Les "Veilleurs de Paris" se sont réunis le 14 avril devant la Comédie Française. Le thème de la soirée était "du réel au virtuel". Stanislas de Larminat a été sollicité pour s'adresser devant eux. Intervenant avant Philippe Ariño, il a positionné son propos autour de l'engagement comme moyen de s'ancrer dans le réel: « Nous avons raison de vouloir repousser "le meilleur des mondes". Mais plus nous sommes complices d’un rêve désincarné, déconnecté du réel, plus nous en deviendrons une proie facile. Réinvestir le champ de l’économie et de la science, peut être une excellente forme de résistance au "meilleur des mondes" ».
Stanislas de Larminat a lancé un appel à ne pas tomber dans le piège de l'éco-malthusianisme. Pourquoi?

Transcription: "les2ailes.com"

Le texte ci-dessous est la reprise intégrale de l'intervention de Stanislas de Larminat devant les veilleurs:

Vous, les veilleurs, avez inventé le concept de « syndicalistes de la conscience ». Or le virtuel est un véritable piège de la conscience. 
Comment ne pas tomber dans ce piège du virtuel ? Vous constituez une vraie pépinière de personnes prêtes à s'engager dans le politique, dans la famille, dans les écoles ou ailleurs. Vous faites l'expérience au quotidien de la vertu de l’engagement comme remède au risque du virtuel. Pourquoi?
- parce que la fidélité à l’engagement repousse le caractère éphémère du virtuel,
- parce que la raison est à l’engagement, ce que l’émotion est au virtuel.
Bref, l’engagement a de nombreuses vertus, mais à certaines conditions.

Je vous apporte mon témoignage sur deux engagements dans deux domaines où je me suis investi :
- celui des réalités économiques, dans une grande entreprise,
- et celui, plus récent, dans le domaine culturel, celui de l’écologie.

L'engagement n'est jamais indemne de risques, mais, au moins, quand on a les mains dans le cambouis, on prend le réel à bras le corps.

1. Quels sont les pièges du virtuel dans nos engagements économiques

Je vais évoquer 4 concepts économiques : celui du profit, celui de la consommation, celui de l’investissement et celui de l’actionnariat... Les condamner trop vite nous projette dans un vague rêve d'agir idéal. Pour s'ancrer dans le réel, un remède s'impose: remettre l’homme au centre de l’économie.

- Le profit !
Il n’est pas un but en soi. Il y a des désirs exclusifs du profit qui cachent des soifs de pouvoir. Certes ! Mais attention à ne pas condamner toute forme de profit : s’il est un indicateur d’efficacité de notre agir, il devient respectable. Sans profit, on court le risque de rester dans le virtuel d’une économie idéale et pure. Or, "quand une entreprise génère du profit, cela [peut signifier] que les facteurs productifs ont été dûment utilisés" (Centesimus Annus)

- La consommation ! 
Elle peut nous ancrer dans une illusion d’immortalité. Mais l’entreprise peut produire ce que l’homme aspire légitimement à consommer. Sa vocation ne se limite pas à satisfaire des besoins primaires de nourriture, de logement, de sécurité, de soins. Au delà de ces biens universels nécessaires à la vie, chaque époque a ses « biens nouveaux ... issus de la technique et du savoir .... et doivent être mis au service des besoins primordiaux de l’homme, afin que le patrimoine commun de l’humanité puisse progressivement s’accroître » (Compendium de la DSE § 179). 
Il y a un côté illusoire à imaginer que l’homme puisse se les procurer lui-même. L’échange, qui est au cœur du fait économique, est une vertu. L’échange commercial, bien ajusté, peut être facteur de lien social, d’entraide, et de fraternité.

- L’investissement !
Il est promesse sur l’avenir. L’investissement peut justifier l'endettement... Mais le surendettement est une manière de vivre dans le virtuel. Le réel veut qu’on prenne en compte la rentabilité des investissements... car, un des premiers gaspillages à dénoncer c’est celui des ressources financières qui sont limitées. Ne méprisons donc pas trop vite le concept de rentabilité quand il mesure l'adéquation d'un investissement avec choix moral et culturel.

- L’actionnariat!
Il y a des concentrations qui peuvent être excessives. Cela dépend des contextes. Le lieu n’est pas ici de les discerner. Mais le concept d'actionnariat nous renvoie à celui de la propriété privée. Or il faut accepter l'idée que « l’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui, redouble son ardeur » (Rerum novarum).

