EPR finlandais d’Olkiluoto - en service le 12.3.2021

Maxime Amblard, ingénieur en physique des réacteurs nucléaires et auteur du livre "Abondance et pénurie" répondait le 15 septembre 2022 sur cette question importante dans un entretien mené sur la chaîne internet « The Media for All - Official Channel ». Cet entretien, mené par Vincent Lapierre, explique très bien un certain nombre de réalités :

  • l’unification du prix de marché de l’électricité, par le règlement européen 2019/943 (art 49-6) du 5 juin 2019, alignant les prix sur le coût marginal le plus élevé, celui des centrales à gaz. Ce prix a été bon marché pendant des années, prix qui ne permettait pas à un EDF privatisé de garantir une rentabilité sur son coût de production total.
  • La situation du parc nucléaire français, de son entretien, sa vétusté toute relative, quoi qu’on en dise, l’explication de l’usure des cuves, …
  • La différence entre les réacteurs de 2nde, 3ème et 4ème génération. L’intérêt éventuel des petits réacteurs modulaires, la réutilisation possible des déchets nucléaires après retraitement
  • Les risques faibles liés aux déchets, leur volume correspondant à « 5 g par an de déchets (48:34) par personne » et globalement plus petit que la pyramide du Louvre ! Les risques d’accidents dans l’industrie nucléaire,
  • Le concept de souveraineté énergétique, de mix idéal énergétique pour un pays

Pourtant, ce spécialiste du nucléaire est un peu approximatif sur certains points de la doxa ambiante:

  • Son attachement au « point de vue du (12:15) réchauffement climatique » ne fait pourtant pas consensus. Il rêve donc d’un mix énergétique qui se « débarrasserait de toutes les énergies (55:29) fossiles parce qu’il y a un aspect environnemental ».
  • Il se focalise sur les risques sanitaires du charbon en parlant de « 8,8 millions de morts (46:08) » par an causés par sa pollution atmosphérique, tout en reconnaissant qu’il s’agit des chiffres « ramenés à des morts directs par un artifice de calcul (46:15) » ! On sait que dans ce type de modèles, tout dépend des paramètres retenus,  prenant en compte ou non les solutions techniques modernes de dépoussiérage des cheminées.
  • Il propose alors « la production d'hydrogène, voire du (56:37) gaz synthétique par combinaison de CO2 et d'hydrogène pour produire du méthane de façon synthétique ». Or d’autres experts parlent de « l’utopie hydrogène » en matière de ressource énergétique, au motif simple que toutes les réactions chimiques nécessitent plus d’énergie qu’elles n’en rendent disponible.

Maxime Amblard n'avait pas besoin de cette forme de conformisme pour fonder son plaidoyer pour le nucléaire. Il mérite à ce titre une retranscription intégrale qui suit.

Source : YouTube

Transcription "les2ailes.com"

Vincent Lapierre- Est-ce que vous pouvez vous présenter s'il vous plaît ?

Maxime Amblard- Alors je suis ingénieur d'études (0:07) en physique des réacteurs nucléaires dans une entreprise française qui conçoit des réacteurs nucléaires. Donc ça (0:13), c'est mon métier très axé du coup évidemment sur le nucléaire. Mais à côté de ça je m'intéresse énormément aux (0:18) questions de problématiques énergétiques en général puis des problématiques en niveau environnemental également au (0:24) niveau plus large. C'est étroitement lié. Ca fait déjà quelques années que je (0:30) m'intéresse sur ce sujet même si je suis quand même relativement jeune. Et ça fait trois ans également que je m'attache à (0:36) essayer de mettre tout ça par écrit, de mettre toutes mes connaissances mais également les (0:41) raisonnements que j'ai pu effectuer sur le sujet à l'écrit qui dans un livre qui devra normalement (0:48) paraître courant septembre 2022.

VL- Et qui s'intitule ?
MA
- « Abondance et pénuries »

VL- Et qui sortira aux éditions  (0:55) ?

MA- Éditions Perspectives libres

VL- Dans combien de temps ?

MA- Je n’ai pas la date exacte pour l'instant mais normalement d'ici fin septembre 2022, vous l'aurez en librairie.

LES PRIX DE MARCHÉ DE L’ÉLECTRICITÉ

VL- D'accord on va suivre ça de près, Maxime Amblard, (1:06). L'énergie est au cœur de l'actualité. Beaucoup de Français sont inquiets et se (1:13) posent cette question simple : est-ce que les prix vont exploser ? Est-ce (1:18)  qu'il y aura des coupures de courant cet hiver?

MA- Alors pour ce qui est des prix, je n’ai pas (1:24) de boule de cristal mais on peut déjà dire qu'ils ont explosé concrètement : par rapport au prix de l'électricité qu'on a (1:30) pu connaître depuis que le marché européen l'électricité existe, c'est-à-dire depuis les années 2000, (1:37) c’était autour de 40 euros le mégawattheure. Aujourd'hui on a quand même des prix qui s'envolent  -des (1:43) prix sur le marché spot donc faut être précis c'est pas les prix que l'on va payer à la fin-  c'est les prix sur la (1:49) bourse en gros de l'électricité qui reflète presque le prix instantané l'électricité

VL- Qui achète l'électricité à ce prix-là ? (1:55)  
MA-
 Ce sont des fournisseurs alternatifs enfin les fournisseurs tout court (2:00) d'électricité dont beaucoup qui sont les fournisseurs qu'on dit alternatifs en France par rapport au fournisseur (2:06) historiques qui est EDF, qui achètent cette électricité sur le marché spot pour le (2:11) revendre après aux consommateurs à des tarifs qu'ils ont déjà négocié au préalable. Donc en fait on a le marché (2:18) spot, mais on a aussi des marchés qui essaient de prédire les prix de l'électricité plus tard pour essayer fixer des tarifs qu'on a dit de gros (2:23) pour vendre l'électricité à un tarif fixe pour le consommateur, pas (2:30) quelque chose qui va fluctuer et qui va vous tuer tous les jours. Parce que le prix de l'électricité que vous payez, si (2:35) vous n’êtes pas sur le tarif régulier, si vous êtes sur un tarif de marché, il ne fluctue pas tous les (2:41) jours. C'est comme ça qu'ils arrivent à peu près à s'orienter.
Mais du coup les prix ont déjà explosé parce (2:47) qu'aujourd'hui sur les marchés spot on arrive à des prix de l'électricité qui atteignent 300-400- 600 euros le (2:52) mégawatheure donc c'est énorme et c'est étroitement lié à la (2:58) construction-même du mode de calcul du tarif de (3:04) l'électricité.

VL- Comment fonctionne ce marché européen de l'énergie ?
MA-
Alors le marché (3:10) européen de l'électricité, ce n’est pas forcément celui l'énergie, parce que le gaz c'est autre chose (3:16) et sur le pétrole l’Europe n’a pas vraiment la main d'ailleurs ; en ce qui concerne l'électricité (3:22) ce qu'il faut savoir c'est que, historiquement, donc avant qu'il y ait ce marché de l'électricité, on avait un (3:27) producteur historique en France qui était EDF, qui (3:33) englobait également, à l'intérieur de cette entreprise, le transport, la distribution et la fourniture (3:39) d'électricité. Quelle est la différence entre tout ça ? Le transport se fait généralement sur les grandes lignes électriques à haute tension. Aujourd'hui (3:45) c'est RTE qui gère ça. Pour la distribution, des petites (3:50) et moyennes tensions, c'est Enedis qui le fait. Et on a la fourniture donc le côté EDF (3:57) en un groupe EDF c'est encore Enedis mais on a ajouté plein de fournisseurs alternatifs à la demandes de l'Union (4:05) européenne, ce qui a été ratifié par les pays membres, bien sûr, car ce n'est pas juste l'Union européenne qui impose cela ;  ce sont nos dirigeants qui ont (4:11) ratifié cela (4:16), pour ajouter de la concurrence dans ce marché d'électricité et (4:21) aujourd'hui on en est arrivé à une situation où, en France, on a toujours un gros producteur principal qui est EDF ; on (4:29) a très peu de producteurs alternatifs qui se sont ajoutés malgré l'ouverture à la concurrence. On n'a toujours qu'un (4:34) seul transporteur d'électricité gestionnaire du réseau d'électricité RTE.  Ça (4:40) restera comme ça. C'est en gros un monopole, sinon c'est très difficile à gérer. Et on a plein de fournisseurs (4:45) alternatifs : on a Enedis mais on a également Total énergie ; on avait (4:51) Leclerc jusqu'à très récemment qui a fermé boutique. Et ces entités là (4:57) ne font que de la prestation de service ; elles n'ajoutent rien du tout comme valeur (5:04) ajoutée au système et vraiment, elles ne vous vendent que de l'électricité qu'ils vont acheter sur un marché qui a été (5:09) construit de toutes pièces pour permettre leur existence en quelque sorte. Parce qu'avant il n’y avait pas de marché d'échange d'électricité, en (5:16) fait.

Durant la construction de tout cela, il y a une négociation qui s'est faite (5:21) pour savoir comment le prix d'électricité serait calculé en fonction des différents modes de production  d'électricité qu'on (5:27) : le nucléaire, l'hydraulique, le renouvelable, les centrales à gaz, les centrales au charbon (5:33)  et quelques centrales au fioul. Aucune filière n’a  les mêmes coûts de production d'électricité évidemment. Et (5:40) il a été décidé -et c'est aujourd'hui ce qui pose problème- que le prix (5:45) d'électricité serait calculée de telle sorte qu’il soit égal au coût (5:53) marginal de production de la dernière unité de production d'électricité qui rentre sur le réseau, c'est-à-dire qui commence à (5:59) produire du kilowattheure.  

