Titre : « La Nature en débat»
Année de parution : Octobre 2017
Auteur : Christian LÉVÊQUE
Éditions : Le Cavalier Bleu
Sous-titre:  "Idées reçues sur la biodiversité"
 
CV de l’auteur : Né en 1940, Dr. ès sciences, écologue,  Président de l’Académie d’Agriculture pour l’année 2013, 
Derniers ouvrages :
"L'écologie est-elle encore scientifique?", Paris, QUAE, 2013
"Développement durable. Nouveau bilan", avec Y. Sciama, Quai des Sciences, Dunod, 2008 

Résumé

Si, de toute évidence, tout ne va pas pour le mieux sur notre planète, doit-on pour autant parler de situation catastrophique ? Or, c'est actuellement la parabole de la "nature assiégée" qui nous est proposée comme modèle unique, une nature qui risque de disparaître et l'homme avec, selon certains, si l'on ne prend pas rapidement des mesures. Il ne s'agit pas ici d'asséner d'autres "vérités" sur la bio-diversité, mais d'élargir le champ de la réflexion, de retrouver un peu d'impertinence par rapport aux discours mécaniques bien rodés des ONG ou de certains lobbies scientifiques, chez lesquels on pratique fréquemment l'amalgame et la dramatisation.

Extraits

Introduction

Chapitre Ier : "La biodiversité: de quoi parle-t-on ?"

* La biodiversité c'est une affaire de naturaliste
La définition de la biodiversité considère trois niveaux de l'organisation du monde vivant: 
- la diversité des espèces animales et végétales vivant à la surface de la terre;
- la diversité génétique de ces espèces qui peut se manifester dans la variabilité des caractères morphologiques, biologiques ou physiologiques au sein des populations;
- la diversité des écosystèmes qui sont les ensembles formés par les espèces animales et végétales et leur environnement physico-chimique. On utilise le terme "milieux" dans le langage courant (p. 17)
Réduire la biodiversité à une approche naturaliste serait une erreur (p. 19)

* La biodiversité c'est  la protection de la nature
On désigne sous le vocable de "ressources génétiques" un ensemble disparate constitué par des gènes, des molécules ou des organismes vivants. (p. 26) 

* On doit faire l'inventaire des espèces
L'idée de faire un inventaire du monde vivant est ancienne... Aristote, dans "histoire des animaux" avait recensé 500 espèces animales.... Pline l'Ancien, dans "Histoire naturelle" recense 900 plantes (p. 35)
Le concept d'espèce est discuté (p. 36). Comment classer les espèces (p. 38)
L'inventaire des espèces est très difficile à évaluer. Il existe un consensus mou pour retenir le chiffre de 5 à 30 millions d'espèces.... Selon des travaux récents, le nombre des taxons bactériens dans le milieu marin serait compris entre 106 et 109 (p. 40).

* Toutes les espèces sont nécessaires au fonctionnement des espèces
Toutes les espèces e jouent pas le même rôle dans un écosystème. Des "espèces clés de voûte" jouent un rôle structurant (le perche du Nil, le castor, les vers de terre,...). et puis il y a des espèces qui jouent un rôle plus ou moins similaires dans l'écosystème. On dit qu'elles ont la même "niche écologique" (p. 46). Reste à préciser le champ de la redondance, ce qui est assez difficile.
Un véritable dogme, selon lequel la diversité des espèces engendre la stabilité est bien difficile à démontrer...., hypothèse appelée "diversité-stabilité" selon laquelle l'aptitude des systèmes écologiques à réagir à des perturbations, s'accroît lorsque le nombre d'espèces augmente (p. 47)
L'"hypothèse des rivets" tend à répondre à la question: la disparition d'une ou de plusieurs espèces compromet-elle le fonctionnement d'un écosystème? (p. 48). On peut regretter que l'existence de l'ours blanc soit menacée par la fonte des glaces polaires. Sa disparition, si dommageable soit-elle, n'empêchera as l'écosystème arctique de fonctionner. 
L' "hypothèse conducteurs-passagers" considère que toutes les espèces ne jouent pas un rôle équivalent dans l'écosystème. Certaines sont superflus (passagers), d'autres jouent un rôle essentiel (conducteurs)(p. 49)
Toutes ces hypothèses restent assez vagues. Selon la théorie des systèmes, [les écosystèmes] sont caractérisés par leur structure (habitats, espèces, gènes, etc..) et par leur fonctionnement (flux entre les éléments du système). Or en écologie on a tendance à confondre les deux.

