Le Giec affirmait dans son dernier rapport qu’il est "maintenant à 95 % certain que la cause principale du réchauffement climatique est humaine"[1].  Cela fait sérieux. Mais où est le calcul ? Il est inutile de chercher car le Giec ajoute : « Ces niveaux de confiance ne sont pas des statistiques fréquentistes, mais des "probabilités subjectives" qui représentent des degrés de croyance basés sur une combinaison de sous-composantes objectives et subjectives du système total »[2]. Des probabilités subjectives ! Ce n’est plus de la science, mais simplement  "une évaluation subjective basée sur un faisceau d'indices"[3]. On est légitimement surpris, surtout quand on lit que le GIEC accepte ce paradoxe : « Les probabilités "Objectives" et "Subjectives"  ne sont pas toujours explicitement distinguées »  (AR5 GT2, § 2.6.2 )[4].
A y regarder de plus près, on réalise que c'est un vocabulaire courant chez les scientifiques quand il s’agit de statistiques. Ils évoquent deux approches possibles : les probabilités dites bayésiennes, ou subjectives, c’est à dire exprimant des "raisons de croire", et les probabilités fréquentistes, ou objectives c’est à dire dégageant des lois tendancielles calculées. Les premières sont fixées a priori, et les secondes a posteriori. Lorsque le GIEC parle de probabilité subjective, il ne plaisante donc pas. Il utilise un concept connu depuis Thomas Bayes, au XVIII° siècle.
Malheureusement, si l’approche bayésienne est une théorie mathématique rigoureuse, elle permet aux climatologues et aux économistes de faire passer pour rigoureux ce qui ne l’est pas. Il y a là un amalgame entre des situations n’ayant aucun rapport qui risque d’engendrer le trouble chez certains.  Le fait qu’on puisse les opposer ou les comparer laisse penser qu’on peut réellement les mettre sur le même plan, voire les combiner. Si des tests “bayésiens” peuvent être tout à fait rigoureux, ils peuvent, en même temps, induire chez des profanes une fausse perception qu’automatiquement  une hypothèse testée serait aléatoirement vraie ou fausse. Il y aurait en quelque sorte une forme de méconnaissance de la différence entre une inconnue et une variable.
Il est un moment où il faut bien entrer dans le chiffrage des relations de causes (humaine, solaire ou volcanique) à effet (la température).  Qui peut mettre d’accord entre eux des climatologistes, océanographes, thermophysiciens, glaciologues , agronomes, biologistes, mathématiciens, chimistes, astronomes, hélio-sismologies, etc... même si, à l'évidence, chaque discipline est utile et nécessaire ? Qu’y a-t-il de commun entre chacune de ces spécialités, entre la recherche sur les facteurs causaux ou résultants de la variation climatique ? Quelle science est légitime pour quantifier les relations de cause à effet ? Une telle méthodologie existe. Il s’agit de la dite « identification  des systèmes dynamiques et complexes ». Après une étude revue par les pairs d’un comité de lecture, un pionnier de ces techniques a conclu en 2016 que: « L’hypothèse, selon laquelle l’activité humaine n’aurait pas d’effet significatif, ne peut pas être exclue... Avec un taux de certitude significatif de 90%...  on doit considérer comme un fait établi que l’activité solaire, en tant que variable explicative causale, constitue effectivement l’explication première du changement climatique ».  
Sans porter de jugement qualitatif sur le mémoire de Christian Fauré[5] sur ce sujet, nous en faisons la transcription dans ce qui suit:

Source : Christian Fauré

Transcription « les2ailes.com »

Supports de mémoire de Christian Fauré (31 août 2013)

« Deux visages du calcul des probabilités : bayésien et fréquentiste »

Après « Les conditions d’émergence des probabilités » puis « La mesure du probable et l’entre-deux des catégories », et à présent où je vais aborder le calcul des probabilités (c’est à dire la mathématisation du probable), je ne peux plus repousser l’exposition d’une dualité interne et épistémologique de l’histoire des probabilités.
Il y a en effet deux conceptions des probabilités, toutes deux présentes dès les débuts de la mathématisation du probable. On parle ainsi :

  • d’une part des probabilités fréquentistes, il s’agit de probabilités dites objectives et  a posteriori, visant à dégager les lois stochastiques de processus aléatoires tendanciels dans des statistiques de fréquence à long terme.
  • et d’autre part des probabilités bayesiennes, où il s’agit de probabilité subjective, de degré de certitude a priori. On doit notamment à Condorcet d’avoir présenté les probabilités subjectives comme étant des « raisons de croire », c’est à dire de présenter le calcul des probabilités comme relevant d’une théorie de la connaissanceplus que d’une théorie de la nature.