Aujourd'hui  -je pourrai expliquer (6:05) pourquoi plus tard-  mais aujourd'hui, on est arrivé dans la situation où, la plupart du temps, la dernière unité de (6:12) production d'électricité qui rentre sur le réseau, c'est une centrale au gaz. C'est une centrale au gaz parce que son (6:18) coût marginal de production est quand même assez élevé par rapport à du renouvelable qui n’a quasiment aucun coût (6:24) marginal de production. Le coût marginal de production y est inclus dans le coût de production totale. Le coût marginal c'est en gros (6:30) ce que le producteur paye en plus s’il fait tourner sa centrale. (6:36). Donc pour le renouvelable il n'y a pas de combustible à brûler quand ça tourne (6:43) c'est parce qu'il y a du vent, donc le coût marginal de production est quasiment nul ;  C’est la même chose pour l'hydraulique: on a de la réserve d'eau qui coule, soit dans une (6:49) rivière qui coule tout le temps, soit dans un barrage où elle est déjà là : il y a pas besoin de payer davantage pour produire l'électricité. Le (6:55) nucléaire a un coup de marginal de production très faible parce que le coût du combustible (7:03)  représente à peu près 17% du coût de production totale dans une (7:09) centrale nucléaire et c'est 5% du prix final d'ailleurs dans ce que vous payez donc c'est très très faible. Et, par (7:14) contre, pour les centrales thermiques fossiles à gaz, charbon, fuel, ce qui fait la majeure partie du coût marginal (7:20) production, c'est le combustible que l'on brûle pour produire de l'électricité (7:26) ; le charbon est légèrement moins cher que le gaz et aujourd'hui on arrive à une situation où c'est le gaz qui fait (7:33) les prix de l'électricité. Alors dans un monde où tout se passe très bien, parce que les prix du gaz sont très faibles, (7:39) parce qu’il y a une abondance ou dans une période de covid où n’il y a pas une grosse consommation (7:45) et que l’un de nos fournisseurs principaux la Russie est en bonne entente avec nous,  il y a pas de (7:50) problème. Mais dans un monde où le gaz commence à se faire un peu plus rare, la Russie arrête de nous de nous vendre du (7:57) gaz ou que le gaz devient plus cher parce que c'est du gaz liquéfié américain qui nécessite beaucoup plus de (8:04) moyens pour être transporté et acheminé chez nous, et donc qui est plus cher,  eh bien on a des prix (8:10 ) d'électricité qui s'envolent…Alors que, si je prends l'exemple de la France, on a notre électricité qui est (8:17) produite à 70% par du nucléaire qui a un coût de production d'électricité qui est (8:24) stable, qui coûte à peu près entre 50 et 60 euros le mégawattheure. Donc, en toute (8:30) logique, on ne devrait pas avoir des prix d'électricité qui frôle les 600 euros le mégawatt si on prenait en compte le coût (8:38) de production totale et la répartition du mix électrique.

VL- Alors pourquoi le marché (8:44) européen de l'électricité a-t-il été configuré comme ça ?
MA-  Je ne suis pas dans les petits papiers de ceux qui étaient là à (8:50) l'époque pour réaliser cela. Je peux juste vous dire ce que je présume et je (8:57) présume que ça a été une demande des Allemands, déjà parce que historiquement c'était comme ça chez les chez le (9:03) produit les producteurs d'électricité allemands, chez qui c'était calculé comme cela, mais également cela évitait d'avoir un avantage (9:12) compétitif à la France sur leur prix de l'électricité parce qu’on a énormément de nucléaires, et que eux notamment (9:18) voulaient depuis très longtemps d'ailleurs  -ça ne date pas que de Fukushima- sortir du nucléaire. C’était déjà depuis très longtemps dans les tuyaux (9:23) et ils savaient pertinemment que le gaz ou charbon était plus cher en coût de production que le (9:29) nucléaire. Donc si on retenait un mode de tarification qui prenait en compte les coûts de production, la France allait avoir un avantage. Donc (9:37) moi je présume que c'est que c'est ça. Mais aussi cela permettait d'étouffer le parc nucléaire français parce que, jusqu'en 2019, le prix du gaz était très (9:53) bas et comme le coût, je l'ai dit, le coût marginal de production du nucléaire est très très bas et il y a un gros (9:59) différentiel en coût marginal  de production du nucléaire et son coût de production total, si on alignait les (10:05) prix d'électricité sur le coût marginal cela permettait notamment aux producteurs nucléaires de ne pas pouvoir garantir, à (10:12) tout instant, d'être (10:17) rentable en termes de production d'électricité, puisque finalement le prix d'électricité n’a été aligné que sur le (10:22) coût marginal de production et non pas sur le coût de production total.

Donc  il ne faut pas s'étonner qu’EDF soit (10:29) endettée, vu qu'il n'arrive à vendre leur électricité que un coût inférieur au (10:35) coût de production, alors que pour les centrales à charbon ou à gaz finalement c'est pas si (10:41) désavantageux  que cela parce que quasiment la totalité de leur coût de production est couvert par le coût marginal parce que (10:47) c'est le prix du combustible qui coûte le plus cher. Donc, eux, ils s'y retrouvent à peu près ;  et pour ce qui est du (10:52) renouvelable, ça pose aussi énormément problème mais l'alternative qu'on a trouvé c'est de garantir des tarifs de (11:00) rachat garanti. Donc quand un producteur va vouloir installer des énergies (11:06) renouvelables intermittentes, éolien et photovoltaïque, on va leur dire : on (11:11) vous garantit pendant X années de pouvoir les acheter à un tel prix qui est généralement largement au-dessus du (11:16) coût de production total ; et c'est d'ailleurs ça qui  explique pourquoi aujourd'hui nos producteurs, soit historiques (11:23), soit alternatifs n’ont investi que dans du renouvelable intermittent parce qu’il y avait un tarif de rachat (11:28) garanti ;  donc si vous avez besoin d'emprunter de l'argent pour investir dedans, les banques vous disent oui parce que l'état est (11:33) derrière pour rembourser (11:39). Du coup, on en arrive à une situation où on a augmenté la part de production (11:46) d'électricité intermittente. Donc on n'est pas garanti de pouvoir produire (11:52) l'électricité quand on veut ;  on a diminué la part d'électricité pilotable : on a enlevé des centrales nucléaires (11:58), beaucoup en Allemagne et deux en France avec Fessenheim ;  on a retiré les centrales à charbon pour des raisons (12:04) environnementales. Ça coûtait moins cher, en quelque sorte, aux producteurs d'arrêter de faire fonctionner leur (12:09) centrale à charbon plutôt que de s'aligner sur les nouvelles normes environnementales, ce qui d'un point de vue (12:15) réchauffement climatique n'est pas plus mal ; et on a augmenté la capacité de (12:20) production d'électricité en gaz pour compenser l'intermittence du renouvelable. (12:27) C'est pour cela que, aujourd'hui, on en arrive une situation où le prix de l'électricité est ce qu'on appelle « marginal-gaz » c’est à dire alignée (12:32) sur les prix du gaz

VL- Et alors pour le consommateur vers quoi (12:38) on s'oriente ? Quand on regarde un peu la télé et les médias (12:44) le gouvernement se veut rassurant et les instances européennes expliquent qu’elles vont modifier le mode de calcul de (12:50) l'électricité et que, en gros, l'augmentation du prix de (12:56) l'électricité ne sera pas répercuté pour le consommateur. Qu'en est-il ?

MA- Alors peut-être qu'en effet ça va enfin leur (13:03) faire un électrochoc pour leur montrer que leur mode de tarification d'électricité n’est pas correct du tout (13:09).
Je ne sais pas s'ils vont faire ça à temps. En tout cas le fait est le suivant : que le prix (13:15) de l'électricité soit cher ou pas, qu’il y ait un bouclier tarifaire ou pas, ce qui ne va pas se répercuter (13:21) directement sur le consommateur, c'est-à-dire ce que l'on va payer dans notre facture d'électricité, à la fin, ça va se (13:28) répercuter sur le producteur. On a donc aujourd'hui des entreprises qui (13:34) ne peuvent quasiment plus produire parce que le coût de l'énergie est devenu trop cher. Cela va forcément se répercuter (13:40) sur les prix et se répercute déjà sur les prix. En fait, l'augmentation des prix du gaz (13:45) se répercute sur l'électricité. Ils vont essayer d'atténuer les choses pour l'électricité mais sur le reste ils ne le (13:51) font pas. C'est pour ça qu'on a de l'inflation d'ailleurs (13:57) .

