1- Marie, Modèle d’Écologie intégrale. 
   1.1- Marie, dans sa relation à Dieu.
   1.2- Marie, dans sa relation à autrui  
   1.3- Marie, dans sa relation avec elle-même.
   1.4- Marie, dans sa relation avec les créatures non humaines.
   1.5- Marie, Reine de la nouvelle création.
2- L’Assomption de Marie, chemin vers l’accomplissement intégral de l’humanité.
3- Marie, Modèle d’écologie intégrale au quotidien - Dépasser nos peurs écologiques.
   3.1- Jean-Baptiste « tressaillit de joie » à la salutation de Marie.
   3.2- Marie au pied de la Croix entend le soldat : « sauve-toi toi-même » (Luc 23,37)
   3.3- « Pourquoi me cherchiez-vous ? » (Luc 2, 49)
   3.4. « En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né » (Ap. 12, 4) 
   3.5- « Marie ne m’a pas chargée de vous convaincre, mais de vous dire » (sainte Bernadette). 
   3.6- Par Marie, « tout est lié ».   

Le Cardinal Journet, avait commencé une longue prédication sur la Vierge par cette mise en garde : « Il faut trembler de toucher à ce mystère de la Sainte Vierge Marie… Celui qui manque de ce qu’il faut pour s’en approcher va le déformer dans son optique particulière ». Écrire ces pages sur un nouvel aspect du mystère de Marie, consiste-t-il, comme le Cardinal le craint, à avoir « recours à des lieux communs fatigués, à une louange trop facile  [qui] n’a rien coûté intérieurement parce qu’on ne s’est pas déchiré le cœur pour essayer de comprendre » ?[1] C’est donc « en tremblant » qu’il faut avoir envisager Marie comme Modèle d’Écologie intégrale, sans en faire un sommet de la mariologie. Le seul élément d’herméneutique de la continuité est dans la consécration de la Vierge, reine de la Création qui est une tradition très ancienne dans l'Église.

1- Marie, Modèle d’Écologie intégrale

En Marie, tout est relation. Or, l’écologie intégrale a précisément vocation à rendre compte de l’humain dans ses quatre relations fondamentales :

  • son rapport à Dieu,
  • son rapport à lui-même et à la dignité de sa propre personne,
  • son rapport à la dignité de la personne humaine d’autrui, notamment des plus simples,
  • et son rapport aux créatures non humaines.

Si une de ces relations vient à être déficitaire, c’est toute l’unité de l’homme qui est impactée.
Reste à savoir quelle est la valeur propre de chacune de ces relations. La Vierge est certainement celle qui a su le mieux unifier l’ensemble de ces relations dans une perspective de ce que Laudato si appelle le « développement plénier de l’humanité » (LS § 62).
En quoi la qualité des liens qui unissent Marie à chacune de ces réalités, est-elle une lumière qui éclaire le concept d’écologie intégrale ?

1.1- Marie, dans sa relation à Dieu

La relation de Marie avec Dieu se manifeste dans la confiance qu’elle Lui voue, son obéissance et son Espérance.
- Obéissance qu’elle manifesta d’abord en suivant les volontés d’Anne et Joachim, ses parents qui l’avaient conduite au Temple. Son Fiat, obéissance à l’Ange et à la voix de Dieu. Obéissance à l’édit d’Auguste qui l’oblige à quitter Nazareth, pour se rendre dans de grandes fatigues à Bethléem. La vraie liberté de Marie était d’être tout obéissance.
- Confiance qui était, pour Marie, à l’opposé de toute forme de catastrophisme. Et pourtant, elle aurait pu vivre comme des catastrophes l’inquiétude de Joseph et son dessein de la quitter ; le fait d’être enceinte, désastre social pour une fiancée, l’incompréhension de voir son fils l’abandonner au Temple pour être « aux affaires de son Père »...
- Espérance de Marie, même au pied de la croix : elle croit en la résurrection de son fils.

