A chaque salon de l’agriculture, on parle d'un mot méconnu, la "permaculture", terme évoquant l’ "agriculture permanente".

 

Analyse publiée dans « Actuailes n°48 »

De quoi s'agit-il ?

1. Qu’est-ce que la Permaculture ?

La Permaculture se rencontre dans des petits jardins urbains, sur des balcons, ​avec par exemple ​des semis en bouteilles installées sur de petites tours, dont les poteaux soutiennent des tiges de tomates, ​arrosées avec des eaux usées et filtrées. ​On la pratique aussi dans des "micro-fermes" juxtaposant ​ ​plusieurs cultures : les pommes de terre alternent avec les haricots​, les arbres fruitiers avec des arbustes à petits fruits, pour occuper au mieux le sol et limiter les mauvaises herbes.
Wikipedia définit la permaculture comme : « une méthode systémique... inspirée de l'écologie naturelle et de la tradition. Elle prend en considération la biodiversité des écosystèmes. En outre, elle vise à créer une production agricole durable... tout en laissant à la nature "sauvage" le plus de place possible ... La permaculture forme des individus à une éthique ainsi qu'à un ensemble de principes (design permaculturel) ». ​ Cette définition compliquée donne l'image d'un concept « fourre tout » où l'on trouve de l’esthétique (design, ...), l’écologie (durable, biodiversité...), la morale (éthique, ...), sans oublier le mythe d’une "nature sauvage" vierge et généreuse. ​Cela ne cache-t-il pas une forme d’idéologie avec laquelle tout le monde serait d’accord ? 

2. ​Un des enjeux : lutte contre les mauvaises herbes

Au plan mondial, les mauvaises herbes, en faisant concurrence aux plantes cultivées, entraînent une perte de production d’environ 100 millions de T. de céréales. Que faire ? Certes, il serait simpliste d’opposer ​ la "phytopharmacie"​ à la permaculture. 

​a) ​La ​phytopharmacie ?

Depuis les années 1960, les agriculteurs utilisent la "phytopharmacie" pour désherber. Est-ce risqué pour l’homme ou la faune de nos campagnes ? On invoque le principe de "précaution" : en l’absence de preuve d’innocuité d’une technique, il faudrait y renoncer. Certes, les herbicides sont poisons, mais ceux de nos armoires à pharmacie aussi ! Seules des études "épidémiologiques" peuvent dire si ces produits provoquent cancers ​​ ou autres maladies et rien de tel n’est prouvé. Il faut appliquer un autre principe, celui de "prudence" qui met en balance les bénéfices et les risques d’une technique pour retenir le ​​désherbage le plus adapté.

​b) Les limites de la permaculture

​​Il faut s’y résoudre : nos pratiques ne peuvent se passer d’efficacité. Or, la juxtaposition de cultures différentes rend difficile la mécanisation des récoltes. La permaculture impose donc beaucoup de main d’oeuvre. En agriculture, on utilise un indicateur qui s’appelle l’UTH (Unité de Travail Humain). En maraîchage, il faut 1 UTH pour 1 à 1,5 ha. En permaculture, il faut 2 à 3 fois plus de main d’œuvre (1 UTH pour 0,5 ha). Pour les céréales, on a environ 1 UTH pour 100 ha, mais, en permaculture, les chiffres n’existent pas, car elle est impossible à pratiquer pour les céréales (lire "pour aller plus loin").
Ces indicateurs sont économiques et l’utilité n’est pas un principe absolu. Il faut aussi mesurer les moyens écologiques retenus. Mais, on sait maintenant concilier les deux avec une agriculture écologiquement intensive fondée sur des technologies ayant un effet positif sur l'environnement.
L’argument de la création d’emploi est-il crédible ? Peut-on imaginer une population agricole 2 à 3 fois plus nombreuse ? Qui a envie de devenir agriculteur ? Près de 60% des agriculteurs n’encouragent plus leurs enfants à leur succéder dans une activité jugée pénible. D’un côté, on les plaint, mais, à la moindre sécheresse, on leur reproche d’irriguer les productions que nous mangeons et on les met au ban de la société en exigeant d’eux des normes écologiques et administratives inapplicables, comme s’ils étaient sur le banc des accusés de la société. 