VL- Qu'est-ce qu'il faudrait faire à court terme  (14:03) ?
MA- Eh bien, le problème, c'est qu'une centrale électrique ça ne se construit pas en trois mois. Donc à court terme (14:10) pour passer cet hiver on (14:15) n'aura pas forcément suffisamment de capacités de production pour passer cet hiver,  même si on arrive à ré-enclencher toutes nos centrales (14:20) nucléaires.  Il y avait tous les hivers, quand même, des centrales à gaz qui tournaient, surtout en Allemagne. Aujourd'hui comme il n’y a plus de gaz, on (14:26) risque d'avoir des pénuries d'électricité. On ne va donc pas pouvoir satisfaire la consommation. Sur le (14:33) réseau électrique, il y a trois réserves en quelque sorte de puissance donc de (14:38) capacité de production d'électricité qui sont là si jamais il y a un déséquilibre entre production et consommation. (14:46) L'électricité c'est un flux donc il doit toujours y avoir l'équilibre, à tout instant, entre la production (14:51) et la consommation Si, pendant cet hiver, on arrive (14:57) au plafond de notre production d'électricité et que la consommation continue à augmenter notamment à la (15:02) pointe de 19 heures ce qui risque de se passer c'est qu’au début du  déséquilibre (15:08) production/consommation, on va activer ce qu'on appelle la réserve primaire d'électricité. La réserve primaire c'est (15:15) à peu près 3000 mégawatts qui sont disponibles sur la plaque du réseau (15:20) continental européen. On en a 600 mégawatts en France et qui s'activent en 30 secondes (15:27) pour éviter que la chute de fréquence soit trop importante (15:32) en cas de déséquilibre.  Cela ne se caractérisera pas par une coupure d'électricité partout ; c'est justement le blackout qu'on veut éviter ; cela va (15:39) se caractériser par une baisse de la fréquence du réseau électrique qui est à 50 Hertz. Moins de puissance (15:45) dans la prise électrique ne va pas trop se ressentir. Au pire si on (15:56) a de telles baisses de fréquence, c'est notre chargeur enfin notre téléphone qui va se charger plus lentement (16:03). Pour limiter cette baisse de fréquence on active la réserve primaire (16:08). La réserve primaire ne permet pas à la fréquence de revenir à son niveau de 50 Hertz. Pour cela, c'est la réserve secondaire (16:14) qu’on va activer dans le pays où il y a (16:20) le problème. Si ça ne suffit pas on a une réserve qu'on dit tertiaire et (16:32) là ce sont des consommateurs donc, soit des entreprises, soit des particuliers, qui ont souscrit à des contrats spéciaux (16:37) qui fait que leur électricité est moins cher mais quand on a besoin de couper le jus, de gagner en fait de baisser la consommation, on leur coupe le courant. Il y a là une certaine forme de consentement parce que finalement les consommateurs ont souscrits à ce contrat. Mais cet (16:57) hiver là où il y a un gros risque c'est que cette réserve tertiaire ne suffise pas et qu'on doive couper l'électricité à des populations qui ne (17:05) l'ont pas demandé et qu'on fasse des coupures tournantes en quelque sorte : on coupe l'électricité si ça (17:12) ne suffit pas pendant très longtemps, si on a un hiver très rude, on coupe l'électricité 4 heures dans une région puis après on tourne avec quatre (17:18) heures dans une autre, etc etc. C'est le risque de cet hiver (17:25) ;

VL- C'est un risque réel ?
MA-
C’est un risque réel, d'autant plus que l'hiver dernier, nos dirigeants (17:32), notre ministre de l'Environnement  nous disait  à l'époque,  (17:38) : on risque d'avoir des coupures de courant l'hiver dernier. On ne les a pas eues (17:43) et pourtant on n'avait pas de problème d'approvisionnement en gaz cette année ; maintenant on en a et, dans les pays (17:51) européens, sur la plaque du réseau européen, on sert les fesses concrètement. Et on en est (17:58) arrivé à dire à l'Allemagne : on va vous vendre du gaz, et même vous donner du gaz pour que vous puissiez nous produire de (18:04) l'électricité qu'on achètera

VL- Comment cela ?
MA-
  Aujourd'hui on a réussi à avoir nos (18:10) réserves de gaz quasiment au maximum, contrairement à l'hiver dernier d'ailleurs ; mais les Allemands ont une réserve qui (18:18) est sous-dimensionnée par rapport à leur production d'électricité avec du gaz (18:23). Donc on leur a dit : vu qu’on n'a pas beaucoup de centrales à gaz, on va vous donner une gaz (18:29) pour que vous produisiez de l'électricité avec du gaz au moment où (18:34) on en a besoin.

LA SITUATION DU PARC NUCLÉAIRE FRANÇAIS

VL- Alors la situation est (18:41) d'autant plus ubuesque du point, de vue de la France, que nous avons un parc nucléaire qui est conséquent, qui est un des plus grands parcs nucléaires au monde (18:53) par rapport à la population et qu'on a 33 réacteurs nucléaires éteint actuellement c'est-à-dire que quasiment un peu plus de 50% de nos réacteurs sont éteints. Cette situation est difficile à comprendre pour (19:07) l'homme de la rue.
MA- Pour ce qui est des réacteurs nucléaires éteints en fait c'est normal en quelque sorte : tous les étés on a des réacteurs nucléaires qui sont en (19:19) maintenance, parce que, en été, on consomme beaucoup moins d'électricité qu'en hiver : en hiver on consomme à peu entre 70 et 80 gigawatts de puissance électrique (19:30) ; en été on est à peu près à 30 gigawatts. C’est quand même un delta important. Il est donc (19:36), inutile d'avoir des réacteurs qui fonctionnent si finalement il y a personne pour consommer l'électricité. On en profite donc pour planifier des (19:42) maintenances et, cet été, il y avait énormément de ces réacteurs qui étaient prévus d'être en maintenance. Il n’y a donc aucun (19:47) problème. Le supplément qui s'est ajouté et qui fait que on arrive parfois à des niveaux de production d'électricité (19:53) nucléaire historiquement bas c'est qu'on a des réacteurs qui  avaient des problèmes de corrosion sous (19:58) contrainte sur un système de sûreté ; et donc EDF, de son (20:04) propre chef, a décidé d'arrêter les réacteurs où il y avait des risques, qui sont les réacteurs les plus récents d'ailleurs ; ce ne sont (20:10) pas les réacteurs les plus vieux qui sont à risque -enfin qui ont ce problème-là- qu’on a décidé d’arrêter tant qu'on (20:15) était en été, pour vérifier s'il y a des problèmes de (20:21) corrosion sous contraintes sur les autres réacteurs qui sont de la même tranche (20:27) et pour réparer durant l'été avant de les (20:32) redémarrer d'ici cet hiver ; et EDF prévoit, du coup, à partir de septembre jusqu'à décembre, de remonter jusqu'à 56 gigawatts (20:39) de production d'électricité, ce qui est quasiment le maximum parce qu'on a 62 gigawatts installés sur le parc (20:45) français. Et aujourd'hui on en a une trentaine. L’objectif est donc de prévoir une grosse remontée de production de puissance pour que en (20:51) janvier ou mi-janvier, là où généralement on a le pic de consommation d'électricité, on ait quasiment tous nos réacteurs qui (20:56) soient en état de fonctionnement.  Ça c'est ce qui est prévu

VL- Et pourtant on (21:02) a vu des échanges entre le PDG d'EDF qui va partir à la retraite, (21:07) Monsieur Lévy, et Macron dont les échanges ont été un peu tendus (21:13), chacun se renvoyant la balle de la situation du parc nucléaire français. On (21:21) même vu, lors d’une conférence, le PDG d’EDF expliquer que si ils étaient en manque de (21:26) main d'œuvre pour la réparation et la maintenance des centrales nucléaires, c'est parce que il y a eu des décisions (21:33) politiques et qui comptait fermer un certain nombre de centrales nucléaires et qui donc ils l'ont pas embauché. Ce à (21:39) quoi Macron a répondu que les décisions politiques ont été prises pour remettre à flot le parc nucléaire français qu'au (21:44) contraire c'est la faute plutôt d'EDF etc… On a eu cet échange-là en direct (21:51).
MA- Je n’ai pas envie de prendre parti. Mais d'un autre côté, Monsieur Lévy a raison : tout chef (21:59) d'entreprise ne va pas commencer à embaucher des personnes quand on leur promet d'arrêter une trentaine de (22:04) nucléaire d'ici 2050. Et cette décision-là a été prise avant la (22:11) décision récente d'essayer de construire six réacteurs EPR2 et peut-être quatorze (22:17) si on arrive à construire les 6 dans les temps. Donc forcément on ne va pas embaucher des soudeurs, on ne va pas embaucher des (22:24) métallurgistes quand on s'aperçoit qu’on va arrêter des réacteurs nucléaires. Aujourd'hui le problème c'est (22:31) pas qu'on n'est pas en capacité de pouvoir changer ces morceaux de tuyauterie ; c'est qu’on a plusieurs (22:37) réacteurs qui sont en parallèle impactés et qu'on n'a pas la capacité à un (22:43) instant T de pouvoir tous les réparer en même temps. C'est surtout ça le problème (22:49). Et donc, oui, c'est forcément lié avec le fait qu’on a des signaux politiques qui, jusque-là, n'étaient pas forcément en odeur (22:56) de sainteté pour le nucléaire.

VL- Alors là, c'est ça que, moi à titre personnel, je n'arrive pas à comprendre. Comment (23:02), rationnellement, ont-ils pu prendre cette décision de délaisser le parc nucléaire français (23:09) ?
MA- À mon avis ce n'est pas une décision rationnelle ; c'est une décision politique, électoraliste : Hollande a décidé de (23:15) fermer Fessenheim  pour avoir une alliance avec les Verts. Plus tôt, (23:21) dans les années 2000, sous la présidence de Chirac,  on a décidé de fermer le réacteur de (23:30) quatrième génération RNR  (réacteur à neutrons rapides au (23:36) sodium), le super Phénix en Isère. On a décidé de l'arrêter après (23:41) quelques années de fonctionnement parce qu'il y avait une pression des Verts pour les arrêter (23:48) Donc voilà : à chaque fois, ce sont des décisions politiques qui  ne sont pas des décisions stratégiques de long terme (23:53).

