Cyrille Vanlerberghe, journaliste du Figaro, a titré son article du 4 avril 2018: « Les coraux sensibles à l’acidification des océans ». Il y est question d’une étude récente sans que le journaliste n'en donne la moindre référence. Une recherche permet de retrouver  une dépêche du 16 mars 2018 publiée par « Ars-Technica », agence domiciliée à Cambridge, Massachusetts,  d’où le Figaro a d'ailleurs extrait sa photo, et qui parle d’une étude publiée dans Nature le 14 mars 2018.
La photo contribue à émouvoir l’opinion, alors que ses couleurs roses sont celles d'une eau lagunaire  "contenant  un colorant et du CO2 ajoutés sur la barrière de corail".
De quoi s’agit-il exactement ? Quel sérieux accorder à cette étude ?

Commentaires: "les2ailes.com"

Le  titre du Figaro est alarmant. Son introduction fait le lien avec les émissions humaines de gaz carbonique, et est classé dans la rubrique « climat ». Le Figaro utilise le conditionnel en parlant d’un  « phénomène qui pourrait  avoir des effets négatifs… ».
L’article précise que c’est « néanmoins difficile à étudier », et évoque « les premières études en laboratoire », comme si on pouvait tirer des conclusions en laboratoire. Une étude sérieuse d’impact sur des écosystèmes ne peut se faire que « in situ ».
Faut-il encore que cette étude « in situ », se limite à des observations et des mesures de long terme, sur une multiplicité de sites pour éliminer le maximum de biais locaux. On est loin de cette règle dans la publication qui est décrite : les scientifiques cités ont  « choisi une approche radicale », c’est le moins qu’on puisse dire. Ils ont, en effet, « exposé un récif corallien à une eau plus acide que d’habitude ». Ils ont rempli « un réservoir de 15 000 litres, dans lequel ils injectaient des bulles de CO2 pour l’acidifier… Cette eau était ensuite emmenée par les courants au-dessus de la partie des coraux étudiésont suivi à l’œil nu, grâce à un colorant inerte mais fluorescent, la rhodamine ».
L’expérience ne répond donc pas aux conditions d’une étude éco-systémique digne de ce nom. On est dans une manipulation totalement artificielle, loin des réalités. On créé un événement artificiel pour faire la une de journaux !

Pourquoi ?

Une expérience déconnectée du réel ne prouvant rien

Une telle expérience, bien que totalement artificielle, ne prouve pas que l’augmentation de concentration de CO2 dans l’atmosphère augmente l’acidité des océans.
Rappelons que les conclusions d’une étude "Planetary Boundaries: Guiding human development on a changing planet" a été longuement présenté au « forum économique mondial » de Davos, les 21-24 janvier 2015. Elle a été reprise par l’ONU qui, dans ses Objectifs de Développement Durable, parle des « limites planétaires ».
Que dit cette étude  « Planetary Boundaries » (PB) ? 

1- L’étude « PB » reconnait que « l'hétérogénéité géographique est importante pour suivre la nature de limites pour les océans du monde ». Il n’existe donc aucun indicateur d’acidité des océans permettant de faire un lien avec les émissions de CO2.  L’étude évoquée par le Figaro ne répond bien sûr aucunement  à cette absence d’indicateur d’acidité des océans au plan planétaire.

2- Aucune des études -ni l’étude PB, ni l’étude de mars 2018- ne mesure les « temps de résidence » nécessaires à une acidification des océans[1]. Aucune ne traite de la question de l’ « effet tampon »  existant dans les océans. En chimie, une solution tampon est une solution qui maintient approximativement le même pH malgré l'addition de petites quantités d'un acide ou d'une base, ou malgré une dilution[2].
L’étude présentée par le Figaro ne remplit pas les conditions permettant de prendre en compte un éventuel « effet tampon ». Les scientifiques n’ont pas fait des observations à partir de « petites quantités » mais en intervenant de manière massive sur les dilutions acides. On ne peut parler d’une « diminuant très légère du pH de 8,1 à 7,9 ». Au niveau planétaire cela représenterait une variation considérable !

