L’écologisme sous toutes ses formes, et notamment le consensus – à quelques résistants près – de la cause humaine du réchauffement climatique cherche à imposer l’idée selon laquelle la planète serait suffisamment en danger pour qu’il faille se replier sur un nouveau modèle économique, celui de la décroissance.
L’idée de revenir à une forme d’ascèse ou de sobriété est séduisante mais l’écologisme franchit un pas de plus en craignant que la « Terre » ne finisse par se venger du traitement qui lui serait infligé !
La peur étant souvent mauvaise conseillère, certains vont jusqu’à dire que le péché originel est la révolte de l’homme contre la nature[1] et qu’il faudrait rétablir une harmonie entre l’homme et la nature, pour sauver l’homme !
Un certain nombre de chrétiens en sont venus à penser que le monachisme pourrait être un modèle écologique
Le monachisme est une démarche vers Dieu, mais l’image qu’il a dans la société actuelle est contrastée et souvent  associée à l’idée d’un repli hors du monde, d’une économie autarcique, d’ascèse, et d’harmonie.
L’idée d’en faire un modèle économique est tentante. Le responsable de la commission environnement des Evêques de France en appelle même au WWF pour soutenir cette idée de modèle économique inspiré du monachisme. Des moines viennent témoigner aux « Assises chrétiennes de l’écologie » en novembre 2011 à St-Etienne, même si ce n'est peut-être pas le fond de la pensée de son diocèse. 
Que faut-il penser de tout cela ?

Sources : Site de la Conférence des Evêques de France
                Programme des Assises chrétiennes de l’Ecologie

Commentaire "les2ailes.com"

1- Le monachisme, un modèle économique pour notre temps ?

La question peut être intéressante si elle est bien posée.

Comment cette idée est-elle avancée dans l’Eglise, par Jean-Hugues Bartet, responsable du département « Environnement et modes de vie » de la conférence des évêques de France, ou par les « Assises chrétiennes de l’écologie » qui se tiennent à St-Etienne en novembre 2011?

a) Conférence des Evêques de France

Le 9 avril 2010, les évêques de France ont ouvert un département « Environnement et modes de vie », au sein du Service National Famille et Société et en ont confié la responsabilité à Jean-Luc Bartet, diacre à Digne.
Celui-ci a ouvert une page sur le site de la CEF pour proposer quelques exemples de mission, « aux diocèses ou aux paroisses comme kit pédagogique, comme outils de réflexion, comme pistes d'action spécifiques ». On y trouve son «  souci du co-voiturage dans l'organisation d'événements » ou « de protection des chauves-souris vivant dans les clochers de Lorraine». Est-ce vraiment la priorité quand le magistère nous demande de recentrer les choses sur l’ « écologie sociale » et l’ « écologie de l’homme » ? 

Mais ce qui est mérite plus d'attention, c’est l’idée selon laquelle « la vie chrétienne dans son modèle monastique est profondément porteuse de la notion de développement durable. Elle … semble avoir quelque chose avec le chemin du Royaume de Dieu, à travers la notion d'équilibre avec la Création et entre les hommes». Si l’idée mérite analyse, il peut être regrettable que l’auteur fasse appel au WWF comme caution, quand on sait que ce même WWF a, dans son rapport de 2008 « Planète Vivante », rejoint les travaux de l’Optimum Population Trust, et ne s’embarrasse pas de considérations morales sur la réduction de la population mondiale[2]. On devine que de tels propos ne sont pas le reflet de la pensée collégiale des évêques de France.

b) Assises Chrétiennes de l’Ecologie-2011

Les assises chrétiennes de l’Ecologie sont organisées en novembre 2011 à Saint-Etienne par la revue « Prier » et avec Yves Masson, diacre du diocèse de Saint-Etienne. Plus de quarante ateliers sont prévus l’un faisant un plaidoyer pour le bio, un autre s’interrogeant sur la manière de « lutter contre le déni climatique ». On peut se demander si cela a sa place dans un colloque s’affichant sous  une étiquette diocésaine. Mais, on note surtout un atelier intitulé : « Vie monastique et engagement écologique », animé par Sœur Dominique Racinet, dominicaine de Taulignan, par frère Guillaume, Moine à La Pierre-qui-Vire « en charge des innovations écologiques de cette abbaye bénédictine », et par Philippe Abramse, « paysan, gérant de la ferme en agrobiologie » de l’abbaye bénédictine de la Pierre-qui-Vire. La thématique est précisée : « menant la vie contemplative et soucieux de respecter toute vie, moines et moniales sont au premier rang pour mener de pair écologie et spiritualité ». La question se pose : de quelle "écologie" s'agit-il ? S’agira-t-il d’évoquer le sens du travail afin de recentrer la réflexion sur l’« écologie sociale » et l’ « écologie de l’homme » ? ou s’agira-t-il d’un plaidoyer pour l’agriculture biologique comme peut le laisse penser un article paru sur le sujet dans la revue "prier", sous le titre "moines écolos"? Hormis un atelier sur les textes de l’Eglise catholique en matière d'écologie autour d'intervenants comme le Père Yves Guerpillon, on peut penser que les positions de tel ou tel ne peuvent être assimilée avec celle du diocèse de Saint-Etienne.

c) Comment se poser la question?

Ecologie de l’homme et spiritualité, le thème est riche. Mais la thématique proposée aux Assises chrétiennes de l’écologie revient à faire cautionner par l’Eglise  l’agriculture biologique comme un modèle en soi, à travers la pratique réalisée dans les monastères.
Il ne s’agit pas non plus de réfléchir sur le bio comme une avancée de la défense du bien commun (risques sanitaires réduits ?, amélioration du goût ?…)

Il faut plutôt poser la question : le monachisme est-il un modèle économique pour aujourd’hui ? Peut-il nous donner des pistes pour nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 ?
Et donc,
- Comment replacer le monachisme dans son histoire et quel a été son rôle dans un développement qui s’est révélé durable même s’il n’en n’a pas été qualifié ainsi?
- Comment se formule la tentation actuelle de voir, dans le monachisme contemporain, un modèle écologique ?
- Quel type de modèle social peut incarner le monachisme ?
- Pour enfin tenter une conclusion.