3. Conclusion

Les techniques permacoles sont souvent prometteuses et ingénieuses.
Appliquée en milieu urbain, la permaculture peut être un outil d’éducation pour expliquer à une jeunesse coupée de la nature quelques uns de ses mécanismes. Mais faut-il entretenir un rêve d’autonomie alimentaire ? Faut-il orienter l’emploi des temps libres vers la solidarité de proximité ou vers la permaculture sur balcon. Le temps est une denrée rare !
Au plan plus global, le véritable enjeu est celui des techniques applicables d’ici 2050 pour 10 milliards d’habitants, voire plus ensuite. Nos gouvernants ont raison de défendre l’agriculture familiale. La permaculture en est une forme. Mais en même temps, ils demandent à l’Organisation Mondiale du Commerce de supprimer les protections douanières (lire "pour aller plus loin"). Sans frontières, le lait de Nouvelle Zélande éliminera petit à petit les vaches de nos paysages et nos céréales seront exportées vers l’Afrique, mettant son agriculture en péril. Le débat est-il celui de la permaculture, ou celui de la pérennité des agricultures les plus fragiles ? Le libéralisme généralisé à l’agriculture est le vrai problème, plus que la technique à utiliser, permacole ou autre.

Pour aller plus loin...

a) Les produits de la Permaculture apportent-ils des garanties de santé ?

Même la très sérieuse Association pour la Recherche sur le Cancer (ARC) répond à une question de leurs internautes relative aux liens entre cancer et aliments : "Aucune étude scientifique convaincante n’a pour l’instant montré que les produits issus de l’agriculture biologique présentent un intérêt nutritionnel ou un effet protecteur supérieur aux autres aliments. Quel que soit leur mode de production, les fruits et légumes doivent faire partie du régime alimentaire quotidien de chacun, notamment parce qu’ils réduisent le risque de développer plusieurs cancers".
Prenons un exemple. Pour lutter contre certaines maladies des plantes, les producteurs de permaculture refusent d'utiliser des insecticides. Ils préfèrent des fumiers liquides qu'ils préparent à partir d'orties ou d'autres plantes. Ils épandent ces produits par exemple sur leurs plans de tomates pour faire fuir les pucerons ou pour empêcher l'apparition des petits champignons du mildiou. Or, le fumier d'ortie peut contenir, lui aussi, de très nombreuses bactéries. Est-on sûr que certaines d'entre elles ne sont pas dangereuses? Si le fumier n'est pas préparé à des températures de fermentation suffisamment importantes, certaines bactéries peuvent ne pas être éliminées du fumier. C'est pour cela que le ministère de l'agriculture classe ces fumiers dans la catégorie des "préparations peu préoccupantes", ce qui signifie, a contrario, qu'elles peuvent être un peu préoccupantes! Est-on sûr que les traces de fumier d'orties sur la peau des légumes sont moins dangereuses que les traces de pesticides?
Il ne s'agit pas de dire ici que les légumes produits en permaculture sont dangereux. Ce qui est important, c'est que les produits vendus dans les marchés respectent bien les normes qui sont publiées dans le "Codex alimentarius".

b) Qu'appelle-t-on une étude "épidémiologique" ? 

Le mot épidémiologie vient du grec Epidoemia. Il évoque tout ce qui peut influencer la santé des populations. On pense bien sûr aux maladies, mais aussi à l'alimentation. L'épidémiologie consiste à étudier la répartition, la fréquence et la gravité des états de santé de ces populations.
Ces études permettent de définir ce qu'il faut décider pour améliorer la santé et comment modifier ce qui peut augmenter les risques sur la santé.
Or, lorsqu'on est face à des causes multiples et compliquées, il faut essayer de distinguer les causes entre elles. Par exemple, quand on dit que la qualité d'un aliment peut causer un cancer, il faut séparer les consommateurs qui consomme cet aliment et ceux qui n'en consomment pas. Mais il faut aussi les interroger pour savoir si ce sont des fumeurs ou non, s'ils sont des buveurs d'alcool ou non. Il faut étudier leur consommation dans le temps et ce n'est pas toujours facile d'interviewer des consommateurs tous les cinq ans pour savoir leur état de santé. C'est pour cette raison que les études épidémiologiques sont compliquées et coûtent cher. Or elles sont indispensables car il ne suffit pas de faire des études en laboratoire sur des rats pour tirer des conclusions fiables. 

c) Pourquoi la permaculture est-elle impossible pour produire du blé?

Certains adeptes de la permaculture disent qu'il est possible de produire avec ces techniques 15 tonnes de blé par hectare. C'est le cas d'un spécialiste, Marc Bonfils. "Alors qu’en Beauce aujourd’hui, les agriculteurs les plus en pointe produisent 100 quintaux de blés à l’hectare, Marc Bonfils, déclarait dès les années 80 pouvoir en produire 150. Sa solution? "S’inspirer de la physiologie de la célèbre graminée".
Marc Bonfils effectuait sa culture du blé en suivant trois principes fondamentalement différents.

