L'approche des élections présidentielles de 2017 est occasion de nombreux débats sur les valeurs qui doivent fonder nos choix politiques.
Peut-on dire, comme certains, que, "en politique, le but est le bien commun, pas la vérité" ? L’argument d’autorité n’est pas loin consistant à prêter à Aristote une distinction entre: "intelligence rationnelle où la vertu est l’intelligence et le but la vérité et l’intelligence pratique où la vertu est la prudence et le but le bien".
Un rappel de la doctrine sociale de l’Église n’est pas inutile sur l’indissociabilité des concepts de Vérité et de Bien Commun.
Quant à Aristote, il voyait dans l’intelligence pratique, une puissance directrice essentielle et formelle des choses. Cela n’a rien à voir avec une quelconque pratique justifiant une tactique politique justifiant des compromissions, même temporaires, avec la vérité. Qu’en est-il ?

Commentaire: les2ailes.com

1- Bien commun et Vérité

Les deux concepts sont intimement liés. De la même manière que Vérité et Charité sont indissociables, il n'y a pas de Bien Commun sans Vérité. Toute la doctrine sociale de l'Église est intimement pénétrée par l'inséparabilité de ces deux concepts:

a) Dans le Catéchisme de l'église catholique n°2494: "L’information médiatique est au service du bien commun . La société a droit à une information fondée sur la vérité,.." .
C'est d'ailleurs ce que dit autrement la commission théologique internationale: "selon la doctrine sociale de l’Église, de quatre valeurs qui découlent des inclinations naturelles de l’homme, et qui dessinent les contours du bien commun que la société doit poursuivre, à savoir : la liberté, la vérité, la justice et la solidarité" (Document XXIV- 27.3.2009) reprenant une citation de "Pacem in Terris" (§ 93)

b) Le Pape François fait également le lien entre Vérité et Bien commun : "si la vérité est la vérité de l’amour, si c’est la vérité qui s’entrouvre dans la rencontre personnelle avec l’Autre et avec les autres, elle reste alors libérée de la fermeture dans l’individu et peut faire partie du bien commun" (Lumen fidei § 34)

c)  Jean XXIII disait également que "seulement s’ils ont un libre accès à l’information vraie et suffisante les gens pourront rechercher le bien commun et tenir les autorités publiques pour responsables de celui-ci." (XXXVIIe Journée mondiale des communications sociales - 2003)

d) Une Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique- 2002 lie également bien commun et vérité: "...la doctrine de l’Église confirme et protège toujours… [les exigences éthiques fondamentales pour le bien commun de la société] …comme un service désintéressé de la vérité sur l’homme et sur le bien commun de la société civile" (Note doctrinale - § 5).
Ce document ajoute: "Dans une société où la vérité n’est pas recherchée et où on ne cherche pas à l’atteindre, toute forme d’exercice authentique de la liberté est aussi affaiblie, ouvrant la voie à une attitude libertaire et à un individualisme qui nuisent à la protection du bien de la personne et de la société entière." (La définition du bien commun n'est-elle pas ce "bien de la personne et de la société entière"?) (Note doctrinale - § 7)

e) Benoît XVI appelle les jeunes à défendre en même temps les deux concepts: "L’Église … les encourage à rechercher la vérité, à défendre le bien commun… " (Benoît XVI- 1.1.2012- § 1)

f) Mais la citation la plus importante, semble être celle de Conseil Pontifical pour la famille, mariage et 'unions de fait' (2000): " À propos des récentes propositions législatives visant à assimiler les unions de fait, même homosexuelles, aux familles … les catholiques membres des parlements ne devraient pas favoriser par leur vote ce type de législation qui, en allant contre le bien commun et la vérité sur l’homme, serait proprement injuste" (§ 16).

2- L’intelligence pratique et la vérité

Est-il exact qu’Aristote distinguait
- l’intelligence rationnelle où la vertu est l’intelligence et le but la vérité  
- et l’intelligence pratique où la vertu est la prudence et le but le bien ?

En réalité l'intelligence pratique est une intelligence des choses de la création qui s'oppose à l'intelligence rationnelle qui est le propre de l'homme.
La tradition d’Anaxagore et d’Aristote.... assurait que chaque être a en lui-même les lumières et sa fin....

Pour éclairer cette tradition, un article de la revue du monde catholique (volume 15, p. 82) intitulé « du passage de la psychologie d’Aristote » écrit par Félix Frédault, anthropologue et philosophe du XIX° (à cette époque, on savait travailler Aristote à l'école dès l'âge de 16-17 ans !!!) :
« Chaque être a en lui-même les lumières de sa fin et Dieu les assiste tous. La création, avait nécessairement donné à chaque chose, à chaque être, une sorte d’intelligence pratique en rapport avec sa nature : la terre a son intelligence terrestre, les éléments ont leur intelligence élémentaire, les plantes et les animaux ont la leur ; et dans chaque chose, dans chaque être, cette intelligence n’est pas un esprit qui raisonne, débat et conclut, mais une sorte de qualité de leur puissance directrice essentielle et formelle. C’est dire que chaque oeuvre a son intelligence, comme elle a sa beauté, son ordre, sa perfection relative ; de sortes que toutes rendent ainsi témoignage du Dieu qui les a créées, et racontent sa gloire. L’homme seul a en outre une faculté intellectuelle distincte, qui comprend raisonne, juge les choses intelligibles.
En un mot.... [il faut] distinguer trois sortes d’intelligences en ce monde :
- en premier lieu, une qualité intelligente accordée à chaque puissance, en sorte que cette puissance opère selon la loi, selon l’ordre, selon la beauté et selon la perfection relative de sa nature (ndlr : l’intelligence pratique)
- en second lieu, une intelligence rationnelle spécialement accordée à l’homme, pour connaître, juger et décider des choses intelligibles
- en troisième lieu, une intelligence divine, qui illumine, protège et assiste toute la création, par une opération de la grâce, que l’on constate sans la comprendre
Le mystère est là, incompressible, indéchiffrable dans sa profondeur..."

Conclusion:

« Je suis le chemin, la vérité et la vie » disait le Christ. Cette vérité a-t-elle quelque chose à voir avec nos tentatives approximatives d’approche de la vérité et de la connaissance de ce qu’est le monde? Ce serait une erreur de le croire.
Le christ s'est incarné et l'accès à la vérité divine, (intelligence divine) passe par un chemin qui est celui de l'intelligence rationnelle de l'homme.
En politique, la Vérité ne peut s'atteindre en groupe. Il faudrait alors évoquer le concept de consensus qui n'a plus le sens du contenu d'un accord (proche de la vérité), mais d'une procédure politique pour atteindre cet accord.