"Il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord
avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes,
comme si le monde était près de sa fin"
(Pape François, Exhort. Evangelii gaudium § 84)

Gaël Giraud, normalien et docteur es-sciences, entré chez les jésuites après une carrière dans la finance, a été interviewé en sept 2019 sur une radio créée par Génération Afrotopia, un collectif de jeunes de la diaspora africaine. Il était chef économiste à l'Agence Française de Développement (AFD) à l'époque de cette interview. Il est maintenant Président d'honneur de l’Institut Rousseau, "nouveau venu dans la galaxie des think tanks de gauche", comme le qualifie LeMonde.fr, (Il est intéressant d’écouter ce qu’il propose aux auditeurs africains[1]. Le titre de l’émission était : « Dérèglement ou génocide climatique ? Le front des Communs ». On y découvre les ressorts de sa pensée. Nous en proposons ici la transcription intégrale. En marge, nous commentons en particulier,

  • Son absence de recul face aux discours consensuels du Giec sur le réchauffement climatique, et le modèle de Greta Thumberg qu'il propose à la jeunesse africaine !
  • Son plaidoyer pour un retour des « communs » et une forme de "commonisation" de l’organisation sociale
  • Le catastrophisme qu’il n’arrête pas de décliner sur ce qui risque de nous arriver, en totale contradiction avec la condamnation qu’il fait de toute collapsologie
  • La réforme qu’il souhaite de l’OMC,... analyse que nous partageons en partie.
  • La manière très habile dont il s’appuie sur le Nouveau Testament pour condamner la propriété privée

Dans certaines de ses analyses, suinte une forme de dialectique marxiste  classique articulée autour des concepts de proie et de prédateur.

Transcription "les2ailes.com"

Q- … (6.20) Pourquoi les enjeux énergétiques sont-ils cruciaux ?

GG- Vaste question… Question fondamentale en particulier pour les pays du Sud parce que ce sont les citoyens africains qui font l’expérience des premiers impacts du dérèglement climatique, donc sont beaucoup plus conscientisés que les européens, en moyenne, mais n’ont pas encore pris la mesure de la gravité de ce qui va leur arriver. Pour vous donner des données assez simples, on a tous fait l’expérience qu’il est plus facile de vivre avec 42° dans le désert, dans le nord du Tchad plutôt qu’avec 35° dans la forêt du Vietnam. Pourquoi ? La différence tient au taux d’humidité. Si on met en combinaison les taux d’humidité et les températures, on sait qu’il y a des combinaisons qui sont mortelles pour le corps humain (7.14), au sens où si vous êtes exposés plus de 6 heures avec une telle combinaison, on peut mourir à moins d’avoir accès à de l’air conditionné. L’air conditionné montre bien que c’est la mauvaise solution parce qu’elle augmente l’émission de CO2 donc cela aggrave le réchauffement.

Cet a priori est regrettable. Gaël Giraud a une capacité réputée pour remettre en cause les consensus dogmatiques de notre temps. Il sait qu’un consensus n’est pas une preuve mais seulement un argument d’autorité. Il sait prendre du recul, par exemple sur la diabolisation des protectionnismes par l’OMC. Pourquoi ne participerait-il pas à une réflexion du même type pour vérifier les fondements méthodologiques du GIEC et remettre éventuellement en cause, la diabolisation des émissions de CO2 ? C’est à la portée des non spécialistes et a fortiori de personnalités comme Gaël Giraud qui savent dénoncer ce qui est suspect de pensée unique… On n’imagine pas qu’il puisse lui-même être complice d’idéologies au motif qu'elles entreraient dans ses systèmes de pensée. 

Or, il y a des travaux qui ont été menés par des climatologues pour essayer d’estimer combien de jours par an la population va être exposée à des combinaisons létales d’humidité et de chaleur, et ensuite où et à quel endroit suivant quels scénarios. (7.49). Le scénario qu’on appelle dans le jargon technique le RCP5, c'est-à-dire le scénario le plus pessimiste du Giec, qui n’est pas le plus pessimiste existant sur la table de la communauté scientifique, car le Giec est relativement modéré dans sa prospective : Le Giec a un scénario très optimiste : on arrête complètement les émissions et un très pessimiste : on va faire très peu d’efforts ou quasiment aucun dans les années qui viennent. Malheureusement, nous sommes plutôt embarqués sur ce scénario pessimiste.

La question est : quelles seraient les conséquences du prolongement de cette inaction (8.23) dans les décennies qui viennent. Et la conclusion est la suivante, c’est que à la fin de ce siècle, … on aurait la moitié des terres émergées qui seraient soumises à plus de 20 jours/ an de conditions létales de températures et d’humidité, et, si les gens ne bougent pas, les ¾ de la population humaine. Bon ! Sauf que lorsque vous faites les projections faites par ces scientifiques, il y a des zones de la planète qui auront beaucoup plus que 20 jours, et en particulier tout le golfe de Guinée et tout le bassin du Congo vont connaître plus de 250, voire de 300 j/an de conditions létales de températures et d’humidité.

Un normalien et docteur en mathématique sait qu’une projection n’est pas une prévision !

Ce sont des zones extrêmement peuplées. Donc, il y a deux issues possibles : Soit la planète entière prend une décision majeure, dans les années qui viennent pour éviter ce scénario, soit à la fin de ce siècle, ces zones-là ne seront plus peuplées, pour deux raisons. La 1ère, parce qu’une grande partie de la population a émigré et la 2nde, est que ceux qui n’auront pas émigré vont mourir. Ce que je dis là est catastrophique (9.43). Il faut prendre le temps de digérer cela, de faire son deuil d’un avenir radieux parce que ce n’est pas tout à fait ce qui nous attend, mais je crois qu’il est important de prendre la mesure de la gravité de ce qui nous attend. Ces cas-là sont disponibles en ligne, en même temps que l’enregistrement audio ; je vous les passerai pour que les internautes puissent les regarder. Parce que le fait de voir sur une carte du monde où on aura des conditions létales de vie, cela permet à tout le monde de voir ce qu’il se passe en Afrique. Ce ne sera pas le seul continent touché.  L’essentiel du bassin amazonien sera dans la même situation, l’Amérique centrale, tout le littoral indien, une bonne partie, c’est très étonnant et je ne m’y serais pas attendu, de la façade est du continent Africain, Éthiopie, jusqu’au Kenya, Tanzanie,  et l’essentiel de l’Asie du Sud. Donc cela veut dire des milliards de réfugiés climatiques dans les décennies qui viennent. La banque mondiale chiffre à 2,5 milliards le nombre de réfugiés climatiques dans la deuxième moitié de ce siècle. Si nous restons collés au scénario RCP5, c’est une sous-estimation, à mon avis. (10.58) Donc vous voyez que c’est extrêmement grave. Ce qui est devant nous, ce sont des zones entières de la planète qui seront désertées par les humains parce qu’elles seront devenues inhabitables.

Alors quand on regarde ce premier critère-là, et c’en est un parmi beaucoup d’autres, on voit que, par exemple le Maghreb, au sud du Sahara, est épargné parce qu’il fait très sec. La question humidité/chaleur n’est pas un sujet pour le Maghreb comme dans toute l’Afrique australe (11.26) où il fera relativement très chaud mais également relativement sec. Ils ne sont donc pas concernés par ce problème.

En revanche ces zones-là vont être concernées par un autre problème majeur qui est le « stress hydrique », c'est-à-dire le bouleversement du cycle de l’eau lié au réchauffement climatique (11.39).

Ce lien entre les périodes de sécheresses et le réchauffement climatique est arbitraire. Même le GIEC reconnait que « les épisodes de sécheresse du dernier millénaire étaient d’une plus grande ampleur et d’une durée plus longue que ceux observés dans de nombreuses régions depuis le début du XXe siècle (degré de confiance élevé) ». (Rapport GIEC - AR5) [1bis]. Quant à dire que les précipitations sont plus violentes et qu'elles provoquent, ce n'est pas plus corrélé. Le Giec dit la même chose pour les inondations et les cyclones.

Dès aujourd’hui, comme vous le savez, l’Afrique du Sud soufre d’un stress majeur. Heureusement qu’il y a eu, cette année, comme les deux années précédentes, des pluies providentielles qui sont arrivées une quinzaine de jours avant l’épuisement total des réserves.

