Les manifestations contre le barrage de Sivens ont conduit à la mort d’un manifestant. Le temps du deuil est là, mais il faut aussi prendre du recul sur les enjeux de la gestion de l’eau pour l’agriculture, pour la consommation des urbains et pour l’environnement.

Analyse publiée dans « Actuailes n° 25 »

De quoi s'agit-il ?

Paradoxalement la crainte de manquer d’eau se manifeste dans les villes, alors que le problème est dans les champs : la consommation au robinet(50 m³/habitant/an) représente 5 % des besoins agricoles (1.000 m³/habitant/an) ! Or, il pleut environ 10.000 m³/habitant/an dans le monde.

L’agriculture est une solution pour l’eau et non un problème ! En effet, stocker une récolte, en prévision d’une éventuelle sécheresse, était autrefois une manière de stocker l’eau qui avait servi à produire la récolte. Or, les agriculteurs sont aujourd’hui contraints à la règle du zéro stock. Il faudra bien, qu’on le veuille ou non, stocker l’eau autrement. Or, les ONG sont souvent opposées à des investissements hydrauliques pour, disent-­elles, ne pas perturber la biodiversité.

Les questions à se poser sur le barrage de Sivens sont donc les suivantes : Est‐il rentable au plan agricole ? Sur 50 ans, les compléments de production peuvent rentabiliser le barrage à lui seul, surtout que, à Sivens, ce sont des agriculteurs insérés localement dans des productions à haute valeur ajoutée.

Pour aller plus loin...

a) Quelques chiffres pour comprendre

Les travaux de la retenue de Sivens coûteront 8,4 millions d'euros et seront financés
- à 50 % par l'agence de l'eau. Or les redevances des agences de l’eau sont payées par les usagers pour les “prélèvements” et “pollutions”. En 2012, selon les bassins, 80 à 90 % des recettes de redevances provenaient de la facture d’eau.
- à 50 % par le conseil régional et l'Union européenne et les conseils généraux concernés. Le barrage de Sivens est donc, typiquement, un dossier de fiscalité régionale. 

b) Le volet agricole du dossier

L’aspect agricole du dossier n’a rien à voir avec de grandes exploitations : les commentateurs ont parlé d’agriculture industrielle, alors qu’en réalité il s’agit du développement de petites exploitations à haute valeur ajoutée insérées dans le terroir local.
On dit qu’il s’agit d’un investissement démesuré. Or 4 tonnes de maïs supplémentaires/ha, sans autre coût marginal supplémentaire que l’irrigation, produites sur 400 ha pendant 50 ans au prix de 100 €/T, rapportent 8 millions d’€. Ce n’est pas dans un court article qu’on peut émettre une conclusion en matière de rentabilité : il faudrait vérifier que l’eau était bien le facteur limitant.
Mais, il faut dépasser les visions de rentabilité immédiate, car si on n’avait pas su construire un réseau de routes, y compris de certaines moins rentables que d’autres, nous roulerions dans les champs assez souvent pour nous déplacer.
Il faut donc vérifier d’autres points :

c) Les bénéfices non agricoles

Sivens est, aussi, destiné à maintenir le niveau annuel le plus bas du Tescou. Pour les porteurs du projet, le barrage répond à des objectifs de salubrité et de préservation de la ressource en eau. En effet, c’est la rivière elle-même qui a le plus besoin d’eau : la rivière est à sec l’été… et, évidemment, les villages bordiers y rejettent leurs eaux purifiées en station d’épuration. 

d) L’approvisionnement en eau des villes proches de Sivens

Sachant qu’un individu consomme 50 m3 d’eau potable par an et que la région Garonne prévoit 1,3 millions d’habitants supplémentaires d’ici 2050, il faudra 65 millions de m3 d’eau pour l’eau potable sans compter les productions maraichères locales nécessaires. L’aménagement du territoire ne doit pas être un mot tabou. Tout le plan Garonne 2050 est donc en jeu avec 720 millions de m3 de retenues à mettre en œuvre. Sivens et ses 1,5 millions de m3, représente une goutte d’eau dans ce schéma. Si on écoute les écologistes, ce sont toutes les retenues en Hautes-Pyrénées qui ne verront jamais le jour. Quelles seront les conséquences pour l’agriculture et pour l’approvisionnement en eau potable, si aucun des ouvrages à l’étude, l’Ousse, la Géline ou le Louet, ne voient le jour, à l’horizon 2021 ? 

e) La question des zones humides

Les écologistes parlent de « zones humides » qui sont des lieux propices pour la biodiversité. Mais les berges d’un lac ne constituent-ils pas une zone humide en soi… propice au développement d’une nouvelle faune aquatique, d’une biodiversité reconstituée, enrichie même grâce au lac, avec des oiseaux migrateurs jamais vus auparavant ? Faut-il préférer voir agoniser les poissons dans les flaques d’eau du lit asséché de la rivière en été et en automne ? La question de la biodiversité est de savoir si on veut privilégier des sortes d’écomusées, ou la gérer de manière dynamique.

Conclusion

La vraie question posée par les écologistes est, une fois de plus, celle de nos modèles de croissance : ou on décide qu'on doit entrer dans un système de décroissance et alors il faudra assumer ce choix. N’en viendrait-on pas à condamner le concept même d’investissement, au motif qu’il serait un outil de croissance.

Pour approfondir...

