Titre : « Psychologie du développement religieux »
Année de parution : Février 2013
Auteur : Pierre-Yves BRANDT et James M. DAY
Éditions : Labor et Fides - Genève
Préface : néant
 
CV des auteurs :

- Pierre-Yves BRANDT, Professeur de psychologie de la religion à l’Université de Genève, pasteur de 1993 à 1995 de la communauté francophone de la paroisse de Nidau en Suisse

- autres :  Zhargalma Dandarova, James Meredith Day, James Jones, Gisela Labouvie-Vief, Giuseppe Mininni, Rosa Scardigno, Heinz Streib, Tania Zittoun,

Derniers ouvrages :
« Car tous nous avons part à ce pain unique » (Editions Olivétan - Veillez et priez -  2014)»

Résumé

 

Depuis l’émergence de la psychologique comme discipline scientifique, nombre de chercheurs se sont intéressés à la relation entre les croyances religieuses et spirituelles, les attitudes, les pratiques et les indices de bien-être psychologique. Peut-on décrire, expliquer, mesurer et prédire le développement spirituel et religieux et a-t-il des liens avec les développements cognitif, affectif ou moral ? Cet ouvrage réunissant des spécialistes propose de faire le point sur les recherches menées depuis quarante ans dans ce domaine et de montrer le champ passionnant des possibilités nouvelles de comprendre les croyances. Sur le Dieu des enfants, le sens de la religiosité à différentes étapes de la vie ou les liens entre émotions et développement spirituel, cet ouvrage offre un éclairage nouveau sur les mystères de la prégnance de la religion dans nos sociétés sécularisées.

Nous prenons le parti, dans cette analyse, non pas de reprendre le contenu de chaque chapitre de cet ouvrage, mais de retenir les raisonnements qui peuvent être utiles à montrer que l’écologisme a un caractère religieux. 

 

INTRODUCTION

« Depuis l’émergence de la psychologie, les chercheurs se sont intéressés à la relation entre les croyances religieuses et spirituelles, les attitudes pratiques, et les indices de bien-être psychologique ».

1- PREMIÈRE PARTIE : « Les étapes du développement religieux en question »

1.1- « Le développement religieux : changements de paradigmes » (par Pierre-Yves Brandt)

a) Introduction

Pour Granville Stnaley Hall, « l’aboutissement du développement religieux [...scelle] la fin du processus d’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte ».

Deux modèles adoptent le paradigme des étapes du développement religieux tout au long de la vie :
- celui de James  Fowler
- celui de Fritz Oser
« L’un et l’autre se réfèrent aux travaux de Jean Piaget sur le développement cognitif pour préciser le sens qu’il faut donner au terme d’étape ou de stade de développement.. » 

b) Paradigme 1 : « L’aboutissement du développement religieux scelle la maturité adulte »

« Granville Stanley Hall considère l’adolescence comme une période de transformations induite par la puberté... » (p. 16)

« Granville Stanley Hall ...décrit les changements religieux de l’adolescence en distinguant ce qu’on peut appeler un versant objectif et un versant subjectif...
- le versant objectif renvoie ici aux dispositifs sociaux mis en place dans différentes cultures pour accompagner le passage de l’enfant à l’adulte
- le versant subjectif renvoie aux processus endogènes et intrapsychiques » (p. 16)

 « Hall est convaincu que l’expérience » religieuse véritable, celle de l’amour altruisme, n’est possible qu’à partir de l’adolescence. C’est durant cette période que s’opère, selon lui, en parallèle avec la maturation sexuelle, une transformation spirituelle. Cette transformation scelle le passage de l’égocentrisme à l’altruisme ... L’étude comparée des religions apporte une meilleure connaissance de systèmes religieux divers qui ne permet plus d’affirmer que le christianisme serait seul à promouvoir l’altruisme aux dépens de l’égocentrisme » (p. 17)

 « Ces considérations mènent Hall à élaborer des recommandations pour la constitution de programmes d’éducation religieuse adaptés à chaque âge » (p. 17)

c) Paradigme 2 : « Des étapes globales du développement religieux de la naissance à la vieillesse (Fowler, Oser) »