Le Maroc, la Tunisie et l’Algérie sont également en situation de stress hydrique toute l’année. Le stress hydrique veut dire qu’on manque d’eau ; l’eau n’arrive pas avec la fréquence à laquelle elle arrivait précédemment. En fait le volume d’eau qui tombe grâce à la pluie a légèrement baissé par rapport aux années précédentes, mais ce n’est pas très significatif. En revanche, la pluie tombe de manière beaucoup plus violente et brusque pendant des périodes beaucoup plus courtes. Et donc, le volume d’eau qui tombe est beaucoup plus important et le sol n’arrive pas à absorber ; l’eau ravine et cela ne permet pas une agriculture de long terme. Donc le Maroc (12.40) est déjà dans une situation très compliquée aujourd’hui. Les autorités en sont parfaitement conscientes. J’ai eu l’occasion, il y a trois mois, d’aller discuter avec le ministère des finances à Rabat, qui est parfaitement informé et qui commence déjà à réfléchir à des processus de désalinisation de l’eau de mer pour obtenir de l’eau potable pour rendre durable l’agriculture du Maroc, et la Tunisie se pose la même question. Simplement, la désalinisation est tout sauf gratuit et utilise beaucoup d’énergie (13.09). L’Agence Française du Développement (AFD) collabore avec les gouvernements Marocain et Tunisien pour essayer de trouver des optimisations, d’abord de l’agriculture existante dans des conditions de sécheresse, et puis, parallèlement, des mesures de désalinisation de l’eau de mer.

Maintenant, si vous prenez ces deux critères de manque d’eau et de (13.28) combinaison chaleur/humidité, une bonne partie du continent africain est affecté. Donc cela veut dire que l’Afrique en particulier va, si on continue à ne rien faire en terme d’adaptation et surtout de limitation des émissions de CO2 et d’atténuation, l’Afrique va connaître des décennies très compliquées. Il y a une zone qui sera encore plus touchée: l’Asie du SE, l’archipel de la Malaisie, de l’Indonésie. Ils vont connaître à la fois les conditions létales d’humidité/chaleur pendant quelque chose comme 300 j/an, c'est-à-dire juste invivable, et à la fois un manque d’eau potable. C’est la double punition, plus le fait, comme vous le savez, que c’est une région qui est très exposée aux moussons qui viennent du Pacifique (14.17) et que c’est une zone volcanique. C’est la totale ! Donc, si on ne fait rien, ces zones-là seront inhabitées avant la fin du siècle. L’Indonésie vient de modifier l’emplacement de sa capitale. Djakarta est trop exposée. C’est le début des problèmes majeurs dans l’Indonésie. L’Afrique est heureusement moins exposée que l’Asie du Sud-Est, mais à mon avis, l’Afrique va avoir de sérieux problèmes à affronter dans les années qui viennent, dans un contexte, vous le savez, où c’est le seul continent qui, dans les années à venir aura une poussée démographique forte, puisque le continent africain a aujourd’hui 1.3 milliard d’habitants et la fourchette basse de prévision démographique, sans tenir compte de l’effet de l’effet du réchauffement climatique, sera de + 1 milliard d’ici 2050 et la fourchette haute de + 1.5 milliards. Donc on peut avoir sur le continent africain, 2.8 milliards d’habitants en 2050. La question à plusieurs milliers de milliers de $ est : comment va-t-on éduquer les populations et lui permettre de survivre dans un contexte climatique qui va être particulièrement difficile.

Q-

GG (15.55) Si on regarde l’affaire syrienne, en fait, il s’agit que tout le monde soit très conscient que l’éclatement de la guerre civile en Syrie en 2011 faisait suite à 3 années de sécheresse particulièrement dures et particulièrement mal gérées par le gouvernement Bachar el Assad. Donc, au fond, cela s’est transformé en une guerre civile interne clanique, ethnique et religieuse. Mais, une partie du problème initial était dans l’aspect climatique. Je suis complètement d’accord que, malheureusement, ces catastrophes qui risquent de nous arriver si nous ne faisons rien, elles ne vont pas arriver comme cela dans un monde pacifique et tranquille  où on va juste attendre, la bouche ouverte, que le ciel nous tombe sur la tête, mais elles vont provoquer des réactions humaines très violentes, des prises de pouvoir, des guerres civiles. De ce point de vue-là, la bande sahélienne (16.44) dont fait partie le Tchad que nous aimons beaucoup les uns et les autres, est particulièrement exposée parce que, elle va elle-même subir un effet climatique très fort, et une désertification, une érosion des sols très forte et un manque d’eau qui sera moins crucial et moins sévère que dans le Maghreb, ou qu’en Afrique du Sud, mais qui est extrêmement prégnant aujourd’hui. Autour de Gaba, par exemple, les puits font plus de 100 m de profondeur (17.16) et il faut deux hommes debout sur une manivelle pour pomper de l’eau.

Je pense que, sur ces questions-là, il est impératif que, dans les années qui viennent, on fasse appel à un ingénieur français  tout à fait remarquable qui s’appelle Alain Gachet, et qui a développé un procédé qui s’appelle Water-Exploration, qui permet d’identifier les sources d’eau souterraine avec des procédés qui sont assez proche de ceux qu’utilisent les pétroliers pour identifier les nappes de pétrole. Ce que peut nous dire Alain Gachet, avec une probabilité de succès, s’il y a de l’eau à -400 m  ou à -1000 m sur la totalité du continent Africain avec assez peu d’informations et sans besoin de beaucoup d’enquêtes de terrain. Il utilise surtout des images satellitaires. Ce n’est donc pas très cher. Il s’agit de quelques centaines de k€. On pourrait très bien financer cela, de manière à savoir où se trouve l’eau. Or, si on reprend l’exemple du Tchad, comme vous le savez, il y a très longtemps, le Tchad était une mer, donc il y a beaucoup d’eau souterraine au Tchad et ce serait extrêmement utile, intéressant et important de savoir où elle se trouve, pour le jour où on va manquer d’eau. Évidemment, (18.26) il faut le faire avec intelligence et sagesse parce qu’il peut aussi y avoir des guerres de l’eau une fois qu’un régime peu regardant saura qu’il y a de l’eau et sera prêt à faire une guerre  pour y capter l’eau. Mais si on n’a pas l’information, de toute façon, on ne pourra aller la chercher.  La bonne nouvelle, c’est qu’il y a plus d’eau sous terre qu’à la surface de la terre. Donc nous avons encore d’immenses réserves d’eau potable. Simplement, c’est la dernière qui nous reste, c'est-à-dire qu’une fois qu’on aura gâché cette eau-là, on n’en n’aura plus. La bonne nouvelle est qu’on a de l’eau potable à portée de « marteaux piqueurs », si je puis dire. Certes, il faut, de temps en temps des investissements pharaoniques pour aller chercher cette eau puisqu’elle est à – 1000 m. Cela coûte très cher, mais, ce qui est en jeu, c’est la survie des populations. Ce sont des questions sur lesquelles on puisse avoir une réflexion systématique, coordonnée, en particulier au niveau des (19.23) pays du Sahel, notamment, parce que cela regarde les pays du continent africain.

Q- La bonne nouvelle, c’est qu’il y a potentiellement des solutions…. Mais jusqu’ici, on a parlé des conséquences. Si on revient aux fondamentaux,  … la consommation d’énergie fossile, … Aujourd’hui, ce sont les pays riches qui sont responsables du dérèglement climatique

GG (22.05)- Les pays du Nord auraient beaucoup à apprendre des pays du Sud, et en particulier d’Afrique. Il s’agit de se débarrasser de cet imaginaire colonial qui continue d’habiter l’aide au développement qui voudrait que les blancs du Nord aient quelque chose à apprendre aux pays du Sud, qui est un sentiment profond, alors que c’est le contraire. Or ce que les blancs du Nord ont à apprendre, c’est comment retrouver une relation respectueuse avec la nature, avec l’environnement et en particulier, cette relation qu’on pourrait appeler les « communs » qui, à mon avis, est un objet absolument fondamental sur lequel je reviendrai dans un instant.

