Dans une tribune du Figaro, Jean-Eric Schoettl,  ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, déclare que « un référendum sur les préconisations de la Convention climat serait une impasse ». Il évoque les deux points litigieux concernant la modification de l’article 1er de la constitution et la création  d’un crime d’écocide. Au-delà des questions de procédure qu’il analyse, il souligne que l’instauration d’une « Haute Autorité des limites planétaires » se fonde sur le concept d’un crime « défini comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ». L’intitulé du crime d’« écocide » trahit à lui seul la personnification de la nature ». L’auteur évoque le caractère beaucoup trop imprécis de cette définition et le caractère « particulièrement floue et peu consensuel parmi les spécialistes, [de] la délimitation et la notion même de « limites planétaires ». À titre d’information, nous rappelons une série d’articles concernant ce concept des « neuf limites partenaires ».
Nous reprenons ici la transcription intégrale de la tribune de Jean-Eric Schoettl.

Source : Figaro du 3 juillet 2020,

Transcription: "les2ailes.com"

Un référendum sur les préconisations de la Convention climat serait une impasse!

En ne considérant les propositions de la Convention citoyenne que sous l’aspect juridique, soumettre certaines d’entre elles au référendum paraît insolite et périlleux, argumente  l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
La Convention citoyenne pour le climat propose de soumettre au référendum deux séries de dispositions : la première modifiant le préambule et l’article premier de la Constitution, la seconde créant le crime d’« écocide ». Avant la tenue du référendum, la première procédure impose un vote conforme des deux assemblées, la seconde un simple débat parlementaire non suivi d’un vote.
Aux esprits sincèrement séduits par la nouveauté de la méthode et par l’audace de la vision, les remarques qui suivent tenteront de montrer, en s’en tenant à des considérations juridiques, que les pouvoirs publics, s’ils entendaient suivre ces propositions, s’engageraient dans une impasse.
Première remarque : la Convention citoyenne pour le climat estime que sa proposition référendaire couvre toutes les mesures constitutionnelles qu’elle préconise. Mais d’autres de ses propositions exigeraient elles aussi, pour prospérer, une modification de la Constitution, telle l’instauration d’une « Haute Autorité des limites planétaires ». Si on comprend bien la mission que la Convention citoyenne pour le climat souhaite voir confier à cette nouvelle Haute Autorité, les décisions de celle-ci lieraient en effet le Parlement (car les « limites planétaires » qu’elle tracerait s’imposeraient au législateur), ainsi que le gouvernement pour l’édiction de mesures réglementaires et individuelles ayant un impact sur l’environnement. S’agissant du Parlement, ce serait conférer aux décisions de la Haute Autorité une valeur supérieure à la loi non prévue par la Constitution. S’agissant du gouvernement, ce serait placer celui-ci sous tutelle administrative, ce que ne permettent pas, dans leur rédaction actuelle, les articles 20 (« Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation (… ) ») et 21 (« Le premier ministre dirige l’action du gouvernement. (…) Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire… ») de la Constitution.
Quelles sont les modifications constitutionnelles préconisées par la Convention citoyenne pour le climat et promises par eux au référendum ? Il y en a deux.
Serait, d’une part, inscrit dans le préambule de la Constitution que « la conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité » ; serait, d’autre part, ajouté à son article premier que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. »
Ces dispositions devraient être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées (en application de l’article 89 de la Constitution) avant d’être soumises au suffrage populaire. Or au moins le Sénat - qui, en matière de révision constitutionnelle, dispose d’un pouvoir de veto - s’opposerait à une révision aux conséquences jurisprudentielles potentiellement disruptives.
Et il ferait bien, car comment admettre que, pour la première fois, par la modification qu’il est demandé d’apporter au préambule, le constituant donne la primauté à un principe sur tous les autres, ruinant la règle fondamentale, gage d’équilibre des intérêts et d’harmonie démocratique, qui veut que droits, libertés et principes de rang constitutionnel doivent être conciliés lorsqu’ils entrent en concurrence, qu’il n’existe pas de hiérarchie entre eux et qu’aucun ne doit être sacrifié à un autre ? Heureusement, cette première mesure n’ira pas jusqu’au Sénat. S’exprimant devant les 150 membres de la Convention citoyenne, le chef de l’État a refusé à juste titre de « mettre la protection de l’environnement au-dessus de nos libertés publiques ».
Quant à l’autre disposition, celle qui concerne l’article premier de la Constitution, elle est, selon la lecture qu’en ferait le Conseil constitutionnel, soit cosmétique - et donc inutile, car n’ajoutant rien à la charte de l’environnement -, soit trop contraignante, en raison de l’emploi d’un terme fort (« garantit »). Dans cette seconde lecture, tout serait sacrifié, sans modulation possible, à la préservation de la biodiversité et de l’environnement et à la lutte contre le dérèglement climatique : la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, le droit de propriété ou encore le droit de travailler.
Le président de la République s’est déclaré favorable à ce que l’article premier de la Constitution soit complété pour « y mettre la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité ». Il s’est même engagé à proposer « un texte au Parlement en vue d’un référendum d’ici fin 2021 ». Mais il n’a pas évoqué la question cruciale de la formulation de cette disposition. Le référendum pourrait porter également, en application de l’article 11, sur un ou plusieurs textes reprenant certaines des propositions techniques de la Convention climat.
Venons-en enfin au crime d’« écocide », défini comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ».
L’intitulé du crime d’« écocide » trahit à lui seul la personnification de la nature dans laquelle s’installe une certaine écologie, plus proche de la croyance religieuse que de la science. Quant à sa définition, la Convention citoyenne pour le climat ne l’a pas inventée. Elle provient de propositions de loi rejetées en 2019 par le Sénat et l’Assemblée nationale. Les deux assemblées ont relevé le caractère beaucoup trop imprécis de cette définition au regard de l’exigence constitutionnelle de légalité des délits et des peines. Particulièrement floues, et peu consensuelles parmi les spécialistes, sont la délimitation et la notion même de « limites planétaires ». Le 24 juin, au Sénat, lors des questions au gouvernement, la ministre de la Justice n’a pu qu’avouer son embarras devant la nébulosité d’une telle référence.
Par ailleurs, et en tout état de cause, le crime d’« écocide » ne peut être créé par référendum, car le droit pénal ne figure pas dans la liste des matières que l’article 11 de la Constitution ouvre à une consultation populaire. La transition écologique, le choix des sources d’énergie, les transports entrent dans le cadre de l’article 11. À elle seule, la création d’un crime, fût-il écologique, n’en relève pas.
Sur ce troisième point, le chef de l’État a botté en touche vers le droit international « pour que les dirigeants qui faillissent délibérément dans la protection de l’environnement rendent compte devant la communauté internationale ».
Seule serait donc soumise au référendum, parmi les mesures que la Convention voudrait voir ratifiées par le peuple souverain, l’insertion à l’article premier de la Constitution de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de la biodiversité. Mais dans quelle formulation ? Et la République peut-elle garantir le succès d’un objectif si ambitieux ? En matière d’écologie, n’est-il pas temps de privilégier les travaux pratiques sur les impératifs catégoriques ?