Tout d’abord, il semait son blé pendant l’été alors qu’il est traditionnellement semé à l’automne. Semé plus tôt, autour de la Saint-Jean, c'est à dire à la fin du mois de juin, il bénéficiait d'une levée rapide de la graine grâce à la chaleur, à un sol actif et une forte minéralisation. En plus, le tallage est alors très actif, car celui-ci est optimal pour des températures supérieures à 20°C. Résultat, à l’entrée de l’hiver, on obtient un plant déjà très développé notamment au niveau des racines et avec un grand nombre de talles, contrairement à la méthode traditionnelle où la croissance est fortement limitée pour passer l’hiver.

Second point de la méthode, le blé est semé à très faible densité. Environ 3 plants au mètre carré contre plus de 300 dans la méthode traditionnelle. Cela revient à semer un plant tous les 60 cm. Ce faible semis, permet un développement optimal du plateau de tallage et de l’espace pour les racines, en dehors d’une économie de semence. 

Enfin, dernier élément clef, l’installation d’une couverture permanente de trèfle blanc (trifolium repens), celui-ci devant être installé avant le premier semis de blé.
Que penser de cela?
D'abord, pour semer du blé en juin, sur un champ déjà couvert de trèfle, il faut avoir semé le trèfle au moins en avril ou mai. Or les champs ne sont pas libres à cette période là. Ils sont encore occupés par la culture précédente dont la récolte n'a pas encore été faite. Cela revient à dire que les rendements de blé obtenus sont ceux de deux années et non d'une année. Il n'est pas étonnant de produire ainsi de belles récoltes, mais c'est comme si on produisait 15 tonnes de blé sur 2 ha (celui des deux années successives).
Par ailleurs, il faut choisir des variétés qui ne montent pas en graine avant l’hiver. Ces variétés ne sont pas toujours celles qui ont la qualité souhaitée par les clients qui veulent des qualités de blé spécifiques pour les usages qu'ils en font. On ne fait pas des tartes, des pizza, des pains, des pâtisseries, etc... avec les mêmes farines et les mêmes variétés de blé.
Enfin, le tapis de trèfle n'empêche pas toutes les mauvaises herbes de pousser. Il y en a de nombreuses qui passent à travers, y compris avec des tiges hautes dont on récolte les graines en même temps que le blé. Ces mélanges ne plaisent pas aux clients qui refusent de payer les mauvaises graines au prix du blé.

d) Quels sont les avantages et inconvénients de la suppression des frais de douanes?

* Qu'est-ce qu'un "frais de douanes"?

Quand un produit est importé, une taxe peut exister qui doit être payée par l'importateur à l'état. Cette taxe augmente le prix pour le consommateur. 

* Deux cas peuvent se présenter:
- ou bien cette taxe est légère et elle augmente le prix pour le consommateur, mais surtout alimente le budget de l'état
- ou bien cette taxe est importante et rend le prix total (taxe + prix facturé à l'importateur) supérieur aux prix des fournisseurs locaux. Dès lors, cette taxe est dissuasive et va empêcher les importations. Les producteurs locaux bénéficient, en quelque sorte, d'une subvention payée par le consommateur, obligé d'acheter localement des produits chers puisque les produits bon marché ne peuvent plus être importés.

* Avantages de la suppression des frais de douanes.

La théorie du libéralisme économique explique que, sans frais de douanes, les biens de consommation sont produits là où ils sont les moins chers. Dès lors, les consommateurs pourraient, en théorie, acheter plus de biens ce qui accroît le bien être général.
La théorie du libéralisme économique explique que, toutes les formes de subventions doivent être supprimées pour ne pas empêcher la concurrence de jouer entre les producteurs. Or, il n'y a pas que les subventions versées par les états: comme on vient de l'expliquer, les taxes douanières sont des formes de subventions payées par le consommateur.
La concurrence ne peut fonctionner que lorsqu'un pays peut mettre en oeuvre des moyens pour produire un autre bien que celui qui peut être importé moins cher. Mais cette théorie n'est vraie que si l'économie est souple et suffisamment développée pour permettre cette interchangeabilité entre les types de production. Or les pays pauvres n'ont pas cette souplesse. Par ailleurs, si leur économie n'est centrée que sur l'agriculture, c'est toute leur production agricole qui est menacée par les importations.
C'est la raison pour laquelle, un prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, recommande de permettre aux pays les plus pauvres de protéger leurs économies, et en particulier, leurs agricultures, pour freiner les importations agricoles venant des pays riches. 

* Inconvénient de la suppression des frais de douanes

La concurrence ne peut fonctionner que lorsqu'un pays peut mettre en oeuvre des moyens pour produire un autre bien que celui qui peut être importé moins cher. Mais cette théorie n'est vraie que si l'économie est souple et suffisamment développée pour permettre cette interchangeabilité entre les types de production. Or les pays pauvres n'ont pas cette souplesse. Par ailleurs, si leur économie n'est centrée que sur l'agriculture, c'est toute leur production agricole qui est menacée par les importations.

