le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints. Lors de l'audience du 10 mai 2012, le cardinal Amato nous a informés en détail du statut quaestionis et du vote unanime des Pères lors de la session plénière de la Congrégation pour les Causes des Saints. Le 27 mai 2012, dimanche de Pentecôte, j'ai eu la joie d'annoncer[3] à la foule des pèlerins du monde entier rassemblés sur la place Saint-Pierre les nouvelles de l'attribution du titre de Docteur de l'Église Universelle sur Saint Hildegarde de Bingen et Saint Jean d'Avila au début de l'Assemblée du Synode des Évêques[4] et à la veille de l'Année de la Foi.
Aujourd'hui, avec l'aide de Dieu et l'approbation de toute l'Église, cet acte a eu lieu. Sur la Place Saint-Pierre, en présence de nombreux Cardinaux et Prélats de la Curie romaine et de l'Église catholique, en confirmant les actes du processus et en acceptant volontiers les désirs des pétitionnaires, j'ai prononcé les paroles suivantes dans le cours de l'Eucharistie Sacrifice: "Répondant aux souhaits de nombreux frères dans l'épiscopat et de beaucoup de fidèles dans le monde entier, après consultation avec la Congrégation pour les Causes des Saints, avec certaines connaissances et après mûre délibération, avec la plénitude de mon autorité apostolique Je déclare Saint Jean d'Avila, prêtre diocésain, et sainte Hildegarde de Bingen, religieuse professe de l'Ordre de Saint Benoît, à être Docteurs de l'Église universelle. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Par la présente, je décrète que la présente lettre est perpétuellement valide et pleinement efficace, et j'établis que, dès ce moment, tout ce qui est proposé par une personne, de quelque autorité que ce soit sciemment ou inconsciemment, est invalide et sans force.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du pécheur d’hommes, le 7 octobre 2012, dans la huitième année de mon pontificat.

BENEDICTUS PP. XVI


[1] Nous pensons, par exemple au "Grenier de l’épeautre" se qualifiant de « Spécialiste de l'épeautre et des produits d'Hildegarde de Bingen », ou à l'entreprise "Les jardins d'Hildegarde" qui appelle à "réussir notre carême" avec une "mono-diète à l'épeautre"!!!

[2] Benoit XVI avait déjà consacré deux audiences à sainte Hildegarde ( les  1 et 8 septembre 2010).

