Crèche d'une paroisse nantaise

"Nous ne voulons pas d'une Eglise qui suive le monde,
nous voulons d'une Eglise qui entraîne le monde"
(G.K. Chesterton) 

L’évangile de Matthieu raconte que les rois mages ont été guidés par une étoile vers le lieu « où le roi des Juifs vient de naître »( § 2.2).  Après s’être prosternés devant l’enfant Dieu, on imagine que les mages ont pu comprendre que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (Saint-Irénée). L’étoile leur avait indiqué le chemin qui répondait à leur quête de sens. Quand ils arrivèrent, « ils furent remplis d’une très grande joie » (§ 2.10), d’une très grande espérance. Au retour ils auraient pu répondre aux instances d’Hérode, représentant de la gouvernance mondiale du moment et prêt à massacrer les saints innocents. Non ! Guidés par l’Esprit, les mages « regagnèrent leur pays par un autre chemin » (§ 5.12). Rien ne dit par lequel. "Leur pays" est leur terre intérieure, celle où Dieu va désormais les habiter. L'esprit les y renvoie, tout en laissant ces chemins imprécis tant chacun d’eux est personnel.
A Nantes, une paroisse a installé une crèche. Mais le retour est un chemin imposé par l'esprit du temps. Les enfants sont invités à « aller prendre des informations exactes » (§ 2.8), non pas tant sur l’enfant Jésus, mais sur l’état de la planète. Ce chemin est celui du consensus ambiant mondial qui inflige aux saints innocents ces nouveaux conditionnements de l’esprit qui ne passent plus par l’épée d’Hérode, mais par le matraquage médiatique. L’étoile guide les enfants sur un coin dédié à Gaia, un cube noir, couleur de la désespérance, coincé entre la crèche et le cierge pascal. Tout y est réuni : la petite cuvette symbolisant les plastiques dans l’océan, les flammes de l'enfer climatique, les angelots aux visages de Greta, des ruches accueillantes aux abeilles, etc…

Commentaire: "les2ailes.com"

Après les programmes scolaires, imposant aux élèves le chemin de la connaissance écologique, voilà que la pastorale devient complice d’un état d’instrumentalisation avancée de notre jeunesse. Après la malheureuse Greta, manipulée par le milliardaire Ingmar Rentzhog, ou le ministère de l’éducation appelant à faire à élire 250.000 « éco-délégués » dans les lycées et collèges, les paroisses prennent le relais pour que « le thème de la création soit abordé dans la catéchèse des enfants »  (critère A6 des éco-diagnostics pour obtenir le label « Église verte »).
Il faut entendre certains jeunes parler de la situation de leur génération enfermée dans un état avancé de panique. Toute prise de recul devient impossible pour eux. Dans le pire des cas, ils sont dans un état de désespérance les amenant à refuser d’avoir des enfants et dans le meilleur des cas, ils ne veulent plus entendre parler d’un sujet qui les étouffe. Ils fuiront les églises catholiques de la même manière. La jeunesse, comme les mages, est en quête de sens. Elle a soif de conversions spirituelles et non des réponses d'une prétendue "écologie de la libération"[1].
Les erreurs de communication pour expliquer Humanae vitae ont vidé les églises des années 1970. Les responsables pastoraux s'imaginent, peut-être, qu'ils parviendront à remplir maintenant les églises en oubliant les derniers paragraphes de Laudato si: "la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même"[2] (LS § 236).

Choisir entre l'Empire et Jésus

Cette crèche oppose en réalité deux regards sur l’histoire qui nous obligent à faire un choix entre les empires temporels ou Jésus. Benoît XVI avait médité sur ce thème en rappelant que Jésus s’est fait homme dans un contexte historique: 

pour la première fois, tout le monde habité, l’œkoumène, est recensé. Pour la première fois, un gouvernement qui embrasse toute la terre existe. Pour la première fois, un grand espace pacifié, où les biens de tous peuvent être enregistrés et mis au service de la communauté, existe. C’est seulement à ce moment, où une communion de droits et de biens à une grande échelle existe et où une langue universelle permet à une communauté culturelle l’entente dans la pensée et dans l’action, qu’un porteur universel de salut peut entrer dans le monde[3].

