Titre : « Veilleur, où en est la nuit? »
Année de parution : Juin 2017
Auteur : Frère Adrien CANDIARD
Editions : Cerf
Sous Titre : "Petit traité de l'espérance à l'usage des contemporains" 
 
CV de l’auteur : né  en 1982, il est dominicain et vit au couvent du Caire (Egypte). Il est l'auteur du spectacle "Pierre et Mohamed"
Derniers ouvrages :
"En finir avec la tolérance" (2014)

 

Résumé

Les chrétiens sont-ils le dernier espoir d'un monde qui a perdu toute espérance? Oui, espérer est leur profession depuis deux mille ans. Non, eux-mêmes sont désespérés en ce début de troisième millénaire. Et si espérer, c'était d'abord renoncer à tous les faux espoirs? Refuser d'idéaliser le passé. Refuser de sublimer l'avenir. Dire non au fantasme de la restauration glorieuse et non à l'illusion de l'exaltation apocalyptique. 
L'espérance des chrétiens n'a qu'une chose à offrir: la vie éternelle, une vie qui ne commence pas après la mort, une vie qui commence maintenant, une autre manière de vivre, de vivre sa mort, de mourir sa vie.  

Extraits

Face au désespoir...

« On n’a jamais tant parlé de désespoir... Je vis chaque passage en France comme une douloureuse plongée dans un pays obsédé par son désespoir » (p. 9)... « On est saturé de discours sur le désespoir. On ne parle plus que de cela... du malaise français, la dépression collective, la morosité ambiante, l’implacable spirale négative dans laquelle nous sommes aspirés sans parvenir à réagir... Dans son rapport de 2011, le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye diagnostiquait un burn-out de notre société » (p. 10).  

Il est temps de parler un peu d’espérance...

« L’espérance est une vertu chrétienne dont on ne sait généralement pas quoi faire... Cela sent trop la méthode Coué qui permettrait de se rassurer à bon compte » (p. 11). « Il serait plus rationnel d’être pessimiste. Au moins, avec le pessimisme, on n’est jamais déçu. on ne peut avoir que de bonnes surprises. (p. 12)
L’espérance nous est une vertu plus nécessaire que jamais, plus urgente, plus vitale. Mais cela suppose de comprendre. Et de comprendre qu’il ne s’agit pas du tout de loptimisme qui nous rend si méfiants » (p. 13)

Avec Jérémie...

Le père Adrien Candiard remonte à 537 avant JC. « Cette année-là, Jérusalem... est la capitale d’un petit royaume de Juda,... un confetti contenant tout de même le Temple où réside la présence de Dieu... (p 13). « Il avait traversé les siècles, au prix d’une soumission aux empires du temps : l’Égypte, l’Assyrie et, à ce moment-là, Babylone. ... Le petit royaume devait payer des sommes exorbitantes pour éviter la destruction pure et simple. A Jérusalem, beaucoup trouvaient cette situation insupportable. ... Il faut, se disent-ils, avoir foi en Dieu. Si nous prenons les armes, si nous luttons pour retrouver notre indépendance, alors Dieu viendra à notre aide. Nous gagnerons la guerre contre l’immense empire de Babylone, parce que Dieu n’abandonnera pas son peuple ! Dieu est avec nous, tout ira bien » (p. 14)
« C’est donc plein d’espoir en dieu que le petit royaume de Juda lance sa rébellion contre l’empire... Si Babylone l’emporte... il n’y aura plus de temple, la présence de Dieu sur terre... Dieu est donc obligé d’intervenir. Il n’y aura plus de Terre promise.... Dieu est donc obligé d’intervenir... Les chefs de la révolte comptent sur Lui... » (p.15)
« Ce n’est pas ce que pense le prophète Jérémie... Il prêche la soumission pure et simple au roi de Babylone, païen, impie, oppresseur.... Il avertit qu’on se berce d’illusions et on se prépare des lendemains difficiles... Avoir la foi, dit Jérémie, ce n’est pas vivre dans un monde enchanté... La foi de Jérémie ne pousse pas à l’optimisme, mais au réalisme le plus froid... » (p. 16)
Le pessimisme de Jérémie n’a qu’une excuse, c’est qu’il a raison : ce qu’il annonce, c’est ce qu’il va vraiment arriver... La révolte contre Babylone va l’amener en pleine catastrophe. Après un siècle long et atroce, où les gens meurent de faim au point que, dit-on, les femmes dévorent leurs propres enfants, le roi de Babylone va prendre la ville, déporter tous ses habitants rescapés et détruire le Temple de Salomon... (p.17)
« Emprisonné par une noblesse qui le juge dangereux, ... Jérémie  annonce que Dieu va tout recréer, à partir de rien...  Dieu n’a pas oublié ni renié ses promesses... Et sur ce point encore, Jérémie aura raison. Mais, précisément, pour les accomplir, il n’a pas besoin de ce qui semblait, à vue humaine, nécessaire : un roi, une terre, un temple... » (p. 18)
Car ce n’est pas tout d’espérer : il faut encore espérer en Dieu, et n’espérer qu’en lui. Ceux qui comptaient sur des réalités autres que Dieu -les alliances étrangères, la politique, la résistance armée-, même au nom de Dieu, même fondées sur Dieu, pensaient-il, s’y sont cassé les dents. (p. 19)
« Cette histoire bien lointaine, on la relit tous les jours en ouvrant le journal. C’est pour cela que Jérémie peut être pour nous un véritable maître d’espérance. .. Son nom est attaché à la plainte geignarde des « jérémiades », car on en connait surtout les malheurs. Mais c’est un maître qui nous enseigne que l’espérance n’est pas ce que l’on croit souvent, une espèce d’optimisme béat qui refuse de voir les difficultés... Il est le maître d’espérance dont notre temps a besoin » (p. 19).