1.2- Marie, dans sa relation à autrui

En Marie, tout est relation vraie, non seulement avec Dieu, mais également avec son entourage, avec sa famille, ses amis à Cana, et avec les apôtres, et toute l’humanité, selon la volonté même de Jésus.  D’une certaine manière, ces relations sont essentielles au « bien commun ». Et, comme le précise Laudato si, «  L’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun » (LS § 156). 

a) Marie et la Sainte-Famille

La Sainte Famille est signe de l'Église domestique, « véritable bien commun, patrimoine précieux pour toute la société » disait Benoît XVI en 2011 à une rencontre avec de jeunes fiancés.
Dans la Sainte Famille, Jésus se sentait plus proche de l’amour de Dieu en expérimentant celui que sa mère lui portait. Marie avec Joseph est le modèle pour la famille en ce qu’elle savait, oh combien, que son fils était un don. Grâce à Marie, nous comprenons, pourquoi et comment « la première structure fondamentale pour une “écologie humaine” est la famille », disait Jean-Paul II[2].

b) Marie et ses proches

A Cana, Marie est invitée par des proches à un mariage. Son attitude nous appelle à écouter, à nous laisser guider par la pauvreté et le souci des autres, très concrètement celui des autres invités. « Faites tout ce qu’il vous dira » ! Elle veut apporter la vraie joie du vin nouveau à toute notre société.
Le vin nouveau des noces de Cana provenait des jarres de purification, de l’endroit où tous avaient laissé leurs péchés... Grâce à Marie, l’eau changée en vin, au début de l’évangile, annonce le vin de l’Eucharistie, noces d’amour de Dieu avec l’humanité. Avoir le souci de l’autre, c’est montrer le chemin de la vraie joie.

c) Marie est toute l’humanité

Au pied de la Croix, Marie a accepté de voir son fils immolé pour le salut des hommes. En quelque sorte, par ce consentement, elle participe à la rédemption du genre humain.  Elle est un modèle de charité héroïque et touchée de compassion, s’est rangée à la parole de son Fils : « Père, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Marie est un modèle de mère pour nous et c’est aussi notre mère : « fils voici ta mère » ! Reine de la Création, c’est bien elle, Marie, qui est notre mère, humble et compatissante pour ses enfants. Ne projetons pas toutes sortes de qualités anthropomorphistes sur la Terre-mère qui n’est du reste pas toujours bienveillante : elle peut devenir cette « mère toute puissante », comme la qualifie Ignace IV, Patriarche d'Antioche[3] !

1.3- Marie, dans sa relation avec elle-même

Dans la prière sacerdotale, le Christ prie son père pour que les hommes  « soient un comme Nous…afin qu'ils aient en eux ma joie, une joie complète » (Jean 17, 11-13). C’est cette  joie qui est constitutive de notre unité intime, de notre relation intérieure avec nous-mêmes. Conçue sans péché, Marie est « bénie entre toutes les femmes » et vit en son sein propre une unité parfaite avec elle-même. Le concept d’écologie intégrale veut rendre compte de cette unité de ma personne, de « ma relation intérieure avec moi-même ». C’est plus qu’une simple conséquence des trois autres relations citées dans Laudato si « avec les autres, avec Dieu et avec la terre" (LS § 70).

a) En Adam et Ève, une unité à l’image de Dieu

Avec Ève, Adam réalisait que leur unité mutuelle était image de Dieu.
Dieu est à la fois « Père, … origine première de tout et autorité transcendante… et, en même temps bonté… Cette tendresse parentale de Dieu peut aussi être exprimée par l’image de la maternité » (CEC § 239). Certes le langage de la foi puise dans l’expérience humaine des parents mais leur expérience est faillible : « ils peuvent défigurer le visage de la paternité et de la maternité » (CEC § 239).
Dieu n’est ni homme, ni femme ; il est Dieu et transcende aussi la paternité et la maternité : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas » (Isaïe 49, 15)

b) Le péché originel

Dans leur unité sponsale avec Dieu, Adam et Ève vivaient cette intimité parfaite du masculin et du féminin.  Le péché originel a en quelque sorte opposé ces deux dimensions avec une dualité des sexes qui a dédoublé cette dimension globale de l’amour de Dieu. Dans la sexualité, la nature de leurs relations a été bouleversée : « inconsciemment, [l’homme et la femme] portent dans leur cœur l’autre part de l’image de Dieu. Chaque homme en effet possède en lui un pôle féminin, et chaque femme un pôle masculin., comme la psychologie nous le rappelle. Ce pôle inconscient, l’homme le porte comme une ouverture et un désir, comme une possibilité de reconnaître l’autre sexe et d’être reconnu par lui, de devenir ainsi conscient de sa propre image de Dieu »[4].

