La journaliste Lucie Robequain, a publié dans les Échos du 22 novembre 2016, un article évoquant un vent de fronde aux USA contre les OGM. Le contexte évoqué est celui de la hausse du prix des OGM, de la baisse du prix des céréales, de la résistance des mauvaises herbes au Roundup, et d’autres réalités amenant les agriculteurs américains à se détourner des OGM.

Le ton de l’article pourrait laisser croire que si les USA se détournent des OGM, ce serait la preuve d’un échec de cette technique.

A y regarder de près, on peut lire entre les lignes que les OGM ont toujours un bon potentiel de développement. Pourquoi ?

Source : les Échos 22 novembre 2016

Commentaire "les2ailes.com"

L’article des Échos écrit, en une de sa page:

Le rendement des cultures américaines ne serait pas meilleur qu'en Europe. La chute des prix des céréales rend ces semences moins intéressantes.

Reprenons point par point l’article des Échos en mettant en exergue des thématiques allant à l’encontre des idées couramment admises  (les sous titres sont les nôtres):

1- Hausse du prix des OGM: un impact à relativiser.

Il y a comme un vent de fronde au royaume des OGM. Plombés par la baisse des prix céréaliers, certains agriculteurs américains se demandent s'ils ont toujours intérêt à cultiver des organismes génétiquement modifiés, qui leur coûtent jusqu'à deux fois plus cher à planter que des semences classiques. Loin des préoccupations européennes sur la santé publique et la biodiversité, le débat sur les OGM qui est en train de naître aux États-Unis tient donc à un tout autre aspect : le retour sur investissement.

Le prix des OGM a effectivement augmenté. Ils sont vendus à un prix largement supérieur aux semences classiques (hybrides ou autres). Mais il faut relativiser la chose en comprenant que dans la structure du prix de revient, le poste semence ne représente que 30 à 35 $/ha, c’est à dire entre 5 et 10 % seulement du coût de production américain (Source USDA- Economic Research Service USDA). Il s’agit de chiffres de 2004. Il faudrait réactualiser. Mais même avec un triplement (400%) du coût des OGM, il s’agit d’un poste peu important.
Comme le dit l’article, seul "le retour sur investissement" compte.

2- Pas de pénurie alimentaire mondiale à l’horizon de 2050

La période n'est effectivement pas propice aux dépenses inutiles : depuis quelques années, le monde consomme moins de maïs, de soja et de blé qu'il n'en produit. Conséquence : le prix du maïs a fondu de moitié depuis son pic de 2012, passant brutalement de 8 à 4 dollars le boisseau. C'est aussi le cas du soja, dont les prix ont chuté de 46 % sur trois ans. Il y a peu de raisons de penser que les prix remontent en flèche au cours des cinq prochaines années, prévient le ministère de l'Agriculture. Les revenus des agriculteurs s'en ressentent : ils ont chuté de 42 % en trois ans (2013-2016), selon le ministère.

Cet article donne l'occasion d'élargir le propos par rapport aux OGM, celui de la capacité de nourrir la population mondiale.
Si les prix des céréales baissent, c’est que l'offre est supérieure à la demande.
L’agriculture mondiale est capable de nourrir les 10 milliards d'habitants attendus en 2050. On dira pourtant que l'offre ne satisfait pas les besoins des pays en voie de développement puisqu’on voit périodiquement des « émeutes de la faim » et que la malnutrition représente encore des centaines de millions de personnes .
C’est oublier que le libéralisme de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en est directement la cause. En réduisant les frais de douanes, l’OMC met le nord et le sud en concurrence. Dès lors, le blé du Nord arrive moins cher dans les capitales africaines que les céréales produites à quelques centaines de km de là. Les populations rurales se retrouvent au chômage dans les banlieues, n’ayant même pas les revenus nécessaires pour acheter les céréales importées.
Le décalage entre l’offre et la demande concerne la demande solvable.
La réintroduction de protections douanières dans les pays les plus pauvres pourrait permettre de relancer une demande équilibrée et une production dans ces pays [1].

3- OGM : Entre agriculture intensive et extensive, que choisir ?

Le coût des semences OGM a pris le chemin inverse. Il ne cesse d'augmenter chaque année. A titre d'exemple, les agriculteurs dépensent quatre fois plus pour l'achat de leurs semences de maïs qu'ils ne le faisaient il y a vingt ans, quand Monsanto a commercialisé ses premiers OGM. Le prix auquel les agriculteurs facturent leur maïs n'a pas augmenté pour autant. « Le retour sur investissement n'est pas au rendez-vous », estime Joe Logan, un fermier de l'Ohio cité récemment par le « Wall Street Journal ». Il compte abandonner les OGM l'an prochain pour se remettre à planter des semences classiques.