C’est vrai que les émissions de CO2 de l’Afrique sont très faibles - 4% -, l’empreinte écologique de l’Afrique est très faible. Il y a une autre manière de le mesurer, c’est le nombre de CO2 émises par un individu. Au Tchad, c’est en moyenne de 2 T/an. Aux USA c’est 18 T, et 8 T en France. Donc, un Tchadien, en moyenne, pollue 4 fois moins qu’un français et 9 fois moins qu’un américain. Au Tchad, il faudrait regarder ; je ne sais pas la décomposition de l’origine des émissions. On utilise un peu de pétrole au Tchad. Il y a un peu de consommation de charbon,… La planète pourrait très bien vivre si tout le monde vivait avec les émissions tchadiennes. (23.44)

Raisonnement quelque peu simpliste ?

Ce que nous avons à apprendre, c’est que les pays du Nord peuvent réduire leur empreinte écologique sans baisser trop ce qu’on appelle l’indice de développement humain (IDH) qui est une mesure, insatisfaisante, mais qui a le mérite d’exister, de la qualité de vie des gens et qui est construit sur trois piliers : le revenu par tête, le niveau d’éducation et l’espérance de vie en bonne santé. On peut complexifier l’IDH en rajoutant le niveau des inégalités, mais quel que soit la complexité de cet indicateur, il montre qu’il est relativement élevé dans la plupart des pays du Nord, et relativement faible dans les pays du Sud. Inversement, l’empreinte écologique est très élevée dans les pays du Nord et très faible dans la plupart des pays du Sud, avec une exception qui sont les grands pays émergents, notamment, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil et la Chine. Je crois qu’il y a un double transfert d’expérience, de connaissance et de sagesse à opérer dans lequel les pays du Sud ont à apprendre au Nord comment réduire son empreinte écologique et, dans le même temps, ont quand même à essayer d’augmenter leur IDH, je pense en particulier à la question de l’éducation. Comme vous le savez bien, en Afrique, l’éducation primaire, malgré les efforts des fonctionnaires ou de la Banque Mondiale, est un échec. Il y a 80% des enfants qui vont à l’École, (25.14) primaire, mais il y en a 60% qui n’apprennent pas à lire, à écrire et à compter en sortant de l’École. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas pris le temps de faire en sorte de former des instituteurs, à travailler dans une école avec de la craie et un tableau. L’éducation du milliard de jeunes qui vont naître dans les années qui viennent est un vrai sujet. Donc de ce point de vue-là, il y a un transfert (25.32) croisé, pour les pays du Sud de d’apprendre au Monde comment réduire son empreinte et elle-même comment réussir à augmenter un certain nombre de facteurs  qui sont restés indispensable à l’avenir de la postérité humaine, quel que soit le sens qu’on va lui donner, notamment l’éducation, et  en particulier l’éducation des jeunes filles.

Bien sûr que l'éducation est un objectif de développement humain, mais est-il besoin de préciser le sexe de ceux et de celles qui doivent en bénéficier? On aimerait savoir si cette insistance cache ou non un ralliement à la ligne de l’ONU sur le sujet et à ses stratégies de « santé reproductive et sexuelle », clairement condamnées par l'Eglise ?

De ce point de vue-là, cela nécessite un changement complet de point de vue et d’imaginaire sur ce que c’est que le développement. Il ne s’agit plus du tout des positions de … qui est une espèce de post-colonialisme inavoué, mais plutôt d’échange de pratiques et de savoirs. Par exemple l’AFD a soutenu au Zimbabwe des projets d’agro-écologie tout à fait intéressants, d’agro-foresterie tout à fait passionnants. Donc, on a beaucoup à apprendre des paysans africains qui ont conservé des savoirs traditionnels que nous, nous avons perdus. Par exemple, on a redécouvert que l’Artemisia, qui est une plante en Éthiopie, arrivait vraiment à  guérir du paludisme. Il y a des gens qui pensent qui s’excitent pour, d’abord essayer de protéger l’Artemisia, et ensuite de faire développer la culture de l’Artemisia et la faire reconnaître par l’OMS. C’est extraordinaire : j’ai attrapé le paludisme au Tchad, et je sais ce que c’est que d’avoir le palud. Quand vous pensez qu’il suffit de boire une tisane d’Artemisia pour faire cesser la crise et de faire en sorte que vous soyez d’aplomb pour les deux jours qui viennent, c’est assez incroyable. La malaria va remonter de l’Équateur vers les pôles ou redescendre vers le pôle sud et la banque mondiale a chiffré à 5.2  milliards d’individus, le nombre de personnes qui pourrait être affecté de la malaria en 2050. Si on ne développe pas l’Artemisia d’ici là, cela pose une énorme question : y aura-t-il assez de nivaquine pour tout le monde ? (27.17) Et donc, par exemple la culture de l’Artemisia qui est bien connue en Éthiopie depuis bien longtemps – les éthiopiens se soignent à l’Artemisia depuis des millénaires,  cela fait partie des savoirs traditionnels dont il faut absolument irriguer la pauvreté intellectuelle des savoirs du nord qui ont complètement perdu cette relation à la nature. Ce sont des pourvoyeurs de solution que de problèmes

Il y a une autre problématique qui est : comment le Sud peut-il aider le Nord à réparer ses propres bêtises et comment à ne pas emprunter les chemins d’industrialisation fossile et hydrocarburée comme au Nord. C’est la question des communs qui est une question centrale, parce que l’essentiel de la modernité occidentale employait ses constructions au concept de la propriété privée. C’est un héritage du droit romain transféré aux civilisations modernes par des théologiens médiévaux et remis à l’honneur et au goût du jour par les philosophes anglais, John Locke, Thomas Hobbes, au XVII° et XVIII° siècle. (28.28), et, comme vous le savez, la propriété privée a été déclarée droit inaliénable et sacré par la déclaration universelle des droits de l’homme, repris comme tel dans la déclaration de 1948, alors que, par exemple dans la déclaration de l’homme africaine, elle ne figure pas comme tel. Ce n’est pas la propriété individuelle : la propriété est celle d’une communauté. Donc, la déclaration des droits humains africains ouvre un espace extraordinaire qui est celui d’une gestion partagée d’un certain nombre de ressources que nous devons protéger. (29.02)

Q-

GG- Si vous vivez dans un village en brousse, vous voyez que la terre ne fait pas l’objet d’une appropriation privée. La terre appartient au village ; il se peut qu’il y ait un chef des terres, ou que le chef du village soit considéré comme le propriétaire des terrains. C’est lui qui décide de la location des terres et des champs. Mais en réalité, tout le monde sait bien que c’est la communauté qui est propriétaire des terres. Il y a un rapport à la terre qui est « commun ». Alors, certains pourraient même dire qu’il y a des situations où personne n’est propriétaire de la terre : nous sommes possédés par la terre ! Cela va encore plus loin dans le rapport humain/nature, mais, ce que cela veut dire, c’est que la propriété privée est plutôt un concept étranger au sens traditionnel de la relation au monde et que les « communs », c’est la relation au monde la plus ancienne que l’humanité a connu, et en même temps la plus moderne. Par exemple, les essais sur internet de « Copyleft » qui est le contraire du « copyright » sont une mise en commun de l’intelligence collective qui redécouvre comment détricoter les concepts de propriété privée pour permettre à cette intelligence de féconder l’imagination et la créativité de chacun. Nous, les blancs du Nord avons à redécouvrir comment les populations traditionnelles ont toujours eu les « communs » comme rapport au monde et comment ceci est probablement la voie de salut (30.46) qui nous permettra tous de continuer à habiter pacifiquement un monde qui va être assez déréglé par le dérèglement climatique. Je vais vous donner quelques exemples que j’avais vu il y a peu de temps quand j’étais au sud du Nigéria, dans le delta du Niger : les forêts sont là-bas des lieux sacrés, parce qu’il y a des serpents qui sont l’une des figures très importantes qui organisent l’imaginaire local, et c’est dans ces forêts que se trouvent les plantes médicinales les plus importantes et les plus précieuses. Personne ne va dans la forêt sacrée pour aller chercher soi-même une plante dont il a besoin, et on passe par le sage, le sorcier ou le chef qui régule, de manière que les plantes puissent se régénérer tranquillement et qu’on ne détruise pas la forêt. Il y a là, une gestion extrêmement intelligente des ressources rares et une très très grande finesse institutionnelle.