c) En Marie, une virginité constitutive de l’unité de sa personne

Marie a été toute respectueuse de son chaste époux et de la tendresse de cœur qu’ils s’exprimaient mutuellement. Mais, Marie, nouvelle Ève trouve, en Dieu seul, une plénitude de grâces dans cette double dimension de l’image de Dieu-père et Dieu-mère.
Le père Louf explique que « l’homme et la femme, à travers le célibat et la prière, retrouvent ainsi leur autre moitié en Dieu, cet autre panneau du diptyque, tendresse et force, qui constitue ici-bas une très pure image de Dieu…»[5].

d) La prière des époux, ultime accomplissement de leur unité

Le père Louf poursuit : « Dans le mariage, l’homme et la femme sont signes de Jésus l’un pour l’autre, et de la prière qui sommeille encore dans leur cœur. Aussi, pour eux, le chemin vers la prière passe normalement par leur partenaire »[6].
C’est de cette plénitude dont la chasteté de Marie est le signe. Il y a dans ce mystère, un modèle d’écologie  intégrale. Marie et Joseph deviennent ainsi un modèle de relation avec Dieu par une prière des époux qui, grâce à leur engagement initial de virginité, atteint une plénitude inégalée. Quelle forme avait la prière de Marie et Joseph ? C’était un devoir pour les juifs de prier en famille et d’enseigner à leurs enfants comment prier. Leur prière commençait par ce verset du deutéronome : « Écoute, Israël: Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. Tu aimeras Yahvé, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles, que je te dicte aujourd'hui restent gravées dans ton cœur! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout; tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur les portes ».  (Deut. 6.4....). Ces phrases étaient considérées comme une profession de foi au vrai Dieu et comme l'essence de la prière.
Nos temps modernes peinent à comprendre cet appel à l’accomplissement complet des personnes dans la prière. Il y a dans ce mystère une leçon d’écologie intégrale : Marie devient un modèle pour les prêtres et diacres vivant la plénitude d’une « continence parfaite et perpétuelle » (Can. 266 - § 1 et Can. 277 - § 1), mais également pour les époux dont la chasteté est un don de Dieu leur permettant « d’aimer d’un cœur droit et sans partage » (catéchisme 2520).

1.4- Marie, dans sa relation avec les créatures non humaines

 a) « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création» (LS § 255). 

  Nul doute que la Vierge ait rendu grâce à Dieu pour le bœuf dont la tradition rapporte sa présence à Bethléem, ou pour l’âne qui la transportait dans sa fuite en Égypte, ou encore pour le couple de tourterelles ou de jeunes colombes qu’elle offrit en sacrifice (Luc 2.24) le jour de la purification.

La sainte écriture donne peu de détails sur la vie quotidienne de la Vierge, mais toute l’allégorie chrétienne place Marie au centre du cosmos, comme pour nous aider à comprendre cette réalité : elle est « couronnée d’étoiles, le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds » (apocalypse 12, 1).
Ce lien entre Marie et le Cosmos n’est pas qu’un simple élan poétique. A Fatima, le jour de la dernière apparition de la Vierge aux jeunes voyantes et pendant une dizaine de minutes, la pluie s’est brutalement arrêtée, le soleil est sorti des nuages, tournoyant sur lui-même en décrivant une ellipse et semblant se détacher du ciel vers la terre, menaçant de s’y écraser. La vierge avait tout annoncé trois mois plus tôt, au jour et à l’heure exacte de la réalisation de ce phénomène de « danse du soleil » devant 70.000 personnes. Le Pape Pie XII affirma avoir été témoin du même phénomène solaire le jour de la proclamation du dogme de l’Assomption de la Vierge Marie.

