Dans son entretien à la Croix, le Pape François nous a appelés à servir nos racines chrétiennes plutôt que de les instrumentaliser pour défendre notre identité. Comment faire ? Comment redonner sens à ces racines sans céder à la tentation de présenter un modèle du passé comme une norme pour notre temps ?

Commentaire "les2ailes.com"

Pas de racines chrétiennes sans évangile[1]

Benoît XVI  a rappelé que: « le christianisme est la source des valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples européens[2] ».
Mais, il ne suffit pas de faire des valeurs chrétiennes autant de référentiels purement humanitaires, en temporalisant le Royaume des cieux comme disait Maritain, ni en réduisant la foi à une culture forcément homologue à d’autres cultures. Ce serait confondre le christianisme spirituel et le christianisme culturel. On en oublierait ce qu’annonce le Christ dans l’Évangile (Luc 11, 24-26) : lorsque l’homme croit avoir chassé le démon, celui-ci erre dans « des lieux arides, en quête de repos ». Mais bientôt, le malin revient chez cet homme après avoir pris « sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils reviennent et y habitent. Et l’état final de cet homme devient pire que le premier. » Comme le reprochait Nietzsche à beaucoup de chrétiens, l’homme n’est pas assez fort pour chasser tout à fait le démon. Ne rêvons pas non plus d’une conversion purement humaine de l’Europe, qui ne pourra s’effectuer sans la puissance de Dieu.
C’est pour cela que Benoît XVI a appelé les jeunes à « approfondir les Saintes Écritures, qui sont le grand code de la culture européenne ; et en même temps [à apprendre] le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière[3] ».
Plus concrètement, les questions à se poser concernant l’Europe sont celles de toute gouvernance fédérale. Intègre-t-elle le principe de subsidiarité ? Prétend-elle résoudre des problèmes dont elle a réellement vocation à se saisir ?
Force est de constater que l’UE, elle aussi, confond les principes de subsidiarité et d’exacte adéquation dont nous avons parlé. Quand il s’agit des principes de gouvernance, de valeurs familiales, de culture, et, en ce qui concerne notre sujet, de politique environnementale, l’UE ne fait hélas pas preuve de beaucoup d’originalité. Les directives, sur ces sujets, sont le plus souvent des copié-collés de résolutions de l’ONU, de l’UNESCO ou du Programme des nations unies pour l’environnement.

L’Église rappelle que

la culture européenne plonge ses racines dans la civilisation gréco-romaine, et a bénéficié de la contribution du judaïsme et de l’islam, mais elle a été marquée principalement par le sceau du christianisme pendant deux millénaires, un sceau qui représente la spécificité de l’Europe. Un tel héritage ne peut être nié aujourd’hui. Le reconnaître ne signifie pas contredire le principe de la laïcité, mais l’interpréter de façon correcte[4].

Parler de racines chrétiennes met les chrétiens mal à l’aise. Ils ont le sentiment que ce discours cache une volonté de prosélytisme. C'est à tort  car la définition de ce mot signifie très précisément convertir sous la contrainte. Pourtant, les chrétiens sont loin de cette idée hégémonique d’imposer aux européens une pratique religieuse qui doit rester une démarche libre.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à des valeurs qui ont été fondatrices de la culture européenne :
- le droit de la défense,
- la distinction entre l’acte et la conscience de celui qui agit,
- le respect de toute personne, quand bien même serait-elle reléguée au fond d’une prison,
- la laïcité[5] c’est-à-dire la neutralité de l’État qui ne doit s’immiscer dans aucune forme de religion ni imposer un quelconque paganisme,
- la défense du droit à la vie et le principe d’intégrité du corps,
- l’égale dignité de l’homme et de la femme,
- le caractère central de la cellule familiale pour la société,
- le principe de subsidiarité,
- la liberté de conscience,
- la distinction entre les personnes divines et la Nature
- le bien commun qui est la dimension sociale du bien moral.

