Le Forum « agriculture et alimentation » de Provins (10-18 octobre 2011) s’est posé la question : comment répondre aux besoins des 9 milliards d’habitants de la terre en 2050. Une fois de plus, la lutte contre le gaspillage a été mise en exergue.
Mais la réduction du gaspillage aura un coût : la collecte des déchets pour les récupérer vers l’alimentation du bétail a un coût et les pertes en stockage des récoltes nécessitent des investissements dans les pays en voie de développement souvent sur (silos ventilés et isolés thermiquement, …). Ce ne sont que deux exemples. N'y a-t-il pas des investissements encore plus urgents, même dans une perspective de la sécurité alimentaire?
Il ne s’agit pas, c’est évident, de faire l’éloge du gaspillage. Mais il faut mettre les chrétiens en garde. Leur goût pour la vertu et leur tendance à venter la frugalité comme une ascèse dont le monachisme serait le modèle risquerait d'être dangereux. Il n’est pas sûr qu’une telle ascèse stimule la recherche des vraies solutions aux importants défis qu’il faudra relever d’ici 2050 pour nourrir la planète.

Source : Gaspillage par Jean Flouriot, Liberté Politique du 22 Octobre 2011

Commentaire: "les2ailes.com"  

Le Forum « agriculture et alimentation » de Provins (10-18 octobre 2011)

Bruno Parmentier, ancien directeur de l’École Nationale d’Agriculture d’Angers et auteur d’un ouvrage sur la question pense qu’il sera bien difficile de faire face à la situation en raison des changements climatiques et de la raréfaction du pétrole. Il avait publié un  livre « nourrir l’humanité » dont « les2ailes.com » ont déjà fait la critique.
L’INRA a rappelé son étude AGRIMONDE en laquelle nous avons confiance. Mais l’INRA a rappelé que la réponse exigeait des investissements importants, un effort substantiel de recherche (particulièrement en ce qui concerne les biotechnologies) et des politiques publiques renouvelées aux échelles nationales et internationales.
Le forum de Provins a abordé la question du gaspillage. Une étude y a été citée : « Durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche » dont les auteurs sont Catherine Esnouf, Marie Russel et Nicolas Bricas. (INRA – CIRAD. Juillet 2011).
La réduction des pertes après récolte et des gaspillages constitue-t-il une solution à la question de la sécurité alimentaire mondiale en 2050 ?

L’étude donne quelques chiffres relatifs à ce gaspillage :
-    En Angleterre : 25% des achats alimentaires en volume
-    En France : Chaque habitant jette 7 kg de produits alimentaires sous emballage et 20 kg ne sont pas consommés
-    Aux États-Unis, chaque foyer gaspillerait 14% de ses achats alimentaires, soit 43 milliards de dollars par an
-    En Afrique sub-saharienne : 10 à 20% des récoltes céréalières sont perdues.
-    Dans les pays en voie de développement : Le riz subit des pertes globales estimées à 15%
Que faire devant tout ce gâchis ?

Eléments de réflexion tirés du Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise

Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise évoque cette question du gaspillage. Il y voit « des étalages de richesses aussi déconcertants que scandaleux »[1]. Le gaspillage nuit donc d’abord à celui qui le pratique. Il cite d’ailleurs le psaume : « De peur que, dans l'abondance, je ne te renie » (Proverbes 30-9). Ce reniement se concrétise souvent par l’impossibilité, dans l’abondance, de tourner notre regard vers le pauvre. Le gaspillage est une attitude qui nous ferme le regard vers les plus démunis, nous fait oublier les véritables « besoins sociaux », plus qu’il n’entame les réserves de ressources naturelles, même si elles ont toujours un « caractère limité » à un moment donné.
Le Compendium rappelle que c’est cette rareté des ressources qui « implique nécessairement que tout sujet économique individuel, de même que toute société, doit imaginer une stratégie pour les employer de la façon la plus rationnelle possible, en suivant la logique dictée par le principe d'économicité »[2].

Tout cela condamne bien sûr le principe du gaspillage.

Mise en perspective

Pour en rebondir sur ce « principe d’économicité », il faut bien voir que la réduction du gaspillage a un coût qui peut devenir antiéconomique.
-       La collecte des déchets pour les récupérer vers l’alimentation du bétail a un coût
-       La mise à disposition des consommateurs d’unités de consommation plus réduites et adaptées aux besoins réels a un coût
-       Les pertes en stockage des récoltes nécessitent des investissements dans les pays en voie de développement souvent sur (silos ventilés et isolés thermiquement, …)
-       Les pertes en logistique nécessitent des moyens de transports modernes peu réalistes dans les pays les moins développés.

N'y a-t-il pas des investissemts prioritaires et plus urgents, voire plus économique. Il n'y a pas que les ressources naturelles qui sont limitées. Les ressources financières peuvent l'être également. Les capacités humaines pour les mettre en oeuvre le sont également. Prenons un exemple: A quoi servirait d'investir en stockage si les pays les moins avancés n'ont pas de réseau routier? Les priorités sont à définir, même avec l'objectif évident de privilégier la sécurité alimentaire.

Il ne s’agit pas, c’est évident, de faire l’éloge du gaspillage. Mais il faut mettre les chrétiens en garde contre l’appel qu’ils font à des  impératifs moraux. Leur goût pour la vertu et leur tendance à venter la frugalité comme une ascèse dont le monachisme serait le modèle risquerait d'être dangereux. Certes, la frugalité monastique a des vertus spirituelles dans leur marche vers Dieu. Mais, il n’est pas sûr qu’elles stimulent les vraies solutions aux importants défis qu’il faudra relever d’ici 2050 pour nourrir la planète.


[1] Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, 14: AAS 80 (1988) 526-527, et  « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise », 2 avril 2004, § 374

[2] « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise », 2 avril 2004, § 346