2- Histoire du monachisme

a) Le monachisme des premiers siècles en Egypte

Saint-Antoine le Grand (251-356), considéré comme le fondateur de l’érémitisme chrétien se consacra à la contemplation dans la solitude d'un ermitage. Saint Pacôme (292-348), patriarche des cénobites, sera plus orienté vers la vie en communauté. 
Nous reprenons, ici, la description de cette période, et celle des périodes suivantes, faite par Armand Veilleux  devant le personnel de l'Abbaye de Scourmont en 2003:
"L'économie des monastères a toujours été largement interdépendante de l'économie générale du pays où ils se trouvent. Les ermites d'Égypte avaient coutume de fabriquer des nattes et des corbeilles avec les joncs qu'ils trouvaient sur place.  Ils allaient de temps à autre les vendre à la ville pour avoir de quoi acheter leur nécessaire, c'est-à-dire nourriture et vêtements.  À partir du moment où se formèrent de plus grandes communautés, les moines commencèrent à vivre de l'agriculture. Eux aussi devaient établir avec les villes voisines une relation commerciale, pour vendre leurs produits et acheter ce dont ils avaient besoin.
Aux premiers siècles de notre ère, durant la période d'occupation romaine, l'Égypte connut deux grandes réformes politiques et agraires :
La réforme de Septime Sévère, au début du 3ème siècle. Alors que jusque là tout le pays était administré directement d'Alexandrie, Septime Sévère établit une administration locale dans les métropoles, tout le long du Nil. Les Égyptiens, quoiqu’occupés par un empire étranger, y retrouvèrent le sens d'unité du pays.  
- Un peu plus tard, la réforme agraire réalisée par Dioclétien permit pour la première fois aux paysans égyptiens de posséder les parcelles de terre.  Peu après, plusieurs de ces tout petits propriétaires terriens vendirent leurs parcelles pour migrer vers les nouvelles métropoles, ce qui permit la création de grandes propriétés parmi lesquelles celles de grandes communautés monastiques.  Par ailleurs le développement agricole de ces communautés monastiques et leur commerce avec les nouvelles métropoles transformèrent positivement toute la configuration sociale de la Haute-Égypte.  De plus, les moines incarnèrent le sens retrouvé de la vieille culture égyptienne et ce sont eux qui l’ont gardé vivante, dans l'Église copte, tout au long de l'occupation arabe, et jusqu'à nos jours[3]".

b) L’Europe du premier millénaire

La construction de l'Europe commence avec les débuts du démantèlement de l'empire romain d'Occident, et les premières invasions barbares au 5ème siècle.  
C'est peu après, au 6ème siècle, que saint Benoît fonde un monastère, écrit une Règle et sera à l'origine d'une immense tradition monastique, qui, qu'on le veuille ou non, configurera toute la culture européenne jusqu'à nos jours[4].
A cette époque, les pauvres sont nombreux et voyagent de porte en porte. La règle monastique veut une disponibilité permanente aux pauvres, et les initiateurs du mouvement monastique veulent rétablir l’équilibre entre la parole et le geste, la méditation et l’entraide, la concentration et l’ouverture.
Le monachisme va être le moteur de la réforme médiévale de l’Eglise aux XIème et XIIème siècles. Sa mentalité et ses objectifs influencent la vie ecclésiale de la tête à la base (les grands papes et les évêques seront souvent d’anciens moines), la vie politique (les conseillers des autorités temporelles seront des clercs réguliers), la vie intellectuelle et culturelle (les moines seront de grands bâtisseurs et les piliers de l’enseignement dans les nouvelles écoles cathédrales, ancêtres de nos universités), la vie spirituelle déterminée par le « ora et labora », la prière et le travail, la foi et la charité[5].

c) L’Europe du IX° siècle

Le développement intense du monachisme avec des règles communes dues à St-Benoît d’Aniane (750-821)[6], l'instauration en 780 d'une écriture unique, la caroline facilitent le transfert des connaissances et préparent la poussée culturelle, technique et démographique du XIème siècle. Dans un premier temps, les désordres occasionnés par les incursions, les pillages et les guerres freinent considérablement le développement économique. Dans le même temps, la dissolution de l'état, renforce les abbayes qui sont le fer de lance économique des royaumes francs. Celles-ci s'organisent en ordre religieux autour de Cluny et acquièrent un pouvoir politique et économique de premier ordre: elles sont en mesure au Xème siècle, de promouvoir les mouvements de la trêve de Dieu puis de la paix de Dieu et de soutenir la création d'états stables autour des dynasties. En un mot, elles sont les moteurs de la renaissance de l'an mil.
Deux réformes monastiques du Moyen-âge seront ensuite pleines d'enseignements :
- La réforme de Cluny au 10ème siècle.
Cette réforme dite grégorienne  comporte trois projets principaux :
* l’affirmation de l'indépendance du clergé, les laïcs ne pouvant plus intervenir dans les nominations 
* la réforme du clergé  pour qu’ il suscite le respect
* l’affirmation du rôle du pape
Tout monastère, avec Cluny pour modèle, se construit sur l’exemple de la communauté familiale, forme reprise des Eglises primitives et anciennes. L’antique « grande famille » est remise au goût du jour avec un  abbé à la tête de la communauté monastique[7].  
Les grands monastères clunisiens autonomes et puissants, étaient devenus un rouage important du monde féodal.  Ils recevaient de la part de grands propriétaires terriens de nombreuses donations qui comportaient en général des droits de juridiction sur des pêcheries, des moulins, des fourneaux, des troupeaux et sur de la main-d’œuvre servile. Face à cette puissance, le désir de plus en plus fort se développa, non seulement dans les monastères, mais dans tout le peuple, d'un retour à plus de simplicité et de pauvreté.  La fondation du monastère de Cîteaux sera la réponse à cette aspiration[8].

- La réforme de Cîteaux à la fin du 11ème
La réforme dite cistercienne fut donc un retour aux valeurs de pauvreté et de simplicité de l’Evangile Lancée à partir de Cîteaux, en 1098, puis par saint-Bernard (1090-1153) à Clairvaux, elle est marquée par :
* un retour aux sources de la tradition monastique
* un plus grand dépouillement liturgique en recul par rapport au faste clunisien
* une remise à l’honneur du travail manuel
Ces réformes sont deux beaux exemples de l'interaction entre les institutions de la société civile et la vie monastique.  Au cours du 9ème et du 10ème siècle, la féodalité reposait sur des liens de dépendance entre des seigneurs et leurs vassaux, et dans ce contexte, les monastères devenaient graduellement dépendants de ces seigneurs féodaux ; La réforme de Cluny permit au millier de monastères de se libérer de cette tutelle. En ces temps de guerres continuelles et d'insécurité, ces abbayes, en plus d'être des lieux de prière, surent rester des structures ayant suffisamment de solidité et de continuité pour assurer l'enseignement, les soins médicaux, l'hospitalité aux voyageurs et le soin des pauvres[9]