« Sainte Hildegarde de Bingen (1), Chers frères et sœurs,
En 1988, à l’occasion de l’Année mariale, le vénérable Jean-Paul II a écrit une Lettre apostolique intitulée Mulieris dignitatem, traitant du rôle précieux que les femmes ont accompli et accomplissent dans la vie de l’Église. «L'Église — y lit-on — rend grâce pour toutes les manifestations du génie féminin apparues au cours de l'histoire, dans tous les peuples et dans toutes les nations; elle rend grâce pour tous les charismes dont l'Esprit Saint a doté les femmes dans l'histoire du Peuple de Dieu, pour toutes les victoires remportées grâce à leur foi, à leur espérance et à leur amour: elle rend grâce pour tous les fruits de la sainteté féminine» (n. 31).
Également, au cours des siècles de l’histoire que nous appelons habituellement Moyen Age, diverses figures de femmes se distinguent par la sainteté de leur vie et la richesse de leur enseignement. Aujourd’hui, je voudrais commencer à vous présenter l’une d’entre elles: sainte Hildegarde de Bingen, qui a vécu en Allemagne au XIIe siècle. Elle naquit en 1098 en Rhénanie, probablement à Bermersheim, près d’Alzey, et mourut en 1179, à l’âge de 81 ans, en dépit de ses conditions de santé depuis toujours fragiles. Hildegarde appartenait à une famille noble et nombreuse, et dès sa naissance, elle fut vouée par ses parents au service à Dieu. A l’âge de huit ans, elle fut offerte à l’état religieux (selon la Règle de saint Benoît, chap. 59) et, afin de recevoir une formation humaine et chrétienne appropriée, elle fut confiée aux soins de la veuve consacrée Uda de Göllheim puis de Judith de Spanheim, qui s’était retirée en clôture dans le monastère bénédictin Saint-Disibod. C’est ainsi que se forma un petit monastère féminin de clôture, qui suivait la Règle de saint Benoît. Hildegarde reçut le voile des mains de l’évêque Othon de Bamberg et en 1136, à la mort de mère Judith, devenue magistra (Prieure) de la communauté, ses concours l’appelèrent à lui succéder. Elle accomplit cette charge en mettant à profit ses dons de femme cultivée, spirituellement élevée et capable d’affronter avec compétence les aspects liés à l’organisation de la vie de clôture. Quelques années plus tard, notamment en raison du nombre croissant de jeunes femmes qui frappaient à la porte du monastère, Hildegarde se sépara du monastère masculin dominant de Saint-Disibod avec la communauté à Bingen, dédiée à saint Rupert, où elle passa le reste de sa vie. Le style avec lequel elle exerçait le ministère de l’autorité est exemplaire pour toute communauté religieuse: celui-ci suscitait une sainte émulation dans la pratique du bien, au point que, comme il ressort des témoignages de l’époque, la mère et les filles rivalisaient de zèle dans l’estime et le service réciproque.
Déjà au cours des années où elle était magistra du monastère Saint-Disibod, Hildegarde avait commencé à dicter ses visions mystiques, qu’elle avait depuis un certain temps, à son conseiller spirituel, le moine Volmar, et à sa secrétaire, une consœur à laquelle elle était très attachée Richardis de Strade. Comme cela est toujours le cas dans la vie des véritables mystiques, Hildegarde voulut se soumettre aussi à l’autorité de personnes sages pour discerner l’origine de ses visions, craignant qu’elles soient le fruit d’illusions et qu’elles ne viennent pas de Dieu. Elle s’adressa donc à la personne qui, à l’époque, bénéficiait de la plus haute estime dans l’Église: saint Bernard de Clairvaux, dont j’ai déjà parlé dans certaines catéchèses. Celui-ci rassura et encouragea Hildegarde. Mais en 1147, elle reçut une autre approbation très importante. Le Pape Eugène III, qui présidait un synode à Trèves, lut un texte dicté par Hildegarde, qui lui avait été présenté par l’archevêque Henri de Mayence. Le Pape autorisa la mystique à écrire ses visions et à parler en public. A partir de ce moment, le prestige spirituel d’Hildegarde grandit toujours davantage, d’autant plus que ses contemporains lui attribuèrent le titre de «prophétesse teutonique». Tel est, chers amis, le sceau d’une expérience authentique de l’Esprit Saint, source de tout charisme: la personne dépositaire de dons surnaturels ne s’en vante jamais, ne les affiche pas, et surtout, fait preuve d’une obéissance totale à l’autorité ecclésiale. En effet, chaque don accordé par l’Esprit Saint est destiné à l’édification de l’Église, et l’Église, à travers ses pasteurs, en reconnaît l’authenticité.
Je parlerai encore une fois mercredi prochain de cette grande femme «prophétesse», qui nous parle avec une grande actualité aujourd’hui aussi, à travers sa capacité courageuse à discerner les signes des temps, son amour pour la création, sa médecine, sa poésie, sa musique, qui est aujourd’hui reconstruite, son amour pour le Christ et pour son Église, qui souffrait aussi en ce temps-là, blessée également à cette époque par les péchés des prêtres et des laïcs, et d’autant plus aimée comme corps du Christ. Ainsi, sainte Hilegarde nous parle-t-elle; nous l’évoquerons encore mercredi prochain. Merci pour votre attention.