Notre Jérusalem contemporaine est assiégée

« L’économie va mal ... Ce n’est plus une crise mais une maladie chronique » (p. 24)
« Les migrations remettent en cause notre culture » (p. 26)
« L’incompréhension  réciproque des générations.. nous atteint au coeur de nous-mêmes »  (p. 27)
«  L’explosion d’une violence inattendue est incompréhensible... et on préfère des explications aberrantes à l’absence d’explication » (p. 28)
« La catastrophe écologique est presque inévitable et forcément un peu anxiogène » (p. 31)
« L’église est en recul... effondrement des vocations... pratique religieuse minoritaire ...le christianisme quitte à grande vitesse la culture commune... sécularisation de Noël... les contours du mariage civil s’éloignent des canons du mariage chrétien... débats sur la fin de vie.. Islam devenant la seconde religion de France et la première pour sa surface médiatique..., l’échec de la transmission de la foi dans les familles... La chrétienté es morte et bien morte ... Nous vivons au milieu des ruines de notre vieille chrétienté, de notre vieille Jérusalem à nous. Comment n’être pas nostalgiques ?... Dans les années qui viennent, d’autres murs vont tomber » (p. 32 à 48)
«  Les guerres de position sont toujours épuisantes, mais quand chaque position défendue avec acharnement est de plus en plus systématiquement perdue, le moral des combattants ne peut rester très bon » (p. 38).
« C’est dans ces ruines de notre Jérusalem que nous avons besoin de la leçon de Jérémie... Nous sommes murs pour l’espérance.. » (p. 48)
« Pour pouvoir espérer, il faut accepter de renoncer à l’illusion, aux faux espoirs, et ce renoncement est particulièrement douloureux. Le livre de Jérémie a un refrain : « Maudit soit celui qui met sa confiance dans un mortel,  qui s’appuie sur un être de chair ». On peut mal comprendre ces formules... Elle ne nous dit pas qu’il ... faut nous tenir à distance de nos voisins parce qu’il n’y a rien de bon à en attendre. La seule question qu’elle pose est : où plaçons nous notre espérance ?...  Pour espérer en Dieu, il faut accepter d’abord de quitter toutes les autres espérances, tous les espoirs alternatifs, tous les filets de sécurité qui nous évitent d’avoir à faire le grand saut de la confiance en Dieu... Ce que Jérémie a compris, c’est que ses adversaires, qui annoncent des triomphes contre Babylone, n’ont en fait que des espoirs humains. ils parlent royaume, armée, diplomatie ; ils espèrent la domination, la gloire, le triomphe. Voilà ce qu’il appelle « mettre sa foi dans un mortel »... Les compatriotes de Jérémie l’attendent de Dieu et se pensent donc tout à fait pieux. Mais ce rêve d’empire sur le monde n’est pas ce que Dieu veut leur donner... La destruction de Jérusalem va permettre ... une radicale purification de leur espérance. Peut-être notre situation a-t-elle, dans ces difficultés, une vertu identique. La seule promesse que Dieu fait à Jérémie, ce n’est pas la réussite ou le triomphe. C’est la promesse de sa présence.  Pour accueillir cette promesse, il faut renoncer... laisser les morts enterrer leurs morts... Jérusalem est tombée, et ses murailles ne seront pas reconstruites.... » (p.49 à 52)
«  Certains n’en restent pas à la lamentation nostalgique... ils envisagent pour remplacer les murailles du passé ... de les remplacer par un petit fortin... Il est presque naturel de vouloir construire, dans ce déluge, construire de petites arches de Noé où nous pourrions vivre entre nous, entre catholiques partageant les mêmes valeurs, à l’abri des méfaits du monde....  Cette option de résistance au monde, dans un esprit de forteresse, ... séduit bien des jeunes chrétiens qui y trouvent une forme de radicalité où ils peuvent engager leur générosité. Pas de compromis avec l’esprit du monde ! Ils ne veulent pas du tiède, du mou et ils ont raison. Leur radicalité s’incarne dans un mot d’ordre : résistance à l’esprit du monde, à l’esprit du temps. » (p. 54)
« Comme toujours, la lutte contre le mal est plus enthousiasmante, et donc mobilisatrice, que la recherche du bien... Les pulsions agressives sont si puissantes en nous qu’il est bien difficile de nous passer de ce stimulant... Dieu nous invite, en ces temps, à une option autrement plus radicale. Nous avons à renoncer à voir se réaliser, même partiellement, le triomphe de l’Église, pour accepter le paradoxal triomphe de la croix. Jérusalem est tombée, et nous ne la rebâtirons plus. Jérusalem est tombée, et nous n’avons pas à mener une résistance acharnée sur les derniers murs branlants qui restent debout. Il faut accepter, comme Jérémie, notre situation... » (p. 55)
« Résistons à la tentation si confortable de nous poser en victimes... Brandir la christianophobie comme concurrent de l’islamophobie sur le marché de la victimisation, c’est oublier un peu vite que Jésus avait annoncé à ses disciples d’incessantes persécutions... Se présenter comme des victimes, c’est faire triompher le mal : car alors, le mal qu’on m’a fait devient ma seule légitimité, quand ma légitimité devrait être, au contraire, le bien que je m’efforce de faire » (p. 57)
« Ne nous plaignons pas trop. Même ce réconfort-là, un peu glauque mais si séduisant, il nous faut l’abandonner. Car nous risquerions de ne pas entendre, au fond de nous, le chant d’allégresse qui ne demande qu’à naître » (p.58)