« Oser envisage le développement religieux dans une perspective cognitive... et aboutit à un modèle en six étapes. Les trois premières couvrent la période entre le moment où l’enfant est capable de comprendre le problème posé par le dilemme, soit vers 4-5 ans, jusqu’à l’adolescence ...  La méthodologie  de la technique des dilemmes consiste à confronter les sujets à des tâches qui supposent la mobilisation de compétences cognitives pour résoudre des problèmes moraux  incluant la dimension religieuse.... Les arguments fournis par les sujets permettent de mettre en évidence les représentations du bien et du mal ... » (p. 18-à 20).

« Pour Fowler, la foi constitue une dimension universelle de la condition humaine » (p. 19)

 « Le développement religieux tend vers l’universel... Plus un sujet se détache d’une vision particulière du monde et adopte une vision qui dépasse tout particularisme, plus son niveau de développement religieux est élevé ...» (p. 21)

 « Les modèles construits par Fowler et par Oser prétendent mesurer un niveau de développement qui correspond avec le développement religieux global de la personne. Une fois un niveau de développement atteint, il caractérise l’ensemble de la religiosité d’une personne, dans tous ses aspects ». (p.21)

Mais « tous n’accèdent pas aux étapes les plus avancées ... Un modèle de développement suppose, bien sûr, une temporalité au long de laquelle prennent place des étapes du développement... Le passage à une étape ultérieure du développement est conditionné par la mise en place de compétences cognitives à caractère opératoire . Par exemple, l’accès au raisonnement formel n’adviendra pas avant un certain âge, soit vers 11-12 ans. Mais cela ne veut pas dire, en retour, que tous les enfants de 12 ans se mettront à raisonner de façon formelle » » (p. 22). 

d) Discussion du modèle plagétien des stades et de sa généralisation au développement religieux

« Piaget va appliquer ce modèle de développement aux modes de raisonnement portant sur le rapport à la règle, à la loi, dans un ouvrage consacré au jugement moral. A partir, notamment, d’observations sur la manière dont les enfants se réfèrent à des règles quand ils jouent, Piaget les interrogent sur ce qui fonde ces règles. Il en dégage des stades, par exemple des stades de la notion de justice ; une justice fondée sur l’autorité de l’adulte chez les enfants avant 8 ans, fondée sur l’égalité de traitement, dès 8 ans, fondée sur l’équité, dès 11 ans » (p. 23)

e) Paradigme 3 : Des niveaux de développement religieux variables suivant les domaines (Streibn Labouvie-Vief, Day)

« Heinz Streib renonce à défendre une description du développement religieux au moyen d’étapes générales ; il propose de transformer les étapes de Fowler  en styles. »

«  Gisela Labouvie-Vief admet au contraire que des domaines divers de la vie du sujet suivent des processus de développement décalés les uns par rapport aux autres » (p. 33)

«  Gisela Labouvie-Vief propose d’envisager le développement à l’âge adulte en considérant l’intégration entre raisonnement et émotions... Autrement dit, le développement à l’âge adulte, vu dans une perspective plus globale, se manifesterait par un éventail de styles possibles, chaque individu empruntant la voie d’un style plutôt que d’un autre suivant la manière qui serait la sienne de coordonner affects positifs et affects négatifs »
« James Day est surtout attentif à l’impact de la religiosité sur le jugement moral. La question est de savoir si les capacités de raisonnement peuvent être entravées par certaines formes de religiosité...
Certaines formes de religiosité fondamentalistes réduisent la complexité cognitive du raisonnement. On observe ainsi des décalages entre des raisonnements menés dans des domaines autres que religieux et le domaine religieux. Les mêmes sujets capables de raisonnements coordonnant plusieurs points de vue pour émettre des jugements sur des questions profanes produiront des raisonnements plus simplistes lorsqu’ils émettront des jugements moraux en référence à des principes religieux et/ou à une autorité religieuse ».

