24 décembre 2010
Le journal Le Monde rappelle que plus de 140 chefs d’Etat se sont réunis au siège de l’ONU à New-York, du 20 au 22 septembre, pour faire le bilan du chemin parcouru depuis leur engagement à réduire de moitié l’extrême pauvreté.
Le titre de l’éditorial de ce journal est : « la faim, une réalité pour 1 milliard de personnes ». Il s’agit, en fait, d’un magnifique exemple de conformisme de la pensée. Pourquoi ?
Source : le Monde du 21 septembre 2010
Commentaire de «les2ailes.com»
Les faux problèmes soulevés par l’éditorial du journal « Le Monde »
Le conformisme commence par un rappel de faits réels: "le seuil de l’extrême pauvreté est, selon les économistes, de 1,25 $ / jour"… "Près d’un milliard d’habitants ont faim" ! Tout cela est exact… et scandaleux. Les chiffres font peur. Dès lors, le lecteur attend les solutions proposées.
Qu’affirme l’éditorial ? Qu’il est urgent de suivre trois chemins :
Les populations les plus pauvres croient-elles une seconde à ce type de discours ? C’est pourtant bien ce qui est proposé :
- Plus de libéralisme !
L’éditorial regrette que « le cycle de négociations commerciales de Doha dit du développement [soit] au point mort ». Or, le prix Nobel de l’économie, Joseph Stiglitz, a bien montré que la pensée unique en matière de libéralisation du commerce s’est révélé être une véritable spoliation des pays les plus pauvres au bénéfice des plus riches.
Si on veut résumer, l’OMC met en concurrence l’agriculture américaine –avec ses moissonneuses batteuses alignées en rang- avec l’agriculture africaine –avec ses malheureuses charrues à un seul soc tirées par une vache maléfique- ! Cette concurrence mène les agricultures pauvres à une mort certaine. Chacun sait que l’OMC devrait revenir en arrière et autoriser la réinstauration adaptée de frais de douanes protecteurs dans certains pays.
Mais l’éditorial se justifie en ajoutant : « les subventions agricoles que versent les pays de l’OCDE à leurs producteurs restent trois fois plus élevées que l’aide internationale ». Voilà le lecteur culpabilisé : il faudrait supprimer les subventions pour dégager des budgets d’aide alimentaire !
Or, à Doha, on sait que les frais de douanes sont considérés comme des subventions –payées par le consommateur- aussi condamnables que les subventions des pays du nord –payées par les états- ! Le dogme est donc de tout supprimer. Ainsi, ce seront les agricultures du Nord qui gagneront la bataille de la productivité et les pays pauvres qui seront à la merci des plus productivistes, que ce soit par une aide en nature ou en espèces. Derrière cette bonne conscience de la fin des subventions au Nord, il y a un cynisme mortifère pour le Sud !
L'auteur de cet éditorial ne semble pas avoir lu dans le même journal, l'article de Alice Sindzingre, chercheuse au CNRS, qui écrit, à propos du "Millenium": "Personne ne peut ignorer que la Chine et l'Inde sont parmi les pays qui ont le plus résorbé leur niveau de pauvreté. Et elles l'ont fait en boostant leur croissance économique avec des politiques très différentes de celles recommandées par les institutions internationales, en maintenant une forte intervention de l'Etat, en usant de protectionisme. Le consensus sur les Objectifs de Millénaire est donc bousculé..." Elle conclut en disant: "Les dirigeants de Chine et des pays asiatiques, continuant le "enrichissez-vous" de Guizot,... ont résorbé leur pauvreté."
- Moins d'émissions de CO² !
L’éditorial regrette que « la négociation sur le climat [ait] déraillé à Copenhague ». Outre que la dite cause humaine du réchauffement climatique est loin de faire l’unanimité, on ne voit pas bien comment les réductions d’émission de CO² résoudraient la question de la faim dans le monde.
On profite de l’émotion du lecteur pour faire avancer le dogme ambiant.
- Enfin, plus de biodiversité !
