Un traité, le TAFTA, est en cours de négociations entre Europe et USA. Il suscite beaucoup de critiques. On parle beaucoup du risque d’importation d’OGM. Il y a là probablement plus d’émotions que de problèmes pour la santé (voir Actuailes n° 53). D’autres raisons, bien plus graves, suscitent méfiance, voire opposition à cet accord. Lesquelles ?

Analyse publiée dans « Actuailes n°55 »

De quoi s'agit-il ?

1- Qu’est ce que le TAFTA ?

Ce sont les initiales anglaises du "Traité de libre échange transatlantique". Or, l’Europe, en 2014 a signé un traité avec le Canada, le CETA, qui va être soumis aux États européens fin 2016. Un autre, dénommé ALENA, existe entre USA, Mexique et Canada. Or, dans tous, on retrouve les mêmes dispositions. Lesquelles ?

2- Réduction des taxes douanières

- La théorie libérale

Une taxe douanière sert à alimenter le budget des états, mais surtout à protéger ses producteurs. Par exemple, si un super marché importe du riz américain, il paiera une taxe. Le consommateur achètera donc ce riz au prix majoré de cette taxe. La Camargue vend juste en dessous de ce seuil et le consommateur français paie donc son riz camarguais plus cher qu'en l'absence de taxe, mais cela assure l’emploi en France.
Le TAFTA veut réduire les taxes douanières, au risque que le riz de Camargue disparaisse face à la concurrence. L’argument théorique veut qu’alors, le planteur de Camargue produira plus d’abricots. Tout le monde gagnerait en "bien être", y compris le consommateur.
En réalité, les choses sont plus complexes. Pourquoi ?

- Quid de la mobilité des travailleurs d’un marché à l’autre ? 

Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, explique que la théorie libérale "postule le plein emploi". Or une recherche universitaire a suggéré, dit-il, "que la libéralisation des échanges peut avoir des effets positifs sur des pays à taux de chômage faible, mais des effets négatifs sur des pays à taux de chômage élevé". Autrement dit, le TAFTA risque d’avoir des effets négatifs en Europe dont le chômage endémique, à 9,6%, est le double de celui des USA.

- Quid du calcul monétaire des futures taxes douanières ?

Pour le TAFTA, les états calculeront les taxes douanières en dollars. Si les USA font baisser ensuite la valeur du dollar, tous les niveaux de protection s’effondreront. L’Europe dépendra donc de la politique budgétaire américaine.
Faudrait-il alors unifier l’Euro et le Dollar, solution revenant à abandonner le droit d’une communauté à gérer sa propre monnaie ? Une telle approche nuirait aux économies les plus faibles. 

3- Harmonisation des normes

Le TAFTA, pour faciliter le commerce, proposera d’unifier les normes en vigueur. On parle beaucoup de développement durable, dont le concept est mal défini, et les normes scientifiquement trop souvent infondées. En revanche, le sujet est grave dans d’autres domaines :
* Les normes de confidentialité dans le secteur des communications: Google et Microsoft y seront-ils contraints ?
* Les règles concernant les brevets: La durée de protection conditionne la rentabilité des investissements de recherche.
* Les normes culturelles: Les états pourront-ils interdire l’exportation de leurs patrimoines artistiques.
* Les normes sociales: le TAFTA interdira-t-il le travail des enfants dans les entreprises comme le veut une convention internationale de 1930 non signée par les USA ?
Ces normes s’imposeront peu à peu au monde entier, car le TAFTA représentera 45% de la production mondiale. Or la normalisation est un outil politique essentiel pour la politique industrielle et agricole de chaque région. A titre d’exemple, l’autorisation des hormones dans l’élevage bovin peut laisser croire, à tort, qu’il s’agit d’une norme sanitaire (voir Actuailes n°54). En réalité, l'enjeu est la survie de nos élevages en moyenne montagne qui seraient menacés par la production de bovins élevés dans des étables de plus de mille vaches. Or, l’élevage traditionnel est vital pour que ces régions ne deviennent des friches. Non entretenues, elles pourraient être facilement la proie d’incendies graves comme en Haute-Provence où il n’y a plus d’agriculture. 

4- L’accès aux marchés publics

L’Europe demande que les marchés publics américains soient ouverts à la concurrence et accessibles aux entreprises européennes.