Ce plaidoyer de Gaël Giraud pour le « retour des communs », n'est pas surprenant puisqu'il devait soutenir en mai 2020 une thèse de doctorat en théologie aux facultés jésuites de Paris consacrée à "la théologie politique des communs à l'ère anthropocène". Gaël Giraud, dans ce contexte des "communs", remet en cause les bénéfices du principe de propriété privée. Dans les exemples de gestion des villages traditionnels, Gaël Giraud n’évoque pas les conséquences au regard des principes de liberté et de dignité des personnes. Gaël Giraud pense-t-il à la pression sociale qui pèse sur les individus dans ce type de communauté. Les individus qui ne se plient pas à la règle sociale incarnée par les « chefs de village » peuvent-ils imaginer avoir accès au bénéfice des « communs » ? N’y a-t-il pas une forme de paternalisme dans ce type de gestion, paternalisme que condamne d’ailleurs Gaël Giraud dans d’autres contextes ? L'encyclique  Centesimus annus parle "de cette conception erronée de la personne [dont] découlent la déformation du droit qui définit la sphère d'exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée. En effet, l'homme dépossédé de ce qu'il pourrait dire « sien » et de la possibilité de gagner sa vie par ses initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux qui la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d'une authentique communauté humaine." Jean-Paul II en écrivant cela savait de quoi il parlait ayant connu le "commun-isme".

Certes, la doctrine sociale de l'Église reconnait que « la propriété privée est subordonnée au principe de destination universelle des biens » (Compendium de la DSE § 282). Elle n’est donc pas un absolu. Mais il n’est pas anodin qu’elle ajoute : « la propriété privée et les autres formes de possession privée des biens « assurent à chacun une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine » (id § 176). Elle dit également que : « la liberté de la personne dans le domaine économique comme une valeur fondamentale et comme un droit inaliénable à promouvoir et à protéger: « Chacun a le droit d'initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts » (id. § 336)

Par ailleurs, il n’est pas évident que le concept de « biens communs » puisse justifier cette « commonisation » des modes de gouvernances. Les spécialistes montrent bien que "les caractéristiques des biens ne sont pas des données naturelles[2]. Par exemple, le Climat n'est pas un "bien commun" par essence: en réalité, tout dépend de choix politiques. En effet, un commun se définit au carrefour de trois considérations[3]:
- Les ressources de communs
- Les liens entre les participants aux communs
- Le mode de gouvernance des droits et obligations s'imposant aux participants. "Les "communs" se définissent essentiellement par le statut et le régime juridique qui sont associés à ces systèmes de biens"[4].
De ces remarques, il ne nous semble pas que ces modes de gouvernance soient pertinents au motif qu’ils existent dans des communautés traditionnelles. Il faudrait relire Jean-Jacques Rousseau sur tous ces sujets.

L’autre exemple est en Amazonie où des amazoniens avaient l’habitude de vivre en nomades dans la forêt amazonienne et qui s’installent toujours autour des vieux arbres  de plusieurs années, parce que autour d’eux, l’écosystème naturel a gardé la mémoire du passé, et il y a une biodiversité extrêmement riche dans le sol ou au pied des racines des arbres. Et donc, ces populations indiennes savent que lorsqu’elles vont faire du maraîchage, ou du jardinage autour de ces arbres, qu’il y a une fertilité et une intensité en termes de biodiversité extrêmement riche qu’elles n’auront pas 15 m plus loin.

C’est mépriser les agriculteurs du Nord d’imaginer qu’ils ne savent pas tout cela. La question est de savoir comment un système de production de type amazonien pourrait nourrir les grandes métropoles urbaines mondiales ?

Là aussi, il y a un savoir-faire qu’il faut absolument redécouvrir, un savoir partagé qu’il ne faut certainement pas transformer en un droit intellectuel privé pour essayer d’extorquer ces savoirs et d’en profiter. C’est malheureusement le cas pour certaines sociétés privées du nord qui essayent de privatiser les savoirs traditionnels du Sud au lieu d’en faire des « biens communs » partagés pour l’ensemble de l’humanité pour que nous réapprenions tous les extraordinaires richesses de la nature qui vont seules nous permettre de nous sortir d’affaire face aux cataclysmes qui vous nous tomber sur la tête (32.49)

Q- Comment transformer la problématique des biens communs, en « bien commun ».., enjeu de la gouvernance de ces « biens communs » (34.18)

GG- (35.01). On pourrait dire plusieurs choses. Il y a une collusion entre les droits coutumiers traditionnels, par exemple ceux du Tchad, et le droit importé par les colons qui est le droit occidental hérité du droit médiéval européen qui est très fortement structuré autour de la dualité propriété privée/ propriété de l’État ; alors que les communs est une voie tierce, une voie intermédiaire  (35.23) . Un chef de village n’est pas propriétaire au sens romain du terme ; c’est l’intendant, celui qui gère intelligemment, pour le bien de la communauté les ressources disponibles. Il y a effectivement une collision entre les deux, et, malheureusement le droit traditionnel est en train de disparaître. (35.45)

Est-ce que cela veut dire que toutes les institutions qui œuvrent aujourd’hui qui essayent d’œuvrer ensemble à nous sauver mutuellement les uns les autres des catastrophes à venir (35.56) sont illégitimes ? Je ne vais pas jusque-là, parce que, comme vous l’avez remarqué vous-même, une bonne partie des états des pays africains qui sont très touchés par le réchauffement climatique sont complètement en faillite. Dans certains pays, il n’y a plus d’état ; il y a juste une armée et il n’y a pas d’administration publique. La question est : comment est-ce que vous organisez aujourd’hui une gouvernance dans ces pays où il n’y a plus d’état, où il n’y a plus d’administration pour gérer l’économie du pays ? Beaucoup d’observateurs disent qu’au fond, ce qui peut les aider aujourd’hui, ce sont les institutions dites financières du développement international, notamment l’IDFC, International Development Finance Club, dans lequel vous trouvez (36.43) toutes les grands banques de développement, l’AFD, notamment, la BNDES d’Allemagne, la DBSA en Afrique du Sud. Évidemment, ces institutions sont des institutions hybrides qui sont en partie hantées par l’univers post-colonial, et qui sont aussi, pour certaines d’entre elles, avec un certain nombre des personnes qui y travaillent très sincèrement à se faire à l’idée d’aider et de se faire aider des populations, avec un échange mutuel de bonnes pratiques. Je ne vois pas très bien quelles autres institutions on a pour nous aider. Donc il vaut mieux réformer ces institutions de l’intérieur et apprendre à collaborer ensemble et intelligemment pour essayer de s’en sortir. C’est très important de nous libérer de l’imaginaire du grand soir, « un jour va arriver » : soit ce sera la catastrophe ultime, c’est la collapsologie qui a beaucoup de succès en France, soit  ... qui va nous libérer de tout le mal qu’il y a sur cette terre et on va avoir enfin des institutions publiques saines qui vont travailler pour l’intérêt général. Ce grand soir n’arrivera jamais. Cela ne sert à rien d’attendre et, en fait, se placer dans une espèce d’horizon eschatologique où  il y aurait un grand soir, c’est le meilleur moyen de ne rien faire. (37.54)

Gaël Giraud a beau se défendre de catastrophisme, il le pratique sans cesse : « gravité de ce qui va arriver (cf. 06:30), « Ce que je dis là est catastrophique » (cf.  09:43), « catastrophes qui risquent de nous arriver » (cf. n° 15 :20), «ne pas attendre que … le ciel nous tombe sur la tête », « guerres civiles » (cf. 16 :44), les « cataclysmes qui vous nous tomber sur la tête» (32.49), les « catastrophes à venir » (cf. 35 :56).  Ne parlons pas du titre même de cette interview qui évoque un « génocide climatique » ! Il va jusqu'à dire que si on ne fait rien, on sera à la fin de l' "histoire à la fin du siècle" (1:00:50)!