Espérer pour la vie éternelle

Alors que Jérusalem est attaquée, alors que Jérémie lui-même est en butte à toutes sortes de persécutions de la part de ceux que sa parole dérange, Dieu ne lui promet pas de le tirer d’affaire, pas plus qu’il ne lui promet que les soucis du pays vont s’arranger. Il lui fait une promesse, toujours la même... « je serai avec toi » (p. 61)
« Cette promesse a un coût exorbitant : elle oblige à renoncer à toutes les consolations imaginaires dont nos vies sont remplies... On imagine des vengeances sophistiquées qu’on ne réalisera jamais... Ces compensations imaginaires ont un défaut : elles ne sont pas vraies » (p. 62)
« Refuser ces faux espoirs, c’est déjà un acte d’espérance » (p. 64)
« Nous avons l’occasion de nous intéresser à Dieu lui-même, au salut qu’il nous offre, sans être aveuglés par tout le fatras de triomphes mondains... Dieu est le seul objet de notre espérance... » (p.65)
« L’espérance chrétienne n’est pas une attente... Il ne s’agit pas d’attente mais de don, d’un don que nous devons simplement recevoir.... Espérer, c’est déjà posséder » (p. 67) « Cette possession n’est pas un projet, mais déjà une réalité » (p. 68) « L’Église s’est trop intéressée à la vie après la mort, et pas assez à ce monde-là... (p. 71) « Si la vie est éternelle, précisément elle ne se déroule pas dans le déroulement du temps : elle est hors du temps, elle est tout le temps... La vie éternelle commence maintenant » (p.72)
« Espérer, dans la pratique, c’est vivre en ... faisant passer l’éternel d’abord, avant l’urgent... accepter le point de vue de l’éternité, le point de vue de l’amour... (p. 74)
« Espérer, ce n’est pas se voiler la face, mais croire que l’amour est plus solide que le reste... L’espérance chrétienne ne nous dit pas de rester là à pleurnicher parce que tout va mal, .. ; ni à attendre que Dieu détruise ce monde-là pour en construire un autre ; elle nous pose une question très simple : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ? » (p. 78)
« Transformer les événements en occasion d’aimer, c’est reproduire au quotidien le miracle de Cana, changer l’eau de la vie ordinaire en vin de vie éternelle » (p. 79)
« Ce n’est pas la croix qui sauve qui que ce soit, mais la manière dont Jésus a vécu le supplice de la croix. La croix ne sauve personne, mais parce que, sans ressasser son statut de victime ni nier le mal qu’on lui faisait, il a choisi le pardon universel... (p.81)
« Il faut revenir à la définition de saint Augustin, pour qui est « sacrifice » toute action que nous accomplissons pour nous unir à Dieu. Or, s’unir à Dieu, c’est faire comme lui : se donner. (p. 82)