L'actuelle sécheresse en France est une occasion de mettre la question de l'eau en perspective. Or, si les problèmes sont mal posés, il y a fort à parier qu’on devra en reparler encore longtemps. Il convient de souligner plusieurs paradoxes face à la réalité de la sècheresse actuelle. Un certain recul est indispensable pour anticiper les conséquences fondamentales qui suivront, et surtout pour essayer de trouver des solutions "soutenables".

Commentaire: "les2ailes.com"

ʺEmotion dans les villes – problèmes dans les champs ! ʺ

Paradoxale est cette émotion qui se manifeste dans les villes alors que le problème est dans les champs. Sans paraphraser Jean de la Fontaine avec son rat des villes et celui des champs, force est de reconnaître que les sondages montrent que 70% des français –majoritairement des villes- seraient prêts à changer de comportement face à la sècheresse alors que leur consommation, au robinet, ne représente pas 20 % des besoins de l’agriculture, celles des plantes et des animaux que la population consomme !
Paradoxale également, notre capacité émotive qui associe cette sècheresse au réchauffement climatique ! Or à évolution climatique moyenne égale –sa cause humaine ou non est un autre débat-, les écarts ont toujours existé ! Mais les populations citadines ont la mémoire courte :
- oubliée la sècheresse dont on parlait au Sahel dans les années 1960 !
- oubliée celle, en France, de 1976 !
- oubliée la canicule de l’été 2003 !
- oubliée, même, celle de l’an dernier en Russie !
- oubliées les statistiques des mois précédents quand on fait des comparaisons. On nous dit qu'une sècheresse comparable à l'actuelle remonte à 1900. Mais quelles ont été les  pluviométries hiivernales qui les ont précédées ?
- oubliés également d’autres accidents climatiques comme l’automne pourri de 1974 qui avait obligé l’armée à intervenir dans les champs pour aider les agriculteurs à assurer leurs récoltes !
Les gens des champs, eux, n’oublient pas.
La consommation nécessaire à la production de notre alimentation représente plus de 1.000 m³/habitant/an, alors que celle que nous tirons au robinet n’est que de 50 m³/habitant/an.  Le problème de l’eau est essentiellement agricole ; après chaque sécheresse les prix des denrées agricoles montent. C’est vieux comme les plaies d’Egypte. Point besoin d’accuser la spéculation : quand la production baisse de 20%, de tout temps, les prix sont en moyenne multipliés par deux.

ʺParler de « droit  à l’eau », c’est faire croire que l’eau est gratuite ! ʺ

Il nous faut donc prendre du recul. Le géologue Ghislain de Marsilly n’hésite pas à dire[1] qu’il n’y a pas de problème structurel d’eau en France...
...Et au plan mondial, probablement pas non plus: il pleut environ 10.000 m³/habitant/an dans le monde [2] ! Et tant qu’il ya aura des océans qui continueront à s’évaporer – et cela pourrait augmenter avec la tendance au réchauffement- la pluie continuera à tomber.  
L'eau nous est donc donnée en abondance, et c'est sans compter avec celle des océans. Or le coût du dessalement de l’eau de mer peut descendre à environ 0,5 $ par m³ pour les projets récents (par osmose inverse et toutes charges comprises). Cette activité est en très forte croissance. La capacité installée chaque année augmente en moyenne de plus de 10 % par an. Il ne s'agit pas seulement d'images réservées aux pays du Moyen-Orient: En europe, en Andalousie, l'usine de Carboneras déssale environ 120.000 m³/jour x 365 = 4 millions de m³/an, soit la consommation au robinet de près de 100.000 personnes!

La problématique de l'eau se pose essentiellement en deux termes qui n'ont rien à voir avec l'écologie:
- un terme géopolitique.  Tous les moyens sont, hélas, mis en œuvre quand on veut faire la guerre.  
- un terme économique, avec ses deux volets:  
* l’accès aux réserves naturelles d’eau, rivières, lacs ou nappes phréatiques : plus d’un milliard d’habitants n’y a pas accès.
* l'accès à sa potabilité : plus de 2 milliards d’habitants vivent dans des zones sans assainissement !
Tout cela a un coût ! Il suffirait, estime-t-on, de quelques 20 milliards $ /an pendant 10 ans pour résoudre ces problèmes d’accessibilité. Ce serait possible avec de la volonté politique.
Parler de « droit  à l’eau », c’est faire croire que l’eau est gratuite, ce qui n’est pas le cas ! Nous ne sommes pas face à un problème d’écologie environnementale, mais à un problème économique. C'est ce que l’Eglise appelle l'« écologie sociale », c'est-à-dire la solidarité et à la paix !