Voilà quatre exemples qui montrent que ce n’est pas l’économie qui est mauvaise, mais l’usage qui en est fait. A ne pas vouloir se compromettre dans le fait économique, on pourrait se croire pur, mais, en fait, on est dans le virtuel ! Que ceux d’entre vous qui ont cette culture de l’économique, n’hésitent pas à encourager leurs enfants à s’y investir, y compris et surtout dans les grandes entreprises. S’ils ne le font pas, le champ restera libre à l’exercice du pouvoir économique par des agents n’ayant pas forcément le souci du bien commun.

Quittons le terrain de l’économique.

2. Quels sont les pièges du virtuel dans nos engagements culturels

Je vais aborder deux thématiques : celle du fond et celle de la forme. A ces deux niveaux, il y a un risque de s’enfermer dans le virtuel.

2.1- Parlons de la FORME,

... en prenant des exemples dans l’écologie, mon domaine d'engagement :

a - Il y a d’abord des "sémantiques fourre-tout" à éviter

Utiliser des mots « passe-partout » transmet très peu d’information, et permet de donner le change ou de cacher le réel. On tombe alors dans le piège du virtuel. Croyons-nous que mettre le "développement durable" à toutes les sauces apporte quelque chose. Qui sera contre le développement ? Qui sera contre sa durabilité ? Ce consensus est suspect ! Il prépare les esprits à toutes sortes d’idéologies, bien éloignées du réel.

b- Il y a ensuite l’emploi des arguties dialectiques :

Thèse, antithèse synthèse... Tous les philosophes, sauf Marx, considèrent cette forme de raisonnement comme parfaitement virtuelle, en ce sens qu’elle pose mal les problèmes. Elle suppose un choix préalable qu’elle n’explicite pas ...et qu’elle ne veut surtout pas expliciter. Descartes jugeait, je le cite, que « la dialectique… ruine le bon sens ». 
La dialectique conduit à toutes sortes d’amalgames et de syllogismes. Regardez José Bové dénonçant la PMA, même pour les couples hétérosexuels, au nom de son opposition aux OGM. C’est un bel exemple en  matière de syllogismes virtuels : évoquer la PMA ne permet en rien de répondre à la question des OGM, ni vice versa.
Avec la dialectique, on cherche à manipuler son contradicteur et on s’enferme dans un monde virtuel sans nuance.

c - Autre risque sur la forme : manier l’extrapolation

Notre époque, pour condamner le scientisme, aime à dénoncer la tentation d’atteindre l’éternité, l’infini, le démesuré, l’immortalité, le trans-humain... Mais attention à ne pas condamner la vertu du dépassement et de l’effort. 
Il y a une manière de dépasser nos limites qui est vertueuse tant qu’on assume nos propres vulnérabilités. 
L’usage d’extrapolations peut cacher une autre forme de manipulation. Je prends l’exemple de cette phrase : « Une consommation qui n’aurait pas de limite conduirait inéluctablement ... à des changements climatiques [...] ». Pourquoi forcer le trait et parler de consommation « sans limite ». Cela pourrait bien cacher une grande pauvreté de fondement des relations climatiques de cause à effet que suggèrent ces extrapolations.
En jouant sur les extrapolations, on cherche à manipuler son interlocuteur. On veut l’enfermer pour lui proposer un modèle tout aussi virtuel.

d - Dernier risque sur la forme : le maniement de l’invective

Il est facile, par exemple, d’accuser quelqu’un de lobbyiste, de gauchiste ou de libéral, de franc maçon ou d'intégriste, plutôt que de peser les termes du discours tenu.
Discréditer nos adversaires pour ce qu'ils sont nous retire toute crédibilité dans la contestation de leurs discours. L'invective nous enferme dans un monde virtuel sans différences d’avis.

3.1- Après la forme, venons en au FOND

S’engager sur le terrain culturel ne souffre pas les approximations.
L’approfondissement des sujets traités est une nécessité. Sinon, l’irréel nous guète. Dénoncer le mal ambiant est légitime. Mais attention à ne pas édifier une citadelle pure et vertueuse. La posture peut se révéler virtuelle si elle est mal fondée.
Seul le travail personnel garantit le contact avec la réalité.