« Puisque certains sujets présentent un décalage entre les capacités de raisonnement manifestées dans cet aspect du domaine religieux par rapport à des capacités plus élevées dans d’autres domaines, on comprend que Day parle non seulement de mesure du développement mais aussi d’apprentissage : serait-il possible d’offrir au sujet la possibilité d’étendre ses capacités de raisonnement au jugement moral en contexte religieux ? Répondre par l’affirmative suppose que le développement religieux n’est pas intrinsèquement différent d’autres domaines du développement. Du point de vue du développement, le domaine religieux constitue un système symbolique qui, tel un langage, est l’objet d’opérations de raisonnement » (pp 35-36) 

1.2- Conceptualisation et mesure du développement religieux en termes de schémas et de styles religieux - Résultats et nouvelles considérations (par Heinz Streib)

a) Le modèle des étapes de la foi de Fowler et la nécessité d’une révision

Fowler énonçait ainsi la définition de la foi :

« La foi est le processus sous jacent de savoir qui est constitutif à la mise en place et au maintien d’un cadre de sens global généré à partir des attachements et engagements d’une personne à l’égard de valeurs ultimes jouant un rôle central, grâce auxquelles cette personne peut intégrer l’expérience qu’elle fait du monde »[1].

Un an après il la définit ainsi :

« La foi est l’expérience que l’on fait d soi, des autres et du monde en lien avec et sous l’influence des conditions ultimes de l’existence et qui façonne les buts et le sens de la vie, ainsi que les relations de confiance et de loyauté, à la lumière de la nature de l’être, des valeurs et du pouvoir qui déterminent les conditions ultimes de l’existence » [2]

Fowler fait la « distinction entre foi, croyance et religion... Ainsi, la foi est caractérisée par des questions telles que : quel est la valeur ultime, le pouvoir ultime ? Envers qui dois-je être en définitive loyal ? Par quoi suis-je concerné en dernière instance ? Qu’est-ce qui donne un sens à a vie ?...
Il fait « bien la distinction entre ce concept universel et ouvert de la foi et, d’une part une croyance particulière avec un contenu spécifique ou, d’autre part, une religion institutionnalisée.
... La foi permet à chacun de donner du sens, d’interpréter les expériences vécues et de rester fidèle aux valeurs se rapportant à l’environnement ultime qu’il aura construit » (pp. 40-41)

« Fowler a mis en place un modèle d’étapes de la foi en six étapes distinctes : la foi intuitive-projective (étape 1), la foi mythique-littérale (étape 2), la foi synthétique-conventionnelle (étape 3), la foi individuante-réflexive (étape 4), la foi conjonctive (étape 5), et la foi universelle (étape 6)...
il a estimé pertinent d’y inclure la diversité de sept domaines considérés comme autant d’aspects de la foi : la forme logique (Piaget), la perspective sociale (Selman), le jugement moral (Kohlberg), la perméabilité de l’endo-groupe, le locus d’autorité, la forme d cohérence du monde, et la fonction symbolique...
 » (p. 43)

Il a illustré ce modèle sous forme d’heptagones

b) La perspective des styles religieux

 

« Je trouve plus adéquat de parler de styles plutôt que d’étapes » (p. 46)

« Les adjectifs utilisés pour décrire les styles religieux sont : subjectif (style 1), réciproque instrumental (style 2), mutuel (style 3), individuant-systématique (style 4), et dialogique (style 5) ...

Le modèle des styles religieux suggère qu’un style n’est pas abandonné lorsqu’émerge un nouveau style, mais demeure à l’arrière plan d’où il peut être rappelé et réactivé ultérieurement, quand le besoin s’en fera ressentir » (pp 48-49)

c) Des styles religieux aux schémas religieux

« Un style religieux, compris en termes de styles de vie et d’habitus, est  constitué par l’usage répétitif et, le plus souvent considéré comme acquis de certains modes d’interprétation, de rituels de coping ou d’attitudes structurées dans le domaine religieux » (p. 50)

« La définition de schémas religieux repose sur la caractéristique majeure qu’un schéma établit un lien entre une expérience et une interprétation de telle manière que s’ouvre la possibilité d’une transformation de l’expérience 

... Un schéma est plutôt un pattern cognitif d’interprétation qu’une personne va préférer afin de gérer au mieux les expériences qui lui posent un défi et dont elle espère tirer une solution applicable à d’autres expériences stressantes. Pour pouvoir affronter des expériences telles, par exemple, une  menace personnelle, sociale ou écologique, il faut pouvoir disposer d’un cadre d’interprétation pour espérer, donner du sens, en ‘venir à bout’ ».