La période d'environ un siècle au milieu de laquelle naît Cîteaux, de 1050 à 1150, connaît de profondes transformations sociales et une très grande croissance démographique.  
Les monastères cisterciens décident de renoncer à leurs privilèges de seigneurs féodaux.  Ils refusent de vivre de rentes foncières et du travail de serfs.  Ils posséderont des terres -- mais n’auront ni dépendants personnels, ni tenanciers, ni moulins, ni dîmes et mettront eux-mêmes leurs terres en valeur.  Ils fondent l'économie de leurs monastères sur le faire-valoir direct[10].
Les abbayes cisterciennes s’étaient établies sur des terres neuves, donc fécondes.  Elles récoltèrent rapidement plus de grain et de vin qu’il ne leur en fallait pour vivre.  Sur la part de leur propriété foncière qui ne fut pas défrichée, elles pratiquèrent largement l’élevage, l’exploitation du bois et du fer.  Or comme la communauté ne mangeait pas de viande, ne se chauffait pas, usait fort peu de cuir et de laine, elle eut de nombreux produits à vendre dans les villes qui se développaient rapidement et qui constituaient un marché toujours plus grandr. L’argent servait d’une part à construire de nouveaux monastères à travers tout l’Europe, et, d’autre part, à assister les pauvres toujours nombreux en temps de guerre.
Les exploitations cisterciennes, avec leur système de granges devinrent vite à la pointe du développement agricole. Elles surent aussi admirablement gérer leurs  ressources hydrauliques[11]. Cette époque de transformation de l’agriculture et de  réorganisation de la propriété terrienne, dans la société comme dans les communautés monastiques cisterciennes, est une preuve évidence de l’interaction très complexe qui existe entre les deux ordres.

d) Le moyen âge

A l'orée du XIIème siècle, la société ne connaissait pas encore de classe moyenne et la bourgeoisie n'existait pas. Il y avait d'un côté le monde des chevaliers et des clercs, et de l'autre celui des paysans moins aisés. Les moines de Cîteaux voulurent, ce qui était une innovation extraordinaire à leur époque, que tous les membres de la Communauté, clercs, chevaliers et paysans, s'adonnent aux travaux de la terre, afin de vivre ensemble l'idéal évangélique. C'est ainsi qu'ils défrichèrent et mirent en valeur les lieux arides et sauvages où ils s'implantaient. Cette façon de vivre la pauvreté devint une source de progrès social et de richesse pour les hommes du XIIème siècle[12].
La spiritualité bénédictine développe particulièrement l’idée selon laquelle le Royaume viendra en son temps et que pour l'accueillir, l'attendre et le préparer il faut travailler humblement cet art de vivre là où l’on est. …Saint Benoît reste fondamentalement un modèle pour tous les chrétiens. Pour lui on doit attendre, avec Espérance et Confiance le bonheur là où on est, là où Dieu nous a mis, dans une attitude filiale par rapport à Dieu[13].
Ce n’est qu’avec Saint-François d’Assise (1182-1226), qu’on assiste à la floraison des ordres appelés "spirituels". Les franciscains, à la mort de leur fondateur, éclatent et donnent naissance aux récollets, cordeliers, capucins, célestins, clarisses et autres.

e) De la chrétienté à la modernité

A la fin de cette période, l’Eglise est puissante. C’est elle qui sauve la culture du passé et la transmet aux peuples nouveaux, et se sert de ce pouvoir et de la solidité de ses institutions pour évangéliser. C’est la période de l’histoire de l’Église qu’on appelle la "Chrétienté". Tout allait s’effondrer quelques siècles plus tard, comme s’était effondré l’Empire romain.
Au début du 16ème siècle on assiste à l’explosion du protestantisme, puis le Concile de Trente et la contre Réforme. Au 13ème siècle, la Scholastique, avait établi la « chrétienté » sur des bases philosophiques solides. L'Église maintint cette position jusqu'à la fin du 16ème siècle.  Puis un processus croissant de modernisation conduit à une autonomie croissante du monde séculier. Vint ensuite l’ère des Révolutions, suivie d’une longue période de 200 ans de coexistence difficile et souvent agressive entre l’Eglise et le monde avant l’arrivée  du Concile[14] Vatican II.

3- Le monachisme: les tentations d'en faire un modèle de société pour aujourd'hui.

a) Un modèle spirituel avant tout

Le Concile dans son « Décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse – « Perfectae caritate » rappelle les éléments communs à toute forme de vie religieuse, à savoir la primauté de la vie spirituelle, en rappelant que les religieux doivent être « fidèles à leur profession, abandonnant tout pour le Christ, le suivant lui comme l’unique nécessaire»[15] .
Si, donc, le monachisme doit être un modèle, c’est d’abord celui d’une marche vers Dieu, d’un abandon à la personne du Christ pour le suivre. Tout le monachisme est subordonné à cela. On ne peut trop rapidement, prendre le monachisme en exemple économique si on oublie la primauté de sa vocation qui est d’ordre spirituel.

b) Le monachisme : tout sauf un modèle écologique

Toute l’histoire du monachisme est celle d’une interaction entre la vie spirituelle et l’intégration dans la société. Comment, aujourd’hui, imaginer qu’il puisse être un modèle écologique ?
Jean-Claude POLET, laïc orthodoxe[16] , dans la revue mensuelle de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique), a publié un dossier spécial sur la vie monastique. Il évoque la question qui nous intéresse. Il dit qu’il « est assez fréquent chez ceux qui partagent une certaine vision "écologiste" de l'existence, [de reconnaître] dans les règles monastiques, singulièrement dans les formes de l'ascèse qui proposent l'idéal de la sobriété, une des mesures cardinales de l'harmonie, qui convient assez bien à la moyenne des tempéraments et à la culture moyenne des Européens. Cela va du "bon pain des moines" et de toute l'agriculture biologique aux divers naturismes, aux médecines douces et aux multiples méditations "transcendantales" ou "orientales", en passant par les régimes diététiques et les psychothérapies de la sérénité. Il est plus d'un touriste, baptisé ou non, passé par un monastère, qui y a apprécié le calme, l'accueil, la simplicité des moines, la beauté des chants, des cérémonies, et le bon goût de tout ».

Nous voilà au cœur d’un des risques de l’écologisme qu’a évoqué Jean-Paul II en nous mettant en garde, en 1990 sur  l’éducation à la responsabilité écologique qui ne doit pas  « s'appuyer sur le refus du monde moderne ou le désir vague d'un retour au "paradis perdu" ».