Stocker une récolte et stocker de l'eau! C'est pareil?

Puisque la production de nos aliments est la plus grosse consommatrice d’eau, on peut donc dire qu’une région, obligée d’approcher ses consommations alimentaire, serait en quelque sorte importatrice de l’eau qui a servi à les produire ! Au niveau de la région de Sivens, l’enjeu est de un ou deux milliers de tonnes de maïs par an [1]. Mais au niveau mondial, le problème est considérable et porte sur plusieurs centaines de millions de tonnes.
Dit autrement, quand un pays importe des aliments, il importe de l’eau en quantité considérable. Quand un pays perd sa capacité de production alimentaire, il perd donc la bataille de l’accès à l’eau. En effet, sans agriculture, les équipements hydrauliques deviennent très difficiles à rentabiliser. Or ces barrages apportent l’eau aux populations par surcroit des objectifs agricoles. 

L’agriculture est donc un moyen de stocker de l’eau !

De tout temps, les agriculteurs ont stocké des récoltes. Disposer d’un an de consommation revenait, virtuellement, à stocker l’eau qui avait été nécessaire pour la production des récoltes ainsi stockées !
Or, sous la pression de la concurrence mondiale, les producteurs agricoles sont acculés à réduire leurs coûts, et donc leurs stocks : nos économies sont régies par le concept du "stock zéro". 

Si donc, on ne stocke plus d’eau dans les greniers sous forme de récoltes, il faudra bien, qu’on le veuille ou non, stocker l’eau autrement avec des investissements hydrauliques. Or, les ONG sont souvent opposées à ces aménagements pour, disent-elles, ne pas perturber la biodiversité et les écosystèmes. Jean-Louis Belot, agriculteur près de Sivens est le témoin que ces retenues d’eau ne peuvent pas être individuelles : il faut les collectiviser. Son témoignage montre bien que la bataille de l’eau et celle de l’autonomie alimentaire locale relèvent du même combat : « Faute d’eau, en année sèche, je dois faire venir mon fourrage d’Espagne ou du Brésil, avec un surcoût considérable. Le barrage est indispensable pour moi, car aucun de mes terrains ne se prête à la constitution d’une retenue individuelle. Dans notre plan prévisionnel sur cinq ans, nous avons calculé un rendement du maïs en fonction du lac de Sivens. S’il n’est pas réalisé, nous ne tiendrons pas… » [2].

L’homme passerait-il après la faune et la flore ? Il ne servirait à rien de mettre en place une nouvelle autorité mondiale de l’eau, comme le propose certaines ONG écologistes, si on oublie deux priorités:
- redonner un potentiel aux agricultures locales pour qu’elles puissent investir dans les équipements hydrauliques,
- ne pas considérer le financement des stocks agricoles comme des subventions illicites, mais au contraire faciliter la constitution de stocks de matières premières alimentaires, puisque, indirectement, cela revient à stocker de l’eau… 

Cette mise en perspective n’est rarement prise en compte. 

[1] On jette souvent l'anathème sur le maïs qui serait une plante très consommatrice d'eau. Or, le site très gouvernemental « eaufrance » dit qu’il faut 238 litres d’eau pour cultiver 1 kg de maïs ensilage et 454 pour un maïs grain. Mais il en faut encore plus (590 litres d’eau) pour 1 kg de pomme de terre ou 1 kg de blé ! Certes, on pourrait objecter que les besoins du blé seraient plutôt au printemps, alors que le maïs a des besoins en plein été quand les ressources sont plus limitées. C'est oublier les cultures "dérobées" qui accompagnent souvent le blé. On ne peut à la fois plaider pour ce type d'occupation du sol toute l'année pour aller dans le sens d'une agriculture raisonnée et oublier les besoins en eau des systèmes de culture dans la complexité d'un assolement d'ensemble. Ces cultures n'ont d'autre utilité que d'entretenir la qualité des sols: cultures légumineuses qui permettent de fixer l’azote de l'air et de réduire l’apport d’engrais. Elles évitent aux flores de se spécialiser d'alterner les plantes hôtes cet donc de diminuer l’utilisation des phytosanitaires. La diversité permet également d’éviter une résistance aux phytosanitaires. Le sallissement des sols est donc plus facile à maîtriser. L’avantage est également perceptible au niveau du tassement des sols. La diversité des cultures permet aux racines d’explorer différents horizons du sol et de favoriser son aération. Pour que ces avantages soient mis en oeuvre, il faut également de l'eau sur les cultures intermédiaires d'automne, sinon elles végètent et leur objectif n'est pas atteint

[2] Source : extrait de la Croix.fr du 3 novembre 2014


Étiage:

L’étiage est le niveau le plus bas d’un cours d’eau. L’augmentation du débit d’étiage revient à augmenter le niveau du cours d’eau et à éviter la sécheresse.

Zone humide:

Terrain généralement inondé ou gorgé d’eau et favorisant le développement des plantes.

ONG:

Organisations non gouvernementales : il s’agit d’organisations qui ne dépendent d’aucun gouvernement, bien qu'elles reçoivent souvent des subventions des états. Elles sont spécialisées dans des domaines comme la médecine, le secours aux personnes pauvres, la défense de l’environnement...

Urbain:

Les urbains désignent les personnes qui habitent dans les villes. Celles qui habitent à la campagne sont appelées les ruraux.