«  Des schémas fréquemment activés deviennent chroniquement accessibles pour se transformer en habitus (Bourdieu 1979). Il faut cependant insister sur le fait qu’en réponse à une situation constituant un défi, il n’y a pas qu’un seul schéma de réponse possible, mais plutôt toute une variété. Ainsi, mon modèle des schémas religieux traite en particulier des différences individuelles quant au choix et à l’activation des schémas » (p. 51)

« Les schémas sont conceptualisés comme modèles structuraux précis d’interprétation et de praxis, les styles, émergent de l’usage répétitif de schémas spécifiques. Les styles religieux ressemblent et se rapportent aux styles de vie et aux habitus » (p. 52)

d) La construction de l’échelle des schémas religieux (RSS)

Cette échelle « va d’un côté d’une orientation plus fondamentaliste à, de l’autre côté, la tolérance, l’impartialité et l’ouverture au dialogue » (p. 54)

Elle intègre des « sous-échelles qui correspondent à trois facteurs distincts :
- (ttt) Truth of texts and teachings : la vérité des textes et des enseignements. Elle correspond à la foi mythique-littérale (2nde étape de Fowler) et au style religieux réciproque-instrumental (de Streib)
Exemple d’item :« Ce que me disent les textes et histoires de ma religion est absolument vrai et ne doit pas être modifié »
- (ftr) Fairness, tolerance and rational choice : équité, tolérance et choix rationnel. Elle correspond à la foi individuante et réflexive (4ème étape de Fowler)
Exemple d’item : « C’est par une discussion impartiale et juste que nous devrions résoudre les différences de ressentis mutuels entre personne »
- (Xenos) Xenophia / Inter-religious Dialog : Xénosophie et dialogue inter-religieux. Elle correspond à la foi Conjonctive (de Fowler) ou au style religieux dialogique (de Streib).
Exemple d’item : « la vérité que je découvre dans d’autres visions du monde m’incite à revoir ma propre vision du monde » (pp. 54-55)

« Ces trois sous-échelles concernent trois préoccupations distinctes, trois visions différentes des expériences positives, et constituent trois schémas religieux distincts : ttt se rapporte à l’importance que l’on accorde à sa propre religion, à l’expérience positive que l’on tire de la non remise en question de ses certitudes ; ftr décrit le souci et la vision d’une coexistence équitable entre les différentes religions ; enfin, xenos concerne la manière de préserver l’ouverture d’esprit et considère comme expérience positive le surplus de créativité émergeant dans les rencontres interreligieuses » (p. 55)

 

e) Recherches sur le développement religieux par le moyen des schémas religieux

f) Conclusions et perspectives

« La religiosité a des effets considérables sur les comportements en cas de conflit » (p. 68)

« Il serait bien entendu nécessaire de mener une recherche longitudinale si nous voulons prouver qu’au cours de sa vie, une personne connait des changements développementaux » (p. 69)

1.3- Pensée postformelle, émotions et développement spirituel (par Gisela Labouvie-Vief)

a) Contexte

« Le développement cognitif se poursuit après l’adolescence, au cours de l’âge adulte et à un âge avancé...

.. Même si on  peut rejeter la religion, on ne peut pas rejeter ses besoins spirituels...