Jean-Claude POLET  poursuit exactement sur ce registre : « Le côté "bon vieux temps" ramène à l'enfance, à l'innocence, à la nature. Certains ne seraient peut-être pas loin de penser que l'équilibre éthique du monde moderne pourrait trouver de stimulantes exemplifications dans l'idéal d'intériorisation scrupuleusement réciproque du propre et du communautaire que préconisent les sociétés monastiques ».

4- Le Monachisme, ses mérites pour la société d'aujourd'hui.

Comment sortir les communautés monastiques de ces imageries d’Epinal ? Si le monachisme doit être un modèle, que nous enseigne-t-il?

L'analyse qui suit nous est inspirée par le document conciliaire lui-même. En effet, il passe en revue les recommandations propres à chaque forme de communautés. Concernant la vie monastique et conventuelle, il leur est demandé qu’elle « maintienne fidèlement et que l’on fasse toujours mieux ressortir dans son véritable esprit, tant en Orient qu’en Occident, la vénérable institution de la vie monastique qui, tout au long des siècles, a si bien mérité de l’Église et de la société ».
Quel est ce « véritable esprit » du monachisme auquel il faut se rattacher ? Le texte conciliaire dit qu’il faut  maintenir « l’esprit des fondateurs et leurs intentions spécifiques de même que les saines traditions, l’ensemble constituant le patrimoine de chaque institut ».
Si le monachisme d’aujourd’hui est appelé à rester fidèle à ce qui l’a inspiré au fil des siècles, tant par la tradition de son histoire que par les règles spirituelles instituées par leurs fondateurs, quel modèle peut-il être aujourd’hui pour la société ?

a) Le rôle civilisateur du monachisme

Dès la Haute-Egypte, les communautés monastiques ont participé au développement agricole et au commerce avec les nouvelles métropoles, transformant positivement toute la configuration sociale de la Haute-Égypte. Puis en Europe, le monachisme, tout au long de son histoire et grâce à l'esprit de ses fondateurs, a contribué à développer les sociétés dans lesquelles il s'installait. Il alait de l’avant, était ferment  d’organisation, de stabilité, de paix et de progrès intellectuel, politique et moral. Au IX° siècle, lorsque les royaumes francs se sont délités, les abbayes se sont renforcées et sont devenues un véritable fer de lance économique.

Sur cette base, peut-on prétendre que le monachisme est un modèle d’écologisme, alors que celui-ci plaide pour la décroissance et le retour au passé plutôt que le progrès, pour des mesures coercitives contre la démographie, proches d’une forme de barbarie moderne ?

b) Le rôle innovateur du monachisme

Toute l’histoire du monachisme montre sa contribution au progrès technique, avec,  au XI°, la déforestation de parties importantes de l'Europe pour  l'augmentation de l'étendue des terres arables, l’invention de nouvelles formes plus efficaces de culture agraire. Cîteaux a su effectivement profiter du développement des techniques agricoles, pour introduire  la rotation triennale, les charrues de fer en remplacement de celles de bois, la traction animale avec l’invention de la ferrure et du collier dur.

On est ici loin d’un écologisme frileux qui fait obstacle à toutes les innovations et qui voit dans les OGM, pour ne citer que ce point, toutes sortes de dangers non scientifiquement fondés. Le principe de précaution ne devait pas être une valeur du monachisme... L’agriculture biologique prônée par l’écologisme, avec  des techniques dites « biologiques » qui ne permettent pas d’atteindre 50 % des rendements nécessaires à l’alimentation de la planète est l’antithèse de l’agriculture du monachisme.

Le monachisme n’hésitait pas à produire plus qu’il n’en avait besoin. Ce n’est pas un modèle autarcique, mais ouvert sur le monde, bien que souvent autosuffisant pour les produits de base. Les communautés monastiques récoltaient  plus de grain et de vin qu’il ne leur en fallait pour vivre et ont toujours su faire acte de commerce avec les surplus afin de construire de nouveaux monastères. Les monastères, grands bâtisseurs et investisseurs, ne prônaient pas  une économie autarcique.

c) Le monachisme face aux défis démographiques

La capacité des communautés monastiques à faire preuve d’innovation s’est surtout manifestée pendant les périodes de très grande croissance démographique. Cela a été particulièrement vrai pendant le XI° siècle. Même s'il est difficile de déterminer quelles sont les causes et quels sont les effets, cette croissance démographique s'est accompagnée d'une importante mutation de l'agriculture.

Cette culture de vie est le contraire de la réponse donnée par l’écologisme aux défis démographiques du XXI° siècle. Celui-ci ne parle que d’ « empreinte écologique », justifiant la décroissance et même de la bombe « P », la bombe Population, qui serait plus dangereuse que la bombe H !

d) La mission charitable du monachisme

La règle de Saint-Benoît impose une disponibilité permanente aux pauvres et aux étrangers.
C’est une tradition et une vocation qui remonte aux premières communautés de Haute Egypte, habitée par des paysans pauvres et illettrés, et sans aucune organisation sociale. Dans l’Europe de Saint-Benoît, les pauvres, l’indigent et le malade,  sont des itinérants qui vont faire prendre conscience de leur misère là où ils passent. Aux portes et à l’intérieur des monastères on se veut attentif à ces pèlerins. Des frères accueillent jour et nuit ceux qui demandent de l’aide.

Aujourd’hui  la fracture sociale ne se limite pas à des zones de proximité mais s’étend à des continents entiers. Le monachisme est loin de la "croissance zéro" qui ne peut qu’empêcher les pays les moins avancés de survivre. Comment pourront-ils se développer, avec la démographie croissante qu’ont leur connait, et  ce modèle de décroissance proposé ? N’est-ce pas un grand égoïsme du nord vis-à-vis du sud dont l’écologisme n’est qu’un alibi ? Une contre valeur du monachisme ?

e) Le monachisme et ses valeurs de subsidiarité.

Le monachisme a toujours eu le souci de nommer un abbé (père) ou une abbesse (mère) à la tête de chaque communauté. C’est le vrai modèle de la vie familiale, cléricale ou laïque, qui est créé au moment même où le village féodal redéfinit une structure d’habitation et de solidarité. Ce type de communauté, monastique, domestique ou féodale permettra  de faire face ensemble, de manière plus organisée, aux malheurs des temps.

Ce système de gouvernance n’a rien à voir avec celui des ONG écologistes qui plaident pour la fin des états, pour une gouvernance mondiale dont le nouveau paradigme exclut toute référence au principe de subsidiarité.