VL- Mais comment un parti politique qui est un petit parti politique -les (23:58) Verts ne sont pas non plus un grand parti politique-  comment se fait-il qu'ils puissent avoir autant d'impact sur (24:05) quelque chose de si essentiel que la production d'énergie en France ?
MA- Les verts, ils sont suffisamment gros pour peser (24:13) dans une élection présidentielle si on les a de notre côté. C'est beaucoup mieux de les (24:25) ramener chez soi surtout quand les élections présidentielles s'annoncent un peu tendues. C'est vraiment purement politique comme (24:32) décision. Et aujourd'hui on s'aperçoit que ce n'était peut-être pas une bonne décision pour notre production (24:38) d'électricité. Parce que, pour avoir de l'électricité il faut la produire avec des moyens de production. Ils (24:44) s'en aperçoivent un peu aujourd'hui. J'ai l'impression, quand même, qu’ils retombent les pieds sur terre. Donc j'espère que, sous peu, la loi qui (24:51) prévoit d’arrêter x réacteurs nucléaires d'ici 2050, va sauter parce que c'est réacteurs-là (24:57), contrairement à ce que l'on peut entendre dire d'ailleurs, -c’est-ce que j'entends trop régulièrement-  c'est qu’ils (25:03) ne sont pas trop vieux.

Un réacteur nucléaire n'est pas trop vieux : alors on peut faire un point dessus d'ailleurs ça (25:08) permettra de clarifier les choses.
Dans un réacteur nucléaire tout se change ; tout se change à part deux choses (25:14) : D’abord l'enceinte de confinement en béton qui, puisqu’elle est extérieure, est facilement accessible. On peut donc (25:20) toujours garantir son étanchéité par des réparations, par de la maintenance. Ensuite, la cuve qui contient le combustible (25:27) nucléaire. La seule chose qui ne se change pas et qui paramètre la durée de vie d'une unité (25:33) nucléaire c'est la cuve. Et ce qui fait vieillir cette cuve, ce sont les dommages neutroniques (25:41) qu'elle perçoit à cause des réactions de fission à l'intérieur. Une réaction de fission nucléaire (25:46) va émettre des neutrons qui vont permettre de créer d'autres réactions de fission mais sur les trois neutrons qui (25:52) sont à peu près émis à l'intérieur, il y en  a deux qui ne vont servir à rien et qui vont, soit se faire capturer par un (25:57) autre noyau atomique, soit « fuir » - on appelle ça des fuites dans notre (26:03) milieu et ce n'est pas dangereux- , qui vont juste partir à (26:08) l'extérieur de la zone où il y a du combustible ; et il y a certains de ces noyaux qui vont (26:14) interagir avec des atomes de la cuve. En interagissant avec ces noyaux de la cuve, ils vont les déplacer et la (26:21) structure atomique de la cuve va être dérangée. Au bout d'un certain nombre de déplacements d'atomes (26:28) de cette structure atomique, la cuve est fragilisée. Et puisqu’un (26:34) circuit primaire de réacteurs nucléaire, à l'intérieur de la cuve, est à une très forte pression  de 155 bars (26:40), il faut toujours garantir la tenue sous pression de la cuve (26:48). Donc, à la conception (26:54), nos ingénieurs, avec la répartition du combustible qu'il est prévu de (26:59) mettre à l'intérieur de la cuve peuvent  garantir une tenue de la (27:06) cuve sous la pression d'au moins 40 ans. Mais EDF a bien compris que s’ils arrivaient à optimiser la répartition (27:13) du combustible dans la cuve on allait peut-être réussir à limiter le nombre de neutrons qui pouvaient (27:20) interagir avec la cuve. C’est ce qu'on a fait durant les 40 années d'exploitation des réacteurs les plus vieux. Aujourd'hui (27:25), durant les visites décennales régulières -les visites décennales, c'est un check-up entier du réacteur tous les 10 ans-  on ouvre la cuve, on récupère des éprouvettes et on va regarder quel est l'endommagement des (27:37) éprouvettes. On s'aperçoit alors que, finalement la cuve n’est pas si vieille que ça et qu’elle est moins vieille que ce qu'on avait prévu. Donc on demande (27:44) à l'Autorité de sûreté si on peut fonctionner encore 10 ans. On arrive à justifier scientifiquement que la cuve (27:49) n'aura pas de problème de tenue sous contrainte de pression. Et, du coup, l'Autorité de sûreté dit : oui (27:57), vous vous avez le droit de fonctionner pendant 10 ans. Et aux États-Unis on a des réacteurs identiques qui sont de la même conception qui étaient (28:03) prévus pour fonctionner 40 ans et qui, aujourd'hui, ont l'autorisation pour fonctionner 80 ans parce qu’on a optimisé la gestion du combustible à (28:09) l'intérieur de la cuve. Donc dire que Fessenheim était trop vieux, c'est totalement faux. D'ailleurs, l’ASN (28:15) était contre cet avis là ; et l’ASN disait même que c'était l'un des réacteurs les plus sûrs de notre parc qui avait (28:21) quasiment été en plus rénové à l'intérieur. Donc tout avait été quasiment changé. Donc, Emmanuel Macron (28:28) qui nous a dit que pendant les cinq dernières années pendant les cinq années qui ont suivi la (28:35) décision de Hollande d'arrêter Fessenheim, il n'y a pas eu de maintenance, c'est faux ! Heureusement qu'on continue à faire de la maintenance (28:41) dans un réacteur nucléaire, même si on décide de l’arrêter à une certaine échéance. Heureusement ! De plus il y a (28:47) l'Autorité de Sûreté Nucléaire qui est derrière pour veiller au grain. Donc c'est totalement faux et la (28:52) centrale était quasiment neuve et l'une des plus sûres du parc nucléaire français. D'ailleurs (28:58), contrairement à ce que font nos amis américains (29:05), l'Autorité de sureté nucléaire nous demande à ce que la sûreté soit toujours (29:10) réévaluée dans tous nos réacteurs. Donc, aujourd'hui, les réacteurs de 900 MW de (29:16) Bugey, qui sont les réacteurs les plus vieux de notre parc, doivent être au même niveau de sûreté ou à un niveau (29:22) équivalent en tout cas que l’EPR de Flamanville. On a constamment des réévaluations de (29:30) sûreté et on augmente le niveau de sûreté au fur et à mesure de l'évolution de l'état de l'art. Aux États-Unis, ce n'est pas le cas. Aux (29:36) États-Unis, ils doivent toujours être au niveau de sûreté qui a été décidé à la conception (29:44).

VL- Et je reviens sur la cuve : si cette cuve ne tient pas la pression, il se passe quoi ?
MA- Eh bien ça c'est quelque chose (29:49) qu'on exclut dans nos rapports de sûreté, en fait. Donc on ne va jamais prendre le risque de d'avoir une rupture sous pression de la cuve.

VL- Et, théoriquement il se passerait quoi (30:03) ?
MA- Théoriquement, ce n'est pas bon du tout  Mais il est inutile d'effrayer les personnes, parce que c'est quelque chose que, vraiment,  on ne (30:09) s'autorise absolument pas. S'il y a le moindre risque à ce sujet, l'Autorité de sureté (30:15) nucléaire dira non. Cette (30:21) rupture sous pression de la cuve est vraiment un interdit de sûreté. On ne la justifié même pas, en fait. On ne fait même pas de scénario dans les (30:26) rapports de sûreté qui prennent en compte ce risque,  parce que c'est interdit.  Scientifiquement, dès qu'on a une contre-indication qui va apparaître, ou un doute sur le fait que la cuve ne puisse pas tenir les dizaines (30:38) prochaines années, on arrête le réacteur ! Pour le coup, c'est vraiment un risque nul (30:43)

LES NOUVELLES TECHNOLOGIES NUCLÉAIRES EN FRANCE

VL- Et en ce qui concerne les nouvelles technologies dans le nucléaire où on est la France ? Est-ce (30:49) qu'elle se fait dépasser par les Chinois, les américains ? Ou est-ce qu'on est toujours dans le « game » entre guillemets ? (30:55)
MA- Alors dans les années 80 90 on était très bons. On commençait ; on  (31:00) était l'un des premiers pays à faire des réacteurs de 4e génération donc des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (31:07), avec le Phenix expérimental qui s'est arrêté dans les années 2000-2010, et super Phénix qui s'est arrêté beaucoup (31:12) plus tôt qui était une dimension plus industrielle.  

VL- Quel est l'intérêt technologique (31:20) de ces réacteurs ?
MA- Très bonne question. Beaucoup vous citeront,  comme intérêt technologique  (31:25) le fait de pouvoir réutiliser le combustible (31:32) usé, c'est-à-dire de pouvoir réutiliser les déchets. En fait, c’est relativement à la marge en fait : ce qu'on peut remettre à (31:37) l'intérieur, ce qu'on appelle les actinides mineurs,  représente 10% de déchets qu’on a aujourd'hui (31:44) ! C'est toujours ça de gagné ! Et on peut toujours se débarrasser des 10% des déchets en les réutilisant : ils font de l'énergie. Pourquoi pas mais, mais, pour moi, (31:50) ce n'est pas l'intérêt principal. L'intérêt principal ce n’est pas non plus de pouvoir, exploiter la capacité (31:56) énergétique d’à peu près 1% de l'énergie contenue dans l'uranium naturelle.

