Titre : « De Jésus à Jésus, en passant par Darwin »
Année de parution : octobre 2011
Auteur : Christian de DUVE
Editions : Odile Jacob
Préface : néant
 
CV de l’auteur : prix Nobel de médecine, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain et de l’Université Rockfeller de New-York.
Derniers ouvrages :
« Génétique du péché originel. Le poids du passé sur l’avenir » (2009)
« Singularités. Jalons sur les chemins de la vie » (2005)
« A l’écoute du Vivant » (2002)

Résumé

Ce livre a le mérite d’être le témoignage d’un itinéraire personnel et scientifique, celui d’un prix Nobel. C’est donc une recherche, mais, malgré le titre et le CV de l’auteur, il est assez loin de la vision de l’Eglise catholique. Comme l’auteur le dit dans l’avertissement, il a été marqué par les suggestions que lui a données un prêtre « atypique, attaché à son Eglise et la libre pensée ». Dans son avertissement, l’auteur dit clairement que le « premier Jésus de son enfance est mythique et imaginaire », que son cheminement, « illuminé par la science », le conduit à un « second Jésus, …le sage, l’auteur d’un message d’amour ». Les conclusions auxquelles il arrive sont donc plutôt celles d’un Jésus, sage maître à penser, qu’à une personne divine avec laquelle on entre en relation vivante. Pourquoi ?

« Le Jésus de mon enfance »

Cette première partie est surtout le rappel de son cursus scientifique.

Comme beaucoup de scientifiques, l'auteur est tenté par « de vagues projets philosophico-scientifiques » (p. 37), qui le conduit à « se pencher sur l’origine de la vie » (p. 39). Ce souci est légitime pour quiconque. Mais, il se laisse fasciné exclusivement par la philosophie de « Descartes et de Claude Bernard » (p. 37) et par ces « géants que furent Lamarck et Darwin » (40). Pourquoi pas ? Ces maîtres sont de fervents partisans de la connaissance et de la science comme approche unique de la vérité. Il ne faut pas ‘étonner que l’auteur soit si attaché à la liberté de la science et qu’il stigmatise « les contraintes bureaucratiques qui entravent de plus en plus la liberté des chercheurs » (p. 27). L’auteur semble oublier que la science n’a pas à bénéficier d’un caractère sacré. Son pouvoir s’arrête là ou commence le contre pouvoir de la bioéthique, de la manière qu’un pouvoir exécutif est limité par un contre pouvoir législatif.

L’auteur, dans son cheminement, prend un parti pris qui est manifeste une trop grande prudence pour « le problème du ‘sens’ ». Il refuse de « faire appel à la religion ou à la métaphysique » (p. 41).  Pourquoi ? «  Afin de ne pas choquer son entourage ». La réponse a le mérite de la franchise, mais il se prive d’une affirmation catholique qui dit « la foi et la raison sont les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité » (première phrase de l’encyclique « Fides et ratio ».

« De Darwin à Jésus »

Cette seconde partie est celle de ses découvertes scientifiques. Il communique sa fascination au lecteur : « nos lointains ancêtres… ont une tête quatre fois plus grosses que celle des plus grands singes qui les entourent » (p. 47)… « un cerveau dont les capacités n’ont pas beaucoup évolué… Nos gènes ont à peine changé » (p. 49) !

Mais on peut regretter que l’auteur n’entre pas dans le détail de sa conviction d’une « sélection naturelle » qui aurait, « pour des raisons évidentes »,  fixé  des « traits de comportement » comme l’altruisme  (p 48), mais aussi "l'égoïsme de groupe". A partir de là, l'ouvrage bascule dans des propos est un peu rapides. Si on ne peut pas exclure cette relation de cause à effet, beaucoup de chercheurs s’interrogent et ne trouvent pas la chose aussi évidente.