Le mot « subsidiarité » vient de « subsidium», mot qui signifie le “soutien et l’aide” auxquels doivent se soumettre “toutes les sociétés d'ordre supérieur... par rapport aux sociétés d'ordre mineur”. (Compendium DSE § 186).
Le principe de subsidiarité ne peut libérer toutes ses capacités de modèle économique et humain qu’à la condition d’être compris dans la globalité de toutes ses significations[17], à commencer par la signification théologique de la subsidiarité.
La subsidiarité exprime l'ordre de la création et de la rédemption voulues par Dieu, qui a créé l'homme libre, en décidant de le sauver non pas en se substituant à lui mais en l'appelant à collaborer avec Lui. Le plan divin de salut passe mystérieusement par ce que l'homme peut et veut donner. Dieu ne commande pas à l'homme. Il nous a appelés "amis". En s'incarnant dans Jésus-Christ, Dieu ne s'est pas superposé à l'humain, en l'écrasant, mais l'a élevé, en ne lui permettant de renoncer qu’à ce qu'il peut donner.

Les religions fondamentalistes considèrent l'homme comme un exécutant. Le monachisme chrétien donne un exemple inverse : chaque moine est un collaborateur du plan de Dieu, appelé à donner, y compris par son travail, en réponse au fait d'avoir reçu. Notons ici la démarche du monachisme qui consiste à recevoir et le reconnaître (rendre grâce), avant de donner (rendre, à sa mesure, la grâce reçue).

Le principe de subsidiarité, tel que le vit le monachisme,  ne doit pas être confondu avec celui d’ « exacte adéquation » qui lui est opposé et qui cherche à s’imposer à partir des réflexions d’un professeur de droit public, Guy Héraud (1920-2003).
- Dans le concept d’« exacte adéquation », chaque niveau de collectivité devrait « recevoir compétence pour résoudre les questions qui, en raison de leur nature, ne sont solubles que là »[17 bis]. Ces pouvoirs juridiques seraient accordés par une source « supérieure » mal définie.
- Au contraire, le principe de subsidiarité part de l’idée que « c’est chaque niveau qui délègue à la collectivité dite supérieure les pouvoirs qu’il n’est pas à même d’exercer convenablement ».  La collectivité supérieure se construit alors à partir de la base.

f) Le monachisme et ses valeurs de suppléance.

Le monachisme a souvent été amené à faire face à des carences de structures sociales, en particulier pendant les périodes de guerres ou de pestes.  Mais c’était toujours dans l’esprit de jouer un rôle de suppléance, en s’effaçant lorsque la société pouvait prendre le relais.

Aujourd’hui, on ne rentre pas au monastère pour gérer un empire industriel ou financier, ni même pour gérer un ensemble de services sociaux.  On entre au monastère pour mener une vie de prière et de communion avec Dieu  Mais comme cette communion avec Dieu implique une communion avec les hommes, les moines peuvent ressentir l’obligation d’intervenir auprès de la population locale et de gérer certains de leurs besoins si une carrence de la société civile se fait sentir. Lorsque  d'autres organismes peuvent offrir les services requis, la communauté monastique se retire.

Les programmes écologistes avec leur prétention à vouloir tout organiser ne laissent pas beaucoup la place à ce concept de suppléance. En ces temps modernes de globalisation, le risque existe d’une suprématie mondiale et d’un réseau de monopoles cruels. Le monachisme peut être un témoin de nouvelles valeurs comme la solidarité, la subsidiarité et le respect de l’homme[18].L'organisation monacale de type familial replace  toute son activité à une dimension humaine.

g) Le monachisme et ses valeurs d'autonomie

L'autonomie est une capacité à vivre par soi-même y compris pour les autres, alors que l'autarcie est la capacité à vivre pour soi même et laisse peu de place à autrui.

On retrouve cette valeur d'autonomie dans les significations éthique et anthropologique de la subsidiarité qui est liée à la dignité transcendante de la personne humaine et à sa liberté originelle. L'homme est une ressource en tant qu'image de Dieu, intelligente et libre : respecter ses caractéristiques implique d'exercer la subsidiarité.

Le respect des droits humains et de la justice dépend de la subsidiarité. En effet, les droits humains impliquent d'être autorisé à faire et la justice comporte une équité dans cette autorisation à faire, à donner quelque chose de soi. Les droits humains et la justice ne doivent pas être vus dans un sens statique, c'est-à-dire comme la reconnaissance d'un statut, mais plutôt dans un sens dynamique, en tant que possibilité d'être et de faire. Les premiers des droits humains – c'est-à-dire le droit à la vie et le droit à la liberté religieuse – s'expliquent par la subsidiarité. Le monastère constitue un exemple de respect qui est la première aide ("subsidium") donnée à chaque moine pour qu'il puisse augmenter sa capacité de vivre par lui-même, c'est-à-dire d'être libre.

Le monachisme historique intègre parfaitement une signification politique de la subsidiarité : la personne humaine est un tout, qu'aucun contenant politique ne peut renfermer. Le monachisme est une forme d'organisation politique : sa grandeur vient du fait qu'il est au service de chaque moine. Sa limite vient de ce qu'il est incapable à lui seul de sauver chacun des membres de sa communauté. Le monachisme est ici un appel au fait politique à ne jamais devenir une idéologie de salut. Mais la comparaison ne s'arrête pas ici. Le principe de subsidiarité dissout le concept même de "souveraineté" : les monastères sont également subsidiaires les uns envers les autres. Nos institutions politiques si avares de souveraineté feraient bien de s'inspirer de ce modèle.

Augmenter sa capacité à vivre par soi-même sans tomber dans l’illusion de vouloir se sauver seul, voilà un chemin de crête qu’au fil des siècles l’économie des monastères a tenté de suivre. Dans l’histoire du monachisme, on voit que les monastères ont, peu à peu et autant que faire se peut, tenté de concentrer leur économie sur des produits utiles pour leur propre usage. D’abord des produits basiques en Egypte puis développement de l’agriculture. Aujourd’hui encore, quels sont les monastères qui produisent des biens inutiles à leurs propre besoins ? Même Fontenelle Microcopie, l’atelier de microcopie, microfilm de l’abbaye normande Saint Wandrille est issue du savoir-faire millénaire des moines. Mais malgré cela, jamais au fil du temps l’économie du monachisme ne s’est coupée du monde, vendant le surplus de sa production à l’extérieur, et parfois loin, s’approvisionnant de l’extérieur des produits nécessaires non disponibles en interne.

