Le premier des objectifs de développement durable prévoit l’éradication de la pauvreté. Malheureusement, comme toujours, en matière de développement, les aspects monétaires sont cruciaux. C’est vrai en particulier pour l’Afrique. Que penser des rumeurs qui circulent d’un souhait d’Emmanuel Macron de procéder à des modifications de la convertibilité du franc CFA ?  Quels sont les enjeux quelques mois après l’adoption par l’ONU des Objectifs de développement durable (ODD) dont le premier consiste à éradiquer la pauvreté dans le monde d’ici 2030 ?

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1- Qu'est-ce que le CFA?

1.1- Deux zones monétaires 

- Les états de la CEMAC, avec un franc CFA (Communauté française d’Afrique) dit XAF.
La Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC)  rassemble 6 états membres : le Cameroun, la RCA, la république du Congo (Brazzaville), le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.
- Les états de l’UEMOA, avec un franc CFA dit XO
L’UEMOA est l’ Union économique et monétaire ouest-africaine et rassemble huit états : Le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

Ces deux monnaies sont gérées par deux banques centrales (beac/bceao)

1.2- La convertibilité du CFA

Actuellement, les taux de conversion vis à vis de l’Euro sont identiques (655,957 francs pour 1 euro) pour les deux CFA, mais leur usage n'est pas interchangeable (on ne peut donc payer en CFA UEMOA des produits vendus en Afrique centrale).
Cela signifie que la France assure la convertibilité du CFA vis à vis du dollar. Ainsi, le 24 juin 2017, 1 CFA valait 0,00170593 $.
- L’avantage de cette convertibilité est la stabilité, la crédibilité internationale de la monnaie, mais également interne en évitant périodiquement aux populations de se ruer vers les banques, la maitrise de l’inflation (moins de 3%), l’intégration régionale et la facilité des échanges, l’assurance de revenus stables pour les fonctionnaires et dirigeants africains.
- L’inconvénient est que le cours de ces monnaies africaines se décident à Paris et Franckfort sur la base d’intérêts qui ne sont pas celles des pays africains. Ainsi, un CFA fort pénalise gravement les producteurs locaux, tant les agriculteurs que les artisans, qui ne peuvent soutenir la concurrence des entreprises européennes et les importations alimentaires lourdement subventionnées par l'Union européenne. L’autre inconvénient est d’assurer la convertibilité des fonds de la corruption transférés par les élites africaines dans certains paradis fiscaux.

Malheureusement, l’arrimage du franc CFA à l’Euro freine le développement de l’Afrique.
Comme l’explique l’économiste togolais Kako Nubukpo, le phénomène est comparable à celui de la Grèce : « une économie faible qui a une monnaie forte engendre des ajustements très difficiles à soutenir ».

1.3- Les réserves des banques africaines

Les accords entre les pays de ces deux zones prévoient qu’ils ont l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor public français. Selon un rapport de la zone franc, la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) et la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) disposaient en 2005 de plus de 3600 milliards de francs CFA auprès du Trésor français.

Ces dépôts ne rapportent rien à la France qui rémunère les dépots au dessus des taux du marché.

Que penser de la non-utilisation de ces  3600 milliards de francs CFA dont les pays de la zone franc disposent auprès du Trésor public à Paris, l’économiste togolais Kako Nubukpo évoque une forme de «servitude volontaire». Certes, la France, en octobre 2012, à Dakar, a encouragé le gouverneurs des banques centrales africaines à utiliser de façon plus active les réserves de change dont les États de la zone franc disposent auprès du Trésor public français.

«Peut-on demander plus ? On ne peut pas en même temps revendiquer notre indépendance et attendre que ce soit l’ancien colonisateur qui nous donne l’autorisation d’agir. C’est à nous de demander à utiliser de ce qui nous revient», martèle l’économiste togolais Kako Nubukpo.

1.4- La question du crédit

Par ailleurs, « la monnaie doit être au service de la croissance et du développement. Pour cela, il faut des crédits. Or le ratio crédit à l’économie sur PIB dans les pays de la zone franc est de 23 % quand il est de plus de 100 % dans la zone euro. Si bien qu’il est quasiment impossible pour nos pays de rattraper les économies émergentes si le franc CFA reste arrimé à l’euro», fait remarquer Kako Nubukpo.

2- Les  conséquences d’une dévaluation du CFA.

Étant donnée les engagements de convertibilité, la France serait tenue de
- assurer le coût du différentiel de cours vis à vis des créanciers africains
- de combler, l’engagement de dépôt en CFA des pays CFA.

Le 11 janvier 1994, le gouvernement français d'Édouard Balladur avait décidé de dévaluer de moitié le franc CFA.
Annoncer la dévaluation de la monnaie aurait dû être précédée par des réformes structurelles et internes, ce qui signifierait également un aveu d’échec. Or, les dirigeants africains refusaient d’assumer seuls et individuellement, face à leur peuple, cette responsabilité en invoquant le régime de la communauté des biens. 
Cette dévaluation apparaissait également « au moment où on commençait à mesurer réellement les effets pervers des plans d’ajustement structurel imposés par le FMI (Fonds monétaire international) aux États africains. Aussi, l’éventuel nouveau plan politique et économique paraissait «indéfendable» devant des populations dont le niveau de vie était déjà très bas. Les théories des économistes sur la nouvelle compétitivité des produits africains sur le marché international, la relance des exportations et le gain en recette pour les budgets nationaux, du fait de la dévaluation, étaient loin des préoccupations des populations. Individuellement les dirigeants africains ont alors fait l’économie des tensions sociales que la nouvelle de la dévaluation du franc CFA pourrait entraîner. C’est pourquoi ils ont préféré laisser la responsabilité de la nouvelle aux autorités françaises, en optant par la même occasion pour l’effet de surprise ».