5- Règles en cas de conflits juridiques

L’objectif est de permettre à une entreprise d'attaquer un État devant un tribunal dépendant de la Banque Mondiale.
Or la justice, comme la monnaie, est un droit régalien des états. On connait l’image de Saint-Louis, roi de France, rendant la justice sous son chêne au pied des tours du château de Vincennes, jugeant, par exemple un litige entre un meunier et un boulanger. Avec le TAFTA, imaginerait-on, un Saint-Louis attaqué par un meunier sous les tours de la Banque Mondiale à Washington pour qu'il change les lois sur la boulangerie ?

6- Conclusion

Il ne faut pas croire que le TAFTA ne concerne que l’Europe et les USA. Le traité risque de se répercuter sur les droits de douane appliqués aux importations de l’UE, en provenance des pays les moins développés d’Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique (ACP). Or on sait qu’à la suite d’une plainte de l’Organisation Mondiale du Commerce, de grands pays producteurs de bananes ont imposé à l’Europe des accords moins préférentiels avec les pays ACP.
Avec la négociation TAFTA, on a le sentiment de voir l’égoïsme du Nord se préoccuper bien peu des échanges avec les pays les plus pauvres.

Pour aller plus loin...

1) Quels sont les avantages et inconvénients de la suppression des frais de douanes?

* Qu'est-ce qu'un "frais de douanes"?

Quand un produit est importé, une taxe peut exister qui doit être payée par l'importateur à l'état. Cette taxe augmente le prix pour le consommateur.

* Deux cas peuvent se présenter:

- ou bien cette taxe est légère et elle augmente le prix pour le consommateur, mais surtout alimente le budget de l'état.
- ou bien cette taxe est importante et rend le prix total (taxe + prix facturé à l'importateur) supérieur aux prix des fournisseurs locaux. Dès lors, cette taxe est dissuasive et va empêcher les importations. Les producteurs locaux bénéficient, en quelque sorte, d'une subvention payée par le consommateur, obligé d'acheter localement des produits chers puisque les produits bon marché ne peuvent plus être importés. 

* Avantages de la suppression des frais de douanes.

La théorie du libéralisme économique explique que, sans frais de douanes, les biens de consommation sont produits là où ils sont les moins chers. Dès lors, les consommateurs pourraient, en théorie, acheter plus de biens ce qui accroît le bien être général.
La théorie du libéralisme économique explique que, toutes les formes de subventions doivent être supprimées pour ne pas empêcher la concurrence de jouer entre les producteurs. Or, il n'y a pas que les subventions versées par les états: comme on vient de l'expliquer, les taxes douanières sont des formes de subventions payées par le consommateur.
La concurrence ne peut fonctionner que lorsqu'un pays peut mettre en oeuvre des moyens pour produire un autre bien que celui qui peut être importé moins cher. Mais cette théorie n'est vraie que si l'économie est souple et suffisamment développée pour permettre cette interchangeabilité entre les types de production. Or les pays pauvres n'ont pas cette souplesse. Par ailleurs, si leur économie n'est centrée que sur l'agriculture, c'est toute leur production agricole qui est menacée par les importations.
C'est la raison pour laquelle, un prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, recommande de permettre aux pays les plus pauvres de protéger leurs économies, et en particulier, leurs agricultures, pour freiner les importations agricoles venant des pays riches. 

* Inconvénient de la suppression des frais de douanes

La concurrence ne peut fonctionner que lorsqu'un pays peut mettre en oeuvre des moyens pour produire un autre bien que celui qui peut être importé moins cher. Mais cette théorie n'est vraie que si l'économie est souple et suffisamment développée pour permettre cette interchangeabilité entre les types de production. Or les pays pauvres n'ont pas cette souplesse. Par ailleurs, si leur économie n'est centrée que sur l'agriculture, c'est toute leur production agricole qui est menacée par les importations.
C'est la raison pour laquelle, un prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, recommande de permettre aux pays les plus pauvres de protéger leurs économies, et en particulier, leurs agricultures, pour freiner les importations agricoles venant des pays riches.