On est ici loin du dogme mondialiste ou libre échangiste qui, s’il est recherché uniquement pour lui-même et non pas pour le bien commun, conduit aux dérives que l’actualité nous démontre quotidiennement. Que penser par exemple de l’absence de droit de douane imposée, via l'OMC, par les pays du nord, aux pays du sud, et y introduisant ainsi une concurrence mortifère ? Na faudrait-il pas des droits de douane protégeant plus faible que soi ?

Le principe de subsidiarité n'est donc pas un principe simple, mais il contient des caractéristiques de solidité et de flexibilité capables d'orienter le phénomène de la mondialisation. Oui, en ce sens là, le monachisme peut nous servir de modèle économique.

Ainsi, le monachisme est ici un appel au fait politique à ne jamais devenir une idéologie de salut. Mais la comparaison ne s'arrête pas ici. Le principe de subsidiarité dissout le concept même de "souveraineté" : les monastères sont également subsidiaires les uns envers les autres. Nos institutions politiques si avares de souveraineté feraient bien de s'inspirer de ce modèle.

h) Le monachisme et son sens de l'essaimage

Il est intéressant de méditer la manière dont le monachisme a pratiqué l’essaimage de nouvelles communautés au fil du temps. Il est surement des nombres d’or au-delà desquels, quand une communauté est trop grande, elle est scindée en deux.

Ce principe de sagesse est loin de l’idéologie dominante, mise en œuvre dans des logiques de pouvoir, tant par les lobbies ou ONG écologistes, que par des entreprises dont on perçoit parfois la financiarisation excessive.

i) Le monachisme et son sens éducatif

La signification sociale de la subsidiarité s’articule aussi dans une notion éducative. La participation s'apprend en participant : "L'opinion publique doit être éduquée à l'importance du principe de subsidiarité"[19]. Dans leur mission d'accueil, les communautés monastiques savent ouvrir des espaces pour fournir assistance aux personnes, et les éduquer à agir pour leur propre bien, c'est-à-dire de façon subsidiaire.

On est loin, de la volonté messianique des ONG écologiques qui se servent de l'éducation, des enfants ou des femmes, pour formater les esprits, et mettre en place un nouveau paradigme. Il n'est qu'à voir ce qui se pratique en matière de théorie du genre, de pratique dite de  « santé reproductive ».

j) Le monachisme et son sens du travail.

Dans le monachisme,  le travail est d’abord une forme de communion avec Dieu. Dieu est créateur ; l'univers dans son évolution constante sort constamment des mains de Dieu.  La création n’est pas achevée : Dieu est toujours en train de créer le monde, à travers le travail et le génie des hommes et des femmes qu'il a lui-même créés. C'est pourquoi, le travail, qu'il s'agisse de recherche scientifique ou médicale, qu'il s'agisse d'organisation de la société humaine à travers la politique ou l'économie, qu'il s'agisse de cultures pour nourrir les hommes et les femmes, toutes ces formes d'activité sont des formes de  participation à l'activité créatrice de Dieu. C'est là que réside la dignité du travail dont  toutes les formes sont aussi dignes les unes que les autres. 
Le père Armand Veilleux ajoute : « Tout au long de la tradition chrétienne, les moines n'ont jamais [NDLR: ou rarement] été des religieux "mendiants".  Ils ont toujours voulu non seulement vivre de leur travail, mais aussi retirer suffisamment de ce travail de quoi aider les plus nécessiteux »[20].

L’écologisme, de son côté, remet en cause le fondement même de la Genèse qui révèle Dieu donnant mission à l’homme  de dominer la terre. Quel sens aurait le travail si l’homme devait  se soumettre à la matière et aux autres êtres vivants. Les ONG veulent imposer un nouveau paradigme, celui de la déesse Gaïa et abattre ainsi le concept même de Dieu créateur.

Or, la règle de Saint-Benoit replace bien le travail à sa place, avec le sens que le Créateur lui a donné.
Benoit XVI rappelle que « dans le monde grec, le travail physique était considéré comme l’œuvre des esclaves[21]Le sage, l’homme vraiment libre, se consacrait uniquement aux choses de l’esprit ; il abandonnait le travail physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n’étaient pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l’esprit. La tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de l’Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le travail de ses mains. Il n’était pas une exception, mais il se situait dans la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette tradition : le travail manuel en est un élément constitutif ».
Benoit XVI  ajoute que tout cela explique bien que « le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole, constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa conception du monde sont impensables. L’originalité de cet ethos devrait cependant faire comprendre que le travail et la détermination de l’histoire par l’homme sont une collaboration avec le Créateur  ».
Certains feraient croire qu’en suivant  le programme écologiste, l’homme trouverait le salut à tous les maux de son  époque. Si l’homme était capable de détruire la planète, il se donnerait, en contre point, un pouvoir divin, celui de la sauver ! Mais Benoit XVI insiste : « là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction »[22].

k) le monachisme et son modèle de la simplicité

Ascèse et frugalité ! Voilà deux mots qui vont bien au  monachisme. Mais quand l’écologisme plaide pour ces comportements, on est en pleine sémantique holistique et on risque bien des confusions. Si le monachisme met en avant ces règles de vie, c’est dans une démarche de « crainte de Dieu » au sens biblique du terme, une démarche spirituelle. A l’opposé, l’écologisme va promouvoir les mêmes concepts, mais par « crainte de Gaïa », avec une démarche messianique de décroissance.
La règle de St-Benoît dit que « les moines doivent toujours vivre comme pendant le carême » (§ 49-1). Mais elle ajoute que si « peu d’entre eux ont ce courage » il est recommandé « de garder une vie pure, au moins pendant le carême ». Le jeûne est une école de pureté de notre relation à Dieu.
Pour le monachisme, l’ascèse ne se limite d’ailleurs pas à la consommation. Elle est un modèle qui appelle à bien autre chose. Elle est une dynamique qui allège notre vie de tout ce qui l’alourdit, dans la nourriture, les rythmes de vie, l’hospitalité, le silence, la parole.
Tout cela est très loin d’un modèle écologique ! L’ascèse permet de  se poser dans le calme pour laisser Dieu nous rejoindre, de manger moins, non pour épargner la planète, mais pour éprouver le manque et ainsi nous introduire au partage avec les affamés de pain, de justice et de paix. En matière d’hospitalité, l’ascèse, c’est se laisser servir pour regarder celui qui vient comme le Christ. C’est aussi rechercher la sobriété dans nos paroles et nos interventions pour mieux être attentif aux autres [22bis].
Saint-Bernard de Clairvaux réunissait d’ailleurs indissolublement l'ascèse du corps et celle de l'esprit pour le progrès de l'âme dans son ascension vers Dieu[23].  Le psalmiste rejoint cette « De peur que, dans l'abondance, je ne te renie » (Proverbes 30-9).