Une épigraphe retrouvée à Priène [4] et datant de 9 ans avant J.-C explique comment l’empereur Auguste voulait être vu et compris : le jour de la naissance de l’empereur « a conféré au monde entier un aspect différent […] La providence qui dispose divinement de notre vie a comblé cet homme, pour le salut des hommes, de ces dons pour l’envoyer à nous et aux générations futures comme sauveur (sōtēr) ». Or ce titre, dans la littérature était attribué à Zeus et, dans la traduction grecque de l’Ancien testament réservée exclusivement à Dieu.

Benoît XVI explique que

Auguste a surtout apporté au monde la paix. Lui-même a fait représenter sa mission de porteur de paix dans l’ara pacis Augusti […] Avec la référence à l’empereur Auguste et à l’œkoumène tout entière, Luc a consciemment créé un cadre à la fois historique et théologique pour les événements à raconter […].
Ces parallélismes ne sont certainement pas fortuits. Ce dont l’empereur Auguste a eu la prétention pour lui est réalisé de façon plus élevée dans le petit enfant qui est né sans pouvoir dans la grotte de Bethléem […]. Au centre des deux messages se trouve la paix. En cela la "pax Christi" n’est pas nécessairement en opposition avec la pax Augusti. Mais la paix du Christ dépasse la paix d’Auguste comme le ciel domine la terre […]. Cependant, là où l’empereur se divinise et revendique des qualités divines, la politique dépasse ses propres limites et promet ce qu’elle ne peut accomplir […]. Le Royaume annoncé par Jésus est de caractère différent. Il intéresse l’homme dans la profondeur de son être ; il ouvre au vrai Dieu. La paix de Jésus est une paix que le monde ne peut donner. En dernière analyse, il s’agit de ce que signifie salut.

Le Christ est né à l’apogée d’une période de mondialisation

Cette analyse de Benoît XVI nous fait méditer sur un des mystères de l’Église. Le Christ, fondateur de l’Église, est né à l’apogée d’une période de mondialisation inédite depuis le commencement de l’humanité. Et l’Église prendra fin, nous dit l’Apocalypse (Ap 17, 1-3), lorsque le Christ reviendra. Une bête « ayant sept têtes et les dix cornes » sera alors terrassée, assise aux côtés de « la grande prostituée ». Qui sont cette bête, et cette prostituée ? Les exégètes s’accordent à dire que la bête incarne les messianismes de toute sorte qui auront prétendu apporter le salut, fut-il écologique, et une paix, fut-elle incarnée par des consensus illusoires. La prostituée avec qui « les rois de la terre […] se sont enivrés du vin de sa prostitution » a un nom : « Sur son front un nom écrit, un mystère […] c’est la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre » (Ap 17, 5-18). Cette prostituée, cette ville de toutes les idolâtries, ne serait-ce pas la gouvernance mondiale qui ne peut souffrir aucune valeur transcendante ni subsidiarité, ville qui sera mise à nue ? 

Les responsables pastoraux de cette paroisse de Nantes seraient-ils prêts à se laisser bousculer par une pluralité d'analyse, par des débats contradictoires, plutôt que de tomber dans le pieux mensonge chrétien consistant à faire ”comme si” il n’y avait pas de divergence.


[1] Extrait de : "Les 40 ans de la théologie de la libération", dans Golias Magazine, n°142, janvier-février 2012, pp. 93-103. Leonardo Boff ajoute que cette « écologie de la libération va s'ajouter à toutes les autres initiatives en faveur d'une nouveau paradigme de relations avec la nature, avec un type différent de production et avec des formes plus sobres et solidaires de consommation ».
L'expression a été reprise par Pascal Acot, dans "Histoire de l'écologie" (Presses universitaires de France (Paris), 1988)

[2] Benoît XVI, Omelia nella Messa del Corpus Domini (15 juin 2006)

[3] Joseph Ratzinger Benoît XVI, L’enfance de Jésus, Flammarion, 2012, P. 87 à 112.