Aujourd’hui, on a besoin de réformes et d’essayer de faire en sorte qu’elles vont dans la bonne direction. C’est un incrémentalisme. Je vais prendre l’exemple de Marx Hollin, professeur à Stellenbosch  en Afrique du sud, et qui dit :  « I am an enrage incrementalist ». C’est un incrémentaliste enragé, qui a une soif de réformes extrêmement radicales, mais qui sait que, pour que cela avance, il faut aussi faire des réformes de petits pas, des négociations, des compromis, etc. C’est cela la vérité pragmatique, réaliste de ce qu’on peut faire, sachant qu’il y a urgence (38.29)

Q-

GG- Les institutions [dont j’ai parlé] ne sont pas homogènes. Il y a, à l’intérieur des gens qui essaient vraiment de réformer le système, d’autres qui le perpétuent simplement. Je vais vous donner l’exemple d’un projet de pisciculture en Guinée-Conakry, qui a été financé en partie par l’AFD, qui permet à des paysans dans les forêts profondes, là où il y a eu le foyer de la crise Ebola en 2014, et qui leur permet d’avoir un apport en protéines animales tous les jours, parce qu’ils vivent dans la forêt et ils ne peuvent pas faire d’élevage et ils sont trop loin de la côte pour pouvoir faire de la pêche. Ils font de la pisciculture. Là où c’est intelligent, c’est que ce ne sont pas des français qui vont organiser la pisciculture et qui vont expliquer aux guinéens comment faire. Les guinéens font cela beaucoup mieux que les français. Je suis allé les interroger, visiter les étangs, allé les voir et interroger les hommes et les femmes qui étaient responsable de la gouvernance de cette pisciculture. Je leur ai posé une question, et ma question était inspirée évidemment par tous les travaux qui ont été fait par Elinor Ostrom, l’économiste prix Nobel en 2009 qui a travaillé sur les "communs". Ils m’ont expliqué les règles, comment on sortait les poissons de l’étang, qui était sur une zone où il n’y a pas d’électricité, pas de réfrigérateurs. On ne peut pas les garder et il faut les manger le jour où on les sort de l’étang. Donc sortir les poissons de l’étang, c’est un geste extrêmement important, délicat, et où on peut se tromper ; il y a évidemment des débats sur combien de poissons on va sortir de l’étang, etc. Je leur ai demandé : « lorsque vous n’êtes plus d’accord entre vous, ce qui arrive forcément un jour, comment faites-vous ? ». Ils m’ont répondu que la question était intéressante : « ce que l’on fait, on va voir les sages qui sont dans un village à côté à quelques km et on va leur demander de trancher notre conflit. Comme il est dans un autre village, il n’a pas de conflit d’intérêt avec nous, n’est pas partie prenante dans nos débats. En même temps, c’est un homme qui est juste à 20 km, donc on le connaît et on sait qu’il est sage et on a décidé à l’avance que c’est lui qui trancherait notre débat ». Je me suis dit, en écoutant cela, qu’il y a (40.42) une sagesse institutionnelle dans ces paysans guinéens qui était extraordinaire.

Si on réfléchit un peu à ce qui se passe dans la zone Euro. On n’a pas prévu cela. On ne sait pas comment trancher les conflits entre l’Allemagne et la Grèce. On ne sait pas comment on aménagerait la sortie de la zone Euro, ou même de l’Union européenne : regardez avec le Brexit. Tout cela n’a pas du tout été prévu par les juristes qui ont construit l’Europe et la zone Euro. D’une certaine manière, les juristes européens qui ont construit l’Europe d’aujourd’hui sont des juristes extrêmement primitifs et naïfs comparés à la finesse et la sagesse institutionnelle des paysans guinéens. (41.19). C’est cela qu’il faut qu’on apprenne et que les européens doivent apprendre du Sud.

C’est toute la question de la démocratie qui est posée. Gaël Giraud plaide en quelque sorte pour une forme d’expertocratie dirigée par la sagesse de ceux qui savent, ou de la république des juges qui eux aussi sauraient ce qui est juste. On ne voit pas bien comment les conflits internes au village européen seraient arbitrés ni par quel sage.

Q-

GG- Tout cela ne pourra pas se faire sans des réformes très profondes, mais en ce qui concerne aussi bien le Nord que le Sud. La question des transferts d’argent des migrants. Vous avez un certain nombre d’économistes qui s’interrogent sur la question de savoir si l’Afrique de l’Ouest ne pourrait pas inaugurer un nouveau modèle de « développement » qui serait construit sur les transferts d’argent des migrants. C’est l’option sur laquelle un certain nombre d’économistes réfléchissent. Moi, je n’en suis pas totalement convaincu. Mais ce flux existe et c’est vrai que c’est une source de revenu bien supérieur à l’aide au développement.

La question du commerce international. Il y a aujourd’hui une prise de conscience du fait que nous n’avons aucune preuve analytique sur le fait que le libre-échange serait favorable à tout le monde. C’est un mythe qu’on a répété pendant des décennies. Ricardo, le grand père fondateur de la théorie des avantages comparatifs du XIX° siècle, évoque l’idée que lorsqu’on ouvre les frontières, c’est globalement positif parce que chacun des deux va se spécialiser dans le secteur commercial où il est le plus fort, même si l’un des deux est beaucoup plus productif que l’autre. Ricardo lui-même reconnaît que ceci est faux dès lors qu’il y a une inégalité du capital, parce que le capital des pays les plus faibles va directement être attiré par les pays les plus forts. C’est ce qu’on voit tous les jours, (44.00) non seulement à l’intérieur de la zone Euro mais également à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, la conscience est en train de monter sur le fait qu’il faut revoir complètement les règles du commerce international, abandonner la mythologie du libre-échange qui serait un ferment de la paix civile  ce qui est complètement faux, et abandonner la diabolisation des protectionnismes telle qu’on l’a pratiquée pendant des années et qui voudrait que les protectionnismes soit l’origine d’une guerre demain matin, ce qui n’est pas vrai non plus. Donc, il faut réorganiser cela.

L’analyse de Gaël Giraud rejoint celle de Stiglitz, moins sur la circulation du capital que sur la diabolisation des protectionnismes. Stiglitz explique que l’absence de frais de douane aux frontières met en concurrence les productions du Nord et du Sud et favorise toujours les plus fort et qu’ainsi les pauvres deviennent encore plus pauvres. Il explique que la théorie des avantages comparatifs n’est exacte qu’entre des pays qui ont optimisé leurs moyens de production, leurs services et leurs équipements collectifs, et qui sont dans des situations de plein emploi,  ce qui n’est pas le cas au Sud.

Les deux grands défis du commerce international sont, à mon avis, la réforme profonde de l’Organisation mondiale du Commerce de manière à ce que l’OMC, d’une part, incluse dans son périmètre les actifs dérivés financiers, parce qu’aujourd’hui, les prix des matières premières, notamment agricoles, ne sont plus déterminés par l’offre et la demande spot, mais par des mouvements de capitaux sur les actifs financiers dérivés sur ces matières premières, par exemple des contrats d’achat à terme. Donc aujourd’hui, les prix du blé, du cacao, etc, sont déterminés par des mouvements de capitaux financiers qui sont eux-mêmes dirigés par une poignée de grandes banques internationales toutes situées au Nord. (45.09) Or les marchés dérivés financiers n’appartiennent pas au périmètre de l’OMC. Dès lors, elle est absolument impuissante à avoir autorité sur les marchés, sur les spots, puisque ceux-ci dépendent crucialement des marchés financiers. Or la finance n’est pas dans le périmètre de l’OMC.

C’est une affirmation totalement gratuite. L’indice Simon d’abondance montre que 50 matières ont vu leur prix baisser sur les 30 dernières années. Toutes les études de corrélation montrent que l’afflux des fonds spéculateurs n’ont pas d’influence sur les bourses de marchandises, du moins celles qui ont des règlements solides et en particulier celles citées par Gaël Giraud. Par ailleurs, si l’OMC avait autorité sur les marchés à terme de marchandises, cela reviendrait à introduire des biais dans l’offre et la demande dont on sait qu’ils perturberaient gravement leurs fonctionnements. On le voit par exemple lorsque les états gèrent les quantités de quotas d’émissions de CO2, ou quand les états veulent créer des obligations de stockage des producteurs en cas de baisse des cours. Ce type de régulations s’est toujours avéré désastreux.