La question du rôle des espèces ne peut être dissociée d'un autre débat portant sur la nature déterministe des communautés animales ou végétales:
- Pour un courant historique de l'écologie, l'écosystème est un cadre supposé stable dans lequel interagissent des groupes d'espèces
- Pour l'hypothèse stochastique (NDLR: qui se produit par l'effet du hasard], la présence d'une espèce obéit à des stratégies individuelles (p.52). Dans l'approche stochastique, les peuplements sont évolutifs et les écosystèmes s'adaptent en permanence aux introductions ou aux disparitions d'espèces.

Les écosystèmes n'ont plus à faire la preuve de leurs capacités d'adaptation aux changements et aux catastrophes naturelles qui les ont affectés. Ce paradigme remet en cause le principe de stabilité et d'équilibre des écosystèmes.

L'idée selon laquelle les espèces sont en compétition est également profondément ancrée dans les esprits. Darwin a parlé de "Struggle for life" (p. 52). Il avait connaissance des théories de Malthus. La compétition existe, il n'y a aucun doute. MAIS elle est bien difficile à établir (p.53). Il y a d'autres alternatives à la compétition, la coopération dans l'évolution. Le géographe russe Kropotkine a publié en 1902 "l'entraide, un facteur de l'évolution". Pour lui, les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs, mais les plus solidaires. le biologiste japonais Kinji Imanishi a proposé une théorie de l'évolution basée sur la solidarité du groupe et sur le mutualisme (p. 51).
Les recherches mettent en évidence le rôle prépondérant des micro-organismes dans les flux de matière et d'énergie au sein des écosystèmes écologiques, assurant en particulier le recyclage et la re-minéralisation de la matière organique, un processus essentiel. Les virus constituent également un réservoir de diversité mal exploré. Ils sont susceptibles d'infecter tous les types d'organismes  avec une grande spécificité d'hôte.. (p. 56).
il faut donc aborder cette question du rôle des espèces dans l'écosystème avec beaucoup d'esprit critique afin d'éviter le piège des discours militants (p. 57)

* Les systèmes écologiques sont autorégulés
Depuis longtemps, l'écologie est attirée par les théories organicistes (p. 60). Un de ses avatars est la théorie Gaïa (p. 61).
Une autre approche s'appuie sur la cybernétique qui est la science concernée par les processus de communication et de contrôle de l'information (p 62). Ces théories ont contribué à l'émergence d'une théorie générale des systèmes qui va intégrer le concept d'auto-organisation. Les systèmes cybernétiques sont caractérisés par des boucles de rétroaction (ou feed-back). La question reste ouverte. Les théories organicistes ne sont pas validées scientifiquement et les théories de la physique s'appliquent mal aux systèmes biologiques (p. 64) 

Chapitre II: Menaces sur la biodiversité

* L'homme est responsable d'une destruction massive de la biodiversité 

Nous serions en train de vivre la sixième grande extinction des espèces.
L'érosion, de quoi parle-t-on? Parle-t-on de la disparition d'une espèce ou de la baisse de ses effectifs? De la biodiversité en général ou de certaines espèces emblématiques (Rhinocéros)? Dans ce domaine, on a vite tendance à extrapoler à l'ensemble de la diversité biologique des observations locales et conjoncturelles (p. 68)
Ainsi, dans le cas du thon rouge de Méditerranée, les mesures qui ont été prises semblent avoir été efficaces pour rétablir les stocks. La morue de Terre-Neuve qui avait presque disparu est de nouveau bien présente.

Un aspect du discours alarmiste est de tenir un discours globalisant et d'extrapoler, à l'ensemble du globe, des problèmes qui se posent à des échelles locales ou régionales

Peut-on parler d'érosion? Certainement pas quand on connaît l'histoire de la diversité biologique. L'Europe est une terre de reconquête pour la biodiversité depuis environ 12.000 ans, lorsque le climat s'est réchauffé. Et cette reconquête n'est pas terminée puisque certaines espèces s'installent et se naturalisent encore de nos jours.
on ne dispose pas des informations sérieuses qui permettraient de faire un bilan quantifié de l'ensemble de la diversité biologique dans une région donnée (p. 70)
Les causes de l'érosion actuelle de la biodiversité sont assez bien identifiées. Une d'entre elles est la démographie, (p.70).