Mgr Christian Lépine a d’ailleurs décidé de consacrer sa cathédrale de Montréal à Marie-Reine-du- Monde, le jour anniversaire du centenaire de ce miracle, le 13 octobre 2017.

Quelle place a-t-elle donnée à cette relation avec les créatures non humaines ? Marie était imprégnée de la Bible. Quelle lecture faisait-elle de ce passage : « L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie » (Gen 2,20) ? Bien que Dieu ait considéré que leur création « était très bonne » (Gen 1, 31), les animaux n’ont pas la première place dans le plan divin.

Saint-Alphonse de Ligori, développait l’idée que l’Arche de Noé, abritant tous les animaux, était une figure de Marie. Ainsi sous la protection de Marie, tous les pécheurs, devenus semblables aux bêtes par leurs vices et leurs péchés, trouvent refuge en Marie. Mais l’arche relâche les animaux tels qu’ils y étaient entrés. Au contraire, sous le manteau de Marie, loups et tigres deviennent autant d’agneaux et de colombes[7].

Une chose est certaine : Marie a su remettre le serpent à sa place en lui écrasant la tête : « Serpent, je mettrai des inimitiés entre toi et la femme ; elle t’écrasera la tête, et toi tu essaieras de la blesser au talon » (Gen 3,5)

  1. « Dans n’importe quelle approche d’une écologie intégrale… il est indispensable d’incorporer la valeur du travail» (LS § 124).

En intronisant Saint-François, patron « des cultivateurs de l’écologie » (bulle du 29/11/1979), Jean-Paul II a souligné le lien indissoluble entre travail et écologie.

La Vierge, élevée au temple jusqu’à l’âge de douze ans, travaillait au service du temple tout en priant Dieu à qui elle avait consacré sa vie. Mariée à Joseph, elle le vit travailler le bois, dans son dur métier de charpentier, « lieu de ce développement personnel multiple où plusieurs dimensions de la vie sont en jeu: la créativité, la projection vers l’avenir, le développement des capacités, la mise en pratique de valeurs, la communication avec les autres, une attitude d’adoration » (LS § 127).

1.5- Marie, Reine de la nouvelle création [8]

Dans Laudato si, le Pape consacre deux paragraphes entiers à la « Reine de toute la création »: Marie « comprend aussi maintenant le sens de toutes choses. Ainsi nous pouvons lui demander de nous aider à regarder ce monde avec des yeux plus avisés » (§ 241-242)

Marie, « nouvelle Ève » est reine de la « nouvelle création ».

La création entière a été renouvelée par le Christ. Marie y est intervenue comme « la femme nouvelle ». Le Créateur de l’univers donne la royauté au Fils, oint par l’Esprit, qui partage cette royauté avec Marie. Si le Verbe, fait chair, gouverne ciel et terre, sa mère est aussi reconnue « Souveraine de toute la création, au moment où elle devint Mère du Créateur »[9], dit saint Jean de Damas.

Les papes reconnaissent Marie comme « reine du ciel et de la terre » (Xyste IV, Lettre Cum praeexcelsa, 1476) et, depuis Pie XII, la liturgie proclame cette dignité (1954).

         
Marie, Reine de la création,

apparue à Heede,

(Diocèse d’Osnabrück- Basse Saxe)

Saint Josémaria méditait sur la scène de son couronnement « Si toi et moi en avions eu le pouvoir, nous l’aurions aussi faite Reine et Souveraine de toute la création » (5ème mystère glorieux du Rosaire de saint Josémaria). Toute créature bénéficie de son regard maternel et de son intercession bienveillante. 
Une statue moderne de la Reine de la création, est vénérée dans le diocèse d’Osnabrück, à Heede (Basse-Saxe), où des apparitions mariales à quatre jeunes filles eurent lieu entre 1937 et 1940, en pleine période de despotisme néo-païen. Marie caresse la Terre que son Fils soutient, en signe d’amour pour la création.

