Le 10 février 2014, le docteur François TASSEAU a communiqué au Conseil d'état une prise de position Conseil d’Administration de France Traumatisme Crânien. Il précise certains concepts. Il distingue ce qu'on appelle les "états végétatifs chroniques" et les "états pauci-relationnels" qui correspondent à des états de conscience minimale. Il rappelle que les tétraplégies ne relèvent pas de ces cas.
Le Docteur Tasseau distingue également les services hospitaliers et montrent que "Unités de soins palliatifs" ont pour objectif de soulager les douleurs physiques et aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle Elles n'ont  rien à voir avec les "Unités de soins dédiés" correspondant à des besoins spécifiques des patients, par exemple victimes d’une lésion cérébrale grave traumatique.
Quant à l’alimentation et l’hydratation il estime qu'ils font partie, au même titre que les soins d’hygiène et de confort, des soins de base dus à tout patient dont la situation clinique est stabilisée.
Nous communiquons l'intégralité de ce communiqué

Communication "les2ailes.com"

POSITION DE FRANCE TRAUMATISME CRÂNIEN A PROPOS DE L’AFFAIRE VINCENT LAMBERT

La question du maintien ou de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation par voie artificielle chez les patients en état végétatif chronique (EVC) ou en état pauci-relationnel (EPR) suscite une forte émotion relayée par les médias. Elle touche non seulement les familles et les proches des patients mais aussi les professionnels intervenant auprès d’eux. Par ailleurs le fait qu’une décision de justice dicte une conduite médicale constitue un réel bouleversement dans la manière de procéder.
France Traumatisme Crânien, association nationale des professionnels au service des traumatisés crâniens, souhaite dans ce document exprimer sa position mais au préalable plusieurs précisions et clarifications sont nécessaires à propos de la terminologie utilisée dans ce contexte, des conditions de prise en charge et des aspects légaux et juridiques.

1. Précisions terminologiques

  • EVC/EPR

Selon les informations transmises par les médias, la situation de V. Lambert est celle d’un état pauci-relationnel (EPR), appelé également dans la littérature anglo-saxonne «Minimally Conscious State» (MCS).

L’état de conscience minimale (MCS) a été défini en 1997 par Giacino et al comme un état où existent de façon reproductible mais inconstante des signes traduisant une activité consciente (réponse à des demandes simples et/ou manipulation d’objets et/ou verbalisation de mots compréhensibles et/ou mouvements stéréotypés n’étant pas de nature réflexe).
Il est possible d’observer également des manifestations émotionnelles que l’on peut relier à des circonstances déterminées.

Le MCS est distinct de l’état végétatif (EV), condition où le patient ne manifeste aucun signe repérable d’activité consciente et de vie relationnelle. Le concept d’EVP (état végétatif persistant) a été introduit en 1972 par Jennett et Plum mais il a fallu attendre 1994 pour que sa définition et ses critères diagnostiques soient précisés lors la rencontre d’un groupe de travail pluridisciplinaire aux Etats Unis connu sur le nom de «Multi-Society Task Force on PVS».
Aujourd’hui, lorsque la situation est estimée définitive, on parle d’état végétatif permanent (ou d’état végétatif chronique) et non persistant, ceci pour signifier son caractère irréversible.

  • Tétraplégie/quadriplégie/double hémiplégie

Le terme tétraplégie désigne les conséquences d’une atteinte médullaire haute, et non cérébrale. En conséquence son expression clinique ne comporte aucune atteinte des fonctions supérieures. Le patient tétraplégique est totalement conscient et les problèmes soulevés sont très différents de ceux des personnes en EVC/EPR chez lesquelles l’origine des lésions est cérébrale. Les termes appropriés pour qualifier la situation de ces patients sont «quadriplégie» ou «double hémiplégie».

2. Les conditions de prise en charge

  • Unités dédiées /Service de soins palliatifs

Selon un communiqué du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, V. Lambert est pris en charge «à l’unité d’hospitalisation de soins palliatifs du CHU de Reims, dans une sous-unité de soins de suite et de réadaptation, qui accueille des patients en EPR ». Or la finalité des soins prodigués par ces deux types d’unités n’est pas la même.
Les soins palliatifs sont «des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave, évolutive ou terminale.
L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle».
Quant aux unités dédiées aux personnes EVC /EPR, elles ont été créées pour répondre aux besoins spécifiques des patients victimes d’une lésion cérébrale grave traumatique ou d’origine médicale qui, à l’issue de la phase de coma évoluent vers ces états. Le mot «état» signifie qu’il s’agit de personnes certes lourdement handicapées et totalement dépendantes mais non atteintes d’une maladie particulière évolutive ou en phase terminale.
D’ailleurs la circulaire du 3 mai 2002, à l’origine de leur création, spécifie clairement que «le projet de service de ces unités doit inclure à la fois un projet de soins et un projet de vie» en lien avec les proches. Le séjour dans les unités dédiées n’est pas limité en durée et si la famille le souhaite un retour au domicile est possible avec le soutien requis.