Sainte Hildegarde (2), Chers frères et sœurs,
Je voudrais aujourd’hui reprendre et poursuivre la réflexion sur sainte Hildegarde de Bingen, figure importante de femme au Moyen âge, qui se distingua par sa sagesse spirituelle et la sainteté de sa vie. Les visions mystiques d’Hildegarde ressemblent à celles des prophètes de l’Ancien Testament: s’exprimant à travers les expressions culturelles et religieuses de son époque, elle interprétait à la lumière de Dieu les Saintes Écritures, les appliquant aux diverses circonstances de la vie. Ainsi, tous ceux qui l’écoutaient se sentaient exhortés à pratiquer un style d’existence chrétienne cohérent et engagé. Dans une lettre à saint Bernard, la mystique de Rhénanie confesse: «La vision envahit tout mon être: je ne vois plus avec les yeux du corps, mais elle m’apparaît dans l’esprit des mystères... Je connais la signification profonde de ce qui est exposé dans le psautier, dans l’Évangile, et d’autres livres, qui m’apparaissent en vision. Celle-ci brûle comme une flamme dans ma poitrine et dans mon âme, et m’enseigne à comprendre en profondeur le texte» (Epitolarium pars prima I-XC: CCCM 91).
Les visions mystiques d’Hildegarde sont riches de contenus théologiques. Elles font référence aux événements principaux de l’histoire du salut, et adoptent un langage principalement poétique et symbolique. Par exemple, dans son œuvre la plus célèbre, intitulée Scivias, c’est-à-dire «Connais les voies», elle résume en trente-cinq visions les événements de l’histoire du salut, de la création du monde à la fin des temps. Avec les traits caractéristiques de la sensibilité féminine, Hildegarde, précisément dans la partie centrale de son œuvre, développe le thème du mariage mystique entre Dieu et l’humanité réalisé dans l’Incarnation. Sur l’arbre de la Croix s’accomplissent les noces du Fils de Dieu avec l’Église, son épouse, emplie de grâce et rendue capable de donner à Dieu de nouveaux fils, dans l’amour de l’Esprit Saint (cf. Visio tertia: PL 197, 453c).
A partir de ces brèves évocations, nous voyons déjà que la théologie peut également recevoir une contribution particulière des femmes, car elles sont capables de parler de Dieu et des mystères de la foi à travers leur intelligence et leur sensibilité particulières. J’encourage donc toutes celles qui accomplissent ce service à l’accomplir avec un profond esprit ecclésial, en nourrissant leur réflexion à la prière et en puisant à la grande richesse, encore en partie inexplorée, de la tradition mystique médiévale, surtout celle représentée par des modèles lumineux, comme le fut précisément Hildegarde de Bingen.
La mystique rhénane est aussi l'auteur d'autres écrits, dont deux particulièrement importants parce qu'ils témoignent, comme le Scivias, de ses visions mystiques: ce sont le Liber vitae meritorum (Livre des mérites de la vie) et le Liber divinorum operum (Livre des œuvres divines), appelé aussi De operatione Dei. Dans le premier est décrite une unique et vigoureuse vision de Dieu qui vivifie l’univers par sa force et sa lumière. Hildegarde souligne la profonde relation entre l'homme et Dieu et nous rappelle que toute la création, dont l'homme est le sommet, reçoit la vie de la Trinité. Cet écrit est centré sur la relation entre les vertus et les vices, qui fait que l'être humain doit affronter chaque jour le défi des vices, qui l'éloignent dans son cheminement vers Dieu et les vertus, qui le favorisent. L'invitation est de s'éloigner du mal pour glorifier Dieu et pour entrer, après une existence vertueuse, dans la vie «toute de joie». Dans la seconde œuvre, considérée par beaucoup comme son chef-d'œuvre, elle décrit encore la création dans son rapport avec Dieu et la place centrale de l’homme, en manifestant un fort christocentrisme aux accents bibliques et patristiques. La sainte, qui présente cinq visions inspirées par le Prologue de l'Evangile de saint Jean, rapporte les paroles que le Fils adresse au Père: «Toute l’œuvre que tu as voulue et que tu m'as confiée, je l'ai menée à bien, et voici que je suis en toi, et toi en moi, et que nous sommes un» (ParsIII, Visio X: PL 197, 1025a).
Dans d’autres écrits, enfin, Hildegarde manifeste la versatilité des intérêts et la vivacité culturelle des monastères féminins du Moyen âge, à contre-courant des préjugés qui pèsent encore sur l'époque. Hildegarde s'occupa de médecine et de sciences naturelles, ainsi que de musique, étant doté de talent artistique. Elle composa aussi des hymnes, des antiennes et des chants, réunis sous le titre de Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum (Symphonie de l'harmonie des révélations célestes), qui étaient joyeusement interprétés dans ses monastères, diffusant un climat de sérénité, et qui sont également parvenus jusqu'à nous. Pour elle, la création tout entière est une symphonie de l'Esprit Saint, qui est en soi joie et jubilation.
La popularité dont Hildegarde jouissait poussait de nombreuses personnes à l’interpeller. C’est pour cette raison que nous disposons d’un grand nombre de ses lettres. Des communautés monastiques masculines et féminines, des évêques et des abbés s’adressaient à elle. De nombreuses réponses restent valable également pour nous. Par exemple, Hildegarde écrivit ce qui suit à une communauté religieuse féminine: «La vie spirituelle doit faire l’objet de beaucoup de dévouement. Au début, la fatigue est amère. Car elle exige la renonciation aux manifestations extérieures, au plaisir de la chair et à d’autres choses semblables. Mais si elle se laisse fasciner par la sainteté, une âme sainte trouvera doux et plein d’amour le mépris même du monde. Il suffit seulement, avec intelligence, de faire attention à ce que l’âme ne se fane pas» (E. Gronau, Hildegard. Vita di una donna profetica alle origini dell’età moderna, Milan 1996, p. 402). Et lorsque l’empereur Frédéric Barberousse fut à l’origine d’un schisme ecclésial opposant trois antipapes au Pape légitime Alexandre III, Hildegarde, inspirée par ses visions, n’hésita pas à lui rappeler qu’il était lui aussi sujet au jugement de Dieu. Avec l’audace qui caractérise chaque prophète, elle écrivit à l’empereur ces mots de la part de Dieu: «Attention, attention à cette mauvaise conduite des impies qui me méprisent! Prête-moi attention, ô roi, si tu veux vivre! Autrement mon épée te transpercera!» (ibid., p. 142).
Avec l’autorité spirituelle dont elle était dotée, au cours des dernières années de sa vie, Hildegarde se mit en voyage, malgré son âge avancé et les conditions difficiles des déplacements, pour parler de Dieu aux populations. Tous l’écoutaient volontiers, même lorsqu’elle prenait un ton sévère: ils la considéraient comme une messagère envoyée par Dieu. Elle rappelait surtout les communautés monastiques et le clergé à une vie conforme à leur vocation. De manière particulière, Hildegarde s’opposa au mouvement des cathares allemands. Ces derniers — littéralement cathares signifie «purs» — prônaient une réforme radicale de l’Église, en particulier pour combattre les abus du clergé. Elle leur reprocha sévèrement de vouloir renverser la nature même de l’Église, en leur rappelant qu’un véritable renouvellement de la communauté ecclésiale ne s’obtient pas tant avec le changement des structures, qu’avec un esprit de pénitence sincère et un chemin actif de conversion. Il s’agit là d’un message que nous ne devrions jamais oublier. Invoquons toujours l’Esprit Saint afin qu’il suscite dans l’Église des femmes saintes et courageuses, comme sainte Hildegarde de Bingen, qui, en valorisant les dons reçus par Dieu, apportent leur contribution précieuse et spécifique à la croissance spirituelle de nos communautés! »