3- L’étude présentée par le Figaro ne permet aucune conclusion sur l’impact réel d’une éventuelle acidité sur les coraux. Il y a une nuance entre l'effet observé sur des coraux lors d'une intervention ponctuelle massive et celles observées suite à des évolutions lentes. Wikipedia, pourtant réputé pour être maîtrisé par des experts favorables aux consensus écologiques, reconnaît d'ailleurs que le développement des coraux est très complexe et dit bien que "les effets de l'acidification des océans sont encore mal compris".  Les auteurs interviewés dans le Figaro reconnaissent d’ailleurs « qu’on connaît des coraux qui calcifient toujours autant dans des eaux plus acides que celles de l’étude ».

Conclusion

Les auteurs de l’étude reconnaissent eux-mêmes que cette étude n'est pas significative puisqu'elle « est malheureusement très ponctuelle, et regarde des effets à l’échelle de quelques heures ».
Il cite un des chercheurs qui déclare rappelle également que « la capacité d’un écosystème à réagir à un stress est importante ».
Une fois de plus, les journaux retiennent un titre qui ne répond pas au contenu même de l’étude prétendument scientifique dont ils rendent compte !

 

[1] La complexité de la question de l’acidité des océans résulte de 2 phénomènes :
- « Le temps de résidence ».
Malgré la probabilité que la décomposition atmosphérique ait été plus rapide à l'origine de la terre,  il faudrait aujourd'hui 8 à 260 millions d'années pour remplacer tous les sels de mer par l'eau des rivières qui se jettent dans l'océan.
Le temps nécessaire pour remplacer totalement les ions dans l'eau de mer par des ions provenant des rivières s'appelle le 'temps de résidence'.
Les évidences géologiques indiquent que la concentration et la composition des sels de mer sont demeurées les mêmes depuis au moins 1.5 milliard d'années.
- « L’effet tampon géologique »
Le temps de résidence étant plus court que la durée de la terre, il doit y avoir des processus qui diminuent les sels des océans pour empêcher qu'ils deviennent toujours plus salés.
Parmi ces processus, le chiffrage est difficile de ce qu’on appelle « l’effet tampon » de l’océan.
En chimie, une solution tampon est une solution qui maintient approximativement le même pH malgré l'addition de petites quantités d'un acide ou d'une base, ou malgré une dilution.  On évalue la capacité d'une solution tampon à lutter contre les changements de pH par le pouvoir tampon (noté PT ou encore τ).

[2] L’océan est une solution tampon constituée :
- d’un acide faible, l’acide carbonique H2CO3 et de son anion HCO3-.
Quand la concentration de CO2 augmente dans l’air, une partie se dissout dans l’eau de mer avec cette réaction : CO2 ↓ + 2H2O → HCO3- + H3O+ ce qui correspond à la formation de bicarbonates et une réaction en chaîne :
HCO3- + 2H2O → 2H3O+ + CO3- - qui correspond à une alcalinisation et à formation de mono-carbonates.
Ces réactions sont en équilibres et peuvent s’inverser HCO3- + H2O → CO2↑ + OH-
- et de bases faibles, les hydroxydes de calcium Ca(OH)2, de Magnesium Mg(OH)2 ou de potassium K(OH), et de leurs cations CaCO2+, MgCO2+ ou KCO+
Le pouvoir tampon maximal est proportionnel à la concentration de l'acide faible et de son anion correspondant et à celle des bases faibles et de leurs cations.
Dès lors, le pH, qui mesure l’acidité de l’océan, est maintenu constant grâce à l'absorption ou à la libération d'un ion H+ par les espèces en présence dans la solution. L'eau de mer est naturellement alcaline, d'un pH aux alentours de 8,2. L'alcalinité mesure la capacité de résister à une attaque acide, donc à une baisse du pH.