C'est la raison pour laquelle, un prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, recommande de permettre aux pays les plus pauvres de protéger leurs économies, et en particulier, leurs agricultures, pour freiner les importations agricoles venant des pays riches.

Pour approfondir...

C'est quoi le "codex alimentarius"? ?

Le codex Alimentarius (ou codex alimentaire) est un ensemble de règles, réunies dans un livre qu'on appelle un "code" et qui impose des normes pour la production et la transformation des produits alimentaires. Il donne les normes et usages qui doivent être respectées pour assurer la sécurité sanitaire des aliments ou la protection des consommateurs et des travailleurs qui transforment les produits. Les normes peuvent concerner aussi la production de l'environnement. Le Codex alimentarius est un document rédigé par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les règles sont variables en fonction des possibilités de les atteindre. Par exemple on donne des limites à ne pas dépasser en nombre de bactéries par gramme ne sont pas les mêmes pour de la viande hachée ou pour des épices. En effet leurs éliminations posent des problèmes différents dans les deux catégories de produits.
En revanche les normes sont identiques entre de la viande bio et de la viande d'élevage classique. 

C'est quoi le "tallage" du blé?

Le mot "tallage" vient du latin du grec thallos qui signife "jeune pousse".
Le tallage est la propriété des jeunes pousses de certaines plantes de la famille des graminées (blé, gazon, etc...). Chaque graine donne une seule pousse, mais, très jeunes, elles produisent plusieurs tiges à partir de la pousse initiale. On voit alors apparaître de véritables touffes originaires de la même graine.
C'est un phénomène recherché par les agriculteurs, car chaque tige donne un épi et le nombre de "talles" augmente le rendement de blé. Le tallage est également recherché dans les des gazons pour assurer la formation d'un tapis d'herbes denses. 
Certaines céréales, comme le maïs", n'ont plus ce pouvoir de tallage. Chaque graine de maïs ne donne qu'une tige et un seul épi. En revanche, chaque épis donne une grosse récolte de grains de maïs.
Comment apparaît le "tallage"? Enfant, on a fait l'expérience de boire une boisson avec une paille creuse. Mais quand on observe une tige de blé, on voit que la paille est, par endroits, bouchée par des "noeuds". Ces noeuds existent dans la pousse très jeune. Pour favoriser le tallage, on pratique écrase un peu les jeunes pousses avec un rouleau qui oblige le contact des noeuds avec le sol. De nouvelles racines apparaissent alors au niveau des noeuds, un peu comme pour une bouture.


Systémique

Vient du grec systèma qui évoque la réunion en un unique corps de plusieurs choses ou parties. On parlera d'un système comme de "quelque chose qui se tient debout ensemble". L'adjectif "systémique" qualifie une approche intellectuelle qui privilégie la compréhension des relations des éléments entre eux plutôt que l'analyse détaillée de chaque éléments.

Design

Le mot est anglais "design". Il vient du latin designare, "marquer d’un signe, dessiner, indiquer". En anglais, to design signifie donc à la fois dessiner et concevoir en fonction d’un plan, d’une intention, d’un dessin. Dans l'expression "design permaculturel", l'idée est donc d'imaginer une agriculture qui implique à la fois une intention, un projet et une mise en oeuvre.

Mythe

Vient du mot grec "muthos" qui signifie "parole/parole non rationnelle, puis discours, puis fiction". Un mythe est un récit relatant des faits imaginaires non vérifiés par l'histoire ou la réalité, transmis par la tradition. Le mythe de la "nature sauvage" date des civilisations antiques, mais est réapparu avec les philosopophes du XVIII° siècle comme Jean-Jacques Rousseau, et plus récemment, avec Lovelock, philosophe écologiste.

Phytopharmacie

Vient des mots grecs phytón (« végétal »), et pharmakôn (signifiant à la fois le remède et le poison). La phytopharmacie est une technique chimique attachée à la santé des plantes. On peut lutter ainsi contre les mauvaises herbes (avec les herbicides) et contre les parasites que sont les insectes (insecticides) ou les champignons (fongicides). Comme l'évoque le mot grec, ces produits sont des poisons. Car, comme pour la pharmacie humaine, utilisés imprudemment, ils peuvent être dangereux.

Innocuité

Du latin innocuus (« qui n’est pas nuisible »)

Ban / Banc

Ne pas confondre les deux expressions: "mettre au ban de la société"  (proche du mot "bannir" qui signifie "tenir à l'écart par le mépris") et "se trouver au banc des accusés" (qui signifie être mis en accusation).