Notre-Dame de la Chapelle

à Bruxelles-les-Marolles

Le Concile Vatican II a confirmé une ancienne tradition de l'Église couronnant Marie, Reine de la Création : «… la Vierge Immaculée… fut exaltée par le Seigneur comme Reine de l'univers afin de ressembler plus parfaitement à son Fils… » (Lumen Gentium § 59). Dans la sculpture du tympan de l'église Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles, Dieu tient en sa main gauche un globe terrestre pendant qu’avec son fils, Il couronne la vierge, comme si l’auteur voulait manifester que Marie est bien couronnée reine de la création. On retrouve cette association, depuis des temps très anciens, dans un grand nombre de représentations artistiques de ce couronnement[10].
Saint-Anselme, lui aussi, voit dans la Vierge, celle en qui la création entière, terrestre et angélique est toute entière restaurée : « Ciel, étoiles, terre, fleuves, jour, nuit et toutes les créatures qui sont soumises au pouvoir de l'homme ou disposée pour son utilité se réjouissent, o Notre Dame, d'avoir été par toi d’une certaine manière ressuscités à la splendeur qu’ils avaient perdue, et d'avoir reçu une nouvelle grâce inexprimable. Les choses étaient comme mortes car elles avaient perdu la dignité originelle à laquelle elles avaient été destinées…. Dieu est donc le Père des choses créées ; Marie est la mère des choses récréées »[11].

 

2- L’Assomption de Marie, chemin vers l’accomplissement intégral de l’humanité

L’écologie intégrale nous oriente « vers l’essence de l’humain » dit Laudato si (LS § 11).
Cette vocation ultime se révélera dans notre déification,  puisque « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » nous dit Saint-Irénée[12]. Telle est notre destinée. Par son Assomption, la Vierge immaculée a été épargnée de la mort et ne ressuscitera pas dans son corps.
Le Catéchisme écrit qu’avant la faute originelle, « l’homme ne devait pas mourir (cf. Gn 2, 17 ; 3, 19) » (CEC § 376). Il faut comprendre l’immortalité, comme le fait saint Augustin, non comme ne pas pouvoir mourir (non posse mori), mais comme pouvoir ne pas mourir (posse non mori). Il est légitime d’interpréter cela comme une situation dans laquelle le passage à un état définitif ne comporterait pas le dramatisme propre à la mort que l’homme ressent après le péché. La théologienne Ysabel de Andia exprime cette contradiction en disant que « ce n’est ni mortel qu’Adam a été créé, ni immortel, mais capable des deux » [13]. Par capable on peut entendre la liberté qui lui était donnée, non pas d’exercer sa volonté entre le bien et le mal, mais de librement choisir de devenir Dieu.
Marie, nouvelle Ève, exemptée du péché originel, a su faire ce choix. Dès lors, elle a été incorporée au ciel sans « devenir la cause de sa propre mort »[14].
Ce « ciel », dont parle le cardinal Ratzinger, « n’est pas un lieu sans histoire auquel on va. Par "Ciel", on entend plutôt cette puissance sur le monde qui appartient au nouvel "espace" que constitue le corps du Christ »[15]. Ainsi, la Vierge qui a porté le Christ dans son corps de mère, a été incorporée avec son corps dans la personne de son fils, le Christ ressuscité.
Hormis la mort à laquelle nous ne pourrons être arrachés, c’est le chemin que nous montre la Vierge.
Oui, Marie est bien la Reine de la Création qui nous éclaire sur la réalité de l'écologie intégrale. Laudato si évoque cette perspective de l’accomplissement intégral ne notre personne  : "la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même" (LS § 236).

 

3- Marie, Modèle d’écologie intégrale au quotidien - Dépasser nos peurs écologiques. 