[3] « ...je suis heureux d’annoncer que le 7 octobre prochain, à l’ouverture de l’assemblée ordinaire du synode des évêques, je proclamerai saint Jean d’Avila et sainte Hildegarde de Bingen docteurs de l’Église universelle. Ces deux grands témoins de la foi ont vécu au cours de périodes historiques et dans des milieux culturels très divers. Hildegarde fut une moniale bénédictine au cœur de l’Allemagne médiévale, authentique maîtresse en théologie et experte érudite en sciences naturelles et en musique. ... la sainteté de leur vie et la profondeur de leur doctrine les rendent toujours actuels: la grâce de l’Esprit Saint, en effet, les a introduits dans cette expérience de compréhension pénétrante de la révélation divine et de dialogue intelligent avec le monde qui constituent l’horizon permanent de la vie et de l’action de l’Église » (Benoit XVI, solennité de la pentecôte, place St-Pierre, 27 mai 2012).

[4] «  il me plaît aussi de regarder les deux figures lumineuses que je viens de proclamer Docteurs de l’Église : Saint Jean d’Avila et Sainte Hildegarde de Bingen. Dans notre temps, l’Esprit Saint a aussi suscité dans l’Église un nouvel élan pour annoncer la Bonne Nouvelle, un dynamisme spirituel et pastoral qui a trouvé son expression la plus universelle et son impulsion la plus autorisée dans le Concile Vatican II. ...
Maintenant, arrêtons-nous un instant pour admirer les deux Saints qui ont été associés aujourd’hui au noble rang des Docteurs de l’Église. ... Importante figure féminine du XIIe siècle, Sainte Hildegarde de Bingen a offert sa précieuse contribution pour la croissance de l’Église de son temps, en valorisant les dons reçus de Dieu et en se montrant comme une femme d’une intelligence vivace, d’une sensibilité profonde et d’une autorité spirituelle reconnue. Le Seigneur l’a dotée d’un esprit prophétique et d’une fervente capacité à discerner les signes des temps. Hildegarde a nourri un amour prononcé pour la création ; elle a pratiqué la médecine, la poésie et la musique. Et surtout, elle a toujours conservé un amour grand et fidèle pour le Christ et pour son Église ». (Benoit XVI, homélie de la messe d’ouverture du synode des évêques sur « la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne » - Place St-Pierre, 7 octobre 2012).