Je vais faire un (32:02) petit un petit point sur ça : l'uranium naturel est composé à peu près à 0,7% de l'isotope d'uranium 235 (32:09) qui, lui, est un noyau dit fissile ;  donc il suffit qu'il capture à neutrons pour fissionner. C'est celui qui nous (32:15) intéresse dans la technologie actuelle des réacteurs. Et le reste donc (32:21) 99,3% c'est de l'uranium 238 qui est dit fertile : il faut qu'il y ait (32:26) deux neutrons qu'il capture pour qu'il fissionne ; il va capturer un premier neutron et se transformer en (32:32) plutonium 239 ;  le plutonium 239  va capturer un autre neutron et il va fissionner. Donc c'est plus difficile et la (32:38) probabilité qu'il fissionne est beaucoup plus petite en quelque sorte. L'avantage des réacteurs à neutrons (32:45) rapides c'est qu'on va pouvoir, en quelque sorte, créer du plutonium 239 (32:52 ) à partir d'uranium  238 et remettre ce plutonium 239 à l'intérieur du réacteur.  On va ainsi faire (32:58) des réacteurs qu'on appelle soit ISO soit surgénérateur qui vont pouvoir « produire » entre guillemets plus (33:05) de matière fissile qu'ils n'en consomment et ça nous permet, du coup, théoriquement, (33:12) de pouvoir exploiter l'énergie contenue dans l'uranium 238 qu'aujourd'hui on n’exploite pas. Et donc, au lieu d'avoir  (33:18) à peu près 1%, parce qu'il y a un petit peu d’uranium 238 qui produit de l'énergie dans nos réacteurs actuels (33:24), donc à peu près 1% de l'uranium naturel qu'on utilise pour produire de l'énergie, on pourra théoriquement exploiter 100% (33:30) de la capacité de l'uranium naturel pour produire de l'énergie.  Dès lors, (33:36) si on décidait demain en France de mettre des réacteurs de quatrième (33:41) génération sur notre territoire, on pourrait en théorie satisfaire la (33:47) demande énergétique primaire de la France.  Dans la demande énergétique primaire, je m'explique,  on comprend (33:53) ce qu'on consomme en pétrole, en gaz, en charbon, en hydraulique, en nucléaire, en (33:58) renouvelable, c'est-à-dire toutes les énergies qu'on consomme. On pourrait donc satisfaire cette demande là avec des réacteurs de (34:05) quatrième génération à hauteur de ce qu'elle a été en 2021 donc à peu près 240 mega (34:11), pendant 2000 ans ; et cela,  juste (34:16) avec l'uranium appauvri qu'on a dans nos entrepôts en France, avec les 300.000 (34:23) tonnes d'uranium qui sont la conséquence de l'enrichissement du combustible qu'on a fait depuis les 40 années (34:28) d'exploitation du parc nucléaire français. Donc sans même creuser pendant 2000 ans (34:34).

VL- C'est dingue !
MA-
Oui c'est dingue !

VL- Et pourquoi ? On ne le sait pas ?
MA-
Ah on le sait ! L'Académie des Sciences le dit. Je ne (34:40) sors pas ça de mon chapeau…

VL- Elle le dit mais on l'entend pas !
MA- Alors on l'entend pas et nos politiques n’en ont rien à faire et aujourd'hui ils justifient -pas que (34:48) les politiques, mais aussi ceux qui décident de ne pas faire de 4e génération-  ils  (34:54) justifient ça du fait que l'uranium a un prix suffisamment faible aujourd'hui pour que ce soit pas forcément intéressant ; parce que c'est vrai que (35:01) c'est un réacteur de quatrième génération, c'est une nouvelle technologie donc cela demande beaucoup (35:06) plus d’investissement, beaucoup plus de moyens et il y a beaucoup plus d'incertitudes ; donc, en soi, ça coûterait (35:11) plus cher au début.  Mais j'ai envie de dire que c'est tous ceux qui n'ont pas de vision stratégique de long terme qui disent cela. Si on décidait de faire des réacteurs de 4e génération, on pourrait être la nouvelle Arabie Saoudite du (35:23) nucléaire, avec les réserves d'énergie qu'on a. Et, d'ailleurs -c'est une petite (35:29) anecdote- ce n'est pas pour rien que les Russes, jusqu'à la guerre en tout cas, étaient bien contents de récupérer (35:36) une partie de nos déchets que l'on ne savait pas gérer ! Je m'explique parce que  Greenpeace  a fait beaucoup de (35:42) communication sur cela. Quand on a du combustibles usé qui sort du réacteur (35:47), il va à l’usine de retraitement de La Hague : on va séparer l'uranium qui n'a (35:53) pas été consommé qu’n va réutiliser,  le plutonium qui est une matière valorisable qu'on peut utiliser dans les réacteurs de quatrième génération et (35:59) qu’on va garder. Mais on aimerait bien également pouvoir réutiliser l'uranium qu'on a gardé, le (36:06) ré-enrichir en quelque sorte, pour pouvoir le repasser dans les réacteurs. On appelle cela de l' « uranium de (36:12) retraitement ». On sait, en France, enrichir  un combustible neuf. On (36:18) a tout ce qu'il faut.  Le fait de ré-enrichir, contrairement d'ailleurs à ce qu’a dit Olivier Faure récemment, on a tout ce qu'il faut. Mais on ne sait pas, en France,  ré-enrichir un combustible usé. On les a donc envoyés (36:33) en Russie qui, eux, savent faire et ils sont bien contents, à la fin de ce ré-enrichissement, de pouvoir garder l'uranium appauvri de notre combustible, de le mettre de côté parce que (36:46), pour eux, c'est une réserve énergétique stratégique ;

Et c'est ça qu'on voit sur les photos (36:52) satellites de Greenpeace, c'est de l'uranium appauvri qui n'est pas du tout radioactif. D'ailleurs l'uranium est (36:57) juste du métal et il y a pas de pas de contre-indication à toucher le combustible. Il n'est pas (37:04) dangereux parce que la demi-vie de l'uranium 238 c'est 4 milliards (37:09) d'années. Donc quand c'est 4 milliards d'années c'est dire que la désintégration radioactive elle est suffisamment faible pour qu’elle n'ait (37:16) pas d’impact sur notre santé. En fait même l'uranium 235 qui est à peu près à 700 millions d'années, il n’y a (37:22) pas de problème non plus ! Les russes nous renvoient l'uranium de retraitement et on le (37:28) met dans nos réacteurs et voilà ! Et, eux, en parallèle, augmentent leurs réserves stratégiques d'uranium appauvri parce que (37:34) les Russes, comme les Chinois d'ailleurs, font des réacteurs de 4e génération. Ils ont aujourd'hui un réacteur à (37:41) neutrons rapides refroidis au sodium à échelle industrielle. Les (37:46) Chinois vont faire des réacteurs à sel fondu, identiques de 4e génération ;  ils ont bien compris cet intérêt.

En plus, -et là c'est la cerise sur le gâteau en quelque sorte-  si un pays n'a pas d'uranium sur (38:00) son territoire, il a potentiellement du thorium. Et le thorium, contrairement à ce que j'entends, (38:05) ce n'est pas une révolution ! Le thorium 232 a les mêmes propriétés que l’uranium 288 (38:11) : c'est un noyau fertile qui, après une capture, va donner de l'uranium 233 (38:16) qui est fissile et va pouvoir fissionner sur le même principe sauf que si on n'a pas de réserve d'uranium (38:23) naturel chez soi, on va prendre du thorium qu’il n’est pas nécessaire d'aller chercher ailleurs. Aujourd'hui on estime qu'il y a à peu près deux à trois (38:29) fois plus de thorium sur terre que d'uranium. Cela donne un ordre d'idée (38:35) de la quantité d'énergie encore disponible. Et la crise énergétique (38:42), qu'on va avoir dans les années à venir en France et en Europe, relève juste un manque d'anticipation (38:48) : un manque d'anticipation et une mauvaise vision stratégique parce que l'énergie on en a.

VL- C'est même plus qu'un manque (38:54) d'anticipation. Là c'est on s'est tiré une balle dans le pied
MA-
oui aussi (39:03) ! On se fait hara-kiri avant l’enterrement puisqu’on a décidé de désinvestir et de plutôt miser sur le renouvelable (39:09) intermittent et là vous allez me demander pourquoi (39:15) ?

VL- Bah oui ! C'est la question ! C'est la question à un million quoi !
MA- C'est pour moi  -ça n'engage que moi- mais toute décision (39:21) qui n'est pas motivée par de la rationalité physique en quelque sorte, est motivée par l'argent (39:28). D'accord parce que, aujourd'hui, dans un marché libéral financiarisé, il est beaucoup plus rentable et simple de miser sur du renouvelable, surtout (39:40) s'il est subventionné, parce que c'est quelque chose qui se construit facilement ;  ce sont des petites unités (39:45) de production qui sont réparties, qui peuvent se revendre facilement, qui ne demandent aucune gestion. Ça tourne, quasiment (39:51) sans aucune maintenance. Si le vent tourne, tant mieux ! Le taux de retour sur (39:56) investissement est très rapide, surtout quand il  est subventionné ce qui  garantit une rentabilité fin et (40:02) et leur durée de vie est assez courte : 20 à 25 ans pour une éolienne, alors qu’une centrale nucléaire c'est 60 ou même 80 ans (40:09). Il faut avoir une vision sur un très long terme et ça a un temps de retour sur investissement très long 20 ou 40 (40:15) ans pour certaines. On ne peut pas demander cela à une entreprise privée et pourtant, dans la philosophie de nos libéraux de Bruxelles et de (40:27) France d'ailleurs, tout doit être privatisé.