ʺUn pays dépendant alimentairement est importateur d’eau ! ʺ

Quelle solidarité mettre en place ? Je propose la réflexion suivante en juxtaposant un certain nombre de données simples.
La production de nos aliments est la plus grosse consommatrice d’eau. Or le commerce mondial de denrées alimentaires porte sur plusieurs centaines de millions de tonnes. Dit autrement, quand un pays importe des aliments, il importe de l’eau en quantité considérable.
Quand un pays perd son autonomie alimentaire, il perd la bataille de l’accès à l’eau. Pourquoi ? On prend aujourd’hui conscience que  notre libéralisme extrême est injuste en mettant en concurrence les rangées de moissonneuses batteuses de la pleine de Chicago, avec l’agriculture des pays pauvres qui n’ont que des charrues tirées par des vaches faméliques. Le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, a raison de s’en indigner et de proposer la restauration de frais de douanes à l’importation dans les pays les moins avancés. Cela favoriserait quelques transferts de technologie –semences, matériels, agrofournitures- permettant aux agricultures les plus pauvres de se redresser et de combler les pénuries alimentaires locales.
Mais il est une conséquence dont personne ne parle jamais, ce serait celle de la gestion de l’eau qui résulterait d’un nouvel ordre commercial mondial. Puisque l’eau est essentiellement satisfaction d’un problème agricole, à quoi sert d’imaginer une solidarité en creusant des puits ou des réserves d’eau de pluie dans des zones où l’agriculture aurait disparu, où les taux de chômage tournent autour de  40% ? Le coût en serait exorbitant et probablement inefficace. En abordant le problème de l’eau sous son angle agricole, des solutions seraient envisageables. Les investissements hydrauliques apporteraient l’eau aux populations par surcroit des objectifs agricoles fixés. Encore faudrait-il que l’Organisation Mondiale du Commerce renonce au dogme du ʺzéro  frais de douaneʺ ! Encore faudrait-il que le Fonds Monétaire International trouve un substitut à l’hégémonie d’un dollar  tout puissant qui, dès qu’il baisse, met à mal les protections douanières –exprimées en dollars- des pays les plus pauvres.

Les agricultures ont toujours stocké des récoltes

De tout temps, les agriculteurs ont stocké des récoltes. Disposer d'un an de consommation n'était pas considéré comme une mauvaise gestion, en particulier pour les fourages nécessaires aux animaux. Cette précaution revenait à stocker de l'eau!
Or, toute l'économie actuelle, la concurrence mondiale, les suppressions de frais de douanes, obligent les économies agricoles à réduire leurs coûts, et en particulier celui de leur stocks. Nos modèles sont régis par le concept du "stock zéro".
Mais, autant un consommateur peut "procrastiner" -c'est à dire remettre au lendemain- son achat de chaussure s'il ne la trouve pas en stock dans son magasin habituel. Autant il ne lui est pas possible de remettre à l'année suivante son alimentation. Or les rythmes climatiques et agronomiques sont bien ceux de l'année.
Si donc, on ne stock plus d'eau dans les greniers sous forme de récoltes, il faudra bien, qu'on le veuille ou non, stocker l'eau autrement avec des investissements hydrauliques.

Parler de droit à l’eau, sans recul, c’est prendre le risque de servir, en quelque sorte,  les « contrevérités de l’écologisme ». L’eau est d’abord un problème économique avant d’être écologique.


[1] Sources : Emission « Post Frontière », France Culture – juin 2010

[2] On peut estimer la pluviométrie moyenne mondiale à 10.000 M3/hab/an à partir des données suivantes: Pluviométrie moyenne mondiale : 973 mm x densité de population 50 hab/km² x Surface du globe 510.067.420 km², soit  20.000m3/hab/an, dont environ 50% tombent sur les continents, même si on considère que les océans représentent plus de 50 % des surfaces du globe. Le problème est que cette pluie ne tombe pas toujours là où elle serait utile, ni au moment opportun. Toute la question est donc de l'accès à l'eau et à sa régulation.