Donc la première réforme est d’inclure la finance dans le périmètre de l’OMC.  La seconde réforme est de débarrasser l’OMC de son idéologie libre échangiste qui n’a aucun fondement analytique et troisième réforme, encore plus importante à mon avis, convertir l’OMC à la question des flux matériels entre les pays. Il y a un très gros travail qui est fait dans le continent africain en particulier, sur la question de savoir quels sont les flux de matières qui rentrent en Afrique et ceux qui sortent d’Afrique. C'est-à-dire qu’il ne faut plus regarder les flux des transactions internationales (45:59), en termes de dollars, mais en termes de tonnes de minerais et de biomasse, et on regarde ce qui entre et ce qui sort. C’est ce qu’on appelle la « material flow Analysing » qui a été lancée par une grande économiste autrichienne, Fischer Kowalsky, et qui est très instructif, car on voit la réalité des échanges. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est que l’OMC s’intéresse à la réalité des échanges et non plus simplement aux échanges monétaires qui sont juste un voile qui cache la vérité de ce qu’il se passe. La réalité, c’est que le continent, depuis des décennies, mais pourvoit en matières la totalité planète. Aujourd’hui, le continent africain est pillé par tout le reste de la planète, en particulier par la Chine, mais aussi par l’Europe et les États-Unis, ce qui prive les africains des ressources matérielles de leurs propre prospérité. Il y a là une conversion majeure à faire opérer par l’OMC.

Et puis la quatrième réforme, c’est comment est-ce qu’on équilibre la balance commerciale entre les pays ?  (45:56) Là-dessus, la contribution majeure de Keynes en 45 reste toujours d’actualité. La remarque de Keynes a été que lorsqu’un pays accumule des surplus commerciaux, il est tout aussi fautif que ses contreparties commerciales qui accumulent des déficits, parce que celui qui accumule un surplus bénéficie d’un certain nombre d’avantages industriels et commerciaux favorables, il asservit les pays en face de lui qui est, dès lors, obligé d’importer ce qu’il n’arrive pas à produire lui-même.

N'y a-t-il pas, là, une analyse marxiste réductrice, limitant l’analyse économique à celle de la proie et du prédateur?

La grande idée de Keynes était que, à chaque fois qu’un pays accumule trop d’excédent commercial, c’est lui qui doit être sanctionné. Très pratiquement, cela veut dire que celui qui est dans la zone euro, le pays qui devrait être sanctionné est l’Allemagne. Évidemment, c’est un changement radical de représentation du monde. En 1945, cette proposition extrêmement révolutionnaire a été abandonnée, parce que le principal pays qui avait un surplus commercial était les États-Unis et qu’il était décisionnaire dans l’organisation du système mondial, en particulier avec les accords de Brettenwood, ils ont préféré ne pas mettre ce système en place parce qu’ils auraient été les premiers sanctionnés. Mais, aujourd’hui, si on veut mettre en place une régulation intelligente du commerce international, il faudrait le faire. Cela voudrait dire concrètement que les pays importateurs qui pillent l’Afrique seraient sanctionnés et compenser les pays Africains de ce qu’ils gagnent.

Cette analyse n'est pas fausse, mais Gaël Giraud propose une solution, la sanction financière, qu'il place au sein de l'OMC ou du FMI. Concrètement cela signifie que ces organisations internationales deviendraient en quelque sorte des collecteurs d'impôt, un peu comme les états qui prélèvent un impôt à ceux qui bénéficient de hauts revenus. Ces mécanismes reviendraient à donner un pouvoir exécutif à une gouvernance mondiale. Ils nécessiteraient un accroissement considérables de fonctionnaires internationaux pour gérer ces fonds. Il n'est pas certain que ce soit un modèle qui plaise à la tradition africaine des petits villages.
Or, il existe une manière simple de "sanctionner" les pays qui bénéficient d'une balance commerciale excédentaire; il suffit que les pays du Sud rétablissent des frais de douanes, ce que les accords de l'OMC tendent à interdire. La suppression des frais de douane a mis en concurrence les riches et les pauvres, et il est exact qu'en ce cas, ce sont toujours les pauvres qui deviennent de plus en plus pauvres. Il faut, nous semble-t-il, que l'OMC se contente de redonner à chaque état, de manière subsidiaire, le droit de rétablir des frais de douane dans les secteurs où leurs économies sont fragilisées.

Cela ne se fera pas demain matin, mais ce serait intéressant de garder cela en ligne de mire, non pas pour attendre le grand soir, mais pour mettre en œuvre, dès aujourd’hui, des réformes internes de l’OMC. Évidemment, les accords bilatéraux commerciaux sont une catastrophe. Pour aller dans une direction que je viens d’indiquer, l’avantage   que les réalités du libre-échange serait pacifiant, alors qu’il ne l’est pas du tout parce qu’il bénéficie à une toute petite minorité d’individus (48 :46)

Q- Laudato si, lecture du § « voracité »… anthropologie, frugalité heureuse, …

GG- (50 :39). Il y a une vraie révolution anthropologique à opérer qui consiste à nous sortir de cette représentation de l’homme qu’on trouve par exemple dans les dessins de Léonard de Vinci, c'est-à-dire l’homme mâle blanc, solitaire, nu, isolé dans son siècle et dans son triangle, qui ne doit rien à la nature, mais qui possède et maîtrise la nature par la géométrie. Il faut réapprendre qu’il est l’image d’un être de relation et que ce sont les relations qui font vivre et uniquement les relations. L’être humain est un métabolisme qui, pour parler un peu comme les thermodynamiciens, est une structure dissipative qui a constamment besoin d’un apport en énergie, en matière et en oxygène pour vivre  qui les métabolise pour en faisant de belles choses par exemple en réinstaurant de la beauté dans un monde qui est assez défiguré, notamment par le libéralisme et la propriété privée et qui produit des déchets. Les sociétés humaines sont de super-métabolisme constitué de pleins de petits métabolismes qui interagissent entre eux. Une société, elle prélève des ressources dans son environnement  par exemple ce qu’on appelle du côté des climatologues la HANPP (Human Appropriation of Net Primary Production), quelle est la part de l’énergie solaire qui est captée et détournée par l’activité humaine, ou, par exemple lorsque vous construisez une dalle de béton, vous empêchez le sol, qui est sous la dalle de béton, d’être irrigué par l’énergie solaire (52:03), vous empêchez la création de biomasse or la création de biomasse est le terreau sans lequel la vie est impossible.

Il faut réapprendre que nous autres, en tant qu’individu et en tant que société, nous sommes essentiellement des êtres de relation. Sans nouer des relations, il n’y a pas de vie. Ce qui fait le sel de notre vie, c’est la relation. Par exemple, j’ai créé avec Cécile Renouard un indice de capacité relationnelle qui essaie de mesurer la qualité des relations sociales dans lesquelles on peut être engagé. Par exemple, quels sont les types de réseaux dans lesquels on peut être  engagé, à quel type de médias vous avez accès ? Comment avez-vous accès à la culture ? Où se trouve l’hôpital le plus proche où vous pouvez vous rendre si vous en avez besoin. Tout cela est un premier type de relation. Il y en a un second : quelle est la qualité des relations, on pourrait dire intimes,  d’amitié, d’amour que avez-vous avec le groupe,  et pour parler comme les africains : qui est dans votre concession ? Qui est votre famille élargie ? Quels sont les amis à qui vous pouvez faire confiance ? A qui pouvez-vous emprunter de l’argent ? Troisième type de relation : quels sont les types d’engagement pour la collectivité auquel vous êtes prêt à vous consacrer de manière régulière ? Par exemple, êtes-vous dans un groupe scout ? Est-ce que vous participez à l’activité d’une église, ou membre d’un parti politique  ou d’un syndicat ? Comment vous engagez-vous pour l’intérêt général ? Ce sont trois types de relation au monde social. Ce qu’on essaie de regarder est comment ces relations évoluent en fonction des conditions économiques. Ce qu’on a remarqué, en particulier dans une enquête au Nigeria, au Brésil ou au Mexique, c’est que lorsque les inégalités économiques sont trop fortes dans un village, par exemple au Nigeria à cause du fait que quelqu’un a été exproprié par un pétrolier qui aurait fait passé son pipe-line sur un bout de terre, mais que l’expropriation est telle qu’il a reçu des sommes colossales pour son niveau d’éducation, qui ne sont rien du tout pour le pétrolier, mais colossales pour lui, cela créé une disparité de niveau de vie dans le village qui font exploser le lien social dans le village. Alors, l’indice de capacité relationnel s’effondre, alors qu’il y a beaucoup plus d’argent qui circule dans la communauté. Cet argent est tellement mal distribué que cela déchire le lien social. Évidemment, cet indice de capacité relationnel ne résume pas le tout de ce qu’on essaie de mesurer au plan relationnel, mais on s’approche petit à petit de cette révolution qu’il faut qu’on redécouvre : l’être humain est toujours en relation ; ce qu’il a à soigner c’est sa relation entre humains et inhumains, avec les animaux. Il n’y a que les urbains occidentaux et habitants des grandes métropoles qui croient qu’ils ne sont pas en relation avec la nature. Ils sont en relation avec un monde complètement artificialisé. Or ce n’est pas vrai et ce n’est qu’une illusion : ces gens-là vivent hors sol et ignorent le fait que, parce qu’ils asservissent d’autres êtres humains vivent en relation étroite avec la nature et pillent la nature pour des besoins des urbains qui vivent hors sol. Il faut réapprendre cela. C’est un changement culturel absolument majeur. Et, là-dessus, je suis convaincu que les pays du Sud, peuvent apprendre beaucoup aux occidentaux (55:22)

Si vous pensez par exemple au concept d’Ubuntu[5] (55 :26) c’est une manière de dire que l’être humain est un être de relation, et, là-dessus, les occidentaux ont beaucoup à apprendre.