L’éditorial pronostique que « la protection de la biodiversité qui sera en jeu dans quelques semaines à Nagoya, au Japon, lors d’une conférence de l’ONU, s’annonce sous de sombres auspices ». L’amalgame est à son comble : au lieu de mettre l’homme au centre de préoccupations immédiates en matière de pauvreté, on invoque les espèces végétales ou animales qui pourraient être utiles dans les « générations futures ».
Il n’empêche : l’éditorial conclue de façon affirmative et solennelle : « ces trois sujets –commerce international, réchauffement climatique, biodiversité- ont un rôle évident à jouer dans le combat pour la réduction de la pauvreté » ! Evident ? On ne voit pas bien pourquoi. Ce qui est évident, c’est qu’on joue d’un gros titre : « La faim, une réalité… », pour faire avancer les lieux communs de la pensée unique actuelle !
Pendant ce temps, on ne parle pas d'autres sujets:
Les autres sujets évoqués à New-York qui ne font pas la « une » des éditoriaux !
Chacun sait que les engagements du " Millenium" ne concernaient pas que la sécurité alimentaire, mais également l’éducation, la santé, etc…
En matière de santé, un des sujets les plus débattus est celui de la « santé reproductive ». Celui qui fréquente « les2ailes.com » sait combien ce thème de la « santé reproductive » est ambigu et combien ce concept holistique est vide de sens. Nous avons démontré combien, à l’Onu, la « santé reproductive » passe, en fait, par le « droit à l’avortement ». On a souvent peine à y croire.
Pourtant, une nouvelle preuve vient d’en être apportée pendant la cérémonie du 10ème anniversaire du « Millenium » : la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a en effet publiquement déclaré qu'elle « croit que l'accès à l'avortement fait partie de la santé maternelle et reproductive, ce qui va à l'encontre de la compréhension de plus de 125 Etats membres de l'ONU qui interdisent ou limitent l'avortement dans leurs lois et constitutions" [1].
En matière de santé, l’objectif du Millenium était de réduire le taux de mortalité infantile de deux tiers par rapport au taux de 1990.
Mais les chiffres de la mortalité maternelle sont utilisés par le lobby de l'avortement et de la contraception, pour exiger qu'un maximum de fonds soit dégagé pour réduire le nombre de grossesses (et donc le nombre de morts en couches) par l'avortement légal et la contraception généralisée.
Or, Chris Smith, membre du Congrès américain, rappelle, à juste titre dans le Washington Post, qu'une forte réduction de la mortalité infantile et maternelle restera très incertaine si l'administration Obama intègre directement ou secrètement l'avortement dans le document final de l’ONU.
Chris Smith explique que de nombreuses actions rentables doivent être étendues, notamment "le traitement et la prévention des maladies, un plus grand accès à une nourriture adéquate, à une eau propre, aux vaccins infantiles, à des moyens de réhydratation orale, à des antibiotiques et à des médicaments pour empêcher la transmission du VIH des mères aux enfants". Il cite une étude parue en avril 2010 dans le journal britannique The Lancet, qui rapporte un déclin de 35% de la mortalité maternelle dans le monde, passée de 526 300 en 1980 à 342 900 en 2008. Ces chiffres confirment ceux du rapport de l'Organisation Mondiale de la Santé intitulé "Tendances en matière de mortalité maternelle" rendu publique le 15 septembre 2010. Chris Smith souligne que "contrairement aux mythes prévalant dans ce domaine, cette étude [du Lancet] montre que de nombreux pays ayant des lois interdisant l'avortement sont aussi ceux qui ont des taux de mortalité maternelle parmi les plus bas du monde - L'Irlande, le Chili et la Pologne en font partie". Lifenews précise que les chercheurs du Lancet ont été surpris de constater que 3 des plus riches pays au monde ont des taux de mortalité maternelle en augmentation : les Etats-Unis, le Canada et la Norvège qui ont des législations libérales en matière d'avortement.
Que voilà des informations qu'on aimerait plus largement diffusées dans nos quotidiens du soir.
[1] Source : Washington Post (Chris Smith) 19/09/10