L’ascèse est un chemin de liberté et de pacification et non pas une peur du lendemain ni une façon de retarder une apocalypse pour la planète.

5- Conclusion

Le Monachisme, un modèle écologique ? Non !

Le monachisme, bien compris dans ses fondamentaux, ne peut en aucun cas être un modèle écologique. Démarche spirituelle avant tout, le monachisme fut l’illustration de la force créatrice de l’amour divin pour l’humanité. Tout est ordonné pour le bien de l’homme, de la nature qu’il soumet pour se multiplier et croître en sagesse à la glorification de Dieu.

L’écologisme cherche à protéger la Terre ou la Nature, nouvelle déesse mère, et pour se protéger de l’apocalypse finale vers laquelle nos sociétés de consommation nous emmènent, prône la décroissance économique et démographique avec un programme liberticide. Les mouvements écologistes chrétiens, en présentant le monachisme chrétien comme modèle écologique, font une comparaison dangereuse. L’opinion publique ne retient souvent du monachisme qu’une image de communion, d’ascèse, de sobriété, d’harmonie, de méditation, de simplicité, d’innocence et de nature.

La sémantique de l’écologisme relève d’un « fourre tout » qui séduit, où rien n’y est défini dans ses concepts. Toutes les confusions risquent donc d’être au rendez-vous de cette présentation du monachisme comme modèle écologique.qui aurait vite fait de prôner le retrait du monde et la décroissance.

En appeler aux textes du magistère nous paraitrait plus sûr, d’autant qu’il a su mettre à la disposition des chrétiens le « compendium de la doctrine sociale de l’Eglise » qui est d’une modernité méconnue en ce qui concerne l’écologie.
Il parle peu d’écologie de la nature mais plus souvent d’ « écologie de l’homme » et d’« écologie sociale » qui respectent la liberté de l’homme et la valeur « du travail [pour] contribuer au bien commun », afin qu’advienne la civilisation de l’amour.

Le monachisme, un modèle économique? Oui, à certaines conditions!

Les monastères peuvent, à l'heure de la mondialisation, se donner  au monde comme modèle d'organisation subsidiaire. Ils peuvent révéler ce principe de subsidiarité indispensable aux organisations politiques ou économiques.  Ils peuvent également servir de modèle de consommation car  "consommer sobre" n’est pas "consommer moins", ni jouer de la décroissance écologique, mais "consommer différent" pour se tourner toujours plus vers Dieu et vers les pauvres.
Pour ce faire, il conviendrait de méditer comment intégrer, dans les visions et les stratégies de nos entreprises, des petits « quelque choses » qui dépasse nos intérêts propres :
- la recherche du bien commun, toujours civilisateur,
- une innovation au service de l’homme et non du seul profit,
- ce que certains appellent les modèles BOP (bottom of the pyramid), c'est-à-dire adaptés aux défis démographiques des pays du sud, tels que, dans la finance, le microcrédit.
- une intégration d’une part de don ou de gratuité dans le modèle économique lui-même,
- les valeurs de subsidiarité nécessitant notamment une réconciliation avec la notion d’autorité,
- les valeurs de suppléance, notamment dans les pratiques managériales,
- les principes d’autonomie visant à favoriser la production locale des biens de base, quand c’est possible et si elle n’implique pas une forme de repli sur soi, cette autonomie constituant une forme de « subsidiarité géographique »,
- la recherche d’un essaimage favorisant l’entrepreneuriat,
- la valorisation des ressources humaines et la formation à la recherche de l’excellence des pratiques ou des gestes,
- la réconciliation avec la valeur du travail qui, seul, créée de la valeur au-delà des seules logiques de transaction,
- un retour à une forme de simplicité au travers d’offres, produits ou services, réellement utiles à l’homme, dans une sobriété qu’un monde trop virtuel appelle inconsciemment de ses vœux.

Il est intéressant de constater que ceux qui  cherchent à pratiquer ces principes, cette recherche du bien commun au cœur même de l'entreprise, créent davantage de valeur que ce qu’ils n’en espéraient !

Conclusion en forme d’appel aux communautés monastiques

Quelle image veut donner le monachisme au monde ? En se faisant quelquefois le relai de l’agriculture bio, est-il toujours en ligne avec la formidable aventure de la sagesse bénédictine qui a toujours été de faire face aux défis de son temps. Or, dans quel monde sommes-nous aujourd’hui ? Nous serons 9 milliards d’habitants demain. Dieu s’en réjouit-il ? Et après demain, quand le chiffre ira au-delà, Dieu méprisera-t-il cette multitude en pensant que ses enfants ont eu tort  de tant « emplir la terre »? Comment nourrira-t-on cette planète ? Avec des rendements dits « bio » de 50% inférieurs aux possibilités actuelles ? Est-ce crédible ! Pourquoi les monastères ne se lanceraient-ils pas, avec espérance, dans les meilleures techniques de l’écologiquement intensif, de l’agriculture raisonnée ? Leurs prédécesseurs ont bien su être des innovateurs dans les siècles passés !  Pourquoi donner une image que le retour au passé est possible ou souhaitable? Nous ne sommes pas appelés à un paradis perdu mais à un formidable élan vers la Terre Nouvelle, celle qui nous est promise dans l’apocalypse. Le monachisme, c’est cela : une marche, ici et maintenant, vers Dieu, vers la Terre Nouvelle. Puissent les moines faire leurs cette phrase de Vatican II : «  l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller » ! Comment réveiller cette vocation à cultiver cette terre pour qu’elle donne du fruit en abondance, y compris pour 9 milliards d’habitants ?
N’est-ce pas cela la sagesse des Saints Fondateurs : voir la terre qui est là et qui doit devenir une terre de Dieu. C'est une sagesse très simple mais extrêmement réaliste. C'est cela la grandeur de la sagesse bénédictine et c'est pour cela qu’elle dure.