On peut y ajouter la pauvreté, car l'exploitation de la biodiversité est, pour les plus démunis, un moyen de survie. Faire des propositions concrètes pour remettre en cause le système économique mondial est évidemment plus difficile que de stigmatiser à longueur de publications les méfaits des hommes sur la nature (p. 72)

Pourquoi parle-t-on d'une sixième extinction de masse?
- La première, il y a 445 M. d'années aurait affecté les trilobites, céphalopodes et échinodermes
- La seconde, il y a 375 M. d'années a vu disparaître 75 % des espèces marines
- Celle du Permien, il y a 250 M. d'années a été la plus grave: près des 2/3 des insectes disparaissent 
- celle du Trias, il y a 210 M. d'années affecta également les organismes marins
- celle de la fin du Crétacé, il y a 65 M. d'années a vu disparaître les dinosaures.
Il s'agit des principales, 

Mais les paléontologues recensent une vingtaine d'autres extinctions massives, d'ampleur plus ou moins importantes. Au total, ce serait plus de 99% des espèces ayant vécues sur terre qui auraient ainsi disparu... La bonne nouvelle, c'est que les paléontologues ont constaté d'intenses périodes de diversification (p. 73)

Y a-t-il une sixième extinction de masse?  Tout d'abord, comment estime-t-on le taux d'extinction naturel, c'est à dire sans que l'homme soit en cause? Sur le site Sagasciences du CNRS, on trouve une explication saisissante: la durée de vie moyenne d'une espèce étant de 5 à 10 millions d'années, il suffit de diviser le nombre d'espèces par la durée de vie moyenne pour obtenir un taux d'extinction annuel d'une espèce par millions d'espèces. Ce type de spéculation relève de la plus grande fantaisie!(p. 75)
Selon un bilan paru récemment dans la revue Science, malgré la pollution et les autres conséquences de l'activité humaine, le nombre d'espèces, à l'échelle de la planète, ne semble pas diminuer de manière significative (Dornelas M. et al., "Assemblage time series reveal biodiversity change but not systematic loss", Science 344, 2014, 296). (p. 77). Pour les auteurs, le fait qu'ils n'aient pas observé de perte systématique d'espèces à l'échelle globale, ne vient pas contredire le fait qu'il y a des espèces en danger et des habitats menacés (p. 78)

* L'homme perturbe l'équilibre de la nature

Le discours concernant la biodiversité s'appuie sur une représentation de la nature type "Paradis perdu". L'expression' "équilibre de la nature" et [le fait que] les scientifiques parlent du "bon état" des écosystèmes ancre dans les esprits l'idée qu'il existerait une nature idéale.
- Un créationnisme latent !(p. 79).
Dans une interview au journal scientifique La Recherche en 2000, une journaliste posait la question suivante au biologiste américain Edward Wilson: Vous avez écrit plusieurs fois que nous détruisons la Création. Mettez-vous dans ce mot une dimension spirituelle?". La réponse mérite exégèse: "Un nombre croissant de théologiens et de responsables religieux se préoccupent de la perte de biodiversité. Mais il n'est pas besoin d'adhérer à une religion traditionnelle pour avoir une conception spirituelle de l'environnement. Appeler la biodiversité la Création se réfère à ce sentiment". Une réponse alambiquée qui peut laisser penser qu'il ne renie pas vraiment le créationnisme! (p. 81)
- Le concept d'équilibre de la nature
Certes désacralisée, l'idée d'un équilibre et de la stabilité des écosystème reste vivace (p.81). Le système, à la manière d'un culbuto, retrouve son état antérieur quand la perturbation s'arrête (p. 82). Mais, 
- La diversité biologique est le produit du changement (p. 84)
On affiche des velléités de "restauration" d'écosystèmes modifiés. C'est ici qu'intervient la notion de système de référence servant de modèle auquel on pourra comparer le système restauré. Quel doit être ce système de référence? Un état antérieur de l'écosystème concerné ? 
Le concept de "bon état écologique" es écosystèmes introduit en 2000 dans la directive-cadre européenne sur l'eau interpelle les scientifiques (p. 85).
C'est vers une écologie plus dynamique, basée sur le changement et non sur l'équilibre, qu'il faudrait se tourner. Ce qui implique de disposer d'outils et de concepts nouveaux (p. 86).

* Le changement climatique menace la biodiversité

Dans ce domaine, il est courant de pratiquer la surenchère. En 2015, la revue Science publiait un article (Perkins, "Climate change could eventually claim a sixth of the world's species", 2015) prévoyant la disparition d'une espèce / 6. (p.87). D'autres suggèrent 50% des espèces, toujours sur des bases hautement spéculatives.
On doit s'attendre  à des modifications dans la répartition géographique des espèces, dans la composition des peuplements, dans les dynamiques de population, dans la nature des habitats.