3. Les aspects légaux et juridiques

  • Niveaux de soins à la phase initiale et à la phase de stabilisation de l’état de santé

La question du niveau de soins à apporter aux personnes en EVC/EPR a déjà donné lieu à de nombreux débats, souvent passionnés et largement médiatisés, aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays. Deux positions s’affrontent, l’une pour l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation, l’autre contre et les arguments avancés s’opposent point par point.
En France, le débat à propos de cette question apparait véritablement aujourd’hui c’est à dire plus de huit ans après le vote de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti.
Cette loi, votée par le parlement à l’unanimité en avril 2005, est destinée à renforcer le droit des malades tout en évitant deux écueils, l’obstination déraisonnable et la dépénalisation de l’euthanasie.
Dans cet esprit elle proscrit la poursuite des «actes (de prévention, d’investigation ou de soins) lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie».
De même elle autorise, sous certaines conditions, la limitation voire l’arrêt des traitements (même si cela est susceptible de mettre la vie du patient en danger) en distinguant le cas des personnes pouvant exprimer leur volonté de celui des personnes ne le pouvant pas.
En pratique l’application de la loi ne s’envisage pas de la même manière à la phase aigüe, en réanimation et à la phase de stabilisation de l’état de santé.

En réanimation, le maintien des fonctions vitales nécessite le recours à des thérapeutiques dites actives ou de suppléance d’organes, dont l’arrêt est susceptible d’entraîner rapidement (mais pas toujours) le décès du patient.
Les décisions d’arrêt de ces thérapeutiques sont prises en fonction des critères précédemment cités.
Au stade de la stabilisation de l’état de santé, en soins de suite et réadaptation, lorsque le pronostic vital n’est plus en jeu, le patient étant sevré des thérapeutiques de suppléance, les limitations concernent l’introduction de nouveaux traitements en cas de survenue de complications.
L’objectif de cette démarche d’anticipation est alors d’éviter une nouvelle «escalade thérapeutique» qui pourrait conduire à une obstination déraisonnable.
Là aussi les décisions doivent être prises au cas par cas et en concertation avec la personne de confiance, la famille ou les proches en prenant en compte les éventuelles directives anticipées lorsqu’elles ont été écrites.

  • Qu’en est-il de l’alimentation administrée par l’intermédiaire d’une sonde de gastrostomie?

Doit-on la considérer, dans la situation des personnes en EVC/EPR, comme un acte «inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie» pour reprendre les termes de la loi?
De même, toujours selon les termes de la loi, faut-il la considérer comme un traitement que l’on pourrait arrêter même si cela met la vie des personnes en danger ou bien comme un soin de base qu’il convient de poursuivre, en l’absence de contre-indications médicales?
Au terme de ces précisions l’association France Traumatisme Crânien, compte tenu de sa longue expérience professionnelle auprès de ces patients, des données de la science dans ce domaine et d’une réflexion approfondie dans le domaine éthique, exprime la position suivante:

  • Une bonne appréciation de l’état clinique, par des examens cliniques et complémentaires répétés et adaptés, est la base de la réflexion. Concernant l’EPR post-traumatique on sait par l’imagerie fonctionnelle et l’électrophysiologie, que ces patients ont de s activités cognitives et parfois des îlots de conscience, même si la communication avec eux est réduite voire presque indétectable.
  • Les patients en EVC/EPR ne sont pas en fin de vie et ne relèvent pas d’une prise en charge dans des unités de soins palliatifs. Ils sont des patients très lourdement handicapés, totalement dépendants, pris en charge d’abord dans les services de MPR puis dans de petites unités dédiées créées par la circulaire du 3 mai 2002.
  • Le cadre législatif permet de répondre à certains questionnements. L’EVC/EPR est une situation chronique où des limitations thérapeutiques peuvent être discutées en cas de complications médicales graves dans le cadre de la Loi Léonetti pour éviter tout acharnement thérapeutique. L’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie, pour nous, des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique.
  • La médecine et en particulier la réanimation permettent depuis 2 à 3 décennies, de maintenir en vie des patients qui auparavant seraient décédés; certains d’entre eux évoluent vers un EVC ou un EPR. On sait depuis peu que des traumatisés crâniens en EPR peuvent, de façon non exceptionnelle, évoluer plus favorablement que prévu, pendant plusieurs années , parfois jusqu’à la récupération d’un état de conscience appréciable, leur permettant de communiquer de façon fiable,

Ces remarques nous conduisent à rappeler les risques inhérents à toute catégorisation, chaque situation étant singulière et devant être traitée au «cas par cas».