Pas de racines chrétiennes sans évangile

C’est ce que Grégory Solari[6] a bien expliqué dans  l’émission « Signe de vie » sur  Radio Notre Dame[7] : « Dans son entretien à la Croix, le Pape François nous a appelés à servir nos racines chrétiennes plutôt que de les instrumentaliser pour défendre notre identité. Comment faire ? Comment redonner sens à ces racines sans céder à la tentation de présenter un modèle du passé comme une norme pour notre temps. Le mot "service" utilisé par le Pape peut nous éclairer. Le "service" auquel fait allusion le pape François, c’est le geste qu’a accompli le Christ au soir du jeudi saint, le lavement des pieds. Or, que célèbre-t-on le jeudi saint? L’institution de l’Eucharistie comme sacrement de l’amour.
Rapprochons les trois idées implicitement en relation par le pape François : les racines chrétiennes, le service et l’eucharistie. Et posons nous la question : où trouve-t-on, où voit-on manifestées ces racines dans un esprit de service ? Nous avons déjà la réponse : dans l’Eucharistie, c’est à dire dans la liturgie. La liturgie a cette propriété de nous rendre présents les mots, les gestes, les objets, les ornements aussi, utilisés par les chrétiens, depuis l’origine ou presque, pour rendre grâce au Seigneur.
Dans le Dialogue des carmélites, Bernanos  fait dire à la prieure du Carmel à une novice : "Ma sœur, nous ne sommes pas un conservatoire de vertus". On peut dire la même chose de l’Eucharistie : la mémoire des chrétiens d’Europe se trouve sédimentée dans la liturgie, non pas comme une réalité du passé, mais comme une  vie habitée par le Christ et à laquelle l’Esprit donne de se manifester dans des formes reçues de la tradition, et en même temps toujours contemporaine.
Comment redonner sens aux racines chrétiennes de l’Europe ? En acquérant une intelligence renouvelée de la liturgie et de ses signes. Qu'a fait d'autre le Christ en vivant sa passion au soir de sa passion, au soir du Jeudi saint ? ».


[1] Nous reprenons ici ce que nous écrivions dans « L’écologie chrétienne n’est pas ce que vous croyez » (Stanislas de Larminat - Salvator- 2014- préface de Mgr André Léonard)

[2] Benoît XVI, réception des participants à la 45ème réunion commune de la Banque de développement du Conseil de l’Europe qui, pour la première fois, a tenu sa rencontre annuelle au Vatican, en juin 2010.

[3] Benoît XVI, Rencontre avec les représentants de la société civile croate au théâtre national croate, Zagreb, 4 juin 2011.

[4] Cardinal Renato Raffaele Martino, Président du Conseil pontifical justice et paix, La convention européenne : les racines chrétiennes de l’Europe, de l’Est à l’Ouest, Intervention du 27 janvier 2003.

[5] Par laïcité, il faut entendre une saine distinction entre le droit d’État et la compétence relevant du religieux. Ainsi, on oublie souvent que, dans le catholicisme, la catéchèse est « mystagonique » (CEC n° 1075), c’est-à-dire que la catéchèse permet la libre entrée de chacun dans le mystère de la foi par la pratique liturgique publique d’un peuple. La laïcité n’a pas à imposer au fait religieux de se cantonner à la sphère privée et ne peut interdire ni l’expression publique des cultes, ni le port public d'insignes religieux. La laïcité de l’État est un devoir. La laïcité d’une société est un non sens. La confusion entre les concepts d’ État et de société mène au totalitarisme. Vouloir imposer une société laïque revient à en éliminer l’inclination naturelle de l’homme au fait spirituel.

[6] Grégory Solari est un essayiste et éditeur suisse, fondateur des éditions Ad Solem, maison d'édition catholique francophone établie à Genève depuis les années 1990, puis à Paris, rue Jacob, depuis décembre 2009 et  ayant édité entre autre Newman, Edith Stein ou plus récemment le père Zanotti-Sorkine,,.

Il est chargé de cours à l'Institut catholique de Paris (philosophie). Il est co-auteur, avec une dizaine d'auteurs, anglicans et catholiques de « Radical orthodoxy : pour une révolution théologique » (2004), co-auteur avec S. Caldecott et D. Rance  de «Tolkien, Faërie et Christianisme»  et auteur de «Les raisons de la liturgie» (2009) et «Le temps découvert» (Cerf, 2014).

[7] le 4 juin 2016, à 6h22