Titre : « Tu as couvert ma honte »
Année de parution : 2019
Auteur : Anne Lecu
Éditions : Editions du Cerf
Sous-titre:  
 
CV de l’auteur : (5 février 1915 - 16 mars 2004). Anne Lecu, dominicaine, médecin en prison, compte parmi les voix importantes de la spiritualité chrétienne.
Derniers ouvrages :
"Des Larmes", (Editions du Cerf, sept 2012)
 

Résumé

La honte abîme l’homme, elle le couche à terre. Dieu ne supporte pas la honte que l’homme peut éprouver devant Lui. Loin de le condamner ou de l’accuser, Dieu, au contraire, restaure l’homme qui ne craint pas de se tourner vers Lui. En revêtant Adam d’une tunique de peau après la chute, Il recouvre sa honte. Dieu recouvre en nous ce qui n’est pas à son image, et restaure ainsi notre ressemblance à son image. La tunique dont Dieu nous revêt est peut-être celle que le Christ laisse à l’heure de sa mort, « sans couture, tissée d’une seule pièce à partir du haut », métaphore de Sa miséricorde.

Table des matières

Introduction. 

1-      Au commencement 
   Habiter Dieu
   Une bénédiction
   « Alors leurs yeux s’ouvrirent »

2- « J’ai eu peur car je suis nu et je me suis caché ». 
   Nu ou dénudé ?
   Honte
   Honte et pudeur 
   Honte et connaissance du bien et du mal : une chute de l’esprit 

3- Les tuniques de peau. 
   Adam.
   Rebecca et Jacob 
   La Demeure de Dieu 
   Elie
   Jean le Baptiste

4 – Recouvrir ou découvrir ?. 
   Noé
   Les mots hébreux pour dire la miséricorde et le pardon.
   Le sens du secret : recouvrir 

 

5- Nudités. 
   Moïse.
   David : « c’est pour le Seigneur que je danse ».
   La fiancée du Cantique.
   La nudité de Job.
   Le jeune homme nu puis revêtu de Marc.
   Pierre s’habille pour plonger 6

6- Les tuniques de grand prix.
   Joseph.
   Le grand prêtre et ses vêtements.
   Les vêtements déchirés
   Le Père prodigue

7-Revêtir le Christ 
   La tunique sans couture du Christ  
   Être prêt pour les noces.
   Ces gens vêtus de robe blanche, qui sont-ils ?
   « Vous avez revêtu le Christ »

8- Les œuvres de la miséricorde.
   La discrétion
   Le détachement des œuvres.
   La joie

Pour ne pas conclure. 

 

  

Introduction

A l’heure de sa mort, la tunique du Christ échoie à l’un ou l’autre des soldats. Il nous la laisse… pour chacun… Ce qu’il veut, c’est que nous soyons revêtus de sa vie. … cette tunique sans couture, métaphore de ce que le fond de notre être était lui aussi sans couture, non entamé par la faute, à l’image et ressemblance du créateur (p.9)
Si la nature profonde de Dieu est la miséricorde, cela signifie qu’il « ferme les yeux » sur ce qui nous éloigne de lui. Il recouvre d’un voile, d’un manteau, d’une tunique ce qu’il vaut mieux oublier. Le péché n’intéresse pas Dieu. Son souci… vient de ce que nous nous préoccupons plus du péché que de lui, Dieu (p 10).

 

1-   Au commencement

Habiter Dieu

 

« Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature » (Sg 2, 23)
Voilà la première demeure de l’homme, son premier habitat : l’image et la ressemblance de Dieu. Peut-être que c’est cela l’Eden : non pas un lieu, mais un mode d’être, habiter avec Dieu
L’habit, l’habitat et l’habitus ont même racine… La description d’un vêtement extérieur -l’habit- est aussi la description d’une manière d’être. (p. 14)
Au commencement, Adam, homme et femme, habite Dieu. Il n’y a pas de différence entre sa manière d’être et celle de son créateur (p. 14)… Le récit des origines ne nous raconte pas seulement l’histoire d’un paradis perdu, mais bien davantage ce à quoi nous sommes appelés, tous : habiter avec Dieu, habiter Dieu. (p. 15)

Une bénédiction

Être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est aussi avoir la capacité de bénir… de dire du bien de l’autre…. Quand nous disons à quelqu’un qu’il est beau, il le devient. La bénédiction habille celui qui est béni… (p. 16). Bénir quelqu’un, c’est toujours permettre à l’autre qu’à son tour il bénisse. La parole de bénédiction se multiplie (p. 17)

« Alors leurs yeux s’ouvrirent »

« L’arbre de vie, au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn, 2, 10) ». Il y a donc deux arbres.  Chouraqui appelle le second « l’arbre de la pénétration du bien et du mal » (p. 17).
La pénétration du bien et du mal n’apparaît pas si géniale que cela. Elle permet l’ouverture des yeux, certes, mais sur quoi ? Elle est insatiable et rend nos limites insupportables. L’homme et la femme se cachent… Est-ce pour échapper à la vue de ces limites que l’homme et la femme se cousent eux-mêmes des pagnes ? … La manducation du fruit de l’arbre a produit le désastre du désenchantement ; de nus, l’homme et la femme se sont retrouvés dénudés.
Dieu n’accuse pas, ne maudit ni l’homme, ni la femme, mais seulement le serpent et le sol (p. 20)
En recouvrant de tuniques de peau l’homme et la femme, Dieu recouvre non pas leur nudité, mais leur dénudement, leur honte… afin de leur permettre d’habiter le monde, et ce faisant, il leur offre la possibilité d’inventer un nouvel habitus, un nouveau mode de vie entre eux… La tunique de peau est un don de Dieu pour que l’homme vive et puisse construire des relations avec son entourage. C’est une bénédiction (p. 21)

 

 2- « J’ai eu peur car je suis nu et je me suis caché »

Nu ou dénudé ?

Comment qualifier la nudité d’avant la chute ? (p. 23)
Jean Chrysostome parle d’une gloire qui est comme un vêtement. Adam et Eve, « s’ils possédaient un corps, n’en sentaient pas les limites […]. Comment eussent-ils connu leur nudité puisque la gloire céleste les parait comme d’un superbe vêtement ? [1]»…  (p. 24)
Ce que le serpent a introduit, c’est la honte. Et ce qu’Adam et Eve, tentent de dissimuler tant bien que mal en se cousant des feuilles de figuier, ce n’est pas la nudité mais la honte. Et ce que Dieu recouvre d’une tunique de peau, c’est cette honte-là.  ..  (pp. 25-26)

Honte

Par la honte, je ne peux éprouver la présence de l’autre qu’à travers le sentiment d’être exposé sous ce regard qui me transforme en une chose. Parce qu’il me juge, ou que je crois qu’il me juge, le regard d’autrui me dépossède de ma liberté… Avoir honte, c’est se regarder dans l’autre au lieu de regarder l’autre. (p. 28)

Honte et pudeur

Delphine Horviller exhume une interprétation de la nudité d’Adam et Eve défendue par Philon d’Alexandrie :… Dans l’état édénique, l’homme était dépourvu de peau, non séparé du monde, transparent à son prochain (pp. 29-30) :

La chute correspondrait donc… à la fin d’un état lumineux et translucide auquel fait place une entrée dans le monde de l’obscurci. Nous passons du monde de la transparence au monde du recouvert […] L’homme sait qu’il est nu et que le regard de l’autre peut se poser sur lui. Ainsi naît le besoin de se couvrir. Quand on est transparent, nul besoin de se cacher. C’est lorsqu’on cesse de l’être qu’on se sent trop nu pour rester à découvert[2].

La ressemblance de l’homme avec son Dieu existe dès l’origine, et si l’homme vient à l’oublier, elle ne disparaît pas pour autant. Elle est simplement recouverte. (p. 30) ; A l’origine, il y a un homme, une femme, un jardin et un serpent. A l’heure du mystère pascal, on retrouve un homme, une femme, un jardin, mais plus de serpent. Et l’Apocalypse met en scène non plus un jardin, mais une ville, avec des arbres de vie, des hommes et des femmes innombrables, débarrassés du serpent accusateur qui avait grossi et était devenu un dragon. A l’origine, Dieu donne une tunique de peau pour habiller sa créature. A l’heure de la croix, le Fils de Dieu laisse sa tunique aux siens. Et l’Apocalypse met en scène une foule d’innombrable vêtue de robes blanches. (p. 31)
La bénédiction, c’est d’être protégé par Dieu de la honte dans le don qu’il nous fait de notre peau. Si je ne suis plus poreux à l’autre, s’il devient un mystère pour moi, cela provoque le désir de le rencontrer… (p. 31)

Qu’est-ce que la pudeur ? A la différence de la honte, la pudeur est une façon d’être… Le pudibond a honte de lui-même, craint toujours de surprendre dans le regard d’autrui une accusation. L’impudique, qui n’a jamais honte de rien, peut-être tout autant aliéné. Entre les deux, le pudique accepte le voile qui est déposé sur sa vie et la protège des voyeurs ; il n’aime pas la transparence et préfère tenir à distance le regard d’autrui, pour protéger le mystère qu’il est pour les autres et pour lui-même. Il cultive vertueusement la discrétion et une certaine bienheureuse opacité… (p 32)
Couvrir Adam d’une tunique, c’est déjà de la part de Dieu, faire confiance en sa capacité de creuser son intériorité… Peut-être que c’est la condition pour sortir de l’Eden, un Eden qu’ils emmènent désormais en eux ? … (p 32)

Honte et connaissance du bien et du mal : une chute de l’esprit

Quel rapport entre la honte et la connaissance du bien et du mal ? Pourquoi ce fruit était-il défendu ? (p. 33).
Pour les pères de l’Eglise comme Basile, l’arbre de la connaissance du bien et du mal ne produit pas une chute de la chair, mais une chute de l’esprit. L’homme en vient à être attiré « vers l’activité qui vise à combler les manques », et, du coup, « il se détourne de l’attention portée à Dieu[3] ». (p.33)
Il n’y a de connaissance que de quelqu’un et non de quelquechose. Ce n’est que dans la connaissance de quelqu’un que je peux connaître les choses. (p. 34)

Il y a trois dommages à l’assimilation du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal :

  • Le 1er est de croire que l’on peut, techniquement, tout connaître, autrement dit connaître sans aimer
  • Le 2ème est de remplacer le croire par le voir
  • Le 3ème est de croire que l’on peut juger de tout et notamment juger du bien et du mal (p. 35)

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer nous met en garde contre le 3ème dommage :

« A l’origine, l’homme ne connait qu’une chose : Dieu. Il ne connaît son semblable, le monde et lui-même que dans l’unité de sa connaissance de Dieu ; il connait tout en Dieu seulement et Dieu en toute chose […] La connaissance du bien et du mal est donc le divorce d’avec Dieu ; L’homme ne peut connaître le bien et le mal que contre Dieu[4] »

La connaissance du bien et du mal, en ce qu’elle est dissociée de la connaissance qu’est l’amour, nous emmène « au pied du mur de la haine » (p.39)
Au triple dommage de la fascination pour la pénétration du bien et du mal (réduire l’autre à un objet, humilier la parole, juger et accuser), vient se substituer un triple remède, une triple bénédiction : fermer les yeux sur le passé, réhabiliter la parole, recevoir l’autre comme un sujet, comme un mystère, commencement (p. 40)

 

3- Les tuniques de peau

La tunique dont Dieu habille Adam et Eve est faite de peau, à la différence de celle du Christ qui sera une tunique de lin. (p. 41)

Adam

Il a donc fallu qu’un animal meure et se sacrifie pour l’homme ; Le Midrash Rabba voit une peau d’agneau (p. 42)
Recouvrir l’homme et la femme de peaux de bête, c’est aussi dire que leur peau n’est pas une peau de bête, et qu’Adam et Eve ne sont pas des bêtes. A la différence de l’animal, l’homme a une intériorité, une intimité qui a besoin de protection. Dieu a mis à l’abri le lieu de l’intime, le mystère de l’homme. … En les couvrant de peaux, Dieu permet à l’homme et à la femme de vivre sans crainte dans la lumière (p. 42)

Rebecca et Jacob

Au sein de la famille d’Isaac et de Rebecca, … le premier jumeau de Rebecca est recouvert d’un manteau de poil.. ; au point qu’on l’appelle Esaü, « le poilu ».
Isaac veut bénir son fils aîné, mais Rebecca couvre Jacob d’une peau de chevreau pour le faire passer pour Esaü (Gn 27, 15-16). (p. 44)
S’il n’est pas question de honte dans cette histoire, il est question du mépris qu’éprouve Jacob pour Esaü qui n’avait que faire de son droit d’aînesse. Le mépris est une sorte de honte à l’envers. La honte, c’est se regarder dans l’autre et croire y trouver du mépris. (p. 45) 

La Demeure de Dieu

La tente, la demeure du Seigneur est revêtue de bandes en poil de chèvre et de peaux de bélier peintes en rouge (Ex 26, 7-14) (p. 47)
Dieu va choisir d’habiter une maison faite de peau de bête comme pour indiquer cette peau qui est la nôtre et dans laquelle il viendra faire sa maison (p. 48)

Elie

Il est décrit comme « un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins » (2R 1,8). Elie est le nouvel Adam, non un Adam qui se cache, mais qui marche vers la montagne de Dieu. Elie est un Adam qui se sert de sa toison de peau pour s’envelopper le visage afin de ne pas ouvrir les yeux sur son Dieu… Elie est déjà la guérison d’Adam. Il renonce à la convoitise des yeux (p. 50)

Jean le Baptiste

Dans le Nouveau Testament, il n’y a que Jean Baptiste à être vêtu de peau… Quand le Christ a revêtu notre chair, il n’y a plus besoin de peau de bête pour recouvrir la honte, tout simplement car il n’y a plus de honte pour qui regarde vers lui (p. 51)
Jean-Baptiste est un Adam qui n’a plus besoin de se cacher, car, désormais, c’est son Dieu qui vient à lui. Le cuir protégeait. Devant le Christ, nous sommes sans protection. Il est notre protection (p. 52)

 

4 – Recouvrir ou découvrir ?

Noé

Dieu demande à Noé d’enduire l’arche, à l’intérieur et à l’extérieur. Le mot enduire a la racine hébraïque KPPR (Kippour) compris comme recouvrement des fautes. Noé, mis à l’abri dans l’arche, est recouvert par le grand pardon de Dieu (p. 53).
Une fois sorti de l’arche, « Noé but du vin, fut enivré et se dénuda à l’intérieur de la tente. Cham vit la nudité de son père. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père. .. Ils ne virent pas la nudité de leur père » (Gn 9, 20-26).
Noé se retrouve nu, non après avoir mangé un fruit interdit, mais un fruit qui fait perdre la tête.
Dans la bible, voir la nudité de son père s’apparente à l’inceste. Dieu avait couvert la nudité d’Adam. Cette fois, ce sont les fils de Noé qui tiennent ce rôle. (p. 54)
La faute de Cham est d’avoir découvert la nudité de son père (p. 55)
La miséricorde c’est couvrir la faute, fermer les yeux afin de ne pas juger…. Dieu ne recouvre pas ma nudité, mais recouvre ma faute (p. 56)

Les mots hébreux pour dire la miséricorde et le pardon

La miséricorde de Dieu, c’est d’abord sa fidélité (hèsèd)… Ensuite, c’est le saisissement de ses entrailles (rehem) ; toute la profondeur de la tendresse de Dieu est manifestée dans cette expression très féminine. Le dernier mot est repentance de Dieu (néhama) (p. 57) ; la repentance de Dieu, c’est la consolation de l’homme. (p. 58). Il faut aller jusqu’à entendre que Dieu souffre le mal qu’il avait résolu de leur faire (p. 59).
Le pardon (kappara), c’est se laisser recouvrir par Dieu (p. 61) 

Le sens du secret : recouvrir

Il y a un voile nécessaire à la manifestation de la vérité. Or, de nos jours, on pense le secret comme quelque chose qui empêche la vérité de se manifester et qui doit être dévoilé… Or le secret n’est pas une connaissance objective des faits. … La vérité n’est pas l’exactitude. (p. 62)… La vérité, c’est couvrir la nudité de l’autre homme, et le mensonge, c’est la dévoiler…. La vérité, ce n’est pas l’aveu.  Le secret, c’est ne pas lever le voile sur ce qui se donne à découvert. Jeter un voile sur ce qui se donne à découvert. Jeter un voile sur la honte pour protéger l’innocence de celui qui pourrait être abîmé par la honte si elle venait à être « à nu ». (p. 63)
Le secret va jusqu’à garder par-devers soi ce que l’on a compris, (ou mal compris), jusqu’à fermer les yeux sur ce que l’on n’a pas à voir et même sur ce que l’on a pensé. Cette démarche est quasiment initiatique : on n’y entre que progressivement, et, en même temps que l’on y entre, grandit une certaine réserve qui évite de bavarder sur l’inconnaissable. (p. 64)
Pourquoi ne pas voir dans la tunique de peau d’Adam, la marque du pardon de Dieu, pour, dès l’origine, voiler la honte d’Adam, pour ne plus y penser, pour l’oublier, en la recouvrant de la peau d’un animal innocent par excellence, un agneau (p. 67).

 

5- Nudités

Moïse

Lorsqu’il rencontre Dieu, Moïse se couvre le visage (Ex 3,6)… Mais ce Dieu qu’il découvre va lui apprendre à lui parler progressivement face à face (p. 70). Alors, Moïse n’aura plus besoin de voir la trre promise car il a vu la face de Dieu (p. 74)

David : « c’est pour le Seigneur que je danse »

Nommé roi, David emmena l’Arche du Seigneur chez son cousin Obed-Edom pendant trois mois. Toute ressemblance avec la Vierge Marie, nommée elle aussi « Arche du Seigneur » ne serait pas fortuite. Puis au bout de trois mois, David va la retrouver chez son cousin pour la faire monter à la Cité de David[5]… David dansait en tournoyant de toutes ses forces devant le Seigneur, il avait ceint un pagne de lin… La fille de Saül, Mikal, le méprisa dans son cœur (2S 6, 14-16).
On retrouve le couple mépris-nudité, mépris de Mikal dans sa manière de juger du bien et du mal (p.77).
David, jamais vêtu de peau de bête, à la tunique toujours intacte, dessine déjà le portrait de Jésus Christ. (p. 79) 

La fiancée du Cantique

« J’ai ôté ma tunique, comment la remettrais-je ? » (Ct 5,3) ; à l’image du nouveau baptisé, la fiancée quitte définitivement sa tunique de peau (p 79)

La nudité de Job

Job, nu, revendique devant Dieu et ses amis, ne pas avoir honte de ce qui lui arrive (p. 83)

Le jeune homme nu puis revêtu de Marc

« Un jeune homme le suivait n’ayant pour tout vêtement qu’un drap, et on le saisit ; mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14, 51-52)
Ce jeune homme, c’est nous, Adam après la chute et avant la tunique de peau. (p. 86) 

Pierre s’habille pour plonger

Ce n’est pas une tunique de peau. C’est un vêtement de vie qui engloutit ce qui est mortel. Pierre a revêtu le Christ. (p. 88)

 

6- Les tuniques de grand prix

Joseph

Lorsque Joseph arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique ornée qu’il portait » (Gn 37, 23). Ils le jettent dans une citerne, et, entre temps, pendant l’absence de Ruben, Joseph est vendu. « Lorsque Ruben retourna à la citerne, voilà que Joseph n’y était plus. Il déchira ses vêtements. Les frères de Joseph envoie sa tunique après l’avoir maculée de sang, à son père Jacob. Lui aussi déchira son vêtement.
Dans cette histoire, tout le monde déchire son vêtement, sauf Joseph, figure du Messie.
Cette intégrité est porteuse d’une promesse. Le tissu familial est en miette, mais cette tunique entière attend la reconstitution de l’unité, la réconciliation définitive, le pardon inimaginable. La parole a été mise en pièce par la jalousie des frères. En quoi l’amour particulier du père Jacob pour Joseph diminuait-il l’amour qu’il avait pour ses autres fils ? Faudrait-il donc mesurer l’amour pour ensuite se faire juge de la quantité d’amour que la vie réclame ? (p. 92)
… Ils ne savent pas ce que préférer veut dire pour Dieu ; Préférer c’est aimer chacun d’un amour unique qui ne peut pas exister de la même façon pour quelqu’un d’autre.
Or, mesurer la taille d’un homme est en régime biblique un péché…
Quand ce désir de connaître et de contrôler est séparé de l’amour du frère, il naît un doute… De ce doute naissent le ressentiment, la violence et la honte. Celle-ci a une dimension auto-réalisatrice : la preuve que je ne suis pas à la hauteur, c’est la faute que je viens de commettre. Et une fois qu’elle est là, la honte déclenche les fautes et les catastrophes suivantes (p. 93).

Le grand prêtre et ses vêtements

Opposition intéressante : la tente-temple elle-même est recouverte de peaux de bêtes et la tunique du grand prêtre est tissée de lin (Ex 28, 39-40) (p. 94). Et les habits de peau et de lin ne se retrouvent pas au même endroit. A l’intérieur du sanctuaire, habit de lin. A l’extérieur, habits de peau (Ez 44 17-23). Et le texte précise qu’il en va de la distinction du pur et de l’impur. (p. 96)

Les vêtements déchirés

Dans l’Ancien Testament, c’est toujours quand la relation est mise en pièce que les vêtements sont déchirés, dans le deuil, la douleur ou la honte

Le Père prodigue

Le père dit à ses serviteurs : Vite apportez la plus belle robe et l’en revêtez (Lc 15, 22-24) (p. 102). Ce dont le père prodigue revêt le fils perdu et retrouvé, c’est de la tunique laissée par le Jésus crucifié qui vient non seulement cacher la honte, mais l’effacer, la dissoudre. (p. 103)