 Alain Derosières [2002], rappelle que :

« La distinction entre les deux faces de la notion de probabilité ne sera formulée explicitement qu’au 19° siècle, par exemple par Cournot (Exposition de la théorie des chances et des probabilités, 1843) qui opposera « probabilité » et « chance », ou encore : « les probabilités objectives, qui donnent la mesure de la possibilité des choses, et les probabilités subjectives, relatives en partie à nos connaissances, en partie à notre ignorance, variables d’une intelligence à l’autre, selon leurs capacités et les données qui leurs sont fournies ».

Il y a ainsi d’un côté des probabilités dites « fréquentistes » qui s’intéressent à l’occurrence d’un événement parmi un nombre total et significatif d’observations, et de l’autre les probabilités bayésiennes qui sont des mesures du degré de connaissances subjectives qui représentent la traduction chiffrée d’un état de connaissance. 

Et puisque j’ai évoqué le terme de « bayesien » je me dois de rappeler que nous devons la formulation mathématique des probabilités subjectives au révérend Thomas Bayes et à Laplace (quasiment en même temps, mais seul Laplace a mesuré toute la portée de la formule), mais l’histoire a retenu le nom de Bayes.

Deux cent ans plus tard, dans les années 1970, le débat et les polémiques faisaient rage entre les « fréquentistes » les « bayesiens » ; mais les deux points de vue ne sont pas en opposition:  les probabilités fréquentistes et bayésiennes disent la même chose dès qu’on est sur des grands nombres. Ce n’est que sur des petits nombres et des faibles occurrences que l’induction bayesienne se révèle plus utile, notamment pour les cas qui ont attiré l’attention de Ginzburg dans son essai sur le paradigme indiciaire.

*

Les probabilités fréquentistes sont associées au traitement en général, par un décideur collectif, de problèmes pour lesquels des mises en équivalence (les classes d’équivalences que sont les catégories de la statistique) sont politiquement et socialement plausibles. Les questions taxinomiques, c’est à dire catégorielles, sont supposées réglées en amont, même si elles peuvent faire l’objet d’une révision ; et en tout cas c’est la fréquence des occurrences – leur répétition – qui donne du corps et constitue la charpente de l’édifice qui va héberger les grands nombres.

*

 Les probabilités subjectives et bayésiennes sont au contraire sollicitées dans des situations et pour des choix n’impliquant pas l’idée d’une répétition. Cela peut être une décision individuelle – dois-je accepter cette proposition de contrat de travail ? – mais aussi impliquant un collectif quand un état se demande s’il doit faire la guerre ou signer un traité de paix.

Les probabilités bayesiennes supposent l’évaluation, au moins approximative d’une probabilité a priori d’un évènement inconnu, passé ou futur. En effet, la formule de Bayes fait apparaître une distinction et une articulation entre probabilité a priori et probabilité a posteriori. Du point de vue fréquentiste, quelque chose comme une « probabilité a priori » est un non-sens.

Ce qu’il y a d’intéressant dans la notion de probabilité a priori est que cette probabilité est souvent l’avis de l’expert ou du sachantqui donne une première estimation, a priori donc. La formule bayesienne laisse donc une part à l’intuition ; ce que se refusent les probabilités fréquentistes qui ne traitent que des états de nature.

Les problèmes de décision judiciaire (condamner ou non un accusé) et de décision médicale (diagnostiquer et traiter) relèvent pleinement de la démarche probabiliste bayesienne.

Les « moments » bayésiens et fréquentistes

Quels sont, historiquement, les périodes et les moments qui sont plutôt bayesiens ou plutôt fréquentistes ?

  • Le XVII° siècle est celui de l’émergence des probabilités et de la mathématisation des problèmes de hasard et de chance.
  • Le XVIII° siècle fait une large place aux probabilités subjectives et bayesiennes.
  • Le XIX° siècle en revanche, avec la constitution des états nations industriels, va être résolument fréquentiste avec son corrélât de plans de classements démographiques, industriels, économiques et administratifs ; il procède à la création de nouvelles classes d’équivalences, c’est à dire de nouvelles catégories statistiques comme l’ « homme moyen » de Quetelet(1846) jusqu’à des catégories statistiques très courantes aujourd’hui: taux de natalité, chômage, indices d’inflation, etc.
  • le XX° signera le retour en force des probabilités bayésiennes, très corrélées au développement de l’informatique.

[1] « Rapport de synthèse 2014 sur le changement climatique » - Giec - page v

[2] Rapport GIEC 2001 - Working Group II, § 2.6.2

[3] Source : mail du Giec du 13 déc. 2014 cité dans notre ouvrage  « Climat et si la vérité nous rendait libre » (Terramare 2016), page 80)

[4] http://www.ipcc.ch/ipccreports/tar/wg2/index.php?idp=106>).

[5] Ingénieur et DEA de philosophie, Membre du Conseil d’Administration de l’IRI (Institut de Recherche et d’Innovation)