Il est tout à fait logique de voir les agriculteurs réduire leur productivité lorsque les cours mondiaux sont à la baisse. Réduire le budget "d'intrants", c'est à dire la qualité des semences, les quantités d’engrais ou les doses de phytosanitaires, est une réaction très classique dans ce genre de situation.
Le tableau ci-dessous montre un exemple de référentiel qui permet à un agriculteur de dégager 960,50 $/ha de revenu brut (avant frais de structure) quand les cours mondiaux sont à 135,0 $/T. S’ils tombent de 30% à 94,5 $/T, cet agriculteur perdra 55% de revenu brut. Le levier est important.
Il peut alors faire le choix de moins investir en certains "intrants" et de faire le choix d’une agriculture plus extensive. En réduisant de 20% ses intrants, il aura le même revenu si ses rendements ne baissent pas de plus de 12,4%. C’est une situation classique, en comprenant qu’il s’agit d’un rendement « tout autre facteur restant égal par ailleurs ». On sait en particulier que la pluviométrie et l’ensoleillement peuvent être des facteurs beaucoup plus importants que la baisse de certains intrants.

Dire que les agriculteurs abandonnent les OGM quand les cours mondiaux baissent est un choix raisonné qui ne préjuge pas de ce qu’ils décideront quand les cours remonteront.

4- Accuser Monsanto de tous les vices relève de la caricature.

Les OGM font d'autant plus débat qu'ils ne tiennent pas forcément leurs promesses, en tout cas dans les pays développés. Les deux plus gros producteurs, Monsanto et Dupont, avaient fait miroiter un accroissement des rendements et des économies substantielles grâce à un moindre recours aux pesticides. Mais les données mondiales publiées par les Nations unies et différents centres de recherche montrent que l'Amérique n'a guère tiré d'avantages par rapport à l'Europe - où la culture des OGM reste largement interdite.
Le « New York Times » a ainsi pris la peine de comparer les rendements des cultures américaines et européennes. Il en ressort que les États-Unis n'affichent pas de meilleurs rendements agricoles que l'Europe. « Nous n'avons pas la preuve que les OGM introduits aux États-Unis ont augmenté les rendements agricoles, au-delà de ce qui a pu être constaté pour les cultures conventionnelles », abonde l'Académie nationale des sciences dans un récent rapport. Le rendement des cultures de maïs, par exemple, a progressé de seulement 20 % sur vingt ans, selon le ministère de l'Agriculture - alors même que le prix des semences OGM de maïs a bondi de 400 % sur la même période.
Hausse de la consommation d'herbicides
Le moindre recours aux pesticides est tout aussi discutable. Et pour cause : les mauvaises herbes ont évolué pour résister au Roundup - le fameux herbicide de Monsanto - et les fermiers sont contraints de ressortir des désherbants à la fois plus anciens et plus puissants, tel le Dicamba. Les données publiées dans une récente étude géologique nationale (United States Geological Survey) montrent ainsi que les agriculteurs américains ont augmenté leur consommation d'herbicides de 21 % sur vingt ans alors que les Français ont réduit la leur de 35 % sur la même période.

Avant d'accuser Monsanto il faut comparer ses profits et son taux de réinvestissement dans la recherche. Une chose est sûre, Monsanto connait l’élasticité au prix de vente des semences. Ses managers savent qu’elle est faible et que les quantités vendues ne seront pas plus importantes s'ils en baissaient les prix. Tous les industriels fixent leurs prix de vente en fonction de l'élasticité de leur marché.

Dire que les OGM "ne tiennent pas forcément leur promesse" est un raccourci. De quelle promesse parle-t-on ? Tout le monde sait depuis des années que « les mauvaises herbes ont évolué pour résister au Roundup ». Mais c'est un raccourci de langage, car ce ne sont pas les mauvaises herbes qui sont devenues génétiquement résistantes. Comme toujours dans la nature, ce sont celles qui résistaient de tout temps qui ont remplacé celles qui ne résistaient pas.
C’est conscientes de cela que 5 ou 6 multinationales ont investi dans le secteur espérant trouver une association OGM/Pesticide permettant de concurrencer celle de Monsanto/Roundup. La concurrence en matière de recherche est violente. Au monopole d’un leader succède celui d’un autre. S'il fallait reprocher à des industries de bio-technologie d'être en situation d'oligopole, il faudrait dire la même chose des constructeurs d'avions. Le caractère multinational de ces industries s’explique par les budgets de recherche nécessaires qui sont considérables. Cela ne signifie pas que la concurrence n'existe pas entre ces industriels.

5- Les pesticides : bénéfices et risques ?

Les Américains ont bien réussi à réduire l'utilisation d'insecticides sur deux décennies (-33 %), mais deux fois moins que les agriculteurs français (-65 %). L'écart n'est pas neutre. Car, si rien ne prouve la nocivité des OGM en matière de santé publique, le fait que certains pesticides soient cancérigènes ne fait plus débat.

Dans le même paragraphe il est question d'insecticides et de "pesticides" (qui incluent les insecticides, herbicides et fongicides). On ne peut parler en même temps des OGM permettant l'usage du Roundup qui est un herbicide et les OGM permettant d'éviter l'usage d'insecticide contre la pyrale du maïs.  
L’article des Échos se termine par les allégations-santé classiques.
Il reconnait du bout des lèvres que  "rien ne prouve la nocivité des OGM en matière de santé publique". On pourrait même affirmer que tout prouve leur innocuité.
Mais l'article affirme que "certains pesticides soient cancérigènes ne fait plus débat".