3.1- Jean-Baptiste « tressaillit de joie » à la salutation de Marie

Cet épisode rappelle combien Marie et sa cousine Elisabeth étaient proches. Marie et Jésus, imprégnés de la lecture de la Bible connaissaient le Second Livre des Rois qui raconte l’histoire du Roi de Samarie, Ochozias qui, après un accident, envoie des messagers consulter le dieu Baal pour savoir s’il guérirait. Mais les messagers croisent sur la route le prophète Elie qui, au nom du Dieu d’Israël, les dissuade de se tourner vers Baal et les enjoint de retourner chez Ochozias. Celui-ci leur demanda, à leur retour : « ‘’de quel genre était l’homme qui vous a abordés ?’’... et ils lui répondirent : ‘’C’était un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins’’. Il dit : ‘’C’est Elie le Tishbite’’ ». 
Marie savait que Jean-Baptiste, « qui était vêtu d'une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage » (Marc 1,6), avait pris le costume d’Elie pour s’identifier à lui. Elle comprenait bien que « l’appel de Jean va donc au-delà de la sobriété du style de vie, et plus en profondeur : il appelle à un changement intérieur » comme l’explique Benoît XVI[16].
Marie comprenait que Jean Baptiste, comme Elie, nous appelle à préparer une route pour Dieu qui vient. Il s’agit d’un appel à la conversion intérieure, à une sobriété qui permet de se désencombrer, et non une conversion à une sobriété par précaution qui pourrait bien être celle que nous inspirent les faux dieux modernes. Sur les pas de Marie, c’est à cette écologie intégrale qui nous ouvre au Dieu qui sauve que nous sommes appelés au quotidien

3.2- Marie au pied de la Croix entend le soldat : « sauve-toi toi-même » (Luc 23,37)

Marie, modèle d’écologie intégrale, qui ne fut que silence face aux mystères qu’elle vivait, qu’elle « gardait dans son cœur », doit nous inspirer une attitude d’humilité au quotidien, contraire à la toute puissance qui consiste à imaginer que, face à une situation désespérée, on puisse « se sauver soi-même ». Dans toutes les apparitions elle ne nous appelle pas à moins polluer la planète ou à émettre moins de carbone. Ce ne sont pas des éco-gestes qui permettront à l’homme de se sauver lui-même d’une apocalypse annoncée.  Dans tous les sanctuaires où la Vierge apparaît, elle nous appelle à la rejoindre par la conversion et la prière.

3.3- « Pourquoi me cherchiez-vous ? » (Luc 2, 49)

Marie et Joseph cherchent Jésus qui a disparu au Temple. Malgré leur affliction, Jésus répond « Pourquoi me cherchiez-vous ? ». Le Cardinal Journet commentait cet évènement : « Toujours, Jésus ‘tire’ sur Marie, comme pour disjoindre le meilleur d’elle, l’élever sur ce plan de la vie divine et la faire ainsi grandir. Cette même dialectique de séparation … Jésus nous traitera en marquant la distance. Il vient au devant de nous : c’est une tendresse ; mais il sera toujours de l’autre côté de la rive par rapport à nous »[17].
L’écologie est aujourd’hui un des signes de ce temps, et l’Église a mission de les scruter.

a) Sur une des rives…

Nous sommes assis sur une des rives, analysant l’AG des évêques de France à Lourdes, en novembre 2019, qui a invité des personnalités de chaque diocèse pour  réfléchir à l’avenir de la mission sur ces questions d’écologie intégrale.
Tout, dans le témoignage des intervenants à Lourdes force l’admiration : l’amour qu’ils peuvent porter aux fidèles qu’ils sensibilisent à l’écologie intégrale, leur solidarité avec les victimes de tornades qu’ils estiment causées par les plus riches, leur souci de laisser aux générations futures une terre viable, leur conviction que la frugalité peut rendre heureux si elle est vécue comme une vertu dont le modèle est Jean-Baptiste, et non comme une ‘frugalité par précaution’. 

b) sur une autre rive...