La diversité biologique s'est en permanence adaptée aux variations climatiques  (p. 88)

Sur le plan biologique, les capacités des organismes et des écosystèmes à répondre aux changements dépendent beaucoup de leur ampleur et de leur rapidité. Les stratégies d'adaptation mettent en jeu la variabilité génétique de ces espèces (p. 90). La diversité génétique est en évolution permanente (p. 91). Chaque espèce peut avoir une sensibilité différente aux changements. Beaucoup de travaux scientifiques sont donc spéculatifs, proposant des scénarii basés sur des hypothèses qui ne valent qu'en tant qu'hypothèse (p.93).
Le changement climatique est-il réellement une catastrophe écologique?
Les climatologues ont montré qu'il y avait eu dans l'histoire de la terre des variations importantes et rapides du climat (p. 100). le Giec souligne que "la modélisation des changements de la diversité biologique en réponse aux changements climatiques s'avère difficile. Les données et les modèles nécessaires à la prévision de l'ampleur et de la nature des futurs changements au sein des écosystèmes et de la répartition géographique des espèces sont incomplets, et, par conséquent, ces effets ne peuvent être que partiellement quantifiés"(p. 101) [NDLR: Source: IPCC, "climate change and biodiversity" § 6.2). 

* Il faut lutter contre les espèces envahissantes

Ces espèces dites envahissantes ont mauvaises presse pour les milieux conservationnistes. Mais la dispersion est un phénomène naturel (p. 104).
Les espèces introduites menacent-elles la biodiversité? Sur les îles les introductions volontaires ou accidentelles peuvent causer la disparition d'espèces endémiques. La situation est plus complexe pour les systèmes continentaux (p. 106).  
Dans le corridor fluvial de l'Adour, on a dénombré 2000 espèces végétales autochtones et près de 1000 espèces exotiques naturalisées sans que l'on ait mis en évidence une réduction de la diversité (p.107). La prolifération est un phénomène  partagé avec les espèces autochtones (pullulation de criquets en Afrique, sanglier aujourd'hui) (p. 108) 

Chapitre III: Protection de la biodiversité

* L'homme doit protéger la biodiversité

Plutôt que d'insister sur la préservation des espèces actuelles, certains biologistes de la conservation ont proposé de s'intéresser aux processus évolutifs qui sont les moteurs de la diversification à venir. Dans ce contexte, il s'agit de considérer la biodiversité comme un processus plutôt que comme une collection d'espèces (p. 117).
La question de la protection de la biodiversité nous amène à réfléchir sur le pourquoi et le comment p. 119)
Les sociologues  nous disent que le rapport de la nature à notre civilisation relève d'un rapport au sauvage, version sécuritaire. Nous voulons une nature qui réponde à l'image que nous nous en faisons: lieu de repos, de loisirs, de rêveries, de ressourcement. Pour les espèces qui peuvent être dangereuses ou encombrantes, parquons -les dans des réserves sous surveillance. Nous irons les visiter de temps en temps pour nous faire peur, adirer leur port altier, célébrer les créations de la nature, .. dans ce nouveau paradis terrestre, les plantes et les animaux ont leur place comme éléments du décor (p. 120). 
Nous avons en Europe, une biodiversité "hybride". (p. 106). Nos milieux naturels sont des co-constructions nature-culture dont la dynamique , qui a évolué au cours de l'histoire, dépend de pratiques agricoles ou de comportements culturels. Ce que nous appelons "Nature" en Europe, ce sont des systèmes artificiels (p. 118).

Dans les milieux longtemps modelés par les hommes, il y a eu coévolution entre les sociétés humaines et leur environnement (p. 121)

Faut-il préserver le patrimoine naturel? Pour maintenir les populations d'espèces dites patrimoniales, il faut maintenir des pratiques d'autrefois.(p. 122)
Ou faut-il laisser faire a nature, en prônant le retour à la naturalité sans intervention de l'homme? C'est une nature qui exclut l'homme (p. 123).

* Il faut plus d'aires protégées

Certaines ONG réclament 25% d'aires protégées (p. 125). Là où le bât blesse, c'est que la diversité biologique est bien plus riche dans les pays tropicaux que dans les pays tempérés et riches. Veut-on transformer les pays du Sud en vaste réserve de faune et de flore? (p.126)

* Il faut préserver les zones humides

La conservation des zones humides est érigée en dogme (p. 133). De nombreux travaux mettent l'accent sur les services écosystémiques rendus par les zones humides. Ce qui est beaucoup plus discutable, c'est que ces évaluations passent sous silence les "dis-services", c'est à dire les nuisances qu'elles occasionnent (p. 139), réservoirs de maladies. Pourtant on sait qu'il est possible, dans une démarche de développement durable de santé publique, d'associer un programme de santé publique à la protection. C'est évidemment un peu plus complexe et ça coûte plus cher (p.140).

* On doit donner une valeur monétaire à la biodiversité

(p.141)

* Il faut reconquérir la biodiversité

(p.149)

 Conclusion