"Fuyez, on vous suivra;
Suivez, on vous suivra"
(Aristophane : "Les grenouilles")

La Coalition pour un capitalisme inclusif a été fondé en 2014 par Lynn Forester de Rothschild. Ses membres déclarent prendre « Les membres du Conseil prennent des engagements concrets alignés sur les piliers de l'International Business Council du Forum économique mondial pour la création de valeur durable – les personnes, la planète, les principes de gouvernance et la prospérité – et qui font progresser les objectifs de développement durable des Nations Unies . »[1] Ses membres dirigent des entreprises représentant plus de 10 500 milliards de dollars d’actifs.

Le 11 novembre 2019, le pape François a rencontré cette coalition et, le 8 décembre 2020, la coalition a lancé un partenariat avec le Vatican sous le nom de « Conseil pour un capitalisme inclusif ».

Thomas Storck a publié une chronique se demandant : « mascarade ou substance ? ».  Comment répondre à une telle question ?

D'où vient cette expression de "Croissance inclusive"? Qui sont les nouveaux "gardiens" du capitalisme inclusif?

Analyse : les2ailes.com

  1. L’expression « croissance inclusive »

L’expression « croissance inclusive » date des années 2000. Des économistes tels que  Kraay  s’interrogeaient en 2004 : « Quand la croissance est-elle favorable aux pauvres ? »
L’idée est généreuse : Pour que la croissance soit durable et efficace dans la réduction de la pauvreté, elle doit être inclusive. Les milieux plus francophones parlent plutôt de « Croissance partagée »

L’économie inclusive est un terme aujourd’hui omniprésent des politiques de développement nationales et internationales. Dans un premier temps, la principale caractéristique de l’économie inclusive, a trouvé sa force mais aussi sa faiblesse. Mais rapidement, il est devenu difficile d’appliquer ce concept tant il est devenu évolutif et adaptable aux divers contextes socio-économiques.
Rapidement, il est devenu le soutien de toutes les formes de minorités sociales et non plus seulement économiques. Ainsi l’Institut International du Développement Durable (IISD) voit dans « l’égalité de genre comme une formule pour accélérer la mise en œuvre du programme de développement durable, y compris dans l'accès aux ressources naturelles et leur contrôle ».
Plus récemment, les entreprises ont commencé à utiliser indifféremment, le vocable de politique inclusive avec celui d’intégration des diverses formes de diversité (LGBT). C'est d'ailleurs ce qui a conduit le président de la conférence épiscopale polonaise à déclarer en novembre 2023 que les appels fréquents à une Église « inclusive » étaient problématiques parce que cette approche « implique une acceptation de la façon dont une personne se définit, comme si se définir était en conformité évidente avec la réalité ».

2. Les membres du Conseil pour un capitalisme inclusif

Il ne faut pas s’étonner que plus de la moitié des membres soient actifs à Davos dans la mesure où ils sont "alignés avec le Forum économique mondial"

La plupart considèrent que la lutte pour le réchauffement climatique est essentielle à un capitalisme inclusif. Ce n’est pas non plus étonnant, dans la mesure où ils font des ODD de l’ONU, une référence d’action.

Les membres sont qualifiés de « gardiens » :

  • Ajay Banga, président de la Banque mondialedepuis le 2 juin 2023 , ex PDG de MasterCard avec une rémunération évaluée en 2020 à 27.77 M$ et membre de la Commission trilatérale
  • Oliver Bäte, Chairman de Allianz SE, membre du groupe européen de la Commission trilatérale. Il déclare que "C'est un énorme défi que de créer de la prospérité pour une population croissante, tout en essayant de lutter contre le changement climatique ».
  • Edward D. Breen, Chairman de DuPont
  • Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, co-présidente de la 48eréunion annuelle, à Davos en 2018. Pour lui, « régénérer une économie inclusive grâce à des plans de relance et de résilience avec des emplois et des emplois respectueux du climat en 2021 est impératif. »
  • Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre, Conseiller de la Fondation du Forum économique mondial de Davos. Il dénonce « la tragédie des horizons » qui voit le monde financier s'aveugler face au réchauffement climatique ». Il est envoyé spécial de l’ONU pour l’Action Climatique et la Finance.
  • Carmine Di Sibio, PDG mondial d' EY(Ernst & Youn), Intervenant à Davos en 2021. Il déclarer : « Les impacts combinés du changement climatique, du COVID-19 et de l'inégalité économique économiques contribuent à l'urgence pour les entreprises de donner la priorité aux besoins des personnes et de la planète et à la création d'une prospérité économique généralisée »
  • Roger Ferguson, Ancien gouverneur de la Réserve fédérale à Washington, et ancien conseiller économique du président Obama
  • Lynn Forester de Rothschild, épouse de Sir Evelyn de Rothschild, membre du groupe Bildeberg
  • Kenneth Frazier, PDG de Merck, participant à Davos en 2016 : « 
  • Marcie Frost, CEO de CalPERS, fonds de pension californien : « nous devons intégrer dans notre stratégie d'investissement des questions telles que le changement climatique, la diversité et l'inclusion »
  • Alex Gorsky, Chairman de Johnson and Johnson,
  • Angel Gurría, secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques(OCDE), promoteur du libéralisme économique, il est notamment très apprécié comme membre du conseil d'administration du Forum économique mondial : « Nous devons ouvrir la voie à un avenir fort et inclusif qui préserve notre planète »
  • Alfred Francis Kelly, Chairman de Visa Inc. Contributeur à l'agenda | Forum économique mondial de Davos de 2023
  • Bernard Looney, Chief Executive Officer de BP, Participant à Davos en 2023
  • Fiona Ma, California State Treasurer : « C'est au cours de cette décennie que nous devons … arrêter le changement climatique et améliorer la vie des gens »
  • Brian Moynihan, Chairman de la Bank of America, Intervenant à Davos en 2023
  • Hiro Mizuno, Ancien directeur des investissements du Fonds d'investissement des pensions du gouvernementjaponais (GPIF), le plus grand propriétaire d'actifs au monde.
  • Ronald P. O’Hanley, Président de State Street Corporation, impliqué dans les « efforts de l'industrie en matière de climat, de gouvernance d'entreprise, ainsi que de diversité et d'inclusion et sur l'égalité des sexes » ;  Contributeur à l'agenda | Forum économique mondial de Davos
  • Darren Walker, Président de la Ford Foundation, Contributeur du Forum économique mondial de Davos du 27.1.2021 sur le thème « Comment sauver la planète »
  • Mark Weinberger, Ancien Président de EY (Ernst and Yung), Contributeur à l'agenda | Forum économique mondial de Davos. Il se fixe comme « objectif de faire progresser la diversité et l’inclusion »

 3. Mascarade ou réalisme ?

Les réactions à cette annonce ont été variées. Certains y voient la continuation de l'intérêt de longue date de l'Église pour la promotion d'une économie plus juste. D'autres, plus extrémistes, y voient une conspiration de la part de ceux qui détiennent l'influence sur l'économie mondiale pour faire évoluer la doctrine du Vatican, en particulier en matière environnementale.

D’autres y voient la crainte souvent exprimée à Davos que le capitalisme soit totalement rejeté par des peuples s’estimant asservis. Il y aurait donc un vif intérêt à ce que les dirigeants les plus puissants obtiennent une forme de caution morale du Pape. C’est ce qui ressort d’un article paru en 2014 dans le journal anglais The Guardian, le Conseil est en réalité le résultat d'une réunion à Londres « organisée par la City of London Corporation et la société d'investissement EL Rothschild » en mai 2014. Il s’agissait du « fruit de la Henry Jackson Society, un groupe de réflexion britannique peu connu mais influent ». Selon cette source, son objectif a toujours été essentiellement cosmétique. Craignant qu'il y ait un tel "dégoût du public à l'égard du système, il y avait un danger très réel que les politiciens cherchent à remédier à la situation en légiférant sur le capitalisme pour mettre fin aux affaires", les dirigeants de la finance et des affaires internationales ont ressenti le besoin de prendre des mesures pour changer la perception du public du capitalisme international.
Selon cette interprétation, l'ensemble de l'effort n'est donc guère plus qu'un stratagème de relations publiques visant à rendre les gens moins susceptibles de se mettre en colère à cause de leur chômage ou de leur pauvreté.

Thomas Storck[2], sur son site « Inside the Vatican », reconnait que « la plupart des propositions spécifiques formulées dans ce cadre sont certainement celles qu'un catholique peut soutenir … Mais d'autres actions proposées sont peut-être sujettes à prudence ». Certains ne sont que de simples « discours d'entreprise » insipides… Mais ce qui est plus grave, c'est que bon nombre de ces engagements devraient accroître la diversité dans le « genre » et dans d'autres catégories ». 
« Compte tenu de l'utilisation fluide et politiquement correcte de nombreux termes de ce type aujourd'hui, il est impossible de savoir ce qui sera réellement mis en œuvre et s'ils sont bons, mauvais, neutres ou simplement idiots », ajoute Thomas Storck.

Il se peut cependant que le Vatican ne soit pas totalement d'accord avec tout cela, mais estime que toute action, même imparfaite, de la part de l'élite financière en faveur d'une économie plus éthique devrait être encouragée. C’est cette ambiguïté qui ressort d’une interview du cardinal Turkson par le journaliste Edward Pentin le 10 février 2020 : « lorsque nous engageons une conversation avec ces groupes, ce n’est pas pour leur parler de religion ; et si nous faisons cela, cela prend la forme de l'enseignement social de l'Église, où déjà la foi est entrée en dialogue avec la raison et les différentes sciences naturelles et a formulé des principes communs de base : la dignité humaine, le bien commun et tout le reste. … ».

Le journaliste interrogea le Cardinal Turkson : « Les critiques du capitalisme inclusif et de l’initiative « Great Reset » du WEF affirment qu’ils sont dirigés par des « forces du monde », c’est-à-dire simplement le communisme sous un nom différent. Pensez-vous qu’il y a du vrai dans ces propos » ? La réponse fut : « Il faut avoir les yeux un peu plus ouverts sur tout cela ».

4. Rêve ou cauchemar

Nous sommes, quant à nous, inquiets de voir un point commun entre le Vatican et le capitalisme mondial consistant à faire l’amalgame entre l’économie inclusive et la lutte contre le réchauffement climatique.
Aucune des deux parties n’acceptent l’idée d’un vrai débat scientifique contradictoire sur les causes des variations climatiques et de la période chaude contemporaine.

Le capitalisme inclusif utilise la croissance verte comme un outil de développement. De son côté, le pape déclare dans Laudate Deum : « Nous ne pouvons renoncer à rêver que cette COP28 conduira à une accélération marquée de la transition énergétique » (LD § 54).

Malheureusement, le rêve pourrait devenir un véritable cauchemar pour les pays les plus pauvres à qui les stratégies « dé-carbonées » retirent l’accès à une énergie abondante et bon marché. Le réveil sera d’autant plus douloureux quand la science s’apercevra que les variations climatiques avaient une cause solaire.

Le Pape voit-il les prémices d'un gouvernement mondial dans son « Conseil pour un capitalisme inclusif » lorsqu’il appelle à un accord à la COP 28 qui soit contraignant ?


[1] https://www.inclusivecapitalism.com/about/

[2] Thomas Storck est l'auteur de quatre livres et de nombreux articles sur l'économie catholique. Il est rédacteur en chef de The Distributist Review et membre du comité de rédaction de The Chesterton Review.