VL- Donc, effectivement, il est difficile de (40:32) créer un marché de l'énergie nucléaire. C'est difficilement transformable en marché
MA- Et à mon avis la motivation (40:39), aujourd'hui, de faire des petits réacteurs modulaires, des Small modular reactors (SMR) dont on (40:45) entend de plus en plus parler, répond au souci de construire des unités de (40:50) plus petites puissances. Elles pourraient être construite et exploitée (40:56) par des entreprises privées. Il n’y a pas que cela : je ne suis pas contre d'avoir des petits (41:02) réacteurs modulaires ; dans un pays développé comme la France, cela n'a pas (41:08) grand intérêt, à mon avis, même si on va en construire une dizaine ou une vingtaine pour montrer que ça marche. Mais pour moi c'est un intérêt d’en installer,  soit sur des îles, dans des zones où aujourd'hui ils produisent à partir du gaz ou du charbon et ne peuvent pas faire autrement (41:20) et qu'il n'y a pas besoin d'un EPR sur une île. Un petit réacteur de 400 MW suffit ! Soit pour (41:26) remplacer des centrales au charbon dans des pays qui ne sont pas très développés. En effet, plus la puissance d'un réacteur (41:32) nucléaire est faible, plus sa gestion est simple. En plus il peut y avoir ce qu'on appelle une sûreté passive à l'intérieur du système (41:39). Structurellement, on peut faire en sorte que le réacteur soit sûr, sans intervention humaine (41:44), avec de petites puissances.  Pour moi c'est l'intérêt principal. Mais d'un autre côté je sens (41:51) qu'il y a quand même une volonté du privé de s'emparer de ce type de réacteur.

VL- Effectivement les petits réacteurs (41:56) sont plus solubles dans le « capitalisme » entre guillemets.
MA- À mon avis (42:01), oui !

QUELLE SOUVERAINETÉ EN MATIERE D’ÉNERGIE ?

VL- D'accord ! Eh bien,  tout cela est très intéressant ! Et assez (42:07) inquiétant. J'ai une question qui me vient:  quelle serait selon vous le mix (42:13) énergétique qui permettrait à la France d'être souveraine énergétiquement?
MA-  Ca c'est une question très compliquée parce (42:20) qu'il faut d'abord définir ce qu'est la souveraineté énergétique.  Beaucoup de personnes en parlent. Très peu l'ont défini ou ont vraiment une vision de ce que ce peut être. Il faut se (42:31) mettre d'accord sur comment on va différencier une source d'énergie d’une autre.

Aujourd'hui on entend beaucoup parler des émissions de gaz à effet de serre : c'est un moyen de différencier une source d'énergie d’une autre. Le charbon émet énormément plus de gaz à effet de (42:51) serre que le nucléaire ou l'éolien. C'est à peu près 100 fois plus. C’est un premier type de séparation ! Mais, pour moi, (42:56) il n'y a pas que celle-là. Ce n’est que le point de vue climatique.

On peut prendre en compte, également, le niveau des réserves énergétiques (43:03) dont on veut disposer pour ce qu’on appelle pour les énergies dites « de stock », pétrole, gaz, charbon, nucléaire(43:12), uranium… Les énergies renouvelables  sont des énergies « de flux » qui dépendent d'un flux énergétique qu'on (43:18) ne maîtrise pas, ou quasiment pas en ce qui est du vent et du soleil, même si on maitrise l'eau (43:25) à partir d’une capacité de production sur une (43:30) certaine durée et sur un territoire donné. Ça peut être une moyenne séparer de (43:37) ces différents types de ressources.

On peut également retenir un autre moyen, celui de l’impact (43:43) sanitaire des différentes ressources. Contrairement à ce qu'on pense –et c'est un rapport de l'ONU qui l’a dit (43:49) récemment et que j'ai cité dans mon livre- le nucléaire est la source de production (43:55) d'électricité qui a l’impact sanitaire le plus faible (44:30). Cela se comprend assez facilement : Aujourd’hui, quel est l’impact sanitaire de l’histoire du nucléaire ? On parle de Tchernobyl. D’après les rapports de l’UNSCEAR[1], l’équivalent du Giec pour le nucléaire,  qui a compilé de nombreux rapports scientifiques et l’impact de Tchernobyl : l’impact a été d’environ 20 à 30 personnes mortes suite aux rayonnements ionisants pendant les trois mois après l’accident. Ce sont encore une vingtaine de personnes mortes entre 1987 et 2004 pour des (44:35) raisons diverses. On les comptabilise dans les mêmes données, même si on ignore si c'est directement dû au rayonnement ionisant. Concernant tous les (44:42) liquidateurs qui ont participé au nettoyage du réacteur et tous les (44:50) habitants de Prypiat, la ville voisine de Tchernoby, on estime qu'il y a 4000 personnes (44:55) qui ont dû mourir de façon prématurée à cause des rayonnements ionisants. Mais (45:01) c'est une estimation haute, c'est-à-dire qu’on prend en compte ce qu'on appelle une « loi linéaire sans seuil » qui est très (45:06) pénalisante pour les faibles doses reçues. S'il le faut, je peux (45:12) expliquer le système des doses, je le peux. Mais on va beaucoup plus loin là (45:18). Ce serait encore une parenthèse dans la parenthèse en quelque sorte !

Le charbon, quant à lui, a fait à peu près 200 morts par tonne de combustible (45:32) extrait. Avec le charbon, dans les mines de charbon, on a eu des maladies (45:38) pulmonaires qui ont réduit l'espérance de vie. On a aussi  des problèmes de pollution atmosphérique (45:45). On critique énormément les déchets nucléaires en disant qu’il faut faire attention, que c'est dangereux et qu’ils peuvent  tuer, etc… Certes, mais la pollution (45:52) atmosphérique est le déchet de l'utilisation des énergies fossiles aujourd'hui. L'atmosphère est notre poubelle géante ! Les émissions des centrales à charbon allemand,  mais aussi celles du pétrole utilisé par nos voitures causent (46:08) 8,8 millions de morts par an. Ce ne sont pas des morts directs. Ce sont  des (46:14) morts prématurés qu'on ramène à des morts directs par un artifice de calcul. Le sida, c'est un million de morts (46:22) ; le tabac c'est 7 millions de morts aujourd'hui ;  la pollution atmosphérique tue (46:28) tous les jours. Le nucléaire, les déchets nucléaires ne tuent pas et les déchets nucléaires sont gérés. Il n’y aura pas de déchets nucléaires dispersés dans la nature, alors que le CO2 et la position atmosphérique sont émises aujourd'hui tous les jours dans la nature.

VL- Alors en volume, que représentent les déchets (46:47) nucléaires français ?
MA-
Il  faut savoir d'abord ce qu'on entend par déchet ? Quel type de déchet veut-on considérer ? La législation française est très exigeante : tout ce qui passe à (46:58) l'intérieur d'un réacteur nucléaire comme outillage et quand il ressort est considéré comme un déchet alors que (47:04) son impact radiologique est nul et ne pose aucun problème ! Par précaution, on considère que ce sont des déchets (47:10). Donc parmi tous les déchets considérés comme tels -si vous ça vous intéresse vous pouvez aller sur le site de l’Andra qui (47:15) est l'organisme officiel qui s'occupe des déchets nucléaires en France-,  on a 3 % du volume total des déchets (47:23) nucléaires qui contiennent 98,8% de la radioactivité (47:29). Ces 3% là sont les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Ce sont  eux que l'on veut enterrer [à Bure dans la Meuse] dans l’Est de la France (47:48). Leur volume représente à peu près un cube de 37 mètres de côté (47:55) qui concerne le volume de tous les déchets nucléaires des 40 années d'exploitation du nucléaire en France (48:00) ! C'est plus petit que la pyramide du Louvre ! D'accord ? Pour les contenir on les met dans une matrice en verre puis on les entoure  (48:11) d’une enveloppe métallique. Ces « colis de déchets (48:17) nucléaires », comme ils sont appelés, représentent 80% de la masse (48:23) de tous les déchets.  Ces colis (48:28) rapportés au nombre d'habitants en France représentent 5 g par an de déchets (48:34) par personne. C’est l’équivalent,  au bout d'une vie, d’une canette de Coca (48:41) On les gère aujourd'hui et ils ne sont pas saupoudrés dans la nature. La solution retenue consiste à les enterrer à 500 (48:47) mètres sous terre ! Et les gens s’inquiètent ! Je peux le comprendre. Mais ce confinement nous (48:52) garantit en quelque sorte qu’il n’y aura pas de problème de diffusion des particules radioactives, dans des (48:59) nappes phréatiques par exemple, grâce à la couche de terre argileuse qui est les entoure. On peut faire des (49:05) simulations si on supprimait la matrice en verre et l'enveloppe métallique et si on gardait simplement la terre qui entourent les déchets, les particules auraient décru et les déchets ne (49:18) seraient plus radioactifs s’ils contaminaient  les premières nappes phréatiques (49:24).