Ne faudrait-il pas, comme Jésus, qui est souvent sur une autre rive par rapport à la foule ? Comment « marquer une distance » par rapport au discours du monde, pour faire grandir tous ceux qui sont sensibles à l’écologie ? Comment raisonner en terme de tensions entre des approches qui peuvent paraître opposées ? Encore faut-il veiller à ce que cette tension ne soit pas distordue par le retrait de certains ressorts de pensées qui pourraient ébranler la cohérence de la réflexion, même établie sur des consensus. En matière scientifique, en particulier, se référer au consensus est insuffisant. Copernic, Wegener ou Einstein se sont opposés aux consensus de leur temps. Le consensus scientifique est souvent un argument d’autorité, parfois construit selon des processus imposés par le politique. La science des écosystèmes planétaires est une science très récente, et rien ne prouve scientifiquement que l’homme soit responsable des variations climatiques, du trou d’ozone, de l’acidité des océans, et de tout ce qui alimente les grandes peurs contemporaines.
Il est légitime de s’interroger : parmi les personnalités invitées à Lourdes, qui est prêt à se laisser bousculer dans une confrontation contradictoire, fraternelle et bienveillante, mais sans esquiver de ce qui peut paraître clivant ? Qui est prêt à entrer, comme Jésus avec Marie, dans une « dialectique de séparation » ?  Le risque d’une forme de ‘monoculture’, d’une promiscuité intellectuelle, est grave. Faute d’un véritable débat contradictoire dans l'Église, les clivages ne risquent-ils pas de se multiplier sur ces sujets ? L'Église ne risque-t-elle pas de rejeter en périphérie de nombreux chrétiens soucieux de vérité scientifique, avec un regard différent sur ce qui pourrait constituer une véritable écologie intégrale ? 

Des chrétiens se saisissent de la crise contemporaine, qualifiée de crise écologique, comme une opportunité pour changer de vie. Mais la crise est probablement plus anthropologique qu’écologique. Dès lors, ne faut-il pas se déplacer sur une autre rive que ceux qui tiennent des discours fondés sur la peur. La peur engendre des comportements qui n’auront pas la portée attendue et n’empêcheront pas les pauvres de devenir encore plus pauvres. Plus de vérité rendrait libre et permettrait d’aller encore plus loin et encore plus vite en matière de pastorale de l’écologie intégrale, en labourant en profondeur de véritables conversions du cœur.

3.4. « En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né » (Ap. 12, 4)

La Dame « contient en elle toute l’Église »[18]. Elle ne regarde pas la bête en face. Elle « s’enfuit au désert » (Ap. 12, 6). La bête a sept têtes et dix cornes. Chaque tête incarne les messianismes temporels, appelant à suivre de prétendus programmes de salut ici-bas, que ce soient les messianismes écologiques ou ultralibéraux. Chercher à les abattre, ne  porte que des blessures à la bête : « L'une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie » (Ap. 13, 3). Aucun chrétien ne peut affronter, seul, la bête face à face sans se faire détruire, à moins d’endosser de haut en bas des « la cuirasse de Justice » dont parle Saint-Paul (Eph. 6,13-17), et de s’appuyer sur Dieu et sa Mère. Comme la femme regardant son enfant, il faut mieux regarder du côté du Bien, du Vrai, du Beau, c'est-à-dire de Dieu lui-même.

3.5- « Marie ne m’a pas chargée de vous convaincre, mais de vous dire » (sainte Bernadette).

Sur les questions prudentielles, l'Église n’est pas « chargée de convaincre, mais de dire » les choses de manières plurielles. Elle n’est pas militante d’une cause. Les pasteurs sont-ils dans cette mission s’ils laissent croire au peuple chrétien qu’ils ont « une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission » (Gaudium et spes 43-2) ? Et les responsables de pastorale écologique, qui représentent les pasteurs, dans les diocèses et les paroisses, sont-ils, eux aussi dans leur mission si, en quelque sorte, ils vont au-delà de l’appel du concile à ne pas « revendiquer, d’une manière exclusive pour leur opinion, l’autorité de l’Église » (Gaudium et spes § 43) ?

En revanche, l’église est dans sa mission en implorant Marie qui recrée les liens : 

3.6- Par Marie, « tout est lié »

           
Peinture de Johann G. M. Schmidtner,

à Augsbourg en Allemagne

La dévotion à « Marie qui défait les nœuds »[19] remonte au début du XVIIIe siècle, mais déjà, vers l’année 202, saint Irénée de Lyon écrivait : "Par sa désobéissance, Ève a créé le nœud qui a étranglé le genre humain. Par son obéissance, Marie l’a dénoué. Ce que la vierge Ève a noué par son incrédulité, la Vierge Marie l’a dénoué par sa foi" »[20].
La crise contemporaine anthropologique est le signe de bien des désordres. Marie nous appelle à dénouer ce qui nous étrangle. Par le modèle de sa vie, elle remet en lumière les liens qui nous unissent à Dieu, et également les autres liens constitutifs de l’écologie intégrale, les liens intimes de notre personne, ceux qui nous poussent vers autrui, et vers toute la création. En cela, elle est bien la Reine de la Création et un modèle d’Écologie intégrale.