Au nom de l'existence de cet égoïsme, n’est-il pas un peu rapide de parler de « péché originel génétique » qui aurait rendu « l’humanité prisonnière de ses gènes » ? Faut-il voir, comme le dit l’auteur, un risque que « la sélection naturelle aille au bout de son œuvre fatale »  (p. 51) et que « la sélection nous fasse payer le prix fort » (p. 52) ? Tout cela ne laisse pas beaucoup de place à la vision anthropologique chrétienne qui croit en un homme libre et ouvert à une rédemption.

Mais, pour l’auteur, le salut ne passe pas par le Christ, mais par l’homme lui-même puisque « nous sommes les seuls parmi tous les êtres vivants à posséder le pouvoir … vaincre notre propre nature » (p 52).

Ce pouvoir, dit l’auteur, passe par « l’éducation, …des éducateurs,… et des sages » (p. 53).

Pour l’auteur, le sage des sages, « il se nomme Jésus » (p. 53). Pour l’auteur, c’est « le contexte darwinien qui confère une profonde signification nouvelle au message de Jésus » (p. 53) !!!

L’auteur ne croit pas que Jésus soit le seul sage. « il y en a d’ailleurs d’autres, tels Boudha ou Confucius ». La seule différence entre eux semble être que ces derniers « ont moins d’influence sur le monde occidental » (p. 55).

L’analyse est un peu courte, car l’auteur ne se pose pas vraiment la question mystique essentielle, celle de la divinité du Christ. Pour lui, ce n’est qu’un sentiment de Jésus : il serait « convaincu de sa mission divine » (p. 56). Ce ne seraient que les églises qui le « proposent à leurs adeptes comme le rédempteur… », l’aurait « élevé au rang de fils de Dieu », et « présenté comme l’incarnation » (p. 56). Le personnage historique aurait été « enjolivé au cours des siècles »  au point de « nourrir l’imagination et la crédulité de plus d’un milliard d’humains » (p. 57). Tout cela ne serait qu’un « mythe … exploité » (p. 58).

L’auteur, dès lors, n’est pas tendre avec l’Eglise qu’il réduit à avoir « une prétention à détenir la vérité suprême … à s’octroyer un brevet d’infaillibilité, … s’arroger des articles dits ‘de foi’ » (p. 58). On peut accepter que le mystère de l’Eglise ne soit pas un article de foi pour  tous, mais on a du mal à suivre l’auteur quand il semble railler « la loi naturelle » en reprochant aux religions de « s’appuyer sur des lois qu’elles définissent d’autorité comme naturelles, inscrites à dessein au cœur même de la nature par la volonté d’un Créateur » (p 58). En tant que Chrétien, c’est pourtant bien ce à quoi nous croyons en proclamant « je crois en Dieu… créateur ».

Le propos est un peu caricatural quand l’auteur qualifie « l’Eglise d’organisation pyramidale… auto-perpétuée de vieillards célibataires et misogynes » (p. 59)

« Esquisse d’une pensée »

Cette dernière partie répond à ce que « croit » l’auteur (p.65).

L’auteur ne croit que lorsqu’il « connait les preuves » (p. 65) et « ne rien admettre qui ne soit prouvé d’une manière irréfutable » (p. 67). Il réfute les « théories inacceptables telles que le dessein intelligent et d’autres formes de finalisme » (p. 70). Il refuse tout ce qui ressemble à du dualisme «  entre matière et esprit » (p. 75), entre « créateur et son œuvre » (p. 77). Ce refus le conduit à un certain « monisme » (p. 78) qui l’amène à croire que l’« univers lui-même incréé, comme étant la seule et ‘Ultime Réalité » (p. 79)

En conclusion, il revient à Jésus et à son « message d’amour ». Il croit à son « message salvateur ». Mais il limite la réalité du Christ à ceci : « s’élevant au-dessus de tout ce qui divise, il a prôné l’amour » (p. 89). Si l’amour n’est qu’un message, il est extérieur à celui qui l’émet et l’auteur ne voit pas que Jésus est lui-même l’amour.

La démarche du scientifique aurait pu être attachante, mais sa conclusion ne peut pas entraîner l’adhésion du chrétien.