- C’est exact dans les études « in vitro »: Oui, les pesticides sont des poisons... autant que la plupart de les produits qui sont dans nos armoires à pharmacie. Oui, ces produits peuvent être dangereux pour les agriculteurs qui les utilisent. Il y a, comme pour tout produit pharmaceutique, des prescriptions d’utilisation (comme il en existe pour les chimiothérapies).
- En revanche, « in vivo », aucune étude épidémiologique sérieuse ne permet d’affirmer que les pesticides soient cancérigènes. Même l’Association pour la recherche contre le cancer dit sur la page « vrai ou Faux » de son site internet, que « NON : Aucune étude scientifique convaincante n’a pour l’instant montré que les produits issus de l’agriculture biologique présentent un intérêt nutritionnel ou un effet protecteur supérieur aux autres aliments. Quel que soit leur mode de production, les fruits et légumes doivent faire partie du régime alimentaire quotidien de chacun, notamment parce qu’ils réduisent le risque de développer plusieurs cancers ».

Le risque est donc à évaluer au regard des bénéfices. Or le principal gaspillage mondial est... la mauvaise herbe. La concurrence entre les mauvaises herbes et les culture représente l’équivalent de 100 millions de tonnes de céréales (source FAO) ! Reste à savoir si le sarclage manuel (confié généralement aux femmes) dans les pays les plus pauvres est éthique et si l’utilisation de pesticides doit leur être présenté comme un danger ou un progrès.

Quant à comparer la capacité des français et des américains à réduire les "pesticides", il faudrait préciser que les français ont une agriculture plus intensive (200 ha/exploitant dans la Beauce) que les américains (2000 ha/exploitant dans la plaine de Chicago). Il faudrait décrire en détail la situation de départ. Très probablement l'agriculture française utilisaient plus de pesticides que les américains, il y a 20 ans. Dès lors le potentiel de réduction était très probablement plus facile à atteindre en France qu'aux USA.

 


 

[1] Pour un hectare (Source : USDA Economic Research Service using data from USDA’s – 2004 Agricultural), le producteur américain doit couvrir des coûts de structure d’environ 286 $/ha et des couts proportionnels de 259 $/ha comprenant semences, engrais, phytosanitaires et énergie de traction, soit 545 $/ha. Grâce à un rendement de 9.3 T/ha, le producteur américain engage ainsi, hors rémunération de son travail, environ 59 $/T de blé. Avec un cours mondial -de 90 $/T au départ de la ferme agricole (135$/T de cours FOB - 45$/T de coût logistique vers le port, chargement compris)-, c’est donc un revenu de 31 $/T environ qui revient à la rémunération du travail. En sachant qu’une exploitation américaine parvient à exploiter 200 ha avec seulement 1 personne, le revenu de cette personne sera donc de l’ordre de 31$/T x 9.3T/ha x 200ha/travailleur = environ 57.500 $/personne.

Le négociant de la capitale africaine pourra acheter au cours mondial FOB de 135 $/T majoré d’un taux de fret maritime et de déchargement à l’arrivée de 35 $, et, éventuellement, d'un frais de douane faible de 20 $/T, c'est-à-dire 190 $/T. Ce négociant aura aussi le choix d’acheter à un producteur local. Mais, ce dernier ne pourra faire autrement que d’aligner son prix de vente sur cette concurrence mondiale.

Le producteur africain ne peut financer ni semences OGM, très peu d’engrais, et quasiment aucun produit de protection phytosanitaire. Quant à l’énergie, elle est essentiellement animale faute de capacité à investir en tracteurs. Dès lors, ses coûts/ha ne sont que d’environ 114 $/ha, 5 fois inférieures à ceux des USA. Malheureusement, faute de productivité, les rendements ne sont que de l’ordre de 1 T/ha, soit un coût de 114 $/T. Or, si notre producteur doit « s’aligner » sur le marché mondial, et compte tenu de frais de transport routier, disons de 20 $, pour aller du lieu de production jusqu’à la capitale, il ne pourra compter que sur une recette de 190 - 20 = 170 $/T. Enfin, la faiblesse de taille des exploitations agricoles est telle que ce sont environ 2 personnes qui travaillent sur chaque ha. Dès lors le revenu de chaque travailleur agricole ne sera que de (170 revenu -114 coût) / 2 travailleurs/ha = 28 $ /travailleur, au lieu des 57.500 $/personne aux USA !

Avec une protection douanière portée 20 à 70 $/T et un minimum de transferts de technologies, notre producteur pourrait, dès lors, financer des semences plus productives, des engrais, des produits de protection et des matériels, même rudimentaires, mais plus productifs. Les coûts, certes, doubleraient, passant de 114 $ à 260$/ha, mais, le rendement pourrait être de 3 T /ha au lieu de 1 T/ha, ce qui resterait encore 3 fois inférieur à celui des pays performants. Notre producteur dégagerait ainsi une marge hors travail de 220$/T de recette – (260$ coût/ha / 3 T/ha) = 133 $/T. Cette hausse lui assurerait un revenu de 133 $/T x 3 T/ha / 4 travailleurs/ha = 200 $/travailleur.