Q- Les occidentaux ont également leur héritage, notamment judéo-chrétien qui a mis en avant un type de société établi sur l’amour…

GG- La culture judéo-chrétienne a beaucoup à apporter, mais, au fond, les occidentaux doivent redécouvrir leur propre christianisme et il n’est pas impossible que ce soient les pays du Sud qui l’apprennent aux occidentaux, parce que notre christianisme occidental est aujourd’hui hanté, torturé de l’intérieur par d’autres courants qui n’ont rien à voir avec la tradition et qui, notamment valorisent la propriété privée, alors que la propriété privée ne fait pas partie de la tradition chrétienne, malgré une grande catégorie, on pourrait dire, cosmopolitique (56 :43) qui sont les communs. C’est ce qu’on lit dans les actes des apôtres, le deuxième livre de Saint-Luc, dans le nouveau testament : dans l'Église primitive, la toute première église, après la mort et la résurrection du Christ, « ils mettaient tout en communs et ils partageaient toutes les ressources » et vous avez un épisode extrêmement frappant , celui d’Ananias et Saphira[6] qui essaient de privatiser une partie de leurs ressources et de ne pas les mettre à disposition de la communauté  et ils sont foudroyés par Dieu, et c’est le seul cas dans la lecture des Actes où on voit un tel déchaînement de violence de la part de Dieu. L’autre moment étant lorsqu’Hérode, le Roi, veut se fait acclamer comme étant Dieu. Donc, c’est comme s’il y avait un parallélisme entre d’un côté la dérive totalitaire du pouvoir absolu du souverain qui se prend pour Dieu, au-dessus des lois et de l’autre la colonisation du monde d’une manière violente (57 :43).

Gaël Giraud instrumentalise-t-il le nouveau Testament dans une lecture sociale trop réductrice? Or, le concile rappelle que « personne n’a le droit de revendiquer, d’une manière exclusive pour son opinion, l’autorité de l’Église » (Gaudium et spes § 43). Chacun a le droit d'avoir des opinions politiques, économiques, ou sociales et de les soutenir, mais on est en droit de se demander si Gaël Giraud ne se sert pas ici d’un texte pour le récupérer au service de ses opinions : le Christ, dans les évangiles, a souvent repris le thème du propriétaire d’un champ ; il n’en n’a pas pour autant jeté l’opprobre sur le concept de propriété privée. Il s’appuyait sur des exemples de propriétaires de domaine pour en tirer des leçons d’un autre ordre.

Dans le drame de la mort de la mort d’Ananias, on a un couple qui a accepté de se dépouiller d'une propriété pour la vendre au profit de l'Eglise, mais qui est pris en flagrant délit d'avoir fraudé en gardant pour lui une part du prix de son bien et fait croire qu'il donnait tout à la communauté. Dans ce texte, Pierre ne propose pas une forme de pouvoir institutionnel. Il agit à la façon des prophètes: il parle de manière clairvoyante en mettant à nu les intentions humaines devant Dieu. Le texte précise  que c’est précisément « quand il entendit ces mots » qu’Ananias tombe mort. Il n’a pas assumé l’insupportable révélation de son acte caché[7].
Par ailleurs, cette idée de mise en commun des biens n'est pas nouvelle: l’Église primitive reprend le modèle des cellules esséniennes dont le partage des biens fait partie d’un idéal de l’amitié implanté dans la culture grecque des siècles auparavant. C’est à Aristote qu’il revient de mesurer l’amitié à l’intensité du partage instauré entre amis. Dans Andromaque, Ménélas dit : « Rien de ce qu’ont les amis n’est en propre, mais leurs biens sont en communs ». Saint-Luc n’attribue pas le fait qu’ « ils mettaient tout en commun » au fait de l’amitié, mais impute cette communion à « la multitude des croyants ». Ce que nous dit le récit d'Ananias, c’est que les croyants sont loyaux et ses chefs reconnus. Les croyants sont conscients d’une identique destinée qui ne leur échappe pas.

D’ailleurs, Luc a fait précéder l’histoire d’Ananias et de Saphira d’un texte qui en précise l’enjeu. Joseph-Barnabas vend le champ qu’il possède et en dépose le prix aux pieds des apôtres. Dans les Actes, il y a toute une fonction dévolue à la mise en commun des biens :
- Le partage des biens concrétise une unanimité alimentée par la prière, la fraction du pain. Cette communion n’est pas le fruit d’une ascèse mais l’effet de l’Esprit de Pentecôte

- À la différence des esséniens, le don des biens n’est pas obligatoire mais volontaire. Saint-Pierre le lui rappelle.
- La mise en commun ne traduit pas une volonté de se couper d’une forme de propriété impure.
En l’occurrence, Pierre dit aux contrevenants : « Ce n’est pas aux hommes que tu as menti, c’est à Dieu ». C’est une scène de jugement dernier. Ananias a pêché par manque de totalité du cœur : « Pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur pour mentir à l’Esprit saint ? », dit le texte. Le crime d’Anasias est un crime contre l’Esprit. Le délit n’est donc pas social et le mensonge n’est pas simplement une hypocrisie : il prend le statut d’une fraude contre Dieu.
Ce texte ne condamne pas la propriété, pas plus que des moines ne prétendraient, en mettant en commun le fruit de leurs travail, qu’il s’agit d’une condamnation de la propriété privée individuelle. Le texte montre simplement que ce qui met en péril une communauté, c’est le viol des règles du groupe. La remise par Joseph-Barnabas aux pieds des apôtres symbolise la dépossession au profit d’un pouvoir garant de l’identité collective. Quelle est cette identité ? C'est l'Eglise: le texte se termine par le terme d’Église.

L’organisation du monde comme « commun » est la conversion du cœur au fait que ce qui importe c’est de prendre soin les uns des autres et du monde. Cela nous tient à égale distance, et du souverain qui veut se prendre pour Dieu et de la privatisation du monde qui détruit le lien social et qui détruit le monde. Et, là-dessus le christianisme n’est pas le seul, mais fait partie des grandes traditions religieuses qui peuvent nous apprendre beaucoup (58 :08)

Q-

GG- Quand je vous disais tout à l’heure que c’étaient les pays du Sud qui pouvaient apprendre au Nord de redécouvrir le christianisme, je pense à quelque chose que j’ai redécouvert il n’y a pas très longtemps qui est que des tribus éthiopiennes qui ont migré il y a quelques centaines d’années tout le long de la façade Est de l’Afrique et qui sont arrivées en Afrique du Sud. Or, vous savez que le christianisme éthiopien est un des christianismes les plus anciens au monde. Ces tribus-là ce sont installées en Afrique du Sud et ont rencontré, malheureusement de manière assez violente, des colons hollandais qui vivaient un christianisme occidental qui avait suivi une trajectoire complètement différente. Les colons hollandais voyant les éthiopiens qui se disaient chrétiens leur ont dit : « mais vous n’êtes pas chrétiens », et les éthiopiens leur ont répondu « mais vous n’êtes pas chrétiens vous non plus ». Maintenant, quand vous regardez la violence d’un côté d’un certain type de christianisme hollandais –même si, bien sûr il y a des chrétiens hollandais admirables qui sont proche du royaume de Dieu-  mais, il y a aussi, dans l’histoire, une violence politique et culturelle infligée par  les colons hollandais contre les métis,  probablement que le christianisme éthiopien en Afrique du Sud est beaucoup plus proche de l’évangile que ce qu’en ont fait les colons hollandais en Afrique du Sud. Donc, au fond, les chrétiens occidentaux ont besoin de se laisser reconvertir par certains chrétiens du Sud qui, pour certains d’entre eux et c’est le cas des premiers chrétiens, sont restés beaucoup plus proches de la fraîcheur de l’Évangile que nous autres occidentaux (59 :40)

Q- La jeunesse africaine doit s’engager dans quelles voies ?