 


[1] Cardinal Charles Journet, La Vierge Marie, retraite prêchée à Ecogia (Versoix) du 12 au 15 juillet 1951), Ed. ND de Triors, p.5

[2] Encycl. Centesimus annus, 39.

[3] Ignace IV, Patriarche d'Antioche, Sauver la Création, DDB, Paris 1989, p. 46

[4] André Louf : Seigneur, apprend-nous à prier », 1972 ; réédité chez Arpège Poche, Collection les Classiques de la spiritualité, déc. 2018, page 142

[5] André Louf, ibid, p.151

[6] André Louf, ibid, p.151

[7] Source : St-Alphonse de Liguori « les gloires de Marie II, 2 (Ed. St-Paul, Paris 1987, p. 76), cité par Marie de Nazareth.com 

[8] Abbé Antoine Fernandez

[9] saint Jean de Damas, La foi orthodoxe IV, 14

[10] Exemples d’œuvres représentant le couronnement de la Vierge par Dieu tenant en la main un globe terrestre

Le couronnement de la vierge baroque par Georg Mader,  Jakob Huldi, Thoman Stainmüllner (1612) à Neuberg an der Murz en Autriche

 

Fresque néobaroque de Rafael Rodriguez (1949) du couronnement de la Vierge au plafond du presbytère de la basilique de la Macarena (Espagne)

Couronnement de la vierge, statue du maître autel en l’église de la nativité de la Vierge à Stevice, en Croatie

Fresque du couronnement de Marie au monastère du Couvent de San Esteban à Salamanca (Espagne)

Vitrail du Couronnement de la Vierge Marie en l'Église Sainte-Cécile de Paris

Fresque baroque en l'Église Sacro Monte della Vergine del Soccorso à Ossuccio en Italie, peinte par Salvatore Pozzi di Puria (1595-1681)

Autel de la lapidation de St-Etienne, proto-martyr, en l’abbaye cistercienne  de Bronbach à Reicholzheim en Allemagne

Vitrail du couronnement de la vierge en la cathédrale ND de l’Assomption de Zagreb

 

 

[11] Oratio 52, PL 158,956 A,

[12] Saint Antoine le Grand (251-356), père du monachisme chrétien, le disait également :  « Dieu aime l’homme, jusqu'à faire de lui un dieu » (Exhortations, n° 2-3, 132-133, 137, 170 (Philocalie des Pères neptiques ; trad. J. Touraille, Ed. DDB-Lattès, rev.))

[13] Par nature l’homme n’était pas plus mortel qu’immortel. S’il avait été créé dès le principe immortel, il eut été créé Dieu. […] S’il avait été créé mortel, il eût semblé que Dieu fût la cause de sa mort. Ce n’est donc ni mortel qu’il a été créé, ni immortel, mais capable des deux.

Ainsi penchait-il vers la voie de l’immortalité en suivant le commandement de Dieu ? Il en devait recevoir l’immortalité pour récompense et devenir Dieu. Se tournait-il vers les œuvres de mort en désobéissant à Dieu ? Lui-même devenait cause de sa propre mort. En effet, Dieu avait créé l’homme libre et maître de lui (Ysabel de Andia, Homo Vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, Éditions Études Augustiniennes, 1986, p. 100)

[14] Ysabel de Andia, Homo Vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, Éditions Études Augustiniennes, 1986, p. 100.

[15] Extraits de « La mort et l’au-delà » de Joseph Ratzinger, Fayard, 1979.

[16] Benoit XVI pendant l’Angelus  du 4 décembre 2011

[17] Ibid Cardinal Charles Journet ( p. 28-29)

[18] Ibid Cardinal Charles Journet ( p. 45)

[19] Une peinture de Johann Georg Melchior Schmidtner, qui se trouve à Augsbourg en Allemagne, suscite depuis d’incessantes prières dans le monde entier

[20] Cité par le Cardinal Bergolio, lors de son homélie à Buenos Aires du 15 août 1999