... Le développement positif implique nécessairement une part de développement spirituel » (p. 77)

« L’âge adulte apporte une confrontation importante avec des aspects de construction du sens qui ne sont pas essentiellement rationnels et objectifs, mais qui mettent en jeu une confrontation avec sa propre subjectivité : par exemple avec des émotions , des symboles et des mythes » (p. 78) 

b) Pensée post-formelle

« Le doute est considéré comme un coproduit de la croissance »

« Le développement post-formel : les structures de la pensée formelle, caractérisent les stades les plus élevés du développement cognitif, continuent, en fait, d’évoluer à travers des niveaux supplémentaires » (p. 79)

c) Pensée post-formelle et développement émotionnel

« ... des parallèles entre le développement cognitif et le développement émotionnel ...
... Les émotions se développent, tout comme la cognition, en dehors de schèmes automatiques innés, mais elles prennent des formes de plus en plus complexes au fur et à mesure que les individus développent de plus importants moyens de représentation » (pp. 80-81)

« Raison et affect sont totalement entrelacés même s’ils remplissent des fonctions quelque peu différentes : alors que l’affect fournit l’énergie nécessaire à la cognition, la raison apporte à l’énergie de l’émotion une structure » (p. 82)

d) Niveaux de complexité et problème d’intégration

« La complexité cognitive-affective n’est pas corrélée avec les mesures de bien-être et d’affects positifs » (p. 87)

e) Expériences d’intersubjectivité et niveaux de développement cognitif-émotionnel

f) Conclusion

 

1.4- Le modèle de complexité hiérarchique et la psychologie du développement religieux, spirituel et moral (par James Meredith Day)

« Le développement religieux et spirituel à l’adolescence et à l’âge adulte, et les rôles que jouent ou non des éléments religieux dans un processus de décision face à des dilemmes moraux... » (p. 107)

 

2- SECONDE PARTIE : « Approche psychanalytique du déveLes étapes du développement religieux en question » 

2.1- Développement religieux et développement de la psychanalyse (par James W. Jones)

a) Freud

« Freud s’oblige à discuter du narcissisme à l’intérieur des limites de la théorie de la libido .. Le narcissisme représente en fait la libido orientée vers le ‘je’ » (p. 126)

« Par développement, il faut donc entendre ici un trajet partant de ce narcissisme primaire pour embrasser le principe de réalité par lequel les objets sont considérés de manière objective et réaliste et les fantasmes narcissiques abandonnés. Car le principe de réalité est rendu inopérant par la puissance de souhaits narcissiques qui accordent au soi ou à un objet des pouvoirs et des qualités qui vont au-delà de ce qui correspond à la réalité. C’est pourquoi Freud pense que, dans le cours normal du développement, ce sont les inévitables intrusions de la réalité qui affaiblissent graduellement le narcissisme de l’enfant, l’amenant, en fin de compte, à accepter le monde objectif. Le libido narcissique est, par conséquent, transformée en ‘libido d’objet’ à travers laquelle l’enfant cesse d’expérimenter la réalité comme extension de sa mégalomanie infantile....

L’illusoire et l’infantile sont graduellement placés sous le contrôle du réel et du rationnel. Les illusions infantiles résiduelles constituent en ce sens la perpétuation d’un état mental primitif et représentent donc le plus grand danger pour la rationalité et la santé mentale. En effet, de telles illusions impliquent nécessairement un retrait de la réalité pour un monde d’illusion, certes, par bien des côtés, séduisant et gratifiant, mais irrémédiablement destructeur » (pp. 128-129).

« Freud fait allusion à deux lignes de développement ou à deux trajectoires pour la libido : l’une orientée vers le ‘Je’, l’autre vers le monde externe des objets. Parallèlement, deux manières assez différentes d’être en relation avec le monde sont affirmées : d’une part la projection du narcissisme primaire par lequel le monde est vu en tant que projection du soi, tel le pseudopode d’une amibe, d’autre part l’expérience du monde comme objectivement réel, conséquence de la ‘libido d’objet’...
Cet antagonisme réciproque orientée vers le ‘Je’ et la libido d’objet, ou entre le narcissisme primaire et le principe de réalité, aide à comprendre l’analyse que fait Freud et de la religion »
(p. 129)

« L’individu rationnel accepte cette misère en tant que prix à payer en échange des avantages offerts par la culture. L’individu immature veut au contraire être récompensé par l’imaginaire,.. par la béatitude narcissique qu’offre la religion.... » (p. 130)