a) Parler de bioéthique, de sociologie, d’écologie, nécessitent des approfondissements scientifiques et techniques. Attention au mépris facile de la technique. Pour dénoncer les désirs prométhéens de l’homme, on en arrive à dire que la technique et la science rendrait l’homme mauvais. 
Non, la technique et la science ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles seront ce que l’homme en fera. Caïn a utilisé une technique très rudimentaire pour tuer Abel. On peut imaginer qu’il lui a suffit d’une pierre taillée !
Certes la tentation existe que science et technique se suffisent à elles-mêmes. L’homme ne doit pas seulement s’interroger sur le comment des choses. Il doit aussi considérer les pourquoi qui le poussent à agir. Mais il y a un paradoxe à voir ceux qui dénoncent l’idéologie scientiste, faire, en même temps, une confiance aveugle à la science militante.. Les émotions et la peur cachent de fausses démonstrations.
Prenons l’exemple des allégations santé. A écouter certaines officines, tout serait dangereux. Quand nous entendons nos radios annoncer qu’« une étude vient de démontrer que.... », prenons la peine de faire une rapide recherche internet sur les protocoles des dites études ! Affligeant! Car seules les véritables études épidémiologiques peuvent discerner des relations de cause à effet, dans un monde complexe et multifactoriel.

b) Un regard scientifique et technique sérieux peut avoir deux  grands mérites

- Le premier est de nous éviter de succomber au « catastrophisme que certains qualifient d’éclairé ». ce concept consiste à faire juste un petit peu peur en mentant juste un petit peu. Regardez cette accumulation de peurs qu’on nous assène : Nucléaire, réchauffement climatique, perte de biodiversité, OGM, Alimentation dangereuse, pesticides, niveau de la mer, sécheresse, famines, typhons et tornades, pollutions, particules fines dans l’air, maladies parasitaires,   ... Dites moi : de quoi nous n’avons pas peur ? Quel est le degré de virtualité qu’il y a dans tous ces risques ?
Seul un discernement des sources peut nous ramener au réel. Derrière la peur, il y a des mensonges destinés à nous détourner du réel.

- Le second mérite d’une recherche personnelle est de détecter les faux consensus :
Attention à la magie des arguments d’autorité. Le Larousse définit le consensus comme, je le cite, une « Procédure qui consiste à dégager un accord sans procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaître les objections ...». Or un monde sans objections est un monde virtuel. Regardez le consensus des milliers de scientifiques promettant, depuis 30 ans, des lendemains merveilleux thérapeutiques avec la recherche embryonnaire. 
On sait aujourd’hui que ce consensus était idéologique et mensonger.
Aujourd’hui, le consensus sur le climat ne serait-il pas tout aussi illusoire ?

Alors ne méprisons ni les nouveaux savoirs ni les technologies. "Grâce à leurs énormes potentialités, elles peuvent fournir une contribution décisive à la promotion du progrès social. En soi, les résultats de la science et de la technique sont positifs. Il y a des victoires du genre humain qui sont un signe de sa grandeur et une conséquence de son dessein ineffable" (Compendium de la DSE).
Ne nous opposons pas au progrès de la science et de la technologie quand "elles sont signe du don merveilleux qui est fait à l’homme à travers sa capacité créative. Sachons reconnaître que les nouveaux savoirs nous ont apporté d’extraordinaires possibilités. Sachons en  bénéficier d’un cœur reconnaissant". (Compendium de la DSE)

Certes, il ne faut pas tomber dans la dérive scientiste. A cette fin, plus la science se développe, plus nous devons la lier à la charité pour que les technologiques participent au progrès social, celui d'un mieux faire et d'un meilleur avoir.
Comme pour le champ économique la science est un champ à réinvestir. Que ceux d’entre vous qui ont cette culture scientifique, n’hésitent pas à encourager leurs enfants à s’y engager, y compris dans les instituts publics. S’ils ne le font pas, le champ restera libre à l’exercice d’une science tenue par des militants plus soucieux de messianismes et de révolutions sociétales que de bien commun.

En écologie, il y a une forme de refus de la science et de la technique qui fait rêver d'un retour vers un paradis virtuel. Cela mène tout droit à l’éco-malthusianisme. Dans nos écoles, nous sommes conscients des risques de formatage de nos enfants au gender, à une laïcité mal comprise, au subjectivisme des valeurs. Mais, en matière d’écologie, je vous encourage à lire les livres qui sont proposées à vos enfants. Dans les romans contemporains, on y retrouve le risque climatique, la surpopulation, et toutes les peurs que je vous citait tout à l’heure. Moins elles sont fondées, plus leur potentiel malthusien est grand pour formater l’inconscient de toute une génération. 
Je vous signale que certains d’entre vous sont en train de constituer un observatoire de l’éco-malthusianisme. Si cela vous intéresse, venez m’en parler en marge de cette veillée.

3. Conclusion

Alors, oui, nous avons raison de vouloir repousser « le meilleur des mondes ». Mais plus nous sommes complices d’un rêve désincarné, déconnecté du réel, plus nous en deviendrons une proie facile. 
Réinvestir le champ de l’économie et de la science, peut être une excellente forme de résistance au « meilleur des mondes », surtout si nous savons ancrer notre agir dans le réel.