Contrairement au CO2, les déchets radioactifs ne sont pas (49:30) radioactifs tout le temps, alors que le CO2 une fois qu'il est mis dans l'atmosphère, son taux ne reviendra à son niveau précédent qu’après 10 000 ans.

VL- En matière nucléaire, c'est même le contraire : plus un déchet est fortement radioactif, moins (49:42) longtemps il l’est.
MA-
C’est exact ; et cela se comprend assez facilement parce que, dans une matière (49:48) donnée,  plus les rayonnements ionisants sont émis à l'extérieur, plus  ses particules ionisantes décroissent.

Il est difficile d'expliquer les rayonnements ionisants sans entrer dans le détail : ce qui est (50:08) dangereux avec les rayonnements nucléaires ce n’est pas d'en recevoir. On reçoit tous les jours des (50:14) rayonnements ionisants. Ce sont des rayons gamma, donc des photons, des électrons,  ou des particules un peu (50:19) plus grosses. On en reçoit tous les jours quand on se met au soleil en été. C'est pour cette raison qu’il faut faire attention : (50:25) Les cancers de la peau sont causés par des doses de rayonnement ionisant émis par le soleil. Ce qui est dangereux, c'est (50:30) d'en recevoir trop d'un coup, parce qu’il y aura une grande probabilité qu’ils ne détectent pas les cellules qui vont être affectées par ces (50:41) rayonnements. C’est ce qui fera apparaître des cancers. Le problème de l’impact des rayonnements sur le corps humain a un impact sanitaire  parce qu’ils réduisent l'espérance de vie.

Mais aujourd'hui, autour de Tchernobyl dans la zone exclusion de Tchernobyl, c'est là où on a une des zones avec le (51:00) plus de biodiversité en Europe. Les animaux qui y vivent n’ont pas eu trois têtes 3D ou je ne sais pas quoi. Ils ont (51:06) juste eu leur espérance de vie qui est diminué. Et par le darwinisme, ce sont les animaux qui ont le plus de résistance aux (51:12) rayonnements ionisants qui se sont perpétués et du coup aujourd'hui ils sont en bonne santé. Ce qui (51:17) tue le plus de biodiversité c'est l'être humain ; ce n'est pas le nucléaire (51:22).

J’en reviens à mes rayonnements ionisants : ce qui produit ces rayonnements, c'est la (51:29) décroissance radioactive d'un élément. Un noyau atomique est instable et va tout faire (51:36) pour essayer de revenir dans un état stable. Et pour ce faire, il va se débarrasser de certains éléments qui sont à l'intérieur (51:41) : ça c'est la décroissance radioactive. Plus on va avoir de décroissance radioactives dans un (51:48) échantillon donné, plus le temps de décroissance radioactive de (51:53) cet élément  sera court et va durer encore moins longtemps (51:58). Je suis  vraiment schématique et certains vont hurler en m’entendant dire cela parce que ce n'est pas tout à fait cela.

VL- J’en reviens à ma question (52:10) : quel mix énergétique permettrait à la France d'être souveraine d'énergie ?
MA- J’en finis avec ma grosse parenthèse (52:16) : Un mix énergétique s'ouvre pour la France une fois qu'on a fait ce travail décide de déterminer (52:22) comment différencier les ressources d'énergie les unes (52:27) des autres. Je ne vais pas entrer ici dans  le détail ; vous pouvez retrouver dans mon livre comment définir  ce qu'est la (52:35) souveraineté énergétique. Personnellement,  je la définis comme le fait de garantir un (52:40) approvisionnement énergétique stable, soutenable et le plus commode (52:46) pour l'utilisation d'énergie dont les habitants d'un pays et les (52:52) entreprises ont besoin.

On en arrive à la conclusion que la (52:59) ressource d'énergie qui est la plus respectueuse de la souveraineté énergétique d'un pays  est (53:05) l'hydraulique de barrage, ou fluvial au fil des rivières. C'est quelque chose qui n’est pas forcément très cher, et qui a un (53:16) impact environnemental et sanitaire très faible, même si, en soi, il est plus (53:22) élevé que le nucléaire parce qu’on a, quand même, eu des ruptures de barrages dans le monde et en France qui ont fait (53:27) quelques centaines de morts. Ça fait longtemps que ce n'est pas arrivé et on peut penser qu’aujourd'hui le génie civil est suffisamment performant pour faire en sorte de ne pas avoir de rupture de barrage, même si c'est un risque comme (53:39) pour toutes les énergies. Avec l'hydraulique, il y a une réserve, en soi infinie : (53:46) c'est une énergie renouvelable. Le seul souci est qu'on a une capacité de production limitée sur (53:51) un territoire donné et en France on est quasiment au maximum de la capacité de production hydraulique. On  ne peut pas (53:58) vraiment faire plus. On est à peu près à 6% du mix (54:03) primaire. C’est ce qu'il fallait faire au regard de la souveraineté (54:15) énergétique. Il faut donc aller plus loin.
La deuxième ressource du mix est (54:22) le nucléaire de quatrième génération que j'ai cité tout à l'heure. Pourquoi ? Parce que la réserve est très abondante. Son impact sanitaire est quasiment nus ;  son impact environnemental est aussi (54:33) l'un des meilleurs et le coût de production est (54:38) très faible, voire le plus faible, voire le plus faible pour (54:45) la deuxième ou troisième génération. Pour les réacteurs actuels de la quatrième génération, on ne  sait pas encore,  parce qu'on n’en a pas construit encore beaucoup aujourd'hui, mais ça ne devrait pas (54:53) non plus être extrêmement élevé. Donc la deuxième source du mix est à chercher dans la quatrième génération nucléaire.

Après, vient la troisième (55:00) génération ou la deuxième génération. La  deuxième génération avec les réacteurs actuels et la troisième génération avec l’EPR, la quatrième génération étant,  je (55:06) vous l'ai dit, les réacteurs à neutrons rapides.

Et après, vient à peu (55:11) près à égalité, la biomasse et le renouvelable intermittent éolien (55:17) ou photovoltaïque.

Et enfin, on a tout ce qui est fossile.

La priorité, dans ce pays, ce n'est pas de remplacer du nucléaire (55:24) par de l'éolien ou du photovoltaïque. Ce qu’on a fait jusque-ici, a été de se débarrasser de toutes les énergies (55:29) fossiles parce qu’il y a un aspect environnemental, ça c'est sûr, mais également (55:34), parce qu’on est importateur de pétrole, de gaz, de charbon. (55:40) Contrairement à ce qu'on pense, notre pays n’est pas « tout nucléaire ». Pour notre consommation finale d'énergie le (55:46) nucléaire représente 17%, le pétrole 40% (55:51) de ce qu'on consomme dans nos voitures dans l’essence,  dans les transports etc… Certes l'électricité est produite (55:57) majoritairement par du nucléaire.  Mais comme l'électricité ne représente qu’un quart de l'énergie (56:05) finale que l'on consomme, 70% de nucléaires 70% pour ¼ de la consommation (56:12) représente donc 17% de notre mix énergétique final  en énergie nucléaire. L'objectif (56:18) qu'on doit atteindre d'ici 2050 -et 2050 c'est peut-être un peu trop tôt -c'est de se débarrasser du pétrole, du gaz fossile, et du charbon (56:31) et de les remplacer par de l'électricité, de la chaleur, de l'hydrogène, voire du (56:37) gaz synthétique par combinaison de CO2 et d'hydrogène pour produire du méthane de façon (56:44) synthétique. Et comme on a aujourd'hui toutes les infrastructures pour le transporter et (56:50) pour l'utiliser, dans des voitures par exemple, -ça nécessite un petit peu d'adaptation au niveau des moteurs mais (56:56) beaucoup moins importantes que si on veut passer à des moteurs électriques ou des voitures hydrogène-  on peut se permettre (57:03) cette solution-là,  surtout si on a du nucléaire de façon abondante pour produire de l'électricité. En fait pourquoi se priver (57:11),

VL- Et on en est loin en France ?
MA-
Ah oui ! On en est très loin en France (57:17) Les Chinois vont commencer à faire un réacteur de 4e génération, et l’ont (57:23) quasiment fini. Il va produire du gaz synthétique (57:33) à partir de CO2 pour donner du gaz synthétique. Ils sont (57:38) beaucoup plus visionnaires que nous.

VL- Les chinois sont les plus en avance dans le monde?
MA- Les plus en avance ? Non je ne pense pas

VL- Les (57:45) Américains en sont où dans tout cela ?
MA-
Les Américains relancent un peu leur nucléaire oui, (57:51) parce qu’ils s'aperçoivent que finalement c'est quand même utile. Mais comme ils ont énormément de pétrole et de gaz sous la main (57:58) - ils ont encore pour longtemps du gaz et du pétrole de schiste qui ne sont pas du (58:05) tout bon pour l'environnement.

VL- Donc dans quel pays dans le monde a fait le bon choix de mix énergétique selon vous ? (58:11).  Quel pays dans le monde est le meilleur choix de mix énergétique ?
MA-
La France (58:18), malgré tout. Notre programme nucléaire très ambitieux fait que, dans notre part du mix final (58:26)  d'électricité, voire même du mix primaire, on a la plus grande part de nucléaire et on a exploité le maximum de (58:32) notre capacité hydraulique. Si on compare, la France est un peu chauvine de dire (58:44) cela, car la Norvège et la Suède sont très bons : ils ont énormément de barrages hydrauliques à  leur disposition et leur population est plus faible. Ils ont donc une souveraineté grâce à cet avantage stratégique au niveau de leur territoire.