3- La situation actuelle des deux CFA

Or, il est désormais manifeste que cette dévaluation du franc CFA ne concerne pas le franc CFA XOF de l’UEMOA. En effet, l’Afrique de l’ouest a mieux géré ses réserves monétaires dans le compte des opérations françaises que l’Afrique centrale.
- Par exemple, la Côte d’Ivoire dispose de 40% des devises de toute l’UMOA et d’une balance commerciale excédentaire parce qu’elle a importé moins et consommé  plus de produits locaux. Car plus on importe plus on épuise ses réserves dans le compte des opérations.
- A l’inverse, l ’Afrique centrale importe tout en chine jusqu’à l’ail qui est pourtant produit localement. La conséquence est que les importations sont garanties par le compte des opérations en France, lequel compte est précisément destiné au paiement de nos dettes et de nos importations en devise.

3.1- Le recours auprès du FMI ?

Les pays de l’Afrique centrale ont épuisé rapidement leurs réserves dans le compte des opérations.
Embourbés dans une crise provoquée par la chute des cours du pétrole, les six pays d’Afrique centrale ont évacué d’entrée de jeu l’hypothèse d’une dévaluation de leur franc CFA. La forte dévaluation opérée en 1994 reste pour eux un souvenir douloureux. « Le mot dévaluation accolé à CFA traumatise tout le monde », confirmait un expert.  Ils ont donc décidé en décembre 2016 d’engager une négociation avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour demander une aide financière. Une telle opération n’a pas cette fois été jugée justifiée par le FMI qui a jugé que celle-ci aurait accru les pressions inflationnistes sans permettre de réaliser des vrais gains à l’export, car les économies d’Afrique centrale, très peu diversifiées, sont surtout dépendantes de la rente pétrolière dont les prix sont indexés sur les cours mondiaux. 

3.2- Les propositions d’Emmanuel Macron.

Devant ce qui ressemble à une impasse, le président Macron a successivement reçu les présidents Alassane Dramane Ouattara de Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal pour des entretiens à ce sujet.
Face à cette situation, le président français Emmanuel MACRON a proposé aux présidents de Cote d’Ivoire et du Sénégal d’aider la zone CEMAC en leur faisant des avances de devises.
Le président Ouattara s’est opposé à cette solution : «  que chacun assume ses propres turpitudes » 
Le trésor français face à cette situation a proposé au président Macron d’envisager:
- la dévaluation du franc CFA XAF (de la CEMAC) au taux de 1 Euro = 1300 francs CFA XAF soit de 50% la valeur actuelle
- et la réévaluation du franc CFA XOF au taux de 1Euro= 500 francs CFA XOF (de l’UMOA).

Mais, les pays de l’Afrique de l’Ouest qui n’ont pas intérêt à voir leur monnaie réévaluée, demandent à la France de respecter ses engagements de convertibilité.
Quant aux pays de l’Afrique centrale, ils seraient en droit d’être méfiants quant aux effets hypothétiques d’une dévaluation.
En effet, l’expérience de 1994 avait occulté la réalité des exportations africaines des zones CFA. L’essentiel de leurs exportations est constitué de produits agricoles (café, cacao, coton, etc.), qui ont vu leurs cours régulièrement baisser. Or, plusieurs conventions négociées garantissaient les prix d’achat aux producteurs. Les effets conjugués de la baisse des recettes (taxes sur l’export) et des prix d’achat garantis ont automatiquement entraîné un déficit budgétaire accru et plongé les pays africains dans un cycle d’endettement abyssal. La dévaluation du franc CFA, dans le milieu des années 90 s’est également accompagnée dans la quasi-totalité des pays concernés par une instabilité politique et de nombreuses guerres civiles. En effet, les changements des prix à la consommation qui sont passés du simple au double, du jour au lendemain. La corruption s’est répandue à tous les niveaux parce que les salaires n’ont pas augmenté alors que le marché a été «réévalué». Le pouvoir d’achat des consommateurs a largement été entamé.

4- Conclusion : Une dévaluation se prépare par des réformes structurelles.

D’un côté, une dévaluation remet les compteurs économiques à des niveaux réalistes.
Mais de l’autre, il ne faut pas croire que les lois du libéralisme soit un critère d’efficacité absolue dans des pays comme l’Afrique.  

Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, explique à juste titre que «  la libéralisation du commerce est censée permettre un redéploiement des ressources de secteurs protégés à productivité faible vers des secteurs exportateurs à haute productivité. Mais ce raisonnement suppose que les ressources sont, au départ, pleinement employées, alors que, dans la plupart des pays en développement, le chômage est élevé en permanence » [1].

Il ajoute que: « Il est difficile de voir sur quoi se fonde cet enthousiasme pour la libéralisation du commerce sans restriction » [2]. D’ailleurs, remarque-t-il, « les premiers résultats d’une recherche en cours à l’université de Colombia suggèrent que la libéralisation des échanges peut avoir des effets positifs sur des pays à taux de chômage faible, mais des effets négatifs sur des pays à taux de chômage élevé » [3].

L’éradication de la pauvreté ne progressera que si, parallèlement à une dévaluation, les instances de l’Organisation mondiale du commerce acceptent que les pays les plus pauvres se protègent des importations du nord par des frais de douane.

 

[1] « Pour un commerce mondial plus juste »  de Joseph Stiglitz (Le livre de Poche- 2010, p. 69)

[2] Ibid  Joseph Stiglitz (p. 82-83)

[3] Ibid  Joseph Stiglitz (p. 84)