GG- Je pense que la jeunesse africaine doit faire, à sa manière, la même opération que ce qui se passe en ce moment en occident avec Greta Thumberg, cette adolescente suédoise (1:00 :04). Cette année en France. Vous avez vu qu’en France, cette année, les lycéens sont descendus dans la rue pour montrer les enjeux face au climat. La jeunesse africaine doit faire la même chose et interpeller, à sa manière, les autorités publiques en leur disant : « nous avons compris que ce qui se passe en ce moment est très grave. Nous voulons pouvoir habiter la terre africaine de manière décente dans les décennies qui viennent. Nous exigeons que maintenant, vous preniez maintenant des décisions très fortes ».

Gaël Giraud a-t-il conscience que Greta est totalement instrumentalisée par Ingmar Rentzho, un milliardaire suédois ? Ce n’est pas la jeunesse qui descend dans la rue, ce sont malheureusement des robots complètement instrumentalisés par quelques poignées d’adultes qui, par intérêt, veulent faire avancer une gouvernance mondiale pour régler un problème présumé planétaire, veulent trouver de nouveaux leviers de croissance verte. On est dans une logique de manipulation des jeunes pour qu'ils deviennent des agents de changement de leurs parents.

Je pense que c’est indispensable. Je pense qu’il faut une mobilisation, pas forcément au sens politicien, cela ne veut pas dire que tous les jeunes africains viennent les appliquer. C’est fondamental : c’est la responsabilité historique de cette génération. Si on y arrive, les historiens de ce siècle parleront de votre génération comme une génération de héros qui auront réussi ce que jamais l’humanité n’avait réussi précédemment. Si on échoue, vos enfants n’auront plus le temps de se poser la question et se demander  comment on a fait pour en arriver là. Alors, on ne parlera, ni de vous, ni de moi dans l’histoire. On aura tellement de soucis à gérer qu’il n’y aura peut-être plus de livre d’histoire à la fin du siècle ! Donc, il y a un enjeu colossal. Ce que j’ai à dire à la jeunesse africaine, tout comme à la jeunesse occidentale, c’est qu’il ne faut surtout pas se laisser écraser par la responsabilité historique. Il y a un risque énorme de dépression dont il faut être conscient (1 :01 :18). La gravité de ce qui va nous arriver peut nous immobiliser, nous paralyser en ce sens qu’on pourrait se dire « c’est tellement grave qu’on ne va jamais y arriver ! C’est foutu ! ». J’entends des étudiants qui me disent cela et disent « moi, je ne veux pas avoir d’enfants, parce que je ne vois pas pourquoi je mettrai au monde un enfant dans un monde qui va être inhabitable Et ensuite, comme tout est foutu dans 20 ans, pourquoi est-ce que je travaillerai ? ».

Le risque de dépression nerveuse dans la jeunesse est le résultat de ceux qui tiennent, comme Gaël Giraud, des discours catastrophiques. Il y a urgence à tenir un discours de vérité, par exemple que la planète n’est pas en danger, même s’il y a des milliers de pollutions que le développement économique permettra de solutionner. C’est la Vérité qui rendra libre d’écouter le cri des pauvres pour réformer les échanges commerciaux qui rendent les pauvres encore plus pauvres.

Il faut faire très attention (1 :01 :40) à cette démobilisation et à cette démoralisation-là. Or, il est possible de s’en sortir. Je vous ai parlé tout à l’heure des ressources en eau colossales qui existent. Il ne tient qu’à nous de les exploiter intelligemment. Il y a l’artemisia. Il y a des tas de solutions à notre disposition. Les paysans guinéens qui pratiquent la pisciculture  en savent plus sur la manière dont on peut s’organiser pour survivre dans un monde difficile que  les juristes européens bardés de diplômes qui ont fait la zone Euro dans les années 90. Donc, il y a des vraies solutions à notre portée. C’est à nous de les inventer, de les comprendre, de les mettre en œuvre, de les partager. Autrement dit, je suis absolument hostile à la collapsologie en tant qu’elle démobilise et qu’elle démobilise. Peut-être même, elle entretient une fascination morbide de l’effondrement…. Ensuite, il faut se mobiliser avec tous les acteurs existants, dans une grande lucidité par rapport à l’ambiguïté de certains de ces acteurs, mais  en comprenant aujourd’hui que, comme il n’y aura pas de grand soir, c’est dès à présent qu’il faut faire des compromis dans le style de ce que fait Marx Hollin, c'est-à-dire avec un incrémentalisme enragé.

Merci à vous 


[1] GAËL GIRAUD "Dérèglement ou génocide climatique ? Le front des Communs",  Extrait de Afrotopiques (sept 2019), https://soundcloud.com/afrotopiques/gael-giraud-dereglement-ou-genocide-climatique-le-front-des-communs

[1bis] GIEC-Ipcc, WG1-AR5, « Information from Paleoclimate Archives, , Executive Summary , Chapitre. 5 final, p. 386,  “There is high confidence for droughts during the last millennium of greater magnitude and longer duration than those observed since the beginning of the 20th century in many regions”.
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/WG1AR5_Chapter05_FINAL.pdf (consulté le 28/08/2019)

[2] Olivier Weinstein, p.72 in "Le retour des communs, la crise de l'idéologie propriétaire", dirigé par Benjamin Coriat, Éditions Les Liens qui Libèrent (LLL)-

[3] Cf « Le climat est-il un bien commun » ?

[4] (Benjamin Coriat, p. 32) in "Le retour des communs, la crise de l'idéologie propriétaire", dirigé par Benjamin Coriat, Éditions Les Liens qui Libèrent (LLL)-

[5] Le mot ubuntu, issu de langues bantoues du sud de l’Afrique, désigne une notion proche des concepts d’humanité et de fraternité.

[6]  Actes des Apôtres (5:1-11)

[7] Lire à ce sujet : Daniel Marguerat : « Ananias et Saphira. Le viol du sacré » (Lumière et vie 215, 1993, p. 51-63) et « La première histoire du  christianisme » (Lectio divina 180- Paris-Genève, Cerf-Labor et Fidès 2003, p. 245-274)

Commentaires  

# CHENEBEAU 24-08-2020 08:32
Encore une fois je comprends difficilement votre critique systématique et votre attachement viscéral à la propriété privée, au regard de ce que vivaient les premiers apôtres qui mettaient tout en commun. (St Paul si ma mémoire est bonne). Encore une fois traitez ces questions complexes entre intellectuels, et essayez de vous mettre d'accord sur quelques principes de bases, qui éclaireront le citoyen lamda.
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# les2ailes.com 24-08-2020 08:56
Je ne pense pas que la question soit de savoir quel personnage je suis, si je suis ou non quelqu'un qui pratique la critique systématique. Je préférerais qu'on ne s'attarde pas sur "qui êtes-vous?", mais sur "que dites-vous?". Le sujet est de me dire quel commentaire est faux dans ce que j'ai écrit en rouge. Je ne suis pas un dogmatique du droit de propriété. C'est un principe accepté par l'Eglise à condition qu'il soit croisé avec le principe de destination universelle des biens, de subsidiarité et de bien commun.
En revanche, Gaël Giraud fait une analyse idéologique des Actes des Apôtres (5:1-11) pour condamner la propriété privée et justifier une "théorie des communs" qui mérite débat.. Dites-moi en quoi j'ai tort.
Quant aux "citoyens lamda", c'est un concept qui me parait méprisant. Ce n'est pas en abaissant le niveau de nos réflexions qu'on progressera. Plus on élève les débats, plus on élève les âmes.
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