Les monastères sont  redevables à saint Benoît d'avoir eu ce rôle civilisateur. C'est parce qu'ils ont trouvé cette adaptation permanente à la situation à laquelle ils faisaient face que les bénédictins se sont adaptés à toutes sortes de difficultés. Aujourd’hui, le monde doit faire face à 9 milliards d’habitants, et il faut faire face ! Saint Benoît  pourrait être le patron des « cultivateurs de l’écologie » aussi bien que Saint-François d’Assise, à condition de bien reprendre l’expression que Jean-Paul II avait retenu dans la bulle consacrant ce grand saint d'Assise 'cultivateur de l'écologie". Quelle image donne le monachisme ? Celle remarquable de tel reportage télévisé montrant des moniales sur un tracteur pour enlever le fumier de son étable et manipulant une salle de traite moderne pour traire le lait nécessaire à ses fromages ? Ou bien celle d’un moine maniant la binette avec, certes le souci du travail manuel qui est pour lui un moyen de lutter contre « la paresse ennemie de l’âme »[24], mais certainement pas pour servir de modèle à un monde mauvais observateur et en mal de nostalgie.

En conclusion, on peut écouter Benoît XVI qui a expliqué le 10 octobre 2011 aux monastères qu’il y a  « une pollution tout aussi dangereuse que la pollution de l’air : la pollution de l’esprit »[25]. Il leur a dit: « Les monastères ont une fonction extrêmement précieuse, et même indispensable dans le monde... Ils servent aujourd'hui à assainir l'environnement ». Puissent nos communautés monastiques ne pas être manipulées par un esprit écologiste malsain et mortifère !


[1] « L’écologie de la Bible à nos jours » Patrice de Plunkett (édition l’œuvre sociale- page 35)

[2] Michel Tarrier, naturaliste et chroniqueur à la revue du WWF France, a créé un groupe « démographie responsable » dans lequel il n’hésite pas à dire qu’« il faut réhabiliter Malthus ». Michel Tarrier connaît bien le sujet puisqu’il est l’auteur, avec sa fille Daisy (responsable des partenariats au WWF France), du livre « Faire des enfants tue »…

[3] Le sens du travail dans la culture monastique (Conférence donnée par Armand Veilleux  au personnel de l'Abbaye de Scourmont et des Sociétés reliées à l'Abbaye, le 9 sept. 2003)

[4] Ibid

[5] Forum Chrisnet

[6] Saint-Benoit de Nursie l’avait précédé (472-547), en laissant une règle monastique. St-Benoit d’Aniane, moine à l’abbaye de Saint-Seine près de Dijon, étudie les nombreuses règles en usage, outre celle de Saint Benoît de Nursie : règle de saint Pacôme (en Egypte), de saint Basile (à Césarée) et règle de saint Colomban. Il se tourne alors vers la règle de Saint Benoît de Nursie, qu'il veut faire appliquer au sens strict. Il modifia et compléta cette règle avec celle de Colomban. St-Benoit d’Aniane rédigea la « concorde des règles », s'appuyant sur ses commentaires de la règle de saint Benoît de Nursie.

[7] Forum Chrisnet

[8] Le sens du travail dans la culture monastique (Conférence donnée par Armand Veilleux  au personnel de l'Abbaye de Scourmont et des Sociétés reliées à l'Abbaye, le 9 sept. 2003)

[9] Ibid

[10] Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, Paroisse Saint-Jean-de-Malte,

[11] Ibid

[12] Abbaye de Boulaur

[13] Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, Paroisse Saint-Jean-de-Malte,

[14] Le sens du travail dans la culture monastique (Conférence donnée par Armand Veilleux  au personnel de l'Abbaye de Scourmont et des Sociétés reliées à l'Abbaye, le 9 sept. 2003)

[15] Décret dur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse – « Perfectae caritate » 28 octobre 1965

[16] Jean-Claude POLET, professeur de littérature comparée à l'université de Louvain-la Neuve et à celle de Namur (Belgique), a publié un dossier spécial sur la vie monastique dans le numéro d'avril 1999 de la revue Louvain, revue mensuelle de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique).

[17] L’ensemble de ces significations a été développé par Mgr Giampaolo Crepaldi, Secrétaire du Conseil pontifical "Justice et Paix"  lors d’une conférence donnée à Rome, le7 mai 2009, devant l’Institut Politique Léon Harmel

[17bis] “Les principes du fédéralisme et la fédération européenne” (Presses d’Europe 1968), p. 50

[18] Le sens du travail dans la culture monastique (Conférence donnée par Armand Veilleux  au personnel de l'Abbaye de Scourmont et des Sociétés reliées à l'Abbaye, le 9 sept. 2003)

[19] Cf. Jean-Paul II, Discours à l'audience accordée aux dirigeants des syndicats et travailleurs de grandes sociétés, 2 mai 2000.

[20] Le sens du travail dans la culture monastique (Conférence donnée par Armand Veilleux  au personnel de l'Abbaye de Scourmont et des Sociétés reliées à l'Abbaye, le 9 sept. 2003)

[21] Benoit XVI précise : « Le monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la création de la matière. « L’ordonnancement » du monde était le fait du démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de la Bible est bien différent : Lui, l’Un, le Dieu vivant et vrai, est également le Créateur. Dieu travaille, il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes ».

[22bis] Les statuts la Chartreuse de Serra San Bruno en Calabre disent: "Si le monde ne tire pas profit de notre silence, il en tirera encore moins de notre parole" (Observatore Romano n° 41- 13.10.2011)

[22] Discours de Benoît  XVI, Collège des Bernardins, Paris, Vendredi 12 septembre 2008

[23] Dans ses deux premiers traités : Sur les degrés de l'humilité et de l'orgueil et Sur l'amour de Dieu.

[24] Règle de saint-Benoît, dans son chapitre 48

[25] Vatican Information Service 10 octobre 2011 et Journal "France Catholique"
"Le Saint-Père s’est rendu en hélicoptère à Serra San Bruno à 17 h 15 min pour rejoindre en voiture la Charteuse des saints Étienne et Bruno. Il a été accueilli par le maire de la localité et, devant la Chartreuse, s’est adressé aux nombreux habitants venus l’accueillir. Évoquant la visite de Jean-Paul II en 1984, Benoît XVI a parlé du grand privilège d’avoir une «  citadelle de l’esprit  » comme cette chartreuse. «  Les monastères ont une fonction extrêmement précieuse, et même indispensable dans le monde… Ils servent aujourd’hui à assainir l’environnement. Parfois, le climat que l’on respire dans notre société n’est pas sain, pollué qu’il est par une mentalité qui n’est pas chrétienne, ni même humaine, car dominée par des intérêts économiques, préoccupée seulement des choses terrestres et manquant d’une dimension spirituelle. Dans ce climat, on marginalise non seulement Dieu, mais aussi notre prochain, et l’on ne s’engage pas pour le bien commun. En revanche, le monastère est le modèle d’une société qui met Dieu et la relation fraternelle au centre. Nous en avons tant besoin aujourd’hui aussi ".