VL- Il en est de même dans (59:03) les pays qui ont beaucoup de pétrole. En soi ils sont souverains.

MA- Oui,  mais, comme je vous l’ai dit, il n’y a pas (59:08) beaucoup de réserves aujourd'hui le pétrole d'ici la fin du siècle. On a atteint à peu près le pic de production (59:13) du pétrole. Ce sera donc de plus en plus contraignant pour ces pays d'ici la fin du siècle ; ils vont être dans la (59:20) merde ! Concrètement l'Arabie saoudite, le Qatar, seront vraiment dans la merde. C'est pour ça qu'ils ne sont (59:26) pas souverains, pour moi. A l'instant T, ils en profitent, mais le but c'est quand même d'avoir une certaine forme de (59:32) pérennité. D’ailleurs ces pays lorgnent  sur le nucléaire. Les Arabes Unis ont lancé deux réacteurs (59:46) nucléaires récemment de technologie coréenne du Sud. Donc ils se mettent à (59:52) avoir des réacteurs nucléaires. L'Arabie Saoudite veut aussi investir en des réacteurs nucléaires parce qu'elle sent bien que le vent va tourner. (59:58) Ils ne vont pas pouvoir produire leur électricité tout le temps avec du pétrole. Donc ces pays-là commencent à (1:00:03) regarder le nucléaire.

VL- Donc en France on est quand même bien loti mais on est dans une phase descendante.
MA-
En fait on est bien loti (1:00:15) parce qu’on se repose sur un investissement stratégique passé.

VL- On est sur l'inertie de ce qu'on a fait. Qu'est-ce que tout ça préfigure dans l'avenir pour la France ?
MA-
La décision récente de notre président de (1:00:32) relancer le nucléaire en France est contraire à ce vers quoi nous poussent les Allemands. En fait, ils ne veulent pas qu’on ait du nucléaire. Et eux, en tout cas, arrêtent totalement leur nucléaire.

Je dirais (1:00:45) quand même que le bilan français est de meilleur augure qu'il y a 5 ans. On avait une tendance vraiment anti-nucléaire dans le (1:00:51) pays en termes de souveraineté énergétique. Maintenant, à mon avis, il faut revoir les (1:00:57) ambitions à la hausse et il faut vraiment donner des signaux clairs (1:01:03) à nos entreprises. J'ai parlé des contraintes scientifiques, c'est une (1:01:09) chose, mais il faut avoir aussi la capacité industrielle de construire des réacteurs qu'on a perdue en France. On voit, avec l’EPR de (1:01:16) Flamanville : ce n'est pas beau quand même ! Ce n’est pas dû au nucléaire en soi, à la physique, ni même à la conception (1:01:21) du réacteur. C'est juste dû à la gestion de projet : on ne sait plus construire un réacteur nucléaire correctement. On ne sait plus,  au niveau du génie civil, au niveau des soudures, au niveau de la métallurgie, (1:01:35). C'est devenu extrêmement compliqué : on a perdu toutes ces compétences.

VL- Astrid c'était en 2018 ?
MA-
 Mais Astrid c'est un (1:01:41) réacteur qui n'a pas été construit. Astrid n’était qu’un projet sans passer à la (1:01:47) phase industrielle.

VL- Mais super Phénix en 2010 a été construit ?
MA-.
C'était dans les (1:01:52) années 80 qu’il a été construit et a été démantelé en 2010. Il a (1:01:59) été construit durant la période 80-90 pendant qu’on a construit en 10 ans (1:02:07) 46 réacteurs nucléaires dans (1:02:13) les années 80.

VL- Donc les ingénieurs qui les ont construits sont pour beaucoup à la retraite à la retraite ou plus là (1:02:26).
MA-
Donc on a perdu ces compétences et le fait d'envoyer des signaux durant des années et de dire que le nucléaire c'est pas (1:02:33) bien et qu’on va peut-être arrêter des réacteurs, dont celui de Fessenheim.  Dès lors, les nouveaux ingénieurs (1:02:39) ne vont pas dans le nucléaire : dans la finance ça paye mieux. J’aurais  peut-être dû faire cela d'ailleurs (1:02:48).

VL- C'est chaud non ?
MA- Ah oui c'est très chaud et tant qu'on n'aura pas vraiment un état stratège (1:02:54) personne n'investira dans le nucléaire et les privés ne vont pas y investir. Il ne faut pas attendre que ça (1:02:59) vienne soit du privé soit de nos dirigeants actuels dans leur façon de penser. Il faut reprendre les choses (1:03:05) en main.

VL- Il faut qu'on réagisse et même si on réagit maintenant est fortement,  le résultat se fera sentir dans plusieurs (1:03:11) décennies parce que ça se fait pas en un claquement de doigts.
MA- Le programme nucléaire français a été lancé dans les années 60. Les réacteurs ont (1:03:18) commencé à être construire début des années 80 ; en 78 pour Fessenheim !  (1:03:25) Il y a quand même un gap entre temps. Heureusement EDF a anticipé le coup et a tout de même continué dans la conception de l’EPR2, même s'il n'y (1:03:37) avait pas de signal explicite de l'État comme quoi on allait construire. Aujourd'hui, la conception de l’EPR 2 (1:03:42) est quasiment terminée ;  il faut obtenir la validation de l'Autorité (1:03:47) de sûreté mais on a tout de même anticipé. Mais on va avoir (1:03:52) besoin de main d'œuvre,  besoin de jus de cerveau pour vraiment construire nos six réacteurs (1:03:58). Aujourd'hui l'ambition c'est six réacteurs quand même d'ici 2050. C’est trop peu (1:04:04) ! Six réacteurs, et si ça se passe bien, il y a une option pour en construire 14 ! Trop peu 14 ! (1:04:09)

VL- Trop peu ? Il en faut combien ?
MA-
Il faut qu'on électrifie notre mix électrique si on veut se passer de pétrole (1:04:15). Il faut au moins qu'on double notre parc nucléaire. On en a 56 aujourd'hui (1:04:23). Il y a, à peu près, une trentaine réacteurs de 900 MW qui vont être arrêtés d'ici 2050-2060. Donc (1:04:29) il faut qu'on compenser cela (1:04:34) En gros, il va donc falloir en construire 70 ou 80 pendant les 40-50 (1:04:42) prochaines années ; pas pendant 10 ans (1:04:48).

VL- Cela suppose que les Français aussi comprennent (1:04:54) l'enjeu
MA-
Mais à mon avis enfin il y a une distorsion entre les sondages sur l'acceptation sociale du nucléaire et ce qu'on veut bien nous en montrer dans les médias. Aujourd'hui les (1:05:05) français sont majoritairement pour le nucléaire. Ils ont bien compris qu’il y avait très (1:05:11) peu d’impacts sanitaires contrairement à ce qu’on veut leur faire penser. En France il (1:05:17) n’y a jamais eu d'accident majeur. Pourtant si on fait la somme des années d'exploitation de nos 56 réacteurs (1:05:23) depuis leur lancement c’est l’équivalent de centaines d'années d'exploitation. si on fait la somme bout (1:05:29) à bout d'accident. Cela ne veut pas dire qu'il n’y en aura pas (1:05:34) plus tard. En tout cas on fait tout pour qu'il y n’y en ait pas et on étudie les pires scénarios possibles dans les rapports de sûreté, y compris la chute d'avion sur les bâtiments (1:05:47) réacteurs.

VL- Pour conclure est-ce (1:05:52) que vous êtes optimiste (1:05:57) ?
MA-
  Avec ce que je vous ai expliqué, nous avons le moyen de d'éviter des gros (1:06:04) problèmes énergétiques à l'avenir. Donc sur du très long terme, on peut compenser le pétrole (1:06:11), le gaz,  le charbon. Il y aura peut-être des contraintes à accepter sur notre sur nos utilisations d'énergie (1:06:18), sur nos modes de vie, mais sur du très long terme il est possible de ne pas trop en souffrir. Mais pour ce qui est (1:06:24) de notre pays, à court terme ce sera difficile, très difficile parce que il faut (1:06:30) rattraper le manque de réflexion stratégique et d'investissement qui n’ont pas été faits durant les 40 dernières (1:06:36) années et  cela ne va pas se faire en trois jours, ni en trois ans, ni même en 10 ans (1:06:43). Donc les 10 prochaines années voire même voir même les 20 prochaines années vont être (1:06:48) difficiles en termes d'approvisionnement énergétique pour le pays et donc en termes de (1:06:53) satisfaction de nos besoins.

En gros il va falloir qu'on se serre la ceinture (1:06:58)  et cela dépend à quelle échéance on regarde. Sur du très long terme, pour moi, si on réfléchit on a une vision stratégique, si on prend (1:07:06) en compte vraiment les contraintes physiques et qu'on agit en conséquence (1:07:12), il y a de quoi ne pas trop pâtir du fait de se débarrasser des énergies fossiles (1:07:19). À court terme, ça va être compliqué et si on prend en compte la problématique du réchauffement climatique en plus, ce sera douloureux (1:07:27) ; mais tout n'est pas noir. Ce n’est pas parce que c’est douloureux maintenant qu'on ne peut pas faire en sorte que ce ne soit pas pire plus tard (1:07:35)

VL- Merci beaucoup, Maxime Amblard
MA- Merci à vous (1:07:41)


[1] Comité Scientifique des Nations Unies sur les Effets des Rayonnements Ionisants (United Nations · Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation)