La 8e conférence ministérielle de l'OMC, qui s’est tenue du 15 au 17 décembre 2011, n’a pas effectué de percée sur les négociations du cycle de Doha. Les commentaires officiels font état d’un blocage. Faut-il s’en étonner ? Faut-il le regretter ?

Sources : AGRA Presse Hebdo – N° 3330 –26 décembre 2011, page 14

Commentaire "les2ailes.com"

Des négociations bloquées au "Doha Round"

« Les ministres regrettent profondément qu'en dépit de beaucoup d'engagement et d'importants efforts pour boucler l'agenda du cycle de négociations de Doha, les discussions soient dans l'impasse », dit la déclaration publiée à la fin de la conférence organisée à Genève. Ils reconnaissent qu'il y a encore des « points de vue très différents » sur la question de la libéralisation du commerce mondial et que dès lors, il est « hautement improbable » que les négociations puissent être « bouclées dans un avenir proche ».

L'UE a estimé, par la voix du commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, qu'il fallait absolument sortir les pourparlers de l'impasse et que « l'année 2012 ne doit pas être une année perdue ».

On peut se demander qui a "perdu" dans ce blocage. En effet, toutes ces déclarations ne reflètent qu'un point de vue, aussi officiel soit-il.

Des avis qui plaident pour une nouvelle logique à l'OMC

C’est peut-être la Chine qui a fait le meilleur commentaire : le ministre chinois, Chen Deming, a souligné que Pékin était prêt « à ouvrir de nouvelles pistes », mais qu'il ne fallait pas perdre de vue que la principale mission du cycle de Doha était de sortir les pays de la pauvreté grâce au commerce. « C'est comme escalader une montagne dont le sommet est le cycle de Doha, mais nous sommes tombés sur un bloc de rochers en grimpant vers le sommet, donc nous pouvons soit faire demi-tour soit chercher un autre chemin », a-t-il déclaré.

Le prix Nobel d'économie, Joseph E. Stiglitz, a fait une analyse montrant clairement que ce n'est pas le cas: " la libéralisation des échanges peut avoir des effets positifs sur des pays à taux de chômage faible, mais des effets négatifs sur des pays à taux de chômage élevé ", comme c'est souvent le cas dans les PMA [1].

Joseph E. Stiglitz rappelle qu'en 1993, l’Uruguay Round prévoyait qu’une « large part des gains devait aller aux pays en développement » [2]. En fait, ajoute-t-il, beaucoup des pays les plus pauvres on vu « leur situation s’aggraver à cause de l’Uruguay Round. Selon certaines estimations, il fait perdre aux 48 pays les moins avancés du monde 600 millions de dollars par an. [...] L’une des raisons de cette évolution, c’est que les accords réels et la suite des évènements n’ont pas reflété les scénarios des modèles. » [3]

Joseph Stiglitz consacre un chapitre à la « nécessité d’un traitement spécial des pays en développement, car l’ajustement à de nouvelles règles commerciales a des coûts particulièrement élevés pour ces pays, dont les institutions sont les plus faibles et les populations les plus vulnérables » [4].

L’idée de permettre de nouvelles protections douanières agricoles commence d'ailleurs à se développer : « l’Organisation Mondiale du Commerce n’est pas le lieu approprié pour discuter de l’agriculture en général et de l’Agriculture africaine en particulier. On ne peut pas comprendre que les objectifs de l’OMC soient, quoiqu’il arrive…, d’abaisser les droits de douane et de supprimer les subventions pour les produits agricoles » [5]. Sylvie Brunel, ancienne présidente de l’ONG « Action Contre la Faim » est, elle aussi, convaincue que "le protectionnisme est une nécessité pour les agriculteurs du Sud" [6].

Conclusion

Nous sommes ici dans le domaine de l’ « écologie sociale ». La planète pourra-t-elle nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 ? Pourquoi les agricultures des Pays les moins avancés ne sont elles pas plus productives ? De plus en plus d’avis dénoncent le dogme de la suppression des frais de douanes.


[1] Les citations ci-dessous sont toutes tirées de l’ouvrage de Joseph STIGLITZ « Pour un commerce mondial plus juste » (Collection « le livre de poche »,traduit d’un original publié en anglais en 2005) (p. 84).

[2] Ibid (p. 100)

[3] Ibid (p 101)

[4] Ibid (p. 44)

[5] Pierre Arnaud, vice président de la Compagnie Fruitière (spécialisée dans la banane et l’ananas en Côte d’Ivoire), et ancien DG de la PROPARCO- sources : Le Moci-Hors série déc. 2008, p. 22

[6] Sylvie Brunel, ancienne présidente de l’ONG « Action contre la Faim » - source : conférence du Club Demeter 26 mars 2009