* Conclusion

Certes, l'Europe n'est pas un "pays pauvre". Mais la nature des distorsions est du même ordre entre une zone puissante, et une qui l'est moins, en particulier avec un chômage important.
Suite au désastre financier appelé "crise des subprime-crise", il était de bon ton de réclamer des régulations et des mesures d’encadrement de la finance mondiale. Qui osera lancer un appel pour arrêter de déréguler l’agriculture ? A l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, Jacques Diouf, Directeur Général de la FAO, avait raison d’être ému de la divergence de traitement entre la finance et l’agriculture.

Pour approfondir...

Pourquoi le TAFTA risque de rendre l'Europe dépendante de la politique budgétaire des USA? 

Toute monnaie doit inspirer confiance. L'émetteur d'une monnaie est en général un état, une institution, un "roi",… au point qu’on parle du "droit régalien de battre monnaie". Cette autorité émettrice a besoin d'asseoir sa crédibilité sur des réserves de quelque chose de concret, un stock d'or, de matières premières, ou un stock de devises. Dans le monde moderne, ce sont sur leurs économies –de préférence saines et florissantes- que les banques d'états s’appuient pour construire cette crédibilité.

Historiquement, les échanges commerciaux se pratiquaient dans un périmètre national, et c’est l’autorité nationale qui émettait la monnaie servant à ces échanges. Paradoxalement, avec la mondialisation, les acteurs commerciaux n’ont pas trouvé de véritable monnaie mondiale. Chaque acteur commercial utilise la monnaie d’un pays, tantôt celui du vendeur, tantôt de l’acheteur ou d’un pays tiers. En l’absence de monnaie mondiale "neutre", c’est la monnaie la plus "crédible", le dollar, qui a chassé les autres. Le dollar a donc été accumulé comme "réserve" par les diverses autres monnaies. Le Fonds Monétaire International estime que deux tiers des réserves de devises stockées dans le monde le sont en dollars et seulement un quart en euro. 

Le dollar est ainsi devenu progressivement la monnaie mondiale de référence.

Or la stabilité et la valeur de cette monnaie dépendent de la politique monétaire et budgétaire des seuls Etats-Unis. Lorsque leur économie fléchit, la Banque Fédérale joue des taux d’intérêts directeurs pour faire baisser la valeur du dollar ce qui favorise les exportations américaines. La dette publique du budget américain, dépassant les 10 000 milliards de dollars, est financée en partie par des Etats étrangers. Si la valeur du dollar baisse, ce sont les réserves des états en question qui diminuent, notamment celles de la Chine qui en détient près de 700 milliards de $ et cette baisse du dollar réduit parallèlement le coût de remboursement de la dette au bénéfice des Etats-Unis.

Concrètement et très simplement, si un état dépense plus qu'il n'a de recettes, il créé indirectement de la monnaie. En effet, le paiement des fonctionnaires et des militaires, des travaux routiers qu'il commande, sont recyclés dans l'économie. Les fonctionnaires et les entreprises de constructions de routes s'achètent à leur tour de plus en plus de biens et de services. On peut imaginer que c'est bénéfique, mais cette stratégie a deux inconvénients:
* la monnaie est comme un autre produit: plus il y en a, plus sa valeur baisse. Ce qui est rare est cher. Si la monnaie est abondante, elle est bon marché. Dès lors, pour importer une même quantité de pétrole, il faut plus de monnaie, puisqu'elle vaut moins. Seuls les pays qui exportent plus qu'ils n'importent on intérêt à cela.
* Pour financer le déficit du budget, un état, comme n'importe qui, doit emprunter. Seuls les pays qui ont d'énormes excédents peuvent le faire. C'est le cas, en particulier des pays pétroliers du moyen orient. Cela permet à ces pays d'imposer une politique étrangère qui leur convient. Un pays endetté perd donc de son indépendance.


Endémique

Mot venant du grec endêmía ("séjour"). En médecine, on parle d'une maladie qui "séjourne" habituellement dans une région donnée, comme le paludisme en Afrique par exemple. Par extension, on parlera d'un chômage "endémique", parce qu'on a des difficultés à éliminer cette forme de maladie économique.

Régalien

Du latin regalia ("choses, domaine du roi"). Dans nos démocraties, ce qui appartenait au "roi", appartient maintenant aux Etats. Ce qu'on appelle les "pouvoirs régaliens" de l'état sont la police et la justice (sécurité intérieure), l'armée (sécurité extérieure) et la monnaie.