« Pour Freud, il n’y avait pas de terrain intermédiaire entre le narcissisme primaire et le principe de réalité. La science était titulaire du principe de réalité et tout ce qui se trouvait en dehors de l’entendement de la science était rapidement renvoyé au domaine du narcissisme » (p. 130) 

b) Kohut

Heinz Kohut explique que « afin de conserver cette première expérience de la béatitude narcissique aussi longtemps que possible... et puisque la perception de l’état narcissique précoce ne peut pas durer, l’enfant a besoin de ces images pour échouer... On peut espérer que l’enfant connaîtra progressivement et non de manière soudaine ou traumatique, des déceptions vis à vis de ses parents idéalisés ou de sa conception grandiose de lui-même » (p. 133)

« ‘L’intériorisation structurante’ est le nom que Kohut donne au processus par lequel l’idéalisation des parents et le soi grandiose sont progressivement remplacés par un jugement plus réaliste » (p. 134)

« Si le développement se déroule bien, les expériences interpersonnelles sont transformées en structures qui donnent un sens de relative cohérence et de relative indépendance à la personnalité. Mais si le développement se déroule mal et que ces ‘structures du soi’ ne se développent pas, l’individu reste pathologiquement dépendant et d »sespérément affamé des objets externes, dans l’attente qu’ils lui fournissent les idéaux dont il a besoin et qu’ils confortent le sens fragile qu’il a de son estime de soi » (p. 135) 

c) Le développement religieux

« Si le narcissisme constitue la force qui meut la personne humaine, comment lui est-il possible d’accepter sa propre mort ? Pour Kohut, une acceptation aussi radicale ne peut pas être authentique si elle se résume dans la suppression du narcissisme. Pour être authentique, elle doit résulter d’une transformation du narcissisme. Une telle transformation se situe en direction de ce qu’il appelle ‘le narcissisme cosmique’ qui est

« un déplacement des investissements narcissiques se dégageant du soi pour adhérer à une conception de participation à une existence supra-individuelle et intemporelle »[3]

... Le narcissisme [de ces individus] se dilate jusqu’à embrasser le cosmos dans son ensemble » (p. 145)

« Dans ‘L’avenir d’une illusion’, Freud insiste sur le fait que les seules alternatives face à la mort soit des illusions religieuses, soit la résignation stoïcienne aux dieux jumeaux de ‘la raison et du destin’. Kohut suggère une troisième alternative, considérant la vie dans la perspective de l’éternité. Il écrit à ce propos :

« Je n’ai aucun doute que ceux qui sont capables d’atteindre cette attitude ultime envers la vie le peuvent grâce à la puissance d’un narcissisme nouveau, dilaté et transformé : un narcissisme cosmique qui a transcendé les limites de l’individu » [4]

« Kohut associe cette capacité pour le ‘narcissisme cosmique’ à l’identification de l’enfant avec sa mère. Dans cette phase précoce, le moi individuel est aussi immergé  dans une relation avec l’autre, Kohut reprend Freud lorsqu’il dit que les souvenirs de cette phase précoce éclatent parfois dans la conscience  sous la forme du ‘sentiment océanique’, où l’individu se sent fusionner avec l’univers ou avec quelque réalité transcendante »

«  Le narcissisme cosmique n’est pas une ‘expérience paroxystique’ transitoire, mais consiste plutôt en une attitude respectueuse envers la vie et une compréhension plus profonde de la nature de la réalité. En tant que définition psychologique de la religion, une telle dilatation de l’empathie [va] jusqu’à inclure le cosmos » (pp. 145-146)

« Tandis que la psychanalyse est souvent associée à une foi inébranlable dans la raison autonome seule, Kohut requiert ici l’existence d’autres modes de connaissance et d’être ...:

« La survie de l’homme occidental, et peut-être de l’humanité tout entière, ne sera, selon toute vraisemblance, pas garantie par la seule ‘voix de l’intellect’, selon le grand espoir utopique des Lumières et du rationalisme des XVIIIe et XIXe siècles ; elle ne sera pas non plus assurée grâce à l’influence des enseignements des religions orthodoxes. Une nouvelle religion surgira-t-elle qui sera capable de fortifier l’amour pour ses anciens et nouveau idéaux... de transformer le narcissisme en esprit de religiosité... se pourrait-il qu’une nouvelle religion rationnelle advienne, un système encore non créé à ce jour de rationalité mystique ? »[5]

« ... Pour Kohut, la religion peut constituer une force majeure pour opérer cette transformation du narcissisme individuel en étreinte universelle »

« Les six étapes antérieures [de Kohlberg] du développement moral sont considérées comme ‘humanistes’, alors que la septième étape est cosmique et transcendantale et sert à fournir un cadre plus global dans lequel la vie morale puisse être fondée » (pp. 147-148)

« Comme Kohut, Kohlberg et Fowler considèrent que des attitudes religieuses ou d’éthique universelle de cette sorte constituent  des accomplissements rarement atteints, mais qui doivent servir d’exemples pour l’humanité entière » (p.149)

d) Conclusion : perspectives psychanalytiques sur la religion mature

« Kohut lance un appel en faveur d’une

"nouvelle religion capable de fortifier l'amour de l'homme pour ses anciens et nouveaux idéaux  [6]

Cette expérience devrait permettre aux individus de transcender leur égoïsme afin de participer à

        "une existence supra-individuelle et intemporelle" [7]

dans laquelle la personne est reliée à un ‘Soi superordonné’ ». Par le fait de se sentir relié à une réalité plus vaste et plus englobante (sacrée ?), la  centration sur soi individuelle est dé-centrée et restituée dans un contexte plus grand, ‘cosmique’. Une telle ‘transformation du narcissisme dans l’esprit de religiosité’ semble exiger le dépassement de ‘la voix de l’intellect’ de sorte à formuler ‘un système de rationalité mystique encore incréé jusque-là’ [8].
Un tel ‘amalgame de la psychanalyse avec des modes de pensée mystiques[9] fait penser au développement de quelque chose d’analogue à une pratique spirituelle reposant sur un ‘mysticisme constructif’ [10]  »
(p. 152)

 

3- TROISIEME  PARTIE : INFLUENCES CULTURELLES SUR LE D2VELOPPEMENT RELIGIEUX

3.1- Le dieu des enfants : entre l’universel et le contextuel (par Zhargalma Dandarova)

3.2- Le sens de la religiosité dans les périodes de la vie : une approche culturelle discursive (par Rosa Scardigno et Giusepe Mininni)

3.3- Une approche socio-culturelle du développement religieux : l’exemple du judaïsme (par Tania Zittoun)

 

[1], James W. FOWLER : « Faith and the structuring of meaning » (1980, pp. 25-26)

[2] James W. FOWLER: « Stages of faith : the psychology of human development and the quest for meaning » (Harper & Row - San Francisco- 1981, p. 92)

[3] Heinz KOHUT « Forms and transformations of narcissism » (in Paul Ornstein - The search for the self- International Universities Press, NewYork p.456)

[4] Heinz KOHUT « Forms and transformations of narcissism » (in Paul Ornstein - The search for the self- International Universities Press, NewYork p.455)

[5] Heinz KOHUT «  Self psychology and the humanities » (Ed C. Strozie - New-York - 1985)

[6] Heinz KOHUT « Forms and transformations of narcissism » (in Paul Ornstein - The search for the self- International Universities Press, NewYork p.456)

[7] Heinz KOHUT « Forms and transformations of narcissism » (in Paul Ornstein - The search for the self- International Universities Press, NewYork p.456)

[8] Heinz KOHUT «  Self psychology and the humanities » (Ed C. Strozie - New-York - 1985,  p. 70)

[9] Heinz KOHUT «  Self psychology and the humanities » (Ed C. Strozie - New-York - 1985,  p. 71)

[10] Heinz KOHUT «  Self psychology and the humanities » (Ed C. Strozie - New-York - 1985,  p. 71)