 

7-Revêtir le Christ

La tunique sans couture du Christ

Cette tunique est tissée d’une seule pièce parce que le Christ est entièrement uni à son Père. Il est le nom de notre unité intérieure (p. 105)

Être prêt pour les noces

« Comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? L’autre resta muet » (Mt 22, 11-14).  (p 109). Si notre innocence a été tissée par l’amour du Créateur pour sa créature, elle est né de sa parole : « Faisons l’homme à notre image ». Il n’est pas possible d’être muet si Dieu est le Verbe. N’est muet que le néant… Seul l’accusateur est muet. Et il est jeté dehors (p. 110)

Ces gens vêtus de robe blanche, qui sont-ils ?

Le jardin d’Eden est transformé en ville… ville qui est faite de nos œuvres, de celles qui, passées par le feu, auront tenu bon. Il n’y a plus d’arbre de la connaissance. L’arbre de vie transformé en croix. Plus de tunique de peaux, mais des robes blanches. Il n’y a plus de Saint des saints, si ce n’est l’homme en qui Dieu est venu faire sa maison (p. 111)

« Vous avez revêtu le Christ »

Désormais, la tunique que Jésus-Christ nous laisse ne vient plus rien recouvrir que le nom secret que Dieu nous a donné, cette manière de vivre et d’aimer irremplaçable et singulière qui fait qu’aucune vie n’est vaine. Revêtir le Christ, c’est vivre dans cette confiance-là (p. 116)

 

8- Les œuvres de la miséricorde

La discrétion

La discrétion nous apprend à fermer les yeux sur ce que nous n’avons pas à connaître. (p. 121)
Maître Eckhart insiste sur la nécessité du secret (p. 122) :

« Le siège de l’amour est exclusivement dans la volonté ; plus on a de volonté, plus on a d’amour. Quant à savoir qui en a le plus, personne ne pénètre dans la conscience d’autrui ; le secret en est caché dans notre âme parce que Dieu, lui aussi, est caché dans le fond de notre âme »[6]

La discrétion nous aide à rassembler notre être, à le recueillir (p. 122). Cette discrétion sur soi invite à ne pas s’étonner des difficultés des autres, à ne pas les juger en fonction de ce qui se voit. Elle est une forme de détachement. Elle aide celui qui s’y essaie à se détacher non seulement de lui-même, des images de Dieu qu’il s’est construites, des formes de la vie spirituelle (p. 123)

Le détachement des œuvres

Laisser Dieu juger de nos vies et ne pas nous fatiguer à le faire à sa place (p. 123)
Nos œuvres, au fond, ne nous appartiennent pas, comme un cadeau ne nous appartient plus. Elles grandiront ou non, porteront du fruit, ou pas, mais la seule chose qui nous est demandée est de ne pas en juger, et de nous présenter chaque jour et peut-être au dernier jour, avec toutes nos œuvres devant Dieu, sans crainte… Paul prend, pour décrire cela, l’image du feu. Si l’œuvre est consumée, elle sera perdue, mais l’ouvrier sera sauvé « comme à travers le feu ». Même si nos œuvres sont reconnues irrécupérables, nous sommes sauvés, puisque nous sommes la maison de Dieu, son temple ! (p. 125)

La joie

La dernière œuvre de la miséricorde, c’est la joie (p. 126)

 

Pour ne pas conclure

Le Christ se fait l’un de nous pour que nous puissions enfin croire que nous lui ressemblons.  (p. 133)

 


[1] Jean Chrysostome, Commentaire sur la Genèse, 16, Perpignan, Ed. Artège, 2013, p.78

[2] Delphine Horviller, En tenue d’Eve, Paris, Grasset, 2013, p. 71

[3] Voir l’analyse de G. Agamben sur cette question dans « Nudités » p. 116-117

[4] Dietrich Bonhoeffer, Ethique, Genève, Labor et Fides, 1949, p.1

[5] David danse devant l’Arche, comme l’enfant d’Elisabeth dansera dans son ventre lorsque Marie viendra passer trois mois chez sa cousine. Ce motif qui compare Marie à l’arche d’Alliance préside aux vitraux de Martial Raysse et de Jean-Dominique Fleury qui se répondent dans l’Eglise ND de l’Arche d’Alliance à Paris 15°

[6] Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart (vers 1260 — 28 janvier 1328), Traités et sermons, (Entretiens spirituels X, p. 